12.5.10

DECEMBRE 1942

1 Les Le Sueur emmènent Marcelle à Nevers avant déjeuner. Le dentiste ne veut pas encore arracher la dent dont elle souffre toujours beaucoup. J’ai la visite de Jean de Marne bien content d’être débarrassé de sa prostate. Il est accompagné d’un de ses métayers, je leur vends un veau de Callot. Il m’apprend la mort de François de Rasilly, c’était un bon voisin, toujours en train. A nos déjeuners de chasse à l’auberge d’Azy, il n’y en avait que pour lui.

2 Il nous en faudrait bien un nouveau. Bringault m’apporte son terme du 11 novembre et une miche de pain blanc comme du lait fabriqué avec du blé de son domaine. Garnet m’apporte à signer un sous-seing établissant que dorénavant son fils qui cultive avec lui le Mou sera son associé, ceci pour l’empêcher de partir en Allemagne. N’y voyant pas d’inconvénient, je signe.

3 +9°. Les Massias viennent goûter. J’accompagne Gaston à Villars où Le Sueur lui fait la grâce de remplir sa voiture de 250 k de charbon. Toujours pas de nouvelles d’Aix. A Toulon, l’Ecole Navale a été licenciée pour 3 mois dit-on. Les élèves sont restés 36 heures sans manger. A Montluçon, les Boches sont entrés au milieu de la nuit dans les chambrées et ont fait descendre les soldats dans la cour à moitié vêtus.

4 1er Vendredi du mois, je m’approche de la Sainte Table. Téléphone de Jacquemart disant qu’il viendra nous voir la semaine prochaine pendant 48 heures en revenant de Vichy. Carte d’Hervé m’annonçant la grossesse de sa femme, mais ne disant rien des événements ni de ce qu’ils deviennent.

5 Temps très doux, il fait plus chaud dehors que dedans. Marcelle envoie 4 oies et 2 pintades à Gabrielle de Rouville et moi 4 paquets de cigarettes à sa soeur pour 30 francs. Je pourrais les vendre 240 francs au marché noir.

6 Dimanche. Marcelle déjeune à Planchevienne.

7 Marcelle va à Nevers à bicyclette et en revient avec une grosse dent en moins à sa grande satisfaction. Pendant ce temps, j’ai pour la première fois de ma vie, la visite de l’huissier de St Pierre qui m’apporte une assignation à comparaître vendredi prochain à l’audience du juge de paix, ceci à la requête de Gaudat, parce que les vaches des Petites Granges lui ont mangé 1200 kilos de navets et piétiné son blé. Il demande pour ces dégâts 4 000 F d’indemnités. J’écris au juge de paix, que ne me sentant nullement coupable, je ne me présenterai pas à l’audience, car j’estime que seul mon métayer est responsable. Je finis de ramasser les feuilles mortes dans les allées. Carte d’Hervé qui est bien désappointé, il ne sait pas ce qu’il va devenir. Il a fait une demande pour entrer dans les eaux et forêts. Carte d’Yvonne qui ne sait rien de Jean. Carte de Dédette qui nous dit que Miette est aux Gouttes pour 5 jours. Lettre de Louis Monnier remerciant de l’oie et des pommes que Marcelle lui a envoyées.

8 Dernier jour de la neuvaine. Je vais à la messe et je communie. Marcelle ne m’accompagne pas parce qu’elle a une fluxion. Nous avons à déjeuner les fiancés Martimprey du Part et leurs parents. Nous leur faisons manger une oie. Guy me raconte la façon brutale avec laquelle les Allemands les ont mis hors de leurs lits d’abord et du quartier ensuite. Ils se sont emparés de tous les chevaux et du matériel. Toutes les villes de garnison française ont été dépouillées en même temps. Comme tous les autres, le jeune Massias est rentré dans ses foyers.

9 Un coup de téléphone de Moulins envoyé par Jacquemart nous annonce qu’il arrivera 7 h 10 du soir à Mars. J’attelle Jaurès et je vais le chercher. Nous bavardons agréablement avec lui jusqu’à 11 h.

