19.2.10

Avril 1944 (début du 24ème cahier)

Est-ce que je vivrai assez longtemps pour le pousser à bout. Comme je le commence, j’entends rugir les sirènes de Nevers et d’Imphy et les bombardements dans la direction d’Avord.

11 Hervé nous arrive par le train de 7 h du matin et repart à 7 h du soir. Marcelle l’amènera à Moiry,où M. le curé porte le Bon Dieu aux vieillards, pour préparer les domiciles de ceux-ci. Il plante du tabac et charge Yvonne de le soigner. Il emporte des œufs, des pommes de terre et un paquet de cigarettes. Il a la joie de voir arriver Melle de Maubecq qui a été en pension avec ses sœurs. Elle monte à califourchon une petite barbaise, qui est en fort mauvais état, étant très mal nourri, ce qui ne l’empêche pas de vouloir la faire reproduire. Elle l’a amenée du Périgord avec une ponette dont elle veut aussi faire une poulinière. Elle est installée avec une tante à Chez Caillet dans une petite ferme de 4 hectares ½ sans le moindre mobilier, car les Allemands lui ont pris tout ce qu’elle avait dans son appartement de Nevers sauf une armoire Louis XIV inutilisable, parce que sa maison qui se compose de deux pièces est trop basse de plafond. Marcelle lui a donné un fauteuil, car elles n’ont rien pour s’assoir. Elle nous apprend qu’Emmanuel Col a laissé toute sa grosse fortune aux enfants Dubois. Une grande partie de la France a été bombardée sévèrement hier, dont Bourges et Lille.

12 Guy de Thoury meurt à 36 ans à Paris enterré à Saint Saulge. Le baromètre baisse, vent du midi, mais pas de pluie.

13 Enterrement de Charles Marion. Par le Cel de Contenson, Yvonne apprend que Jean allait bien le 14 février. Château apporte des haricots aux Valence.

14 Le château de Sermoise est occupé par 200 boches et celui de Maucouvent par des diphtériques de même nationalité.

15 Marcelle déjeune à Buy et revient par Fontallier pour une visite de condoléances. J’écris à Suzanne Tiersonnier pour la remercier d’inviter mes petites filles à loger chez elle à Salins si elle vont au mariage de Jacques.

16 Dimanche. 14 hommes en tout à la grande messe. C’est peu après la belle manifestation des Pâques. Marie Thérèse exploite le domaine de Buy par domestique sous la surveillance de M. Boucaumont qui lui a acheté il y a peu de temps une jument pour 65 000 f, or elle vient de crever.

17 Pluie. Lettre de Roger remplie de lamentations comme d’habitude. Je comprends qu’avec ses 78 ans la mairie soit un rude fardeau à porter. Lettre de Josefa. Jacques leur conseille de ne pas venir à son mariage à cause de la difficulté du voyage. Hubert est en Italie. Marcelle déjeune à Chevenon. Marie Louise est allée marier les du Verne Thoisy . Très belle réunion. 170 personnes assises au lunch, y compris les fermiers. Montrichard a la complaisance de venir m’aider à faire ma déclaration d’impôts sur le revenu, mais nous ne pouvons y arriver, c’est un casse tête chinois. Aussi, j’écris au contrôleur pour lui dire qu’à mon âge, il m’est impossible de faire une déclaration convenable.

18 Pluie. Yvonne va coucher à Nevers pour faire désinfecter les matelas de la maison qui sont dévorés par les mites et moi j’y vais ramené par Montrichard. Je passe au Crédit Agricole, je fais une visite surprise aux Sansal. C’est le Colonel qui m’ouvre la porte à défaut de domestiques. Visite aux Mollins, à Marie Antoinette. Les terroristes font leur apparition en ville. Ils ont dépouillé Bernadat le brocanteur à 9 h du soir ! Madame Ducrot va mieux, mais on a relâché le boucher et son fermier qui avait armé le coupable qui a été envoyé à la Charité. Yvette Beaufils 19 ans, entre aujourd’hui à notre service.

19 Les Hervé passent la journée avec nous de 7 h à 7 h. Avec la remorque, ils descendent une malle de pommes de terre, légume introuvable à Moulins. Nous leur faisons manger notre premier dindon et nos premières asperges. Ils y font honneur. Je fais herser le guéret du pré de l’étang qui s’arrange bien. Je me traîne jusqu’à l’étang Américain, que Marcelle veut pécher. La chaussée est ouverte, mais il ne se vide pas complètement. La bonde de celui des chaumes vieilles ne perd plus. Aliette qui est née à Clermont Ferrand a aujourd’hui deux ans. On lui fait une crème au chocolat.

20 Pluie. Tout pousse à vue d’œil. Quand la végétation s’y met, le temps perdu est vite rattrapé. Lettre de Louis de la Brosse, il suppose qu’Hubert est en Italie et Odette il ne sait où.

21 Marcelle ayant demain une voiture pour la conduire aux Gouttes, prend à Mars le train de 7 h du soir et va coucher à Moulins chez les Hervé. . Elle emmène qui ne se sent pas de joie.

22 J’aide Alexandre à planter des pommes de terre venant de Cussy dans l’angle NE du guéret du pré de l’étang. Yvonne me remplace, car au bout d’un court moment, mes vieilles jambes n’en peuvent plus. Mes jardiniers sont à leur aise. Ils viennent de placer trois mille francs à la Séquanaise. La vente des lapins rapporte.

23 Dimanche. Temps admirable, mais seulement 12 hommes à la grand messe. J’y mène Kiki avec mon âne. Hier mariage La Brosse d’Avout dans le Jura.

24 Je plante 250 pommes de terre pour Hervé. Marcelle et Monique reviennent enchantées de leur voyage. Ma pauvre vieille belle sœur n’est pas brillante, on craint pour elle de l’urémie. Madame de Vauzelle, née Moulins qui habite Rouen avec ses 7 enfants en a eu quatre tués par le dernier bombardement Anglo Américain.

25 St Marc, fête de Marcelle. Dédette nous arrive pour remplacer Yvonne près de ses filles pendant qu’elle ira à Rennes voir sa mère., mais Cécile lui a téléphoné hier de ne pas venir pour le moment car la situation est trop grave. On craint un débarquement et la suppression des trains. A la procession de saint Marc, il y avait 9 femmes. . Autant il faisait bon hier, autant il fait désagréable aujourd’hui, l’herbe poussée rentre en terre, chassé par un vent glacial du Nord.

26 Vent encore plus glacial et plus violent. Marcelle avec l’aide du jardinier et de Pierdet réussit à prendre quelques carpes dans l’étang américain que l’on n’a pas pu tarir. Complètement. Elle fait des heureux dans les domaines et à ses obligés de Saint Parize qui aiment beaucoup le poisson. Visite de Suzanne Le Sueur qui me montre sa déclaration d’impôts sur le revenu. Sauchon le receveur de l’enregistrement à Saint Pierre l’aide à faire ce casse tête chinois.

27 Visite des Jacques de La Brosse, ils déjeunent à Saint Pierre avec les Bouchacourt et dînent avec nous. Ma nièce nous fait bonne impression à tous, elle cause agréablement, belle femme, pleine de santé. Jacques le dépouillé, le beau ténébreux pour prendre le sourire. Il a donné à sa femme un diamant qui est une splendeur montée par Milleris pour 20 000.

28 Hier à la foire de Saint Pierre, une truie suitée de dix petits de 8 jours s’est vendue vingt quatre mille 200 francs. Les Jacques nous quittent pour aller à Planchevienne passer deux ou trois jours. Les Riberolles vendent pour mille francs à la commune de Challuy quelques mètres de terrain pour agrandir le cimetière. Ils en donnent 500 au curé pour faire poser l’électricité dans l’église. Yvonne et Dédette vont déjeuner à Sermoise où 200 boches occupent le château. Marthe les dit assez convenables. Le camp d’Avor est bombardé à midi.

29 Les Mabire Delamalle déjeunent avec nous et avec de gros appétits qu’elles ne peuvent pas satisfaire en ville, le fromage à la crème en particulier a du succés. J’écris à Guiguite de Villeneuve qui se plaît à Angers. Mes trois dames vont dîner chez les Jacques à Planchevienne. Où Marie Josesé leur fait manger une bonne cuisine. Chez elle , elle a appris à la faire car il n’y a pas de cordon et le plus souvent c’est une sœur de Madame D’avout qui en fait l’office.

30 Dimanche. A 10 h nous voyons passer juste au dessus de nos têtes une rame de 260 avions direction Nord.Midi. A 11 h ½ ils reviennent après avoir bombardé des camps d’aviation, Bron, Aulnat etc. Marcelle et Dédette vont faire une visite à Melle de Maubec. Les Jacques viennent dîner et coucher. A minuit ½ les Anglo Américains bombardent encore, mes fenêtres vibrent. Cécile téléphone de Vitré.

3 commentaires:

EDITH a dit…

C'est trés agréable à lire, comme cela sur le Blog !

EDITH a dit…

Le 21 qui a été emmené à Moulins ???

Bernard J. Aumasson a dit…

Monsieur,
Les demoiselles de MAUBEC et ROUX, sa tante, sont citées une douzaine de fois par René ROBERT dans ses notes écrites entre 1944 et 1946.
Plusieurs éléments me permettent de penser qu’il s’agit de l’une des sœurs JOYET de MAUBEC, Jeanne ou Geneviève, d’origine périgourdine, et de sa tante maternelle Hélène ROUX née à Nevers en 1888, qui demeure à Le Presbytère, commune de Chougny, avant sa mort en 1980.
Posséderiez-vous des informations qui me permettraient de confirmer et compléter l’identité de ces deux personnes présentes dans mon arbre généalogique ?
Avec tous mes remerciements.
Bernard J. Aumasson
bjaumasson°free.fr