28.2.11

JUILLET 1940

1 A la commandantur où on devait me payer mon châtron, on me dit de revenir dans huit jours et pour apprendre cette bonne nouvelle, je fais la queue pendant 1h 1/2. Il faut un sauf conduit pour aller à Nevers, je ne peux l’avoir n’ayant pas de carte d’identité. Après déjeuner, les officiers m’annoncent qu’ils vont partir ce soir. Deo gratias. Mais pourvu qu’ils ne soient pas remplacés par de plus mauvais qu’eux, car somme toute, ils ont été convenables. Comme les prés des Petites Granges sont très mal clôturés, ma belle jument grise de 3 ans se sauve à 8 h du matin et impossible de la retrouver, c’est une perte de 15 000 ou 25 000 suivant le cours d’il y a un mois.

2 Je vais à Nevers pour y faire 3 commissions, la première d’acheter un pneu coût 370 F, je paye avec un billet de mille F on me rend la monnaie en Mark, la seconde de changer une paire de souliers rapportée par Marcelle qui me sont trop petite, le magasin est fermé parce qu’il n’a plus de marchandise, le troisième d’aller toucher à la Commandantur le prix de mon châtron, on me répond de repasser après la guerre. Retour par Le Mou, Favier me donne seulement les 2/3 de ce qu’il doit sur son terme de mai. Les rues de Nevers sont pleines d’Allemands qui dévalisent tous les magasins. Zizi Delamalle lors de la fuite générale a fait à pied les 60 km qui la séparent de Moulins. Les Pinet de Curty sont à Salvadura sur les bords de l’Adour. Mabira La Caille est prisonnier au camp de concentration de St Saulge. Marie Thérèse Guillemain ne va toujours pas fort, sa fille est à Nevers chez les Jacques d’Assigny. Marcelle rencontre Solange de Brimond qui lui raconte qu’au moment de la panique générale sa mère, ses sœurs, nièces, petites nièces avaient pris la fuite et erré pendant plusieurs jours sur le plateau de mille vaches (Creuse). De retour au Colombier elles ont trouvé toutes leurs chambres occupées et c’est avec peine qu’elles ont pu les reprendre. L’argenterie a disparu. Les Maremberts occupés de la cave au grenier. A Quantilly, Mimi Barandon mise à la porte de chez elle a dû se réfugier chez son jardinier.

3 Mon rosaire. Toute la nuit des troupes très nombreuses ont traversé St Parize dans les deux sens. A 10 h du matin 3 officiers sont arrivés en auto devant le perron, mais ils ont fait de suite ½ tour et grâce à Dieu, la journée s’est passée sans que nous en voyions d’autres. A 6 h du soir nous recevons une lettre d’Edith déposée à Moiry chez Martinat par quelqu’un se rendant à St Eloi. J’apprends avec plaisir qu’Hervé est au Puy. Bulhon loge encore les Valence et les Champeaux qui ne peuvent pas se procurer d’essence. Yvonne est contente d’y être.

4 Journée relativement calme pour nous, mais à St Parize, il est passé des troupes et la nuit et le jour partant dans la direction de La Chasseigne. Il ne reste plus rien dans les magasins. Les bruits les plus divers circulent. On pense que ça va mal pour les Boches et que les Etats Unis exigent qu’ils aient évacué la France le 7 juillet. Je ne crois guère à tous ces bobards. A Paris on meurt de faim dit-on. Ici je rentre du foin et je fais nettoyer le tour de la maison.

5 Premier vendredi du mois. Je communie. Montrichard sert la messe, tous les enfants de chœur étant absents de même que toutes les gamines de l’école libre. La guerre ne ranime pas la foi. Plus de soldat dans le village, en revanche à Moiry où je vais chercher de la ficelle de moisson, j’en vois passer sans arrêt dans les deux sens. La ficelle coûte 1030 F les 100 kilos, plus du double que l’année dernière. A 6 h nous avons la visite de G du Verne retour de Sancoins où il a conduit une infirmière qui a soigné pendant quelques jours Marie Thérèse qui est actuellement au château de Tintury appartenant à M. Prégermain où l’on a installé une maison de repos.

6 Pluie. Un orage nous amène une pluie très bienfaisante car tout est horriblement sec, et qu’il n’y a plus d’herbe dans les prés mangés. Marcelle et Josefa vont à La Chasseigne où elles trouvent la Comtesse ramassant les doryphores sur ses pommes de terre.

7 Pluie. Dimanche. Suzanne, Pierre et Henri de Rouville viennent nous voir à pied à travers les craies, ils nous annoncent des nouvelles très gaies, les Anglais ont bombardé notre flotte dans le port d’Oran, tué mille matelots, coulé le Dunkerque notre plus beau et récent bateau. Le Parlement se réunit à Vichy pour voter une nouvelle constitution, elle sera propre étant votée par les Chantemps, Sarraut, Herriot, Blum et consorts, tous ceux qui ont mis la pauvre France dans l’état de décomposition où elle se trouve. Je suis profondément découragé.

