25.2.10

Janvier 1941

1 er J’ai aujourd’hui 86 ans, et grâce à Dieu pas trop d’infirmités, j’en remercie le Ciel et demande au Bon Dieu que s’il veut bien m’accorder quelques semaines à vivre, je ne devienne jamais à charge à mes filles qui ont toujours été pour moi d’un dévouement au dessus de toute épreuve, suivant en cela les leçons que leur très regrettée mère leur a inculquées dès leur plus tendre enfance. 194o a épargné mes petits-fils, que Dieu continue à bénir leurs foyers et que les générations qui suivront fassent toujours honneur à notre famille. Marcelle, infatigable part pour St Pierre poster nos étrennes au vieux ménage Voisin, resté pendant de nombreuses années à mon service. Elle donne de petits cadeaux aux 21 enfants qui habitent les domaines et les locataires de la terre de Tâches, elle termine la journée en portant ses vœux à Fontallier où elle trouve les filles Meynier, Nicole de Rubercy et Mlle Valois.

2 .Neige Il neige et il fait un vent du nord ouest qui vous déshabille. Edmond me prie de prendre des renseignements sur Michel Pourcelle, des Bruyères Radon qui se présente comme garde.

3 .-1o° Il fait si froid et si glissant qu’avec regret, je manque la messe et la communion du premier Vendredi du mois. Marcelle plus courageuse assiste à la messe avec deux autre femmes ; je me contente de dire mon rosaire.

4 .-1o° Je fais une tournée sur les craies par la neige et je constate qu’il y a beaucoup plus de lapins que je ne voudrais. Chasse fermée et fusils saisis, bonnes conditions pour être dévoré par les rongeurs. À Callot, un veau tombe sur la glace et se démolit une jambe de derrière.

5 .-8° Dimanche On marche si mal que je lis ma messe au coin du feu. Je mange bien. Je dors de même, mais ma vieille carcasse maigrit tous les jours, ce qui ne m’empêche pas de rentrer le bois et de garnir les feux abondamment. Lettres de Louis Monnier et de Jacquemart qui remercient Marcelle de les approvisionner l’un à Paris, l’autre à Versailles où l’on meurt de faim.

6 . Lettre de Riquette de Chargères, souhaitant la bonne année et nous disant que les Boches qu’ils ont logés n’ont pas été désagréables, cela n’est pas de même dans tous les pays. À Bourges, ils sont insupportables, ils ont mis Madame de La Charmée à la porte de son château et de son hôtel, de même pour le vieux ménage Montalivet. Mr de Prunéli-Bouillé est mort, Henri Talabot mort aussi à Pontaillac.

7 . Jacques de La Brosse vient goûter, ce qu’il aime assez ? Lettre de Bulhon, où on va bien.

8 .Neige Il tombe pendant la nuit 2o cm de neige, le parc est magnifique. Marcelle est contente, beaucoup plus que moi. Un châtron de Callot tombe sur la glace et se déboite la jambe gauche aussi. Jeanty creuse un fossé pour amener l’eau à l’étang Américain, et coupe des vernes. Montrichard, qui devait conduire Marcelle à Nevers ne peut mettre sa voiture en marche Lettre de Cécile. Marcelle déjeune à Planchevienne et part ensuite courageusement pour Nevers à bicyclette dans la neige, elle veut voir Simone avant son départ prochain pour Tlemcen.

9 . -1o° Je fais atteler mon âne et vais me promener jusqu’aux Queudres, où je constate qu’il y a beaucoup trop de lapins.

1o. Personne ne se promène, on ne voit passer que des bicyclistes venant chercher du beurre dans mes domaines depuis Nevers, on se le dispute, car il est très rare et c’est à peine si je peux en avoir une livre pour moi.

11 . -12° On gèle, la pompe de la cuisine est prise, la soupape des cabinets ne fonctionne plus. Dimanche, Marcelle me conseille de ne pas aller à la messe. Je l’écoute, plus pour l’âne que pour moi-même, j’en ai pitié. Reçu longue lettre de la Marquise de Chargères, qui me dit qu’avec du feu dans sa chambre toute la journée, elle fait péniblement monter le thermomètre à +4°, elle travaille sans arrêt, brosse son parquet, cire des souliers, etc … Le Breuil a été pillé pendant l’invasion.

12 .-14° La lune monte, le thermomètre aussi, du coté du froid. Nous avons la chance de perdre notre cuisinière et son fils, depuis 4 mois que nous l’avions, Marcelle en avait par-dessus les épaules ; pour qu’elle parte, j’ai dû lui payer son billet de retour, coût 2oo frs.

13 . Pleine lune.-17° Marcelle me fait de la bonne cuisine et moi je fais bon feu.

15 . Je vais à la Mairie me faire payer 1785 frs pour l’occupation Allemande dans ma maison ; au lieu de la toucher, je verse 285 frs, ce qui me fera un acompte de 2ooo frs sur mes impôts de l’année. Lettre d’André me souhaitant la bonne année et me disant qu’un pépiniériste de Moulins a eu - 23° la nuit du 12 au 13. Téléphone de Guite partant de Tours où Gaby a trouvé une situation dans les reconstructions. Marcelle me fait un bon poulet en cocotte. Yvonne est encore à Bulhon, et Simone aussi, elles passeront peut être la mer ensemble. Madame Le Sueur vient goûter.

