19.2.10

Juillet 1944

1 Pas de courrier. Nous ramassons beaucoup de belles et bonnes cerises sur l’arbre qui touche la garderie.

2 Dimanche on entend passer des trains ce qui prouve que la voie à Saincaize a peu de mal. Vu Armand de Montrichard venu de Vichy. Il croit que la fin approche, mais que sera-t-elle ? Vu à l’auberge Chapon deux jeunes gens de 16 à 17 ans devant deux verres microscopiques de vin rouge qu’ils boivent et demandent l’addition. Coût 30 F. Ils payent sans sourciller et s’en vont contents. Une pièce de vin à ce prix là représente une fortune. Vu deux jeunes Robert des Gesnay emmenant dans une remorque trainée par un cheval de labour un petit Toytot et sa sœur aînée, ils vont faire un pique nique sur les bords de l’Allier avec les Le Sueur. Marcelle goûte à Planchevienne.

3 Pluie. Avec Yvonne nous taillons la bordure des allées, elle avec une pioche, moi avec un râteau. Pas de facteur. Je vends deux bêtes de Callot à mon boucher. J’écris à Edmond.

4 Pluie. Yvonne va à Nevers où elle subit un bombardement. Le pont du chemin de fer est visé mais les bombes tombent dans la Loire. Saincaize est plus durement atteint. Les Allemands brûlent les villages de Montsauge et de Planchez pour se venger des maquisards qui leur ont tué du monde. A Saint Parize des voleurs sont venus piller la nuit chez Lasseur du beurre fondu, chez le garde champêtre du beurre frais et de l’eau de vie, chez Lénau des pneus et un manteau de peau. Sont-ce des maquisards ? Dans tous les cas ce sont des gars du pays qui connaissent les entrées de cave.

5 Je me traîne jusqu’au Paturail Mâle où il y a 8 génisses et une bonne pouliche, mais pas d’herbe. Dans la Varenne une orge magnifique. Dans le champ de la Vache, beau champ de pommes de terre dans la terre. Il a eu la visite d’un gros sanglier. La navette ne vaut rien. Alain de Rouville vient avec un camarade manger des cerises.

6 Je reçois une lettre charmante d’Eliane Mse de Chargères. A deux heures du matin une nuée d’avions passent si bien au dessus de nos têtes qu’en nous levant nous trouvons tout autour de la maison une quantité de petites bandes de papier argenté. On se demande ce que cela veut dire. Visite de Madame Gilet et de ses deux aînés. Cette jeune femme est agréable. Visite aussi d’Anne de Rouville et Chantal de Barrau. Celle la me rappelle beaucoup sa mère avec ses beaux cheveux rouges Vénitiens. Je vais à Moiry faire ferrer mon âne. Là, j’apprend que les Anglais ont voulu faire sauter le pont de Mornay, seule la maison du gardien a été atteinte.

7 Pluie. Lettre d’Augustin, ils vont bien. Ils ont eu le 3 une pluie suffisante. Premier vendredi du mois, je m’approche de la sainte table. Marcelle et Yvonne dînent au Manoir pour entendre la Radio Suisse.

8 Pluie. Hervé vient nous surprendre. Il a déjeuné avec Simone et Hubert. Nos occupants ont rappelé Antoine de Grignon pour le faire travailler à Vauzelle. S’il n’était pas revenu, ils auraient emmené le Colonel en Allemagne. Bonnichon fait à Monique une piqûre préventive anti diphtérique. Lettre de Cécile du 22 juin. Rennes subit toujours des bombardements. Son quartier est épargné jusqu’à présent. Yvonne va à Nevers et au Banlay et revient à 8h ½ trempée comme une soupe. Marcelle va à Luthenay porter une layette à Colette. Elle y rencontre Madame de Fontenay qu’elle avait prévenue de son passage et qui passe tout son temps à …. Avec son mari aveugle.

9 Dimanche. Il paraît que Pierre de Rosemont est mort il y a un mois. A Nevers la nuit dernière une bombe destinée à faire sauter le pont du chemin de fer a tué 7 personnes tour Goguin ;

11 Je vais avec Marcelle jusqu’au bois de la Sablière. Lettre de Cécile du 3. Elle va bien, elle a fait étayer sa cave pour s’y réfugier pendant les alertes nombreuses.