10 Nous avons à déjeuner Marie Thérèse Guillemain, Simone d’Assigny et sa plus jeune fille, avec laquelle elle va à Chantenay voir son aînée. Nous avons la visite de deux grands séminaristes venus à bicyclette chercher deux dindes, l’une pour le séminaire, l’autre pour l’archiprêtre de la cathédrale. Cadeaux que je fais chaque année.

11 Pluie. Jacquemart va le matin visiter la vacherie de Moreau et le soir celle de Condamine à la Beurrière. Il en revient trempé comme une soupe.

12 Moreau vient nous prendre Jacquemart et moi pour nous conduire à Nevers. Fred pour prendre le train et moi pour parler avec le notaire des droits de succession qui vont être énormes. Un monde fou dans la rue du Commerce. Je me demande comment tout ce monde peut se transporter en ville, d’autant plus que l’on ne trouve rien dans les magasins. Carmen, m’apprend que Marie Antoinette est partie pour la Comaille marier les d’Orgeval et que son fils Jean démobilisé est entré dans les bureaux des eaux et forêts, grâce à Villenaut. Vu Edme de Villaine, sa grand-mère va mal.

13 Dimanche. Marcelle ne peut pas venir à la messe parce qu’elle souffre toujours des dents. Les Anglais ont bombardé Rouen très sévèrement, ce qui n’empêche pas de nombreux Français de faire des vœux pour eux. Carte d’Edmond bien désolé d’être obligé de remettre son fusil à la gendarmerie de Jaligny, les deux zones seront logées à la même enseigne.

14 +12°. Marcelle souffre toujours de ses dents. Elle a la visite de Suzanne Le Sueur. Il fait plus chaud dehors que dans la maison.

15 Pluie. Marcelle souffre un peu moins. Pendant la pluie je fais des margotins.

16 Mon rosaire. Les Thonnier célèbrent aujourd’hui leurs noces d’or. Je leur écris un mot. Marcelle envoie 3 dindes et deux à Gabrielle de Rouville à Paris. La coopérative fait venir des pommes de terre de semence qu’elle nous vend 450F les 100K et il faut lui en livrer le même poids qu’elle nous paye 170 F.

17 Pluie. A 4 h du matin, le jardinier réveille Marcelle pour lui dire de demander le médecin parce que sa femme attend Didier qui arrive en ce monde assez facilement à 8 h ½ à bon port. Les lapins du bois Renard aux Le Sueur mangent le blé semé dans la Noirie. On ne peut rien y faire : ni chiens ni fusils.

18 Pluie. Je fais mettre dans la cave aux vins 90 kilos de pomme de terre qu’on ne touchera qu’au mois d’avril si possible. Roy vend deux veaux reproducteurs au Vendéen Michot 3 800 F pièce et Chicon, 3 au même pour 4 000. Nous avons la visite de Coudant, marchand de bois à Cercy. Nous ne pouvons pas nous entendre pour lui vendre la coupe de St Ouen. Les prétentions de Marcelle sont un peu fortes et l’estimation du garde un peu haute. On en verra un autre (216 000).

19 Pluie. Marcelle a repris du poil de la bête, elle va à Saint Parize le matin et à Moiry le soir et ne rentre qu’à nuit noire selon son habitude.

20 Dimanche. Jean de Sansal vient déjeuner. Il engloutit le plat de pommes de terre comme les Monnier. Il est du reste gras et frais. Il a fini sa carrière militaire aux environs de Toulon où son régiment fabriquait des baraquements. Les Boches les ont chassés de leurs lits par surprise à 4 h du matin.

21 -2°. Les Massias allant chercher du charbon de bois au Manoir s’arrêtent pour goûter ici.

22 Pluie. La Mairie m’ayant donné un bon pour un complet, je vais à Nevers conduit par Moreau et après avoir vu trois boutiques, je trouve rue Fonmorigny, un tailleur en chambre qui pour 2800 F consent à me faire un vêtement. Rencontré Mollins qui n’a plus que la peau sur les os. Marcelle achète des cadeaux pour les jeunes ménages d’Orgeval et du Cray Delamalle (ce dernier sera célébré le 30 au Banlay). Marcelle donne aux contributions indirectes ma signature pour sa caution à la cave de Guillaume du Verne.