16 . Elle nous envoie un lapin (coût 15 frs), c’est son cousin, Gabriel Mathieu qui vient les prendre chez elle au furet, 12 au tableau hier. C’est Guiguitte qui nous l’a apporté en allant comme chaque jour de 2 à 5 à bicyclette prendre des leçons avec notre curé, et passant seule sur des routes fréquentées par les Boches. Cela nous surprend de voir sa mère la laisser voyager seule. Lettre de mon beau-frère qui me dit qu’ils ont eu moins 25 ° et un mètre de neige par place. Gaby est à Tour, sous les ordres de son beau-frère dont ils partagent l’appartement et sous la direction de son autre beau-frère Charnacé (essai 3 mois). Grande lettre de Cécile qui dernièrement a passé 24 h chez elle après avoir manqué une correspondance. Son gendre Huon de Pénanster a eu des verres de ses serres cassés par des éclats d’obus. Dimanche dernier, un coup de téléphone l’appelle vite, vite, elle sort et arrive dans un salon où elle trouve de nombreux amis entourant le Colonel de La Roque à qui il dit des choses très consolantes. Tant mieux, mais je ne suis pas encore rassuré. Marcelle devait aller à Nevers pour voir une cuisinière, le car ne passant pas, elle est bien désolée de manquer son rendez-vous. Elle va faire le catéchisme à Moiry.

17 .-8° Recevons lettre d’Édith très intéressante, ils ont tellement de neige que Miette a pu aller à Lezoux à ski, elle nous envoie une lettre d’Hervé qui se plait à Tlemcen où il a loué une petite villa, il monte à cheval avec les spahis, il ne lui manque que sa femme. Il y a plus de 1oo officiers dans sa garnison. On enterre aujourd’hui à Nevers l’abbé Gaudry, curé de St Pierre et à Varennes, Léon Delamalle, 79 ans. Marcelle, malgré les routes chargées de neige part pour la ville à bicyclette pour y voir une cuisinière qu’elle retient et qui entrera à notre service le 25 ; c’est Julie Robin, jeune fille de 56 ans qui est restée 14 ans chez le Colonel Grison, elle est de Chevagnes.

18 .-5°,neige Il a neigé pendant plusieurs heures, ce qui n’a pas empêché ma courageuse fille d’aller à la messe et de rapporter notre pain d’une livre pour la journée ; c’est peu pour nos appétits. En rentrant d’une promenade dans la neige, ma parole devient embarrassée, je ne trouve plus mes mots et cet état dure deux heures après lesquelles, tout se remet en ordre et je dîne bien. Marcelle me fait une piqure d’Acétoline prescrite par Robet en pareil cas.

19 dégel La neige disparait. Le château historique de Doys, aux Rolland Dalon, brûle, 2 millions de dégâts. Il était occupé par les Boches et les propriétaires étaient dans les communs. Il y a un tel verglas que je renonce à aller à la messe, c’est le 3 ème Dimanche que je la lis au coin de mon feu. Une jument de 5 ans des Petites Granges tombe sur la glace et se tue, c’est le désastre pour ce domaine.

2o .pluie Marcelle retrouve dans un vieux tiroir la trousse dans laquelle on mettait la lancette avec laquelle Madame Amable vaccinait tous les enfants du pays, l’arnica, le bismuth, les bandes de plomb pour soigner les jambes malades, aussi, dans le pays, on l’appelait Madame Aimable.

21 .+1o Il tombe des torrents d’eau, ce qui n’empêche pas Marcelle d’aller à Villars et d’en rapporter deux litres de lait, il n’y en a plus nulle part. Les Chirat et le garde en sont privés, en ville, il n’y a que les femmes enceintes et les tout petits qui ont le droit d’en avoir.

22 .+1o Lettre d’Édith du 15. Mes 4 petites et arrière petites filles s’embarquent aujourd’hui à Marseille, Simone pour Tlemcen et Yvonne pour Casablanca, où Jean a loué une villa. À la Terrasse, il a gelé à glace dans la salle à manger et le Baron se met si près du poêle que Perrette a peur que ses habits ne s’enflamment. Jacques vient goûter avec Marcelle, ce qu’il aime beaucoup. Je paye Lavergne qui me prend 8 frs de l’heure, soit pour 9 h, 72 frs par jour, ce qui fait plus de 2o ooo de rentes.

