19.2.10

Juin 1944

1 Vent desséchant, c’est la fin de tout. Guite Le Sueur vient goûter et prendre Marcelle pour aller décorer l’Eglise. J’arrose les peupliers dernièrement plantés.

2 les gens de Saint Parize vont assez nombreux, clergé, enfants de chœur et autres, bannières de la ligue et de St. Blaise à la rencontre de ceux de Luthenay. A la limite des deux communes à l’endroit dit le pont blanc pour y attendre à 4 h ½ du soir le cortège qui accompagne la Vierge de Boulogne qui traverse toute la France. Croix, religieux et deux scouts marchent en tête et font réciter des chapelets et chanter des cantiques. Nos jeunes gens remplacent ceux de Luthenay pour traîner le bateau de la Ste. Vierge jusqu’à notre église qui pendant 18 h est pleine à craquer. Il y a quatre messes. Celle de minuit est particulièrement suivie et ne prend fin qu’à 2 h ¼. Très nombreuses sont les communions et les retours étonnants. Sur tout le parcours les maisons étaient fleuries même chez des gens qui ne mettent jamais les pieds à l’église.

3 Je ne suis allé qu’à la messe de 7 h ¼ où j’ai communié après m’être confessé à un des pères. J’ai ensuite accompagné le cortège jusqu’à la croix d’Aubert qui avait été très bien décorée par Marcelle aidée de Gérard de Vassal et Guite Le Sueur. Ces deux derniers ont suivi le cortège jusqu’au Marault nus pieds. Là des gens de Magny attendaient la Vierge. Les hommes étaient très nombreux. Lorsque l’on chantait le Parce Domine tous mettaient les bras en croix. Le respect humain avait disparu. Faites Dieu que le passage de la Ste Vierge à travers la France nous amène la fin de cette horrible guerre qui tourne à la barbarie et que prenne aussi fin cette terrible sécheresse qui nous conduit droit à la famine. Paul Martinat continue à être un apôtre il a passé la nuit à l’église et notre curé qui voyait venir cette fête sans enthousiasme est ravi.(Honneur de 3 mars). Ma pompe se dégrene. Je préviens Mangeon qui viendra la semaine prochaine pour la réparer. Je paye mon boucher. Le mois de mars me coûte 710 F. Je n’en avais jamais vu d’aussi cher.

4 La Trinité. J’emmène mes petites filles à la messe. En en sortant Marcelle leur paye un tour de chevaux de bois. A cinq francs le tour, c’est pour rien ! Je livre à la réquisition le veau de ma Normande, 95 kilos payés 1832 francs.

5 Pluie 2 millimètres. Les Hauteuil-Villeneuve nous font part du mariage de leur fille et les Ratheau de Beaumont de leur petit fils Ratheau à Paris. Guite Le Sueur vient manger avec nous un excellent filet de bœuf et nous raconte qu’accompagnée d’Anne de Rouville, elles ont suivi le cortège de la Vierge de Boulogne de Saint Parize à Nevers en passant par Challuy et tout le trajet nus pieds. Partout foule considérable et recueillie. La cathédrale pleine à craquer. J’ai un dérangement qui de 7 h du matin à 16 h me mène 5 fois aux WC. Paul Tiersonnier m’annonce par dépêche la mort de Marie. Cette femme élégante qui avait tout pour finir comme elle avait vécu c.a.d. d’une façon opulente a trouvé le moyen de mourir à Versailles presque dans la misère, n’ayant même pas une bonne à tout faire. Est-ce elle ou son mari la cause de la ruine de ce ménage ou tous les deux, je me le demande.

6 Miette nous surprend à 7h ½ venue à Mars avec les Hervé chez qui elle a couché à Moulins en leur ramenant Hubert qui était depuis quelque temps à Bulhon. Les Hervé vont passer la journée à Nevers pour honorer la Vierge de Boulogne à son passage triomphale dans les différentes églises de la ville. Miette repart à 7 h du soir craignant d’être bloquée ici car les Anglais ont débarqué à Calais Boulogne et aussi à Rome. Marcelle dîne à Planchevienne. A partir de 21 heures le téléphone est fermé.

8 Marcelle déjeune à la Baratte où Guillaume marche avec des béquilles et dîne à Chevenon. Je vais voir le blé du Clou qui est plus beau que je ne le croyais.

9 Yvonne passe la journée à Moulins chez les Hervé où elle déjeune avec Geneviève, Marguerite, Edmond et le ménage Jourdier Sansal. Roy fauche la pelouse où il n’y a pas grand-chose. Je fais la barbe aux massifs qui la bordent.