12 Lettre de Jean à Kiki datée du 15 mai, il va bien. Hervé vient nous surprendre. Le but de son voyage est de parler à leur bonne malade chez ses parents à Moiry. Il fait grand honneur à une purée de pommes de terre qui accompagnait un rôti de porc envoyé par mon métayer de Tâches. Visite d’Anne de Rouville venu pour acheter un lapin à mon jardinier. Dernièrement sa mère en a payé un 300 F à Magny, c’était le prix d’une vache dans ma jeunesse. Lettre de Roger qui est bien découragé. Le Morvan est à feu et à sang : Villages brûlés, curés pendus, percepteurs pillés etc. Lettre d’Edmond aussi découragé : son beau frère Etienne Monnier a été dépouillé pour la seconde fois à Tours. Quant à son autre beau frère à Paris, il voit la fin prochaine de nos maux. Monsieur Dumetz sous directeur des enfants assistés à Saint Pierre et apiculteur nous demande à louer la locature du Pied Prot pour y installer ses ruches. On verra.

13 Marcelle monte sur le plancher du hangar pour y chercher des œufs.En redescendant elle tombe avec l’échelle et fait une omelette. Etant tout endolorie, elle renonce à aller déjeuner à Planchevienne comme elle devait le faire. Elle y envoie Yvonne à sa place. Celle-ci emmène ensuite ses deux aînées goûter à Limoux où elles rencontrent Madame de Lagny et ses enfants.

14 Pas de courrier. Etienne avec la ponette de sa maîtresse, nous amène à déjeuner les deux filles de Maurice qui sont à Buy. L’aînée vient d’être reçue au bachot. Yvonne dîne au manoir comme chaque vendredi pour entendre la radio suisse de Paillot.

15 Marcelle et Yvonne goûtent à Chevenon où elles retrouvent Meriem de Martymprey, la femme d’Henry, sa mère et les Pierre de Barrau. Pendant ce temps douze avions bombardent encore la gare de Saincaize. Une vingtaine de maquisards sont tués par les Boches dans les bois près d’Imphy où ils sont enterrés. On dit qu’à Caen, il y a 14 000 morts civils. Les Anglophiles trouvent cela charmant et nécessaire. A 7 h du soir, Saincaize est encore bombardée.

16 A 2 h du matin, un nuage d’avions survolent Nevers qu’ils bombardent pendant une grande ½ heure. Je me lève et je vois le ciel en feu, des éclairs comme pendant un orage. La cathédrale voit sa toiture très abimée, le côté de la rotonde est particulièrement touchée, la gare est indemne mais des bombes tombent un peu partout, sur la clinique Du…., la pharmacie Bernamont, le lycée, le Crédit Lyonnais etc. On parle de 170 morts. Marcelle va à Luthenay pour l’installation de madame Pignot comme présidente de la ligue en remplacement de sa tante Mme Sanglé-Terrien. Mon curé et Melle Tissier de l’école libre déjeunent chez mon jardinier. Je lis un livre qui m’intéresse vivement : la baronne de Barante , née Césarine d’Hondetat.

17 Lettre de Cécile du 5. Il ne passe pas de train la nuit à Mars. A onze heures du matin, nous sommes survolés par une nuée d’avions qui laissent tomber une bombe du côté de St Pierre et s’éloignent dans la direction de Moulins après avoir fait sauter un train de munitions.et cassé des vitraux dans l’église. Yvonne va à Nevers, où il y a plus de mal que nous le supposions surtout rue du commerce et du lycée. La maison du docteur Comte n’est qu’un amas de ruines, celle de Thérèse de Toytot très abimée. Elle s’est réfugiée chez Marie-Antoinette où elle retrouve Madame de Lécluse également sans toit. La place Ducale très éprouvée surtout dans les maisons qui regardent la cathédrale. La maison Parent n’existe plus, quant à la notre, la toiture n’a pas de mal, mais les vitres sont à peu près toutes brisées. Yvonne revient par le Colombier où elle dîne et d’où elle voit à 7 h Vauzelle bombardé copieusement. En gare de Villeneuve, un train de munitions saute à onze heures du soir.