8 Il passe deux régiments à St Parize, un d’infanterie un d’artillerie. Heureusement nous n’avons personne à loger. En traversant la cour du domaine, je trouve deux jeunes gens parlant avec mes métayers, ils appartenaient à un bataillon de chasseurs à pied et ont été faits prisonniers près de Forbach. Parvenus à s’échapper, ils regagnent leur pays de Haute Loire à pied en empruntant les petites routes. Ils disent avoir été écrasés par le nombre le 12 mai, manque d’avions et de matériel chez nous. Cette débandade fait peine à voir. On se demande ce qui reste de notre armée.

9 Il fait un temps admirable, dont on jouirait agréablement si l’on avait moins de soucis. Je viens d’avoir avec mon métayer Roy qui était de mon avis la conversation suivante, c'est-à-dire que s’il y a 20 ans, comme le journaliste Hervé le conseillait, nous avions fait alliance avec l’Allemagne, nos deux pays eussent été imbattables et ils auraient eu sous leurs bottes l’Angleterre, l’Italie et la Russie. Si mes enfants me font l’honneur de lire un jour cette pensée, je ne sais pas ce qu’en diront mes deux aînées, mais bien sur Marcelle dira que j’ai toujours eu de l’admiration pour le Boche. En cela je reconnais que si nous avions fait comme eux, en ayant un gouvernement qui se serait fait respecter, en ayant des lois raisonnables et qui n’aurait pas obéi aux ordres de la Franc maçonnerie, comme cela est arrivé depuis 60 ans, nous n’en serions pas là. J’ai taillé 10 mètres de la haie vive du Clou en ¼ d’heure, il faut donc 1 minute ½ par mètre courant. Il y a 207 mètres du manège au chenil. Ceci à 85 ans.

10 Nous allons à Nevers, Josefa, Marcelle et moi. Louis garde la maison car il a mal à un pied. Il n’y a plus de commandantur pour vous arrêter sur la route, mais encore beaucoup de Boches dans les rues. Je voulais me faire couper les cheveux, mais il y avait 5 Boches à passer avant moi, j’y ai renoncé. J’ai tenté encore une fois de chercher des souliers, chose introuvable. Henri Cote est à la clinique Sallé pour des anthrax au cou, il se fait un mauvais sang terrible. Ils vont abandonner les Réaux à l’occupation et se retirer à Clermont. Le Général Weygand occupe leur hôtel qu’ils partageront avec lui. Retour par Chevenon. Le château est rempli de Boches, il y en a même dans le grand salon et j’en vois assis à peu près nus sur les appuis des fenêtres au premier étage. Inutile de dire que les du Part en sont excédés.

11 N’ayant pas pu me faire couper les cheveux à Nevers, je fais venir Madame Thierry la coiffeuse de St Parize qui m’accommode dans la perfection avec mes ciseaux, ma tondeuse et mes brosses. Je n’aurai donc plus besoin d’avoir recours aux artistes de la ville et surtout à leurs accessoires. Je fais de nombreux piquets avec Louis, cela le distrait, car il marche très difficilement.

12 L’Espagnol qui est domestique à Callot et qui avait fui jusque dans le Lot au moment de la panique générale, vient de rentrer à petites journées de Cahors jusqu’à Moulins. Il n’a pas vu un Boche et dans cette dernière ville, il y en a beaucoup et ils y font la police, il n’a pu en sortir qu’à cause de sa qualité d’Espagnol, ouvrier agricole. Les ponts du Veurdre et de Mornay sont gardés rive droite par les Allemands, rive gauche par les Français.

13 Je fais passer à nouveau mes pommes de terre à l’arséniate. Je vends le taureau des Petites Granges qui n’est qu’à moitié gras 6 le Kilo et le veau de ma Bretonne 1180 à Besançon pour Nevers, parce qu’il en fournit quelques uns pour les hôpitaux, sans cela en ville on ne mange que du frigo, ordre de la municipalité. Je lis le journal de Locquin paraissant à Nevers les mercredi et samedi. Il ne dit pas grand-chose. C’est terrible de ne pas avoir de nouvelles ici ni poste ni télégraphe. Le garde Jeanty que j’emploie me compte des journées de 12 h à 3 F. Je lui dis que 10 me suffiront.

14 Dimanche. Triste fête. On commence à recevoir des lettres. Fleury en a une d’un de ses fils prisonnier en Allemagne. Couillart de St Parize revenu du camp de concentration de Clamecy, dit que les détenus y crèvent de faim. Chaque jour deux petits morceaux de pain et une tasse d’eau tiède au fond de laquelle, il y a un peu de farine. Quant à l’eau potable, elle fait défaut.