10 Pluie. Jean m’écrit par …. Le 4 mars pour me remercier d’héberger les siens. Gabrielle de Rouville déjeune avec nous. Yvonne plante des haricots dans le carré qu’elle a pioché au Pied Prot. La pauvre Normandie est écrasée par le débarquement Anglo Américain. A Vire 2000 victimes. La basilique de Lisieux en ruines.

11 Dimanche. Nous avons la visite du second des trois frères Robert des Gesnais. Il est sympathique, grand, physionomie agréable, comme beaucoup a de nombreuses relations, fait valoir en régie directe136 hectares et exploite ses bois avec son personnel et ses chevaux aidé de son plus jeune frère. Ils ont été mis à la porte de leur beau château de Marigny par les Boches. Ils se sont réfugiés près de chez eux à la Maison Rouge propriété de Madame Bouquillard. Beaucoup de châtelains des environs de Decize ont subi le même sort, les Brézé à Germancy, Boigues à Brain et d’autres. Gesnay qui nous était arrivé à 3 heures étant encore là à 8 h, est resté dîner avec nous sans beaucoup se faire prier. Marigny a été bâti par son grand père Richard, avoué à Nevers qui avait des idées assez avancées, ne voyait personne de la société, pas plus que son gendre Houdaille.

12 Hervé nous arrive par le train de 7 h du matin. Il repart par celui de 7 h du soir emportant du ravitaillement, pommes de terre, fromages, cerises. Je vais jusqu’aux Ouchette où les récoltes sont belles comme d’habitude. Au domaine, un châtron a la flux de sang. Chicon le traite comme il en a l’habitude.

13 Jacques de Lari déjeune avec nous et s’en va par Saint Parize organiser une équipe pour la défense passive en cas de bombardement. Marcelle va goûter au manoir de Villars.

14 Vent desséchant et désastreux. Enterrement de la mère Dupré qui a eu 17 enfants et la médaille d’or de la maternité en 1943 bien que sa descendance soit peu intéressante. Visite d’Anne de Rouville qui emporte des cerises dont nous en avons beaucoup.

15 Anne revient chercher des cerises. Madame Bousin aussi et les réfugiés Brossard.

16 Mon rosaire. Fête du Sacré cœur. Pas mal de monde à la messe. Pas de pain à St Parize depuis deux jours. Yvonne dîne au manoir pour entendre la radio Suisse et se tenir au courant des atrocités que les Anglo Américains font subir à la côte Normande.

17 Pas de lettre de Cécile depuis longtemps, pas plus de Bulhon. Yvonne va nous chercher du pain à Saint Pierre et porter une pièce de ma part aux vieux Voisin. Le baromètre baisse, le ciel est noir comme de l’encre. A midi on espère la pluie, à 2 h un vent violent dissipe les nuages et dessèche tout. C’est la famine qui approche.

18 Dimanche. Temps noir et glacial. Toujours pas de pain. En sortant de la messe une jeune fille interpelle Montrichard assez grossièrement pour lui en réclamer. Il n’en peut mais. Hier 6 jeunes gens de la résistance sont venus à la Chasseigne pour prendre son auto. Heureusement, elle était en réparation. Tout cela n’est pas rassurant, c’est le prélude de la révolution et sûrement de la famine.

19 Pluie 20 mm. Enfin il pleut. Service du bout de l’an pour le père Barillet. Pas de courrier. Marcelle déjeune à Planchevienne pour fêter les 18 ans d’Anne avec Madame Seeplinck nièce de Madame Ratheau et qui habite le vieux château de Beaumont. J’écris à Roger. Je pense qu’il a assez plu pour faire naître les betteraves semées dans la poussière il y a 15 jours dans le Clou et faire allonger les avoines de printemps.

20 Lettre de Cécile du 9. Son quartier a été épargné par les bombardements. On parle beaucoup des avions allemands qui marchent sans pilote et vont survoler Londres et l’incendier.

21 Hervé passe la journée avec nous. Avec Yvonne il ramasse nos nombreuses cerises et nous apprend que son beau frère Jean a quitté sa situation et le toit paternel pour rejoindre la résistance, c'est-à-dire les Français qui veulent à tout prix chasser les Allemands de France. Pour moi, ils font alliance avec bien des communistes ce que je déplore. Edmond m’écrit qu’une bande de terroristes a assassiné l’adjoint de Dampierre. Le même jour, une autre bande a dévalisé le château de Fleuriel à d’Origny, l’hôpital du Montet. La sécheresse est plus terrible aux Gouttes qu’ici. Les prés de Besbre ne méritent pas d’être fauchés. Mes métayers rentrent des petits chariots de foin de qualité médiocre. Roy me dit que les bêtes n’en mangeront que le Dimanche.

