20.2.10

Septembre 1944

1 Pluie. Premier vendredi du mois, à mon grand regret je manque la messe, mais je ne peux plus me traîner. Antoine de Sansal déjeune avec nous. Il est moins que son frère, partisan du maquis. Il y en a 3 sortes, les F.F.I. Forces Françaises Intérieures, les F.T.P. Francs Tireurs Partisans ou communistes et F.F.C. Forces Françaises Combattantes ou ancienne armée. D’autres garnements opèrent pour leur compte. Quand ils peuvent se procurer des armes et généralement masqués ils dévalisent les fermes et petits propriétaires. Ils ont pris dernièrement 3 000 F à celui du Champ François le nommé Giraud, m’a dit Melle de Maubec sa voisine. Yvonne dîne au manoir pour entendre radio Suisse.

2 Pluie. On nous fait conduire à la gare de Mars, 500 kg de pommes de terre. Arrivés là, on les renvoie en disant qu’on les prendrait à domicile.

3 A.S. Armée Secrète, A.R. Armée Régulière. Ces deux abréviations me sont données par Jacques de La Brosse qui est arrivé hier soir à Magny de Toulouse, moitié en chemin de fer, moitié à bicyclette, en couchant une nuit à Brive, une autre à Clermont, en trouvant ces pays aux mains des maquis. Il a rencontré un colonel de 25 ans nommé probablement par lui-même, mais sortant de Polytechnique tout de même. C’est la pagaye partout. A Toulouse du Craye, gendre Buzonnier, travaille pour le Cte de Paris qui a des rapports avec Sarraut et les communistes. Ces derniers m’ont l’air d’avoir le gouvernail, ce qui me fait peur. Marcelle, Simone et Hubert vont à Buy. Jacques n’a pas de nouvelles de sa femme qui est dans le Jura depuis le mois de juillet. Les bombardements ne cessent pas, direction de Nevers Saincaize et Mornay. On dit que là on a brûlé le château de M. Guillenaud qui touche le pont.

4 A 9 ½ nous entendons une détonation très forte, c’est le pont du chemin de fer de Saincaize qui saute. Toute la journée, les bombardements ne cessent pas. Jacques déjeune avec nous. La machine à battre est aux Petites Granges. Bien mauvaise récolte, je n’ai que six doubles d’avoine pour ma part.

5 La commune de Gimouille est mise au pillage par le passage des Boches. Ils ont incendié la pétrolerie du Marais et Sampanges. Ils prennent les chevaux, font des otages. Mériem se défend avec énergie et empêche de fusiller ceux-ci. Parmi eux, il y a un jardinier père de 8 enfants. Yvonne ramasse un grand panier de bolets ou cèpes. Battage à Callot.

6 Pluie. Pas d’électricité à Saint Parize, pas de courrier. Madame Le Sueur et Madame Martinat quêtant pour le secours national dans mes domaines goûtent en passant à la maison. La pluie empêche de battre à Callot.

7 Pluie. Marcelle déjeune à Planchevienne avec Jacques. On finit de battre à Callot où la récolte est raisonnable, car il y a un bon métayer. Yvonne et Simone rapportent une remorque de cèpes.

8 Pluie. Fête de la Ste Vierge. Je devrais assister à la messe, mais je mesure mes pas et ceux de Jaurès. Que notre mère du Ciel me le pardonne. On bat à Tâches. Simone va avec Madame Le Sueur déjeuner à Buy. En arrivant à la maison, ils trouvent des maquisards en train de faire évacuer le domaine, parce que disent-ils ils vont se battre avec les Boches qui sont encore à St Pierre. Ceux-ci ont fait sauter le pont du Veurdre. Depuis 5 jours Jean Le Sueur est à l’Armée de la Résistance, il loge à l’hôtel de France à Nevers où elle remplace la Kommandantur. Le pont du chemin de fer a quatre arches en l’air. Un peu partout, les communistes s’emparent des mairies. Tout cela ne me fait pas envisager l’avenir avec tranquillité. Mes petites filles qui ont pourtant leurs maris dans la fournaise le regardent d’un œil moins inquiet que moi.