23 Marcelle assiste à l’école libre de St Parize à un goûter offert à 22 enfants de prisonniers de la commune. Paulette Le Sueur et Madame Moreau ont envoyé d’excellents gâteaux. Marcelle fait la crèche de Noël dans l’église. Lettre de Cécile qui a de nouveau un boche chez elle. J’envoie les étrennes en argent à tous mes enfants petits et grands.

24 Marcelle va goûter chez les Le Sueur qui nous invitent à manger demain une dinde truffée. Je refuse. La messe de minuit se dit à 9 h du soir, ordre de la commandantur. A 9 h ½ Cécile nous téléphone de Vitré. Elle passe Noël chez sa grande amie d’Héliand.

25 Noël. Je m’approche de la sainte table. Notre cuisinière étant en permission pour 48 h, Marcelle nous fait pour déjeuner une excellente pintade aux choux et le soir une non moins bonne soupe aux navets que nous mangeons au coin du feu du petit salon avec des crêpes. La radio annonce que l’amiral Darlan a été tué hier à Alger d’un coup de pistolet tiré à bout portant.

26 Saint Etienne priez pour nous. Les Guillaume du Verne viennent passer 48 h avec nous, c’est une joie pour la maison, d’autant qu’ils n’arrivent pas les mains vides car ils nous apportent 5 litres de pétrole et une bonbonne de vin.

27 Dimanche. Guillaume nous mène à la messe dans son auto qui part bien difficilement à cause du froid.

28 -7°C. Les Guillaume nous quittent avec peine au propre et au figuré, parce que leur auto est gelée. C’est un ménage qu’on a du plaisir à recevoir. Comme exercice, je mets 25 bouteilles de vin en carafe et 3 du fond de tonneau dans le vinaigrier. A la veillée je fais des allumettes en papier, les boîtes se font rares. Marcelle va au ravitaillement à Moiry, elle en revient bredouille.

29 Neige. La neige tombe, cela ne va pas faciliter les allers et venus pour le mariage Delamalle du Cray qui a lieu aujourd’hui au Banlay. Je reçois des lettres de bonne année de Roger de La Brosse, d’André et de Louis de la Brosse, ce dernier a de bonnes nouvelles d’Hubert qui dit qu’à Batna après une semaine assez pénible, la vie a repris son cours normal et qu’Odette à Oran continue son service à la croix rouge où elle a si bien fait son service pendant les journées tragiques qu’elle a été proposée pour la croix de guerre, ce dont il est très fier. Son optimisme est toujours très grand. Il n’est pas difficile, je suis moins rassuré que lui.

30 Neige. J’entre aujourd’hui dans ma 88 ème année, je suis né à Nevers le 30 décembre 1854 à 10 h du soir, le lendemain étant un dimanche les bureaux de l’état civil étant fermés, je n’ai été déclaré que le premier janvier 1855. J’écris à Aline, à Cécile à André et à Gabrielle de Rouville qui m’a souhaité la bonne année.

31 Neige. Saint Sylvestre. Voilà terminée cette année qui aura été pour moi une des plus tristes de ma longue existence, car en dehors du chagrin que j’ai éprouvé en perdant ma chère Edith, il y a l’humiliation ressentie pour la France qui est tombée plus bas que jamais.

11.5.10

NOVEMBRE 1942

1 La Toussaint. Je m’approche de la Sainte Table. L’évêché nous envoie l’abbé Guédon pour 48 h pour remplacer notre curé. Suzanne Le Sueur vient goûter.