18 Pluie 25 mm. Hervé vient nous surprendre à 7 ½ du matin. Il est parti de Moulins à bicyclette à 5 h et il nous quitte une heure après pour gagner Nevers. Les trains ne circulent plus. Ses beaux parents vont bien. Antoine fait partie des équipes de déblayeurs en ville. Quant à Jean, il s’est rendu aux maquisards et de temps en temps apporte du ravitaillement à sa famille. J’ai peu de sympathie pour ce groupe dit de la résistance, car s’il comporte quelques jeunes gens comme il faut, beaucoup d’autres sont des vauriens entrés là pour piller les perceptions, bureaux de poste, mairies, fermes et qui n’hésitent pas à tuer ceux qui leur résistent. Le Docteur et Madame Comte sont trouvés noyés dans leur cave où la conduite d’eau avait été rompue pendant le bombardement. Les du Part et Suzanne Le Sueur dînent avec nous. Nous apprenons les espérances de Marthe Robert pour le mois de novembre. C’est bien temps après 7 ans de mariage. Je suis heureux de cette nouvelle qui me fait espérer qu’un Robert sera un jour seigneur de Sermoise.

19 Journée chaude et sans vent, après la pluie on voit pousser le trèfle blanc. Nous entendons les bombes à retardement éclater à Nevers.

20 Pluie 25 mm. On fait chauffer un bain pour les enfants au soleil. Mes métayers ont beaucoup de peine à lever la moisson. On leur donne peu de ficelle et elle est mauvaise. La maison du vétérinaire Richard est écroulée, celle de son voisin Béjeau a beaucoup de mal – à St Pierre-

21 Pluie. Marcelle, Yvonne, Kiki et Monique déjeunent à Buy et reviennent entre deux orages. Je livre 3 bêtes à la réquisition, on n’en demandera plus d’ici quelque temps. Qu’est ce que cela veut dire ? Hier il y a eu un attentat contre Hitler, qui ne l’a que légèrement brûlé. Plusieurs généraux l’abandonnent dit la radio. Madame Le Sueur déménage sa maison de Nevers dont la toiture a bien du mal. Henry de Rouville est à Planchevienne pour 5 jours.

22 Pluie 30 mm. Anniversaire de la mort de ma chère Edith, on dit la messe pour elle. Pour la première fois hier nous avons eu une journée sans pain, aujourd’hui de même. Marcelle nous fait une galette. Yvonne va à Nevers où elle passe ½ heure dans la cave de Marie-Antoinette pendant une alerte. Le mariage de Joseph de Champeaux est rompu. Pierre Tassain est sorti indemne des décombres de sa maison.

23 Pluie. Dimanche. Marcelle déjeune à Planche vienne. Les Le Sueur sont amenés à la messe par M. Schmidt dans son auto, ils l’hébergent avec sa famille. Je donne à Yvonne pour sa mère une note où j’écris nos comptes avec Marcelle pour le cas où Tâches serait dévalisé ou brûlé. Les fossés de la route de St Parize sont pleins. La sécheresse est finie. On va réclamer le beau temps après avoir bien demandé la pluie tant il est vrai que le vieux proverbe qui dit que tout le temps qui dure est mauvais en agriculture est toujours de circonstance. Le comte Alain de Maigret, gendre Persan est tué par les terroristes dans son parc de St Romain – Saône et Loire-

24 Pas de Paris Centre ni de pain à St Parize et pas d’espoir d’en avoir avant trois jours, je ne m’explique pas comment cela ne fasse pas pousser plus de gémissement, car bien des gens doivent souffrir de la faim.