23 . Par Geneviève Clayeux, j’apprends que mes petites filles ont quitté Bulhon, et que mon pauvre ami d’Anchald dont j’ai parlé hier, est mort. Il a dû mourir de froid. Les Anginieur ont pu assister à son enterrement. Je vais à Nevers par le car. La Loire entre dans les maisons du quai, je dépose un sac de légumes à l’hôtel St Louis, cadeau pour les Ch. Tiersonnier, je monte chez les Petites sœurs de l’Assomption où je dépose leur rente annuelle. Rue de la Basilique, je vois la maison de Tassain ouverte, je sonne, personne, il ne doit jamais ouvrir. J’entre chez le Colonel d’Assigny, il n’est pas chez lui, mais j’y trouve Gilberte Adenot et la grande Simone, qui attendent Guillemain et Guillaume qui vont à Moulins coffrer Monique à la Congrégation ; sa mère ne va pas mieux. Je fais mettre mes carnets à jour à la Sté Gale et au Crédit Agricole. Au Crédit Lyonnais, je fais faire un virement de mon compte à celui d’Augustin parce que son fermier du Mou avait versé son terme à mon nom. Je me pèse en passant chez mon pharmacien. 74 kg, c’est dix de moins qu’au temps de ma splendeur, cependant, je mange bien et dors de même, mais tout le monde est comme cela. Visite à Madame de Sansal qui me lit une lettre de Simone écrite avant son départ de Bulhon. Visite à Marie-Antoinette du Verne. Quel n’est pas mon étonnement de trouver Louis de La Brosse chez elle : il est venu de Paris parce qu’on ne lui paye pas le loyer de sa maison occupée par le lycée et pour son architecte : aucune satisfaction dans les deux endroits. Hubert avec femme et enfants est parti il y a 8 jours pour le Maroc. J’arrive 45 minutes avant le départ de mon car, bien m’en a pris car sur 2o places assises, je n’ai que la dernière, quand il s’ébranle nous étions 39. À 6 h ½, nous avons une petite visite des du Verne, et Guillemain, retour de Moulins.

24 .pluie,grêle. Madame Thierry vient me couper les cheveux, c’est bien commode. Marcelle prétend avoir entendu tonner à 5 h du matin.

25 .pluie Nous attendions Julia Robin par le car, elle ne vient pas. Je touche 23o frs pour la pierre prise dans ma carrière par l’agent … et 4ooo frs de mon fermier Bringant pour son terme du 11 Novembre, il doit me payer en nature sur 4oo Kg de bœuf, comme il vaut 15 frs, il aurait dû me payer 6ooo, mais comme il a été très malheureux, je lui fais cadeau de 2ooo fr. La cuisinière que nous attendions nous fait faux bond, elle préfère rester en ville.

26 . Dimanche Je vais à la messe, ce qui ne m’était pas arrivé depuis le commencement du mois. Lettre de Cécile et aussi paquet dans lequel elle nous envoie des bas et du beurre, ce dernier est le bien venu, car il est introuvable ici, à Callot, on peut nous en vendre par grâce ½ livre par semaine. Montrichard m’apporte 24 bougies de Nevers, à défaut de pétrole. De Millay, Anginieur nous téléphone de la part d’Édith que mes petites filles sont arrivées à bon port à Oran et que Perrette est mourante. Comme son père prenait la congestion pulmonaire qui l’a emporté, elle en était atteinte d’une cérébrale.

27 . J’écris à Cécile qui nous envoie à choisir entre deux photographies de ses petites filles faites à Lyon et qui sont charmantes. Je pars avec une bêche pour arranger les sentiers qui entourent l’étang Américain qui prend la tournure d’un petit parc. Il fait doux, aussi je prends chaud, ce qui n’est pas désagréable en janvier. Je fais brûler les ronces qui envahissent tout par Niout qui coupe le taillis poussé à la place de la futaie et qui a 23 ans.

28 . Duceau passe, j’en profite pour envoyer mon journal à Bulhon, et Marcelle une lettre aux Gouttes. Martinat démonte la pompe de la cuisine qui a été détériorée par la glace.

29 . Il y a 3 semaines, j’avais écrit au Préfet pour lui demander l’autorisation de détruire les lapins. Or, hier, à 2 h, une auto s’arrête devant le perron, il en descend 4 officiers allemands armés jusqu’aux dents, l’un d’eux me donne copie de ma lettre et ils partent en chasse, deux minutes après, pan ! et au tableau une poule du garde, puis je les vois revenir et se sauver, est-ce parce qu’il pleuvait un peu ou parce qu’ils avaient honte de ce peu glorieux coup de fusil, je suis encore à me le demander. Dans tous les cas, en fait de destruction de rongeurs, c’est réussi.

3o . Les Martinat passent leur journée pour réparer ma pompe qui se dégrène souvent, ils remplacent la soupape de cuir par du caoutchouc, le travail est à refaire . Marcelle va à Chevenon à bicyclette, la route est très tuante. Ayant une occasion pour la zone libre, je fais partir des lettres pour Édith, Hervé, Yvonne et Cécile.

31 . Lettre d’Edmond du 28, son père s’affaiblit chaque jour, il a reçu le viatique, c’est bien triste pour moi de ne pas pouvoir aller lui dire un dernier adieu. Maret, Fassier et Gilbert ont fini d’exploiter les ormes qu’ils partagent avec moi, j’en ai 16 m3, et eux le double, c’est avantageux pour eux, mais aussi pour moi car la façon ne me coûte rien. Le ménage Pierre de Rouville vient goûter avec un très bon appétit.

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