9 Les 400 Boches qui occupaient St. Pierre quittent cette ville la nuit et arrivent à Chantenay à 4 h. Les maquisards les attendaient sur la place, il y a un combat. Pour se venger, les Allemands font sauter un camion d’explosifs. La mairie s’effondre, l’église voit tous ses vitraux brisés. Il ne reste plus un carreau dans tout le village. Une femme tuée, une autre avec la jambe cassée. Ils mettent le feu à un domaine sur la route de Dornes. Pourquoi les Anglais donnent-ils l’ordre d’entraver la retraite des Boches ! J’aimerai mieux les voir chasser hors de la France. A la mairie de Nevers, le docteur Ledroumaguet est remplacé par un avocat Sainson. Le Préfet par un officier. On finit de battre à Tâches, récolte satisfaisante. 56 h ½ de battage dans mes trois domaines. Les hommes sont payés 12 francs de l’heure et nourris. Jean Lavergne mesure pour moi et je le paye. J’ai pour 700 F de mauvais charbon. Je fournis du bois pour compléter le chauffage.

10 Dimanche. Beaucoup de monde à la messe dont pas mal d’étrangers qui fuient Nevers. Mes trois dames et les cinq enfants vont goûter au manoir. Je vois passer dans la cour le Dédé Roy, il a un magnifique complet et à la boutonnière une étoile tricolore qui lui a coûté 8 francs au familistère. Je lui demande ce que cela veut dire. Il n’en sait rien bien qu’il ait 15 ans. Un plus âgé m’aurait dit que c’est pour fêter l’entrée du général Leclerc en Nivernais. Moi je ne bats pas des mains car je le vois escorté de juifs et de francs maçons plus ou moins communistes.

11 Jean Lesueur vient déjeuner au manoir avec son lieutenant. Il dit que les F.T.P. lui ont volé deux complets tout neuf à Nevers et qu’il vaut mieux rester chez soi que de courir sur la grande route. Il y a 2 000 boches dans le parc de Melle Valois. Simone va de bonne heure à Nevers pensant revenir dîner, mais le pont étant barré, elle est obligée de rester coucher en ville. Le Docteur Ledroumaguet son conseil municipal qui est dans de bonnes idées est remplacé comme maire par l’avocat Sainson, anticlérical notoire escorté de maîtres d’école. Cela nous promet des jours heureux. Il est vrai qu’il a aussi avec lui le Docteur Bourdillon et Piétin ancien directeur d’Imphy qui sont bien. Le Paris Centre a vécu, il est remplacé par la Nièvre Libre. Le préfet nommé par de Gaulle n’est pas mal dit-on. C’est Jacques Dee… que le Colonel Roche qui est à la tête des F.F.I. A St Parize on voit aux fenêtres des drapeaux tricolores et aussi à Moiry. Sur l’hôtel de ville de Nevers c’est un drapeau rouge qui flotte. Jean de Sansal a été fait prisonnier par les Boches à Corbigny un jour où il portait des ordres aux maquisards. On ne sait pas où ils l’ont emmené. Comme Marcelle venait de partir pour aller prendre des nouvelles de Gabriel Mathieu, une auto s’arrête sous ma fenêtre, drapeau tricolore en tête drapeau rouge à l’arrière. Il en descend trois individus armés qui embrassent les trois bonniches et viennent me serrer la main et me demander la clef du garage d’où ils emmènent l’auto d’Hervé bien qu’elle n’ait pas d’accus. Le plus vieux a le brassard F.F.I. et FTP avec le bonnet phrygien. Ils donnent à Simone un reçu imprimé pour son auto. L’aîné est de Château Chinon, le second de Bordeaux, le troisième un jeune mécano tout débraillé. Tous des mines patibulaires, mais comme ils me traitent en ami sur les conseils de Chicon, je leur donne un verre de vin. Louis de Savigny m’envoie des photos datant de mon enfance pour que j’y mette des noms. Pour plusieurs je peux le contenter. Cela m’amuse de voir défiler devant moi quelques uns de mes contemporains. René de Savigny y est dix fois, il se savait joli garçon.

12 Visite des petites Robert qui ont apporté à Buy un grand drapeau tricolore. Elles mêmes sont décorées. A St Pierre tout le monde s’embrasse. Les Boches de passage ont été faits prisonniers et sont cantonnés sur le champ de foire. Les soldats Français donnent des cigarettes aux dames, des bonbons aux enfants. Me donneront-ils la paix.

13 Pluie. Suzanne et Guite Le Sueur, Jacques et Anne de Rouville déjeunent avec nous. Antoine du Part vient goûter. Choum raconte son histoire plus ou moins invraisemblable. Il y a trois jours Guy de Martimprey retournant à Nevers par les berges du canal a croisé son camarade Denys Cochin venu de Paris avec deux jeunes gens. Ils font partie de l’armée de Gaulle au moins on le croit, quant à moi je trouve qu’il s’entoure de beaucoup trop de communistes. Jacques me dit qu’Hervé et Zozo d’Armaillé sont entrés au maquis. Montrichard conseille à la population de pavoiser et de se réunir place de la Poste à 7 h du soir. Malgré la pluie il vient pas mal de monde pour entendre le maire prononcer quelques paroles réjouissantes et la musique jouer la Marseillaise. M. le curé était présent.