25 Lettre du 20 de la Marquise de Chargeux, de Geneviève et d’Edmond qui nous demandent si notre maison de Nevers est encore debout. Marcelle va la voir et trouve notre malheureuse ville dans un état plus horrible que tout ce qu’elle pouvait imaginer. La cathédrale lui saigne le cœur. Monseigneur la lui fait visiter car on peut encore entrer par la porte Ste Julith, la partie romane ayant moins de mal que le reste. La maison des Adenot et celle de Tassain sont inexistantes. Marcelle nous rapporte du pain pour deux jours, elle a pu en avoir grâce à la protection de Marie-Antoinette.qui est sur les dents, mais elle n’ose pas quitter son poste pour aller se reposer. J’envoie 500 F à Monseigneur, 500 F aux petites sœurs de l’Assomption, 500 F au secours national ne pouvant lui donner ni vêtements ni chaussures. Je fais une tournée dans mes trois domaines. Mes métayers moissonnent, mais ils se plaignent de la mauvaise qualité de la ficelle qu’on leur donne en quantité très réduite.

26 Lettre de Cécile du 18. Rennes a encore été bombardée très sévèrement le 17. On attend en I. et V. une colonne de 2 500 personnes venant à pied de Normandie pour se faire nourrir par les Bretons. Elle nous engage à faire des tranchées dans le jardin. A Nevers 125 morts identifiés. Jacques d’Assigny a aidé à en mettre 60 en bière.

27 Journée sans histoire. Les filles de Maurice sont venues de Buy à Saint Parize essayer chez Melle Grandjean des robes faites dans un vieux rideau rouge.

28 Madame Gillet vient goûter avec deux enfants et Anne de Rouville avec la petite Bouchacourt. Il paraît qu’à Lurcy-Levy les maquisards imposent leurs prix dans les boutiques et exigent qu’on les observe. A Magny une bande des leurs a demandé à Alain son âge. Il répond 16 ans. Si tu en avais 18 nous t’emmènerions. A Dompiére, le jour de la foire, ils ont emporté des bicyclettes de femmes. Mon métayer Chicon prétend que le plus grand nombre des maquisards est sous les ordres du Général de Gaulle et que les autres sont des communistes qui pillent tout en attendant la révolution. Je crains fort que ceux sont ceux la qui en imposent aux autres. Mais ce sont ceux qui sont venus hier à Bardonnay chez mon voisin Bernigaud pour tout piller. A Lurcy-levy ils ont affiché les prix auxquels chaque chose devait être vendue et ils font la police. On vient de me dire qu’à Nevers rue d’Alsace Lorraine, il y a tellement de décombres que l’on abandonne les fouilles et qu’il y a bien là encore 200 cadavres. Du domaine de Tâches on a mené à Moiry deux chariots de blé chez Martinat pour le faire battre de suite, le moudre et faire du pain. Un camion chargé de farine à destination de St Parize est resté en panne. Tout s’en mêle. Lettre d’Augustin du 16. Lettre de Cécile : Vitré et Montfort encore bombardés. Elle voudrait que nous fassions des tranchées dans le jardin.

29 On enterre aujourd’hui la Ctesse de Rolland-Dalon, une charmante femme qui laisse 3 jeunes enfants. La nuit, très forts bombardements direction Saincaize. Hervé nous arrive à bicyclette à 10 h. Alain de Rouville vient chercher un lapin de 120 F chez mon jardinier. Yvonne va à Nevers et nous rapporte du pain. Elle a fait la queue pendant deux heures pour l’avoir. Marie-A du Verne nous arrive pour passer 48 h et dormir un peu. En ville avec les alertes continuelles on ne dort pas et ses caves sont le refuge de tout le quartier. Elle a bien maigri.

30 Dimanche. Je suis dérangé et barbouillé. Je ne vais pas à la messe. Simone Jourdier écrit à sa mère que Jean de Valence était en bonne santé le premier juin. Les Maurice Jourdier viennent goûter, ils me disent que les maquisards ont volé cent deux mille francs à d’Origny, de Fleuriel. On quête à Saint Parize. Je donne 500 F et Marcelle 300 F. Une dizaine de maquisards se font servir à déjeuner au domaine St Gabriel et vont de là à Moiry faire réparer leur auto chez Martinat.

31 Madame Le Sueur vient déjeuner avec Marie-Antoinette qui nous quitte à 3 heures. Je passe la journée sur mon fauteuil en faisant la diète. Marcelle fait une visite de condoléances à la Chasseigne.

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