1.3.11

AOUT 1940 deux premières décades

1 Quel n’est pas mon étonnement de voir arriver du Part avec sa fille à bicyclette. Malgré ses 68 ans, il pratique avantageusement ce mode de locomotion abandonné par lui depuis 40 ans. Il nous apprend une nouvelle très consolante. Les Boches construisent dans le pré touchant son jardin des baraquements en briques et ciment pour abriter une colonie l’hiver prochain.

2 Premier vendredi. Je mène Josefa à la messe dans ma voiture à âne. Madame de Montrichard y arrive à pied. C’est son mari qui sert la messe, pas un enfant de chœur. Dans les rues du village quantité de camions qui se croisent dans tous les sens.

3 Mon rosaire. Marcelle va voir Suzanne Le Sueur qui est toute seule au milieu de nombreux envahisseurs. Elle mange avec ses métayers. Buy, Fontallier, Fricottage tous occupés par les Allemands qui mènent la vie de château.

4 Dimanche. Josepha et sa cuisinière vont à la première messe avec la voiture à âne. Dans le même équipage, je conduis Louis à la grande.

5 Tout le monde est joyeux. Une lettre d’Hubert du 20 juillet, nous apprend qu’il est prisonnier, donc en vie mais prisonnier c’est un détail car tous nous avions bien peur qu’il ne soit tué.

6 Lundi. A la première heure, certains croient à un bombardement Anglais. Erreur, c’est simplement un tir à la cible dans la carrière des Petites Granges. Voilà le facteur qui apporte une lettre d’Hubert datée du 20 juillet, il est prisonnier à XX, mal nourri mais en vie, grâce à Dieu ! Tous nous étions bien inquiets sur son sort, il a deux citations à l’armée, il dit avoir bien fait son devoir, mais que nous avons été écrasés par le nombre. Je vais au Marault voir 8 chevaux amenés d’un camp près de Gien, où les Allemands les prêtent gracieusement aux agriculteurs en ayant besoin. 4 seulement me conviendraient. Les Pierre de Rouville viennent nous voir à bicyclette, ils ont bien chaud.

7 Lettre de Geneviève nous annonçant l’arrivée au monde de Dominique. Les Villeneuve sont dans le marasme. Gaby a perdu sa place et Villette aussi bien que leur appartement de Chartres ont été pillés par les indésirables. Albert Barillet revient enfin à bicyclette de Bulhon après de nombreux détours pour passer de la zone non occupée dans l’autre. Il nous apporte de bonnes nouvelles de tous les habitants. Valence a rejoint son Régiment à Riom, il ne pouvait tenir garnison plus près de sa femme. Guite de Sansal n’est plus que la seule étrangère habitant chez ma fille. Elle aide les petites à faire de la cuisine. Je fais venir des briquettes pour les battages. Elles coûtent 4,50 F l’une. Ce sera bien cher pour battre des blés qui ne valent rien. Marcelle enfourche sa bicyclette et va déjeuner à Chevenon. Le jeune d’Ambly est prisonnier.

8 La tyrannie augmente, un décret interdit la correspondance de la zone occupée à l’autre. En passant dans la basse cour, je vois deux sous off en train d’atteler mon âne à la petite voiture. Je les arrête et prends le harnais que je porte dans l’écurie. Ils vont le chercher, garnissant Jaurès et partent sous mes yeux. J’avoue que j’ai eu de la peine pour me contenir, mais quoi ! Nous sommes les vaincus. Les deux jeunes Faverges passent à 7 h du soir, s’en allant à Riom pour leur oral. Je leur confie une tenue d’Hervé.

9 De Planchevienne, nous vient le Maréchal des Logis Jacques de La Brosse décoré de la croix de guerre et démobilisé en Périgord où son Régiment de dragons portés est venu échouer. Il est de ceux qui embarqués à Dunkerque sont allés passer 24 h en Angleterre. Il dit que si dans l’armée le découragement était grand, la discipline était faible et que si le nombre des avions ennemis était formidable, le notre était rare. Bonnes conditions pour être battus. Visite de Montrichard que les fonctions de maire occupent sérieusement. Pour me tenir un peu au courant des nouvelles, j’achète tantôt le Matin, tantôt Paris Soir. L’un et l’autre sont rédigés par des Allemands. Ce dernier a publié un article ignoble sur les généraux et en particulier sur Weygand. Marcelle va en bicyclette à Fontallier par 23°. Là et à Fricot, il y a quelques officiers logés, mais les soldats sont dans les communs, ce n’est pas comme ici. Marie et ses cousines parlant bien Allemand, les rapports sont plus faciles. A 10 h du soir comme avec les La Brosse, nous étions assis dehors, le factionnaire montant la garde de nuit, nous a priés de rentrer, personne n’étant autorisé à se promener passée cette heure. A 10h ½, comme Louis et moi, nous faisions un piquet, on a tapé 2 coups au contrevent. Etait-ce pour nous faire éteindre la lampe, je n’en sais rien. Dans tous les cas nous n’en avons pas tenu compte.