15 Pluie. Un Paris Soir est arrivé à St Parize, il y est dit que les Parisiens peuvent rentrer dans la capitale, aussi deux ouvriers qui travaillaient depuis quelque temps aux Petites Granges partent ce matin. Notre village est encore rempli de Boches.

16 Pluie. De bonne heure, j’ai la visite de M.M. Barle père et fils de Chantenay. Ils vont ce soir à Sens Yonne chercher un des leurs prisonnier dans cette ville et qu’on libère comme ouvrier agricole. Le Colonel de Sansal étant lui aussi prisonnier dans ce camp me fait demander des nouvelles d’Hervé. Je lui en donne avec plaisir. On me dit qu’il vient de passer à Moiry 3 000 prisonniers allant de Roanne à Fourchambault par petites journées et couchant sur la route. Dans la soirée, j’apprends que mon jardinier Baudry est lui aussi prisonnier à Sens. Marcelle va à bicyclette à Planchevienne qui est occupé de la cave au grenier par de nouveaux Boches. On a des nouvelles de Jacques qui est à Périgueux. Je reçois mon bordereau d’impôts de Chevenon. En 39 j’ai payé 163 F, en 1940 c’est 222.

17 Pluie. Marcelle conduit ma jardinière à Fleury afin qu’elle s’entende avec la fermière de l’Atrechant pour qu’ensembles elles aillent à Sens chercher leurs maris détenus. Nombreuses lettres d’Hubert de la fin de mai, le cher garçon est encore plein d’espoir. Lettre de mon beau frère du 16 juin. Il leur arrive des réfugiés de partout, ils sont obligés d’envoyer Anne de La Brosse à Moulins chez Madame de St Martin. Marie Thérèse Robert a quitté Buy, je ne sais où elle est. Avec ces pluies continuelles, le jardin est envahi par le pourpier sauvage et autres herbes.

18 Rien de nouveau, beau temps. Michel coupe son orge d’hiver. Les Louis reçoivent de vieilles lettres d’Odette qui doit être à Châteauroux.

19 Nous voulions aller à Nevers, à la Kommandantur de St Parize, le capitaine étant absent on ne peut nous donner l’autorisation.

20 Ce matin on me la donne, après des pourparlers sans fin. On me donne un laissez passer pour Nevers, nous y allons avec les Louis. A la clinique Sallé, Louis consulte le Dr qui lui ordonne de rester étendu pendant 3 semaines. Vu Cote qui souffre toujours de son anthrax. Vu Mse de Ganay qui a de bonnes nouvelles de ses 3 fils. Elle me dit qu’il y a 10 jours les Anginieur ont ramené les petites Champeaux à la Comaille. Madame de Sansal a une lettre d’Hervé du 4 juillet, il est à 15kilomètres du Puy dans un village où il fait l’instruction d’une compagnie de recrues. A la Kommandantur qui a élu domicile à l’hôtel de France, je présente mon mandat, qu’on ne me paye pas, j’en présente un autre, Français celui-là à la poste. Pas d’argent. Cela ne m’empêche pas d’acheter une paire de souliers de chasse, cuir jaune et gras qui conviendrait mieux à un garde qu’à son maître. Coût 390 F. En revenant, je demande à Guérant, maire de Magny et régisseur de Sermoise, s’il sait quelque chose de ses habitants. Il me dit qu’il y a 3 semaines, Antoine est revenu du front laissant sa formation en débandade et que le lendemain, en deux autos, il a emmené sa belle mère, sa femme, sa belle sœur et au passage à Buy sa mère à Libourne où ils doivent être encore. Le château a été pillé par les Français d’abord et ensuite par les Boches qui l’occupent encore (mention marginale : ceci exagéré). On m’a appris hier que Bob Le Sueur qui s’était réfugié chez sa sœur à Volvic est mort subitement pendant une promenade qu’il faisait à bicyclette avec son fils. Nous manquons la visite de Gabriel Mathieu. Rencontré G de Montrichard qui a de bonnes nouvelles de ses trois fils. Pierre est chez ses beaux parents en Bretagne, en vertu de quoi ?

21 Dimanche. Peu de monde à la messe. M. le curé monte en chaire oubliant d’ôter sa chasuble, mais parle très bien tout de même. Je vois deux Boches chassant dans le pré de La Joie, descendant des Craies, où ils ont tiré deux coups de fusil.

22 Il pleut sans arrêt. Des orges déjà coupées vont pourrir dans les champs. Tout va mal. Comme exercice, je fais des margotins.