14 Yvonne et Simone déjeunent à Planchevienne pour ensuite se faire coiffer à Magny. Je lis dans la Nièvre libre qui a remplacé Paris Centre, le discours du Général de Gaulle et je le trouve assez convenable. Charles Jourdier enterré à Cronat ce matin.

15 Madame de Sansal assise dans une très élégante remorque attachée derrière la bicyclette d’Antoine vient nous demander à déjeuner. Marcelle fait tuer un de ses agneaux. Il pèse 30 kilos. Il faudrait vendre ses côtelettes toutes grillées chez Weber rue Royale pour y retrouver son compte, il avait coûté presque 1 200 F le 24 juin. Visite de Madame Gilet et de son fils. Les trains recommencent à marcher. Simone en profite pour aller à Moulins. Marcelle et Yvonne dînent au manoir.

16 Mon rosaire. A 6 h ½ une auto s’arrête devant le perron et à ma grande surprise je devrais dire, le Lnt Hervé qui arrive d’Ozou chez Durat où il est cantonné avec la compagnie qu’il commande et où il est pour peu de temps. Ils doivent être dirigés vers Belfort pour purger le pays des Boches, ce qui demandera une dizaine de jours, ensuite à la grâce de Dieu. Il a l’air content mais désolé de ne pas trouver Simone ici, aussi après avoir dîné, il va la retrouver à Moulins où Maurice a été mis en prison pour avoir été partisan du Maréchal. Gromolard l’avocat a été nommé maire de cette ville. A 4 h Madame Mathieu vient me prendre à Moiry avec sa ponette pour m’emmener à Mars voir son mari que je trouve horriblement changé en deux mois, il a fondu. J’ai été très peiné de le voir ainsi car c’est un charmant homme que j’aime beaucoup.

17 Pluie. Dimanche. Messe en musique avec la fanfare municipale. Sermon de la délivrance. Marseillaise sur la place, je me découvre sans enthousiasme. Après Vêpres procession au cimetière, fleurs sur le monument aux morts, autre Marseillaise devant la Poste. Beaucoup de monde à la messe avec des cocardes tricolores. Jouanet qui brigue la place de maire a un drapeau rouge à sa fenêtre, cela veut tout dire.

18 Simone revient de Moulins par le train du matin bien contente d’avoir vu Hervé. Maurice toujours en prison au secret et à la diète, sous le régime communiste. Père et fils Chambron et beaucoup d’autres partagent son sort. Les Salles complètement pillées de même que Vaumas chez Beauchamp. Les autos des Gouttes et Fougis emmenées. Jacques de Lari qui était allé dans l’Indre pour rejoindre un groupe de maquisards a été remercié par eux, il est revenu à Nevers où les Américains sont arrivés ce matin. Visite d’Antoine de Sansal retour de Fontallier où il est allé pour questionner un maquisard qu’il savait avoir été avec son frère. Il n’a rien pu lui dire. Henri de Villaine ayant dit aux Sansal que Jean avait été recueilli dans une maison à Beaumont la Ferrière très amoché, le colonel est allé y faire une enquête. Personne n’a pu lui donner de renseignement. C’est bien inquiétant car il a disparu depuis le 10 août. Je livre à la réquisition un taureau que j’ai acheté il y a 5 ans à Moreau pesant 855 kg. A 8h ½ du soir Anne et Alain viennent nous apprendre la mort de Bernard à Toulon. La dernière fois que je l’avais vu il m’avait dit : je veux me battre, je veux me battre. Pauvre enfant. Je suis très attristé de cette fin brutale et je pense à sa femme et à ses deux enfants qui sont au Maroc, loin de tous les leurs. Georges tué à l’autre guerre, 25 ans après son fils victime de celle-ci. Il y a des familles vraiment très éprouvées. Hier Aliette a avalé une médaille attachée à une petite épingle anglaise et ce matin elle l’a rendue sans malheur.

19 J’écris à Jacques et à Suzanne de Rouville. Marcelle porte mes lettres et ses condoléances à Planchevienne. J’ai la visite du très charmant et très distingué Colonel Caille venu avec sa fille Madame Thonier qui m’apprend que Mangerel maire de Piomsat dont le château a été pillé par les maquisards a été fusillé par eux. Hier ils ont pris l’auto de Gabriel Mathieu et beaucoup d’autres.