2 Beaucoup, beaucoup de monde à la messe. Notre population a le respect de ses morts.

3 Saint Hubert, plus triste pour moi que certaines d’antan. Melle Valois devait venir gouter. Elle n’est pas venue, je ne sais pourquoi. Marcelle se rend à Planchevienne avant déjeuner. Elle trouve la maison et les écuries pleines de Boches. Elle paye à Henri la taure Normande qu’elle lui a achetée 7 000 F, qui n’est pas encore livrée et qui n’a pas encore son veau.

4 Cécile nous écrit qu’elle a reçue chez elle Madame de Wendel venue à Rennes pour une réunion de la ligue. Elle a un appétit formidable. Roy ramasse 40 000 kg de betteraves dans 1 hectare environ du Clou. Ce champ conservant bien sa fraîcheur, amène bien ce genre de légume.

5 Pluie 15 mm. Guite de Villeneuve nous apprend que Béatrice de la Brosse, après 10 ans de repos attend son N° 5. Les Miklo Delamalle nous font part des fiançailles de leur fille Odette avec un terrien limousin Serge du Cray, cousin de leur gendre.

6 Marcelle part à la première heure pour assister à la messe de Magny-Cours et se rendre à 10 h ½ à Challuy où elle retrouve le maire. La commune ayant besoin d’un terrain de sport, pense à louer ou acheter environ un hectare de terre dans le pré du Mou qui est en face de l’Eglise. Nous allons étudier la chose avec Augustin et le notaire. La location ne peut pas se faire pour moins de 15 ans, quant à une vente prochaine, en en demandant cher ce qui serait naturel, le fisc pourrait se baser là-dessus pour réclamer de gros droits pour l’évaluation du Mou pour ceux à payer dans la succession de la pauvre Edith avant le 24 janvier.

7 Nous envoyons un grand matelas fait à neuf aux Hervé, des légumes à Yvonne à Boutavent et autres légumes à Monnier à Paris. Anne Chenut qui ne peut s’habituer à Vendôme est arrivée hier soir amenée par sa cousine Tardy qui est allée la chercher. Elle est heureuse de revoir le Pied Prot. Je ne la trouve pas changée. Arrivé à la gare, le matelas ne peut pas partir parce que depuis 24 h on ne peut plus faire voyager un colis pesant plus de 20 kg. Il n’y a plus de wagon disponible.

8 Dimanche. Le curé de Magny-Cours vient nous dire une messe basse à 9 h bien que le notre soit rentré hier de la clinique où l’opération de sa hernie a bien réussi. La population est très émue car on vient d’apprendre que les Américains ont débarqué sur toute la côte méditerranéenne du Maroc à la Tunisie. Que pouvons- nous en penser. 90 pour 100 des Français sont partisans des Anglo Américains. Heureusement Hervé n’est plus là bas. Mais Valence à Oujda, Bernard de La Brosse à Alger, Les Jourdier à Rabat, Hubert de La Brosse aussi. Va-t-on se battre entre frères, c’est affreux ! Les Allemands ayant besoin de bois de chauffage, en réclament 170 stères à St Parize. Les gros propriétaires devront en fournir chacun 15 stères, les fermiers et métayers 2 stères. J’ai été oublié sur la liste. Je vais faire le mort en attendant les événements. La livraison devra être faite le 31 janvier et pour notre secteur déposé au domaine Légaré. J’achète pour André 5 litres de haricots à 30 F l’un = 150 F. La commune de Saint Parize achète dans les Poirats 1 hectare de terre pour les exercices de sport moyennant la somme de 22 000 F. C’est une indication pour le Mou.

9 -2°. Il gèle à glace pour la première fois de la saison. Les prés sont bien blancs et les animaux souffrent. Autrefois on les aurait rentrés. Je prête mon âne à la Nanne, afin qu’elle puisse aller prier sur la tombe de son vieux.

10 -4°. L’invasion Anglo-Américaine dans l’Afrique du Nord devient inquiétante car le Maréchal ordonne la résistance. Heureusement Hervé n’y est plus, mais Valence est à Oujda et je compte que j’ai sur la côte une trentaine de parents, maris, femmes et enfants. Bernard de La Brosse et Hubert avec toute leur famille, François Jourdier, Simone et 4 enfants, Du Cray Delamalle, Chantepie, Raymond Clayeux, Jean de Laboulaye, Louis de Champeaux avec sa femme, Odette de La Brosse croix rouge à Oran etc.