10 A 2 h du matin, gros orage. J’entends au dessus de moi les Boches se lever précipitamment et descendre. J’ouvre mon contrevent et je vois les Petites Granges en feu. La foudre est tombée sur la grange où le 40ème chariot avait été rentré quelques heures plus tôt. Marcelle m’empêche d’aller voir le sinistre et y va elle-même. Les pompiers de St Parize arrivent et grâce à l’activité des Allemands peuvent protéger le bâtiment qui est en équerre. Moine qui a amené la pompe dans son auto, prend Thérèse et ses enfants et les dépose chez ma jardinière. A 7 h ½ je vais constater les dégâts qui sont considérables. Jamais la grange ne m’a paru aussi grande. Elle a 34 m de long, plus un appentis de 4 mètres. Je dépêche Jeanty à Nevers près de mon assureur Marion qui me répond de faire évaluer les dégâts. Le bâtiment est assuré pour 75 000 F, c’est bien insuffisant, aussi je suis plongé dans un cruel embarras. Que faire d’un cheptel lorsque l’on n’a ni toit ni fourrage. Je reçois la visite de mes fermiers Château qui ne peuvent me donner aucun conseil, étant eux-mêmes très gênés dans leur commerce par le manque d’essence.

11 Bonne lettre de Cécile du 4, elle va bien. Jacques de La Brosse déjeune avec nous. Pierre Lavergnes examine avec moi les travaux de réparation des Petites Granges.

12 Journée sans incident. J’installe les brebis des Petites Granges dans la bergerie de Tâches.

13 Longue lettre de Roger de La Brosse et une d’Hubert du camp de Mailly, où il est avec de bons camarades. Pour récompenser les soldats Allemands de l’empressement qu’ils ont mis pour aller éteindre l’incendie, Marcelle leur fait rôtir 6 poulets. Un capitaine vient me remercier.
14 Le jardinier vient me dire que les soldats sont en train de creuser une tranchée pour le conduit de la pompe et ils le cherchent où il n’est pas. Avec mon plan, je leur montre les regards et avec peine, j’arrive à nettoyer le conduit qui sera bientôt obstrué, car ils jettent tous leurs détritus dedans. Avec Jaurès, Louis va à confesse. Lettre de Cécile du 10 août. Jacques déjeune avec nous.

15 L’Assomption. Je m’approche de la Sainte Table. A 4h1/2 procession dans tout le village, devant la Poste, elle passe au milieu de nombreux soldats Allemands qui regardent en silence. Quel contraste entre la croix gammée et celle des catholiques ! Les 2 Faverges déjeunent avec nous retour de leur bachot. Ils nous apportent une longue et intéressante lettre d’Edith qui a reçu pendant 48 h, Madame de Marcy et les Villaines de retour de chez les Carbonnier en Périgord, où ils sont morts de faim. Simone est allée trouver Hervé au Puy où ils ont trouvé une chambre et une cuisine. Georges de Riberolles tué glorieusement dans un corps à corps, abandonné par beaucoup de ses hommes. Tué de la même façon Henri de Sansal. Ce double exemple détruira peut-être en partie au moins la légende qui prétend que les officiers se sont sauvés. S’il y a eu des lâches, ceux là ne l’ont pas été. En rentrant à la Belouze, les Marcy ont trouvé les armoires à linge pillées. Les dames logent dans l’ancienne maison du piqueux, plus heureux, les messieurs couchent dans le château.

16 Journée sans histoire.

17 La TSF marche sans arrêt dans la chambre à 2 lits, je me demande comment elle peut fonctionner sans électricité. Le garde Duceau vient me voir. Nous lui donnons des lettres à mettre à la poste au Veurdre, parce que de la zone occupée à celle qui ne l’est pas, la correspondance est interdite.

18 Dimanche. Renaud vient me payer son terme du 11 mai. Je lui fais payer le kilo de viande 10F au lieu de 15. C’st la guerre et il fait ce qu’il peut. Tout seul, il a rentré 45 voitures de foin. Il m’a promis de m’en donner deux. Josefa avait mûri d’aller voir Hubert au camp de Mailly, ce qui eût été une folie. Elle vient d’apprendre que les prisonniers ont été emmenés en Allemagne.

19 Les La Brosse ont la visite de Melle Pinot de St Parize qui est allée avec de grandes difficultés voir son fiancé, officier, détenu au camp de Mailly. Le 11 août les prisonniers de ce camp ont été embarqués dans des wagons à bestiaux probablement pour l’Allemagne, les généraux eux-mêmes partageant ces peu confortables voitures.

20 Lettre de Cécile qui ne reçoit rien de Bulhon, mais qui voit beaucoup d’amis à Rennes où on réquisitionne les bicyclettes, même dans la rue. Gonin bat à la machine, récolte nulle.

21 Je commence mes battages avec la machine de Nocent aux Petites Granges. Le blé est nul, 88 DD en tout, avoines un peu moins mauvaises, mais pailles trop courtes. Le garde Jeanty mesure. Mon boucher me mène charitablement à Nevers. Je vais voir Renaud l’architecte qui est bien vieux et indolent. Il viendra par le train expertiser ma grange brûlée, l’assurance viendra ensuite, mais quand ! Je dépose un peu d’argent au Crédit Agricole où Marcelle a un compte courant et où on donne plus d’intérêts qu’à la Société Générale. Vu M. A. du Verne, qui va bien. Manqué Mme de Pardieu qui a été obligée de donner l’hospitalité à deux Boches. Ceux-ci ont mis le feu au château de Machigny en établissant un courant électrique et pendant la nuit, on a transporté Madame de Toytot qui est mourante chez son fermier. Rencontré beaucoup de voitures chargées à en craquer, allant direction de Paris, aiguillées au Clos Ry, sur le Guétin et Orléans.

Fin du 21° Cahier