20 Antoine de Sansal vient déjeuner. Je reçois deux lettres d’Edmond d’août et du 13 septembre. Les communistes règnent en maîtres. Un jour pendant qu’ils déjeunaient, ils sont entrés dans la salle à manger révolver au poing pour lui demander son fusil et ils chassent partout sans être inquiétés. On lui a pris son auto et sa bicyclette. Yvonne a un message de Jean du 4 juin. Je conduis Simone à la gare, elle va s’installer à Moulins. Elle me fait part de ses espérances pour le mois d’avril !!!

21 A 6 h du matin, quand il fait encore une nuit noire, une auto s’arrête devant la porte de Marcelle. Hervé en descend et nous dit que sa formation F.F.I. est dissoute, le capitaine Gouraud avec lequel il est l’emmène à Neuilly sur Seine où se forme un régiment. Longue lettre d’Augustin du 18 septembre. Ils vont bien. Ils ont eu les Léotard et ensuite ils ont logé dans l’orangerie 15 F.F.T.P. dont le capitaine est très bien. Ils tirent à balle sur les moineaux et les écureuils. A Lezoux on a rasé le cuir chevelu à quelques femmes accusées d’avoir été trop bien avec les Allemands. Lettre d’Antoinette Jourdier, sa fille a eu un 10 éme enfant. Notre curé faisant la quête du denier du culte déjeune avec nous. J’en profite pour me confesser et lui donne 100 F pour mes bancs à l’église. Visite de Jacques de Lary qui bien gentiment est venu nous apporter des nouvelles de Valence. Louis de Champeaux arrivé ces jours derniers à la Comaille l’a vu ce mois ci en Savoie. Il allait bien. Nous le verrons peut-être bientôt. Marcelle et Yvonne goutent chez Melle de Maubec.

22 Yvonne va à Moulins par le train de 9 h et revient à 5 h. Le lendemain c’est sur Nevers qu’elle dirige ses pas. Je cueille un panier de sorbes pour Melle de Maubec.

23 Pluie

24 Dimanche. Le Marquis de Champeaux-Soultrait est dit-on à la tête des maquisards. On l’appelle le Marquis rouge. Le notaire Savignat m’avise qu’il a obtenu une diminution pour ce qu’il y aura à payer pour les bois de Saint Ouen héritage d’Edith sur 359 000 F au lieu de 500 000 réclamés par l’enregistrement. Marcelle déclare à la mairie avoir une auto Citroën achetée en mars 1933. Elle va déjeuner à Buy avec Mme de Bourg.

25 Pluie. Jacques de Lary déjeune avec nous et il nous parle de la surdité de sa femme survenue depuis deux ans et sans espoir de guérison. Taillardat a été emmené hier en prison par les maquisards pour avoir dévalisé un camion il y a trois ans, relâché après.

26 Pluie. Lettre de Marie de Balloy disant que ses petits enfants Penanster qui habitent le Finistère ont vu brûler leur château et se sont trouvés sur la route à peu près nus avec leurs 4 enfants. Yvonne va à Nevers emportant dix ardoises pour boucher un trou sur le toit de notre maison. Elles ne sont pas de la bonne dimension et pas assez nombreuses. J’écris à Pécard à ce sujet.

27 …

28 Pluie. Les Henri de Rouville déjeunent avec nous et nous disent qu’ils ont la certitude que Bernard est en vie et qu’Hubert est chez ses parents à Paris en congé régulier.

29 Pluie. Lettre d’Edmond, ils sont la bas sous le régime de la terreur du fait des exigences des communistes et des maquisards qui venus avec un bateau lancent des grenades dans les étangs et emportent les poissons morts. Une de ces grenades lancée près de la bonde de l’étang des papillons aux Fougis a crevé la chaussée et quoi que fasse Antoine, l’étang s’est vidé. Après cet exploit la troupe s’est reformée et a traversé la cour des Gouttes en chantant l’Internationale. Yvonne dîne au manoir pour entendre la radio Suisse du vendredi.

30 Pluie. Samedi. A 11 h, les Villeneuve avec leur jolie fille qui vient d’avoir ses 18 ans nous surprennent agréablement. Partis jeudi d’Angers, ils couchent à Tours chez des amis. Vendredi arrêt à Bourges qu’ils quittent samedi matin pour descendre au Guétin où ils montent sur leurs bicyclettes. Ils nous donnent des nouvelles de Cécile qui est venue les voir au commencement du mois. Elle allait bien. Nous avons eu bien des choses à nous raconter. Je pensais ne plus jamais toucher une carte, mais Gaby m’a fait faire un piquet. Il m’a dit qu’il avait vendu Villette château et parc seulement un million.

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