11 -5°. Saint Martin. Cécile et Miette me souhaitent ma fête. Les Château viennent me payer leur fermage. Les bruits les plus contradictoires circulent par tout le pays. Darlan est prisonnier des Américains disent les uns. Il est de mèche avec eux disent les autres. Mais ce qu’il y a de sûr, c’est qu’Hitler fait passer ses troupes dans les deux zones et qu’aucun Français ne peut sortir de la sienne. Les Château me payent leur terme et j’ai la visite de Melle Valois. Si mes fermiers abusent un peu de moi, les siens lui envoient l’huissier. Les S ont envoyé 1 500 F à Augustin pour avoir hébergé leurs enfants. C’est raisonnable.

12 Que Saint René nous protège, la France en a bien besoin. De même qu’hier, les troupes Allemandes armées jusqu’aux dents passent sans arrêt à Moiry, direction Moulins. Les gens du pays prétendent qu’ils se sentent battus. Je ne partage pas leur opinion, en voyant leur grand nombre. Hitler avait bien raison d’être à la recherche d’un espace vital pour nourrir une pareille fourmilière humaine. Anne Chenut quitte le Pied Prot pour aller s’ installer à St Benin des Bois chez sa cousine Tardy. A Vendôme, sa belle fille lui rend la vie trop dure. Vente des veaux reproducteurs à l’Isle chez Blond. 27 sujets. Le plus cher fait 37 000 F, le plus bas 2 600, moyenne 16 000 ce qui est déjà beau.

13 Temps froid, maussade, triste comme moi.

14 Moreau a la bonté de me conduire à Nevers, où je passe la journée et où je déjeune chez Marie Antoinette. Je passe chez le notaire et je m’entretiens avec lui des droits à payer pour la succession de ma pauvre fille et je suis effrayé de la somme qu’il y aura à donner au fisc, car les droits ne se payent pas sur ce que valaient les immeubles au moment où j’ai partagé ma fortune entre mes filles, mais sur ce qu’ils valent au moment du décès. Ainsi la maison de la place ducale qu’Edith a eue pour 60 000 F peut être estimée 2 ou 300 000 aujourd’hui. Pour les domaines, la même chose. Je passe au Crédit Agricole et je fais mettre au compte courant de Marcelle à vue, ce qui était encore au mien. Elle y a 216 et 174 à moi, 390 620 en tout. Elle-même conduite par Jean Le Sueur et son gazo va à Maumigny acheter des pommes. Ils en rapportent 7 double décalitres pour eux deux à 80 F l’un. Au retour nous dépassons sur la grande route, des quantités de voitures légères et des camions réquisitionnés pour emmener direction du midi des Boches et leur matériel. Les Anglophiles de plus en plus nombreux jubilent, moi je suis de plus en plus angoissé. Impôts sur le revenu. Prendre sur la matrice cadastrale le revenu de la propriété pour l’année 1941 et le multiplier par 10,05. Exemple : 10 000 F de revenu cadastral donne un bénéfice agricole de 105 000 F, sur lequel lorsqu’il n’y a pas de charges de famille, l’Etat prélève 21%, 105 000 X 21 = 3 150 F. Moreau me donne pour ma lampe Pigeon 1 litre d’essence, avec ce que j’avais déjà, cela pourra faire pour l’hiver, d’autant que le colonel m’en donne lui aussi un litre. Il est effrayé de ce qu’il y aura à payer pour la succession de sa mère qui n’est pas encore morte mais qui est plus qu’octogénaire, car elle a 500 hectares à Raffigny. La fortune de Madame Vuillemain peut être évaluée à 25 millions, à peu près tous en capitaux.

15 Dimanche. Un peu de monde à la messe pour entendre notre curé qui est revenu rajeuni de la clinique. J’achette un briquet et 4 boîtes d’allumettes, car celle-ci deviennent très rares. A Nevers on n’en trouve plus du tout.

16 -2°. Il passe sur la grande route beaucoup de chevaux provenant probablement de la réquisition et conduits au licol par des soldats Allemands qui ont l’air d’enfants de troupe.

17 Bobards de toutes sortes, se contredisant.

18 Cartes d’Augustin et d’Hervé. Marcelle déjeune à Buy. Marie Thérèse qui a pêché son étang la veille, lui fait emporter une carpe qu’elle lui fait payer. Goûter à Fontallier. Marie Grincour qui est très anglophile trouve que tout va très bien. 90 % des Français pensent comme elle. Le Général de Gaulle nommé gouverneur de Madagascar ne me dit rien qui vaille. Avec mon jardinier et Gonin nous plaçons une bonde métallique dans l’étang Américain des Chaumes Vieilles.

19 On enterre à St Parize mon vieux métayer Denis qui m’avait quitté en 1919 profitant comme beaucoup d’autres de la plus value des cheptels et des 50 000 F que j’ai été obligé de lui donner. Je ne lui en ai du reste pas voulu, il a profité d’une loi funeste pour les propriétaires, comme elles le sont souvent.

20 Rien à signaler.

21 Renaud vient me payer et apporter ses menus suffrages et ceux des Bringault : 4 dindes, 6 poulets et 6 pintades. Nous téléphonons à Cécile pour lui souhaiter sa fête. Elle n’a pas de nouvelles des Valence. Elle nous dit que Weigand a été emprisonné en zone libre par les Allemands et que Saint Nazaire a été sérieusement bombardé par les Anglais. Mille morts.

22 Ste Cécile, priez pour nous. Dimanche. Je donne rendez-vous aux Queudres aux hommes de Moiry pour leur distribuer un carré de bois qu’ils exploiteront l’hiver. Il en vient 20. Je leur fais tirer leur place au sort et leur donne à partir de la route côté midi un carré de 3 hectares environ angle Nord Ouest de cette magnifique forêt. Ils me donnent chacun 15 F ce qui fait ressortir l’hectare à 100 F. Il faut avoir pitié des gens qui n’ont pas de bois pour se chauffer quand comme moi on écrit cela devant un bon feu. Au retour nous trouvons les du Part retour de Paris où ils sont allés en prévision de la noce chez les fournisseurs. On n’a pas une chemise à moins de deux mille francs, un complet homme 4 000, une paire de souliers 1 200 F. Quant aux bijoux ce sont des prix astronomiques. Un bijoutier voyant la bague de fiançailles de Marie Louise lui dit : « Savez-vous Madame que vous avez un objet de valeur, un diamant entouré d’émeraudes, il vaut bien un million et si vous voulez vous en défaire, je vous en offre 700 000. » D’un autre diamant plus petit et d’une moins belle eau, il donne 300 000. Au restaurant on sort de table ayant faim après avoir payé son déjeuner de 50 à 60 F. Un jour Antoine dit au garçon : « il n’y a que ça ? » « Oui Monsieur, mais si vous voulez je peux vous servir en supplément une côtelette de veau sans ticket. » « Apportez en deux, une pour moi, une pour ma fille. » Coût 70 F l’une, donc 140 F à ajouter au prix du déjeuner. Antoine à bicyclette avec un magnifique veston noir coupé dans la redingote qu’il portait le jour de son mariage. J’ai un regret amer d’avoir donné la mienne au secours national.

23 -7°. J’envoie chercher à Planchevienne la taure Normande achetée par Marcelle, qui n’a pas l’air de se préparer à avoir un veau de sitôt. J’en profite pour faire conduire à Gabrielle 3 dindes vendues 28 F la livre et deux pintades. Geneviève Clayeux nous téléphone qu’elle viendra nous voir du 26 au 29. Cartes de Simone et de Dédette.