23 Pluie. Marcelle va à bicyclette faire une visite à Madame Mathieu qui se morfond au milieu de tous les Boches qui encombrent sa maison. Pas de charbon au dépôt de Mars. Un bruit se répand un peu partout, bien sûr propagé par la 5ème colonne, c’est que dans bien des formations, les officiers ont abandonné leurs hommes.

24 Pluie. Georges, Agnès et Michel Robert viennent me voir. Ma nièce dont je fais la connaissance est moins mal que je ne le craignais. Ils sont venus à Buy par Angoulême et Tours et partout dans le moindre village, ils ont vu des Boches. Marie Thérèse retour de Libourne est installée au Plaix. Lisbeth avec ses filles est aux Salles. Maurice avec l’escadron qu’il commandait à Moulins, tient garnison à Vichy. Antoine Clayeux est sous ses ordres. Georges a trouvé les domaines de Buy à l’abandon, aussi il va les prendre en main. Il a acheté un tracteur qui lui coûte plus de cent mille francs. Antoine qui était maréchal des logis au moment de la débâcle a quitté le front avec une auto militaire emmenant avec lui 4 de ses hommes. Ils n’ont pas pu arriver à Angers où était leur dépôt pour se faire démobiliser, mais ils l’ont été dans une autre ville à titre d’agriculteur. Je n’entends parler que de soldats ayant fui le front en disant : nos officiers sont partis les premiers. Je ne peux pas croire cela. Peut-être y a-t-il eu quelques défections, mais ce ne peut-être une généralité, au moins je l’espère.

25 Pluie. Je reçois une lettre d’Edith, datée du 17. Ils vont bien et ils ont des nouvelles de Cécile. Jean a pu reconduire sa mère et ses sœurs à Boutavent. En fait d’étrangers, ils n’ont plus que Guite de Sansal. Simone va tâcher d’aller retrouver Hervé au Puy. Lettre de Madame de Lépinière. Roger est prisonnier et Guillemain dans une ville du Midi. Elle-même aux Loges est prisonnière de Boches qui occupent les 9 dixièmes des Loges. Mais Marie Thérèse va mieux, elle doit quitter Tintury dont les Boches feront un hôpital pour eux. Mon jardinier Baudry est revenu hier de Sens où il était prisonnier et où il crevait de faim. Il va trouver son jardin bien sale. Avec les pluies persistantes les mauvaises herbes envahissent tout. A 11 h, je suis agréablement surpris en voyant les Faverges mère et deux grands fils s’arrêter devant le perron. Ils partent pour Bulhon afin d’être plus près de la faculté en vue de la session du Bachot. La cocote prend mes vaches comme en 1938. C’est la Bretonne qui est la première atteinte de toute mon exploitation.

26 Pluie. Deux lettres d’Edith, une du 14 l’autre du 20. Albert Barillet est venu échouer à Bulhon. Je ne sais comment il aide à faire les foins. C’est probablement parce qu’il est dans la zone non occupée qu’il ne peut pas revenir ici. Le 4 d’artillerie est à Riom et c’est par son ami Ridoux de ce même régiment que Jean a pu avoir 40 litres d’essence pour reconduire sa mère à Boutavent. Jean de Durat s’est tué en motocyclette jour pour jour, près de Cropte au même endroit où il y a 15 ans son plus jeune frère avait trouvé la mort également en moto. Je lis Le Matin et Paris Soir qui ne m’apprennent rien car ils sont rédigés par des Boches. On dit que les Anglais ont des avions électriques, qui grâce à leur silence peuvent aller incendier Berlin et autres villes la nuit. Est-ce vrai ?

27 Samedi. Marcelle et Josefa vont à Nevers de bonne heure. Elles apprennent que de nos amis sur lesquels on était inquiet, sont prisonniers dont Adenot, Pierre de Noblet, Robert Pinet, Joseph de Champeaux, de Busonnière etc. Elles ramènent Marie Antoinette du Verne pour 3 jours. Je manque la visite d’André, allant de Moulins à Nevers pour son service de croix Rouge. Son gendre est prisonnier. Il donne à Louis de bonnes nouvelles des Gouttes. Edmond qui avait une bonne provision d’essence, se l’est vu séquestrée par les gendarmes. Il paraît que la vie est plus difficile dans la zone libre que dans celle qui est comme chez nous.

28 Dimanche. La conversation est agréable avec M. Antoinette qui a étudié et a beaucoup retenu. Visite de nos voisins Rouville venus à pied. Marcelle va voir Suzanne Le Sueur de passage à Villars.

29 A 8 h du soir, arrive un officier me demandant à loger 2 officiers, 4 sous officiers et une vingtaine d’hommes dans des lits. Je lui fais voir les chambres du vieux château pour les soldats. Il ne les trouve pas convenables, pas plus du reste que les mansardes de la maison. Seules les chambