19.2.10

Crawshay

Walter Crawshay débarqua un beau jour à Fourchambault, où ses parents avaient des intérêts dans les usines Baigues Rambourg et peu de temps après, il épousait Mlle Dufaut, fille du directeur et se fixait définitivement dans notre pays en bâtissant une jolie demeure dans son domaine du Chasnay, d’une contenance de 1o9 hectares, situé au bord de la Loire, au ras des usines. Il avait un très beau jardin et des fruits splendides ; il s’aperçut un jour que les ouvriers leur rendaient de trop fréquentes visites, et pour les protéger, il fit clore sa propriété par un mur haut et solide. Une belle nuit, un couple de lièvres sauta par-dessus le mur à un endroit où la route le domine et prospéra si bien que peu d’années après, une épidémie tomba sur cette trop nombreuse famille et 94 victimes. Les lapins de garennes virent les remplacer, pullulèrent si bien qu’oneut de la peine à s’en débarrasser et qu’un hiver où la neige a duré longtemps, ils ont rongé l’écorce des arbres à 1,5o m de hauteur : on les voyait monter les uns sur les autres. Vers 188o, crwshay prépara une battue pour opérer une destruction sérieuse ; pendant dix jours, une douzaine d’ouvriers armés de pioches, défonçaient les terriers que les lapins recreusaient la nuit. Enfin, le grand jour ariva et une vingtaine d’amis participèrent à la destruction ; en les invitant, Crawshay avait écrit : ne ménager pas les cartouches. Et Gaston de Magnitot qui était venu du Vexin pour cette fête, a été le roi de la chasse en tuant 3oo lapins. On peut le croire, car ses tableaux étaient tenus à jour, aussi bien que les registres d’un notaire, et on y verra que le nombre des victimes a été de quatre mille trente-deux. Crawshay n’avait pas de fusil ; vêtu de flanelle blanche, un grand bâton à la main, il conduisait les rabatteurs dont j’avais l’honneur de faire partie. C’était une place de choix car on tirait les rongeurs au cul levé, ce qui était plus amusant que de les attendre au coin d’un mur, et d’en tirer deux d’un coup comme je l’ai vu. Les journaux anglais, dont le Times, donnèrent un compte-rendu de cette chasse, en disant que c’était le record de ce que l’on pouvait tuer dans un parc de 1o9 ha. Le déjeuner avait lien dans le séchoir, la table était couverte de chrysanthèmes monstres préparés pour la circonstance, par le jardinier Soulier. Le tableau était fait sous un hangar , de dix en dix centimètres, des clous étaient enfoncés un mur et on y accrochait les lapins par le menton, une vieille femme, une brosse à la main leur lissait les poils, mais ne leur enlevait leur parfum qu’on sentait de loin.

Crawshay donnait des battues tous les ans, il m »a toujours fait l’amitié de m’inviter. Magnitot était aussi un fidèle, il s’était marié dans notre pays en épousant Mlle Marie Jourdan du Mazot, fille du grand veneur dont le Marquis de Foudras parle dans les Gentilshommes Chasseurs, et il était le fils d’un préfet de la Nièvre sous l’empire.

Toute l’année, on prenait des lapins au furet, ils étaient vendus soit pour la consommation, soit pour le repeuplement, ou pour des battues, comme je l’ai vu faire une fois à Mourson chez Pierre de Bourgoing, qui était venu au Chasnay pour grossir le tableau de la battue qu’il nous donnait dans ses verdiaux le lendemain. Au milieu d’un trac, un tireur crie ; il y a des braconniers dans le taillis, nous nous précipitons sous bois pour les arrêter, ce qui n’a pas été difficile car nous tombons sur deux hommes qui étaient près d’un coffre d’où ils lâchaient les lapins pour nous les faire tirer. Tout le monde riait, sauf le maître de maison ; il avait cependant fait une bonne spéculation, car les rongeurs qu’il avait achetés 2 francs tout vivants, il les a revendu aux halles 2frs5o morts, et il fait amuser ses amis .

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