22 Trois petits mots de Cécile des 11 13 et 15. Rennes est un enfer, mais son quartier a été épargné. Paris Centre dit ce matin que depuis dix jours quarante sept mille civils sont morts en Normandie. Marie Antoinette du Verne passe la journée avec nous. Elle m’explique ce que c’est que les Maquisards. Il y en a quatre espèces tous armés par les Anglais. Il y en a un groupe dans les bois près de Corbigny qui vient se ravitailler en plein jour dans la ville sans se cacher. Ils ont un uniforme presque militaire en drap sombre, culottes et molletières. Ils sont, dit-on, commandés par d’anciens officiers. Un autre groupe est composé de communistes. Ce sont eux qui assassinent les gens qui leur résistent et qui pillent tout. Quels sont les deux autres groupes, je l’ignore. Melle. Roux et sa nièce de Maubec viennent goûter en voiture, charrette traînée par leur jument barbaise. Elles ont vendu leur ponette 30 000 F à un maquignon qui l’a revendu 50 000. J’écris à Raoul d’Anchald qui est souffrant, il a dû avoir une petite congestion.

23 Saint Jean. Le fils du général Boigues sa femme et leurs six enfants sont tués dans un bombardement. Lettre de Dédette du 15. Elle a eu une entrevue avec le baron de Boutray, charmant jeune homme mais il ne lui plaît pas. Marcelle va à Nevers, déjeune chez Marie Antoinette et goûte chez les Mollins. Je fais un tour dans les Craies où je vois avec peine que les avoines de printemps sont si pauvres qu’il sera inutile de les moissonner. Yvonne dîne au Manoir. Avec Yvonne, je remplis les bouteilles de vin d’Aïn Kala. Les Ligueuses de Saint Parize disent un chapelet pour la France après la messe. Les terroristes viennent à Cussy chez Madame Bonnefon et sous la menace du révolver lui font donner 30 000 F. Suzanne Le Sueur, vient goûter et va ensuite avec Marcelle au mariage du fils de Pierre Lavergne avec une petite Bureau, 75 personnes au repas. Alain de Rouville vient chercher des cerises. Pas de courrier. Marcelle achète au Maraut 2 petits agneaux pesant 53 kg à 45 F total 2385 F C’est de la pure folie. Si j’avais encore 60 brebis par domaine comme jadis, 150 agneaux m’auraient rapportés 173 000 F. En 1880, j’ai acheté des brebis à la foire de Vatan dans l’Indre pour 27 F la paire et l’année suivante, j’ai vendu leurs agneaux après un croisement South… 19 F pièce. Les Allemands prennent toutes les autos qui circulent. Aussi Gabrielle de Rouville ne peut pas venir déjeuner.

25 Pluie. Dimanche. J…. ne peut plus trotter. Il m’amène difficilement jusqu’à la porte de l’église. Monsieur le curé vient me voir. Toujours le vent desséchant. Auboulard, fermier aux petites maisons (Luthenay) sous loue aux Château les Moulises et les Fromenteries, fort cher me dit-on. Ils ne sont pas dans leur droit. Ils devaient me prévenir. Marcelle prend le train de 18 h 45 pour aller dîner et coucher à Moulins chez les Hervé. Les Jacquemard nous écrivent de Versailles où ils meurent de faim pour nous demander du ravitaillement.

27 En une heure le petit Chicon, mon jardinier et Roche ont chargé et déchargé un chariot de foin du pré de la joie, aussi je leur paye un verre de vin. Cherbourg est pris par les Anglais.

28 Marcelle revient par le train du matin. Hier elle est allée de Moulins aux Gouttes à bicyclette pour assister au service de quarantaine de sa tante. Antoine m’envoie un bidon d’essence à échanger contre des cigarettes. Lettre de Cécile du 8. Elle est indemne jusqu’à ce jour, mais Rennes et les environs ont beaucoup souffert.

29 Pluie. Jacques de Lary et sa fille viennent déjeuner et se ravitailler. Anne de Rouville vient chercher des cerises. Mes métayers livrent chacun une bête à la réquisition, elles sont maigres et font peu d’argent.

30 Mangeon vient arranger la pompe il remplace un morceau de tuyau de plomb qui perdait. Il viendra une autre fois pour changer le cuir du clapet. Vers 7 h du soir nous voyons passer une vingtaine d’avions allant dans la direction de la gare de Saincaize, c’est pour faire sauter un train de munitions allemand et le dépôt de pétrole du Marais. Du moulin à vent on voit bien les deux foyers et nous entendons les explosions. 1 mort

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