24 Marcelle qui souffre beaucoup d’une dent de sagesse, part à bicyclette pour Nevers afin de la faire arracher, mais elle revient avec elle, le dentiste lui ayant trouvé la gencive trop enflammée pour tenter l’opération. Jean Le Sueur la ramène dans son auto. J’ai la visite de Garnet qui vient payer son terme, il trouve amer d’avoir à payer dix mille francs d’impôts sur le revenu pour ses bénéfices agricoles. Madame Thiery étant malade, je fais venir un jeune coiffeur nouvellement installé à St Parize pour me couper les cheveux. On me raconte qu’à la vente des veaux reproducteurs de l’écurie Goby, deux amateurs ayant envie du même animal l’ont poussé jusqu’à 90 000 avec 10 % de décime il a donc fait 99 000 F.

25 -7°. J’envoie à Augustin par chèque postal le terme du Mou. J’y joins 2 000 F de la part d’Hervé sur ce que je devrais lui donner pour Noël, ceci en avance. Il souffle un vent de bise glacial. Mes métayers rentrent leurs animaux qui sont en mauvais état, manque d’herbe et cheptels trop nombreux.

26 -8°. A 3 heures Marie Thérèse Guillemain vient nous voir à bicyclette, peu après Guite de Villeneuve arrive avec la même monture empruntée à Guite de Sansal. Ayant appris hier à Tours par une lettre de Marcelle que sa mère venait nous voir, elle a sauté dans le train pour la rencontrer. A 9 h, les Antoine amenaient Geneviève bien surprise de trouver sa fille ici. Antoine part pour Nevers conduire sa femme qui part pour Paris et il nous revient pour dîner et coucher. A Thionne – 14 °.

27 -9°. Grâce à une de mes juments qui traîne le gazo jusqu’au bout de l’avenue, Antoine peut partir et aller déjeuner à Chatillon où il vend les bois de Cuy 16 hectares pour un prix rémunérateur, il ramène Fulgence avec lui, nous le gardons à dîner et à coucher, il est un peu gêné de se mettre à table avec nous, il est plus à son aise pour m’aider à mettre dans un bidon 18 litres de pétrole qu’un collègue d’Antoine a pu me procurer et qui vont me permettre de vivre un peu moins dans l’obscurité. A 10 h ¼ téléphone de Gabrielle de Rouville qui nous annonce que les Boches ont bombardé notre flotte à Toulon et que des Ctr ont sabordé leurs bateaux et que le plus grand désarroi règne partout. D’autre part Hitler a spécifié au Maréchal d’avoir à démobiliser l’armée. Ces tristes nouvelles nous plongent dans une très grande inquiétude.

28 Antoine va chercher sa femme à Nevers retour de Paris et ils nous quittent après déjeuner. Guitte part à 3 heures pour Tours. Joly notre garde à St Ouen m’apporte l’estimation qu’il vient de faire de 20 ha 50 de la 3éme coupe de Challuy et qui dépasse de 1/3 celle de l’année dernière. J’écris à Coudant de Cery pour la lui proposer. Leclerc qui avait acheté en 1940 la première coupe de Challuy et qui devait avoir fini l’exploitation au mois d’avril dernier, est loin d’être à hauteur. Il n’y a que la moitié du taillis de coupé et pas un arbre abattu. Je lui demande vingt mille francs d’indemnités pour la pousse perdue d’une année.

29 Dimanche. Messe et quête pour les prisonniers. Assistance peu nombreuse. Marcelle déjeune à Planchevienne : rognons sautés et dinde rôtie. Je finis de régler avec mes métayers. Callot fait une grosse année grâce à la vente des chevaux. Les Boches réclament 1 pour cent des habitants pour les envoyer travailler en Allemagne, c’est à qui n’ira pas. Je plains beaucoup les maires qui sont obligés de désigner les partants. Les Anglo-Amécicains ont toute la faveur, malgré leur brigandage à notre égard.

30 J’envoie à la Mairie ma demande pour toucher mes 500 grammes de pain, il faut la renouveler chaque mois. Un bidon de 5 litres de pétrole me tombe du ciel venant de la Seigneurie. Je suppose que c’est André qui me l’envoie par les Château qui lui ont donné des haricots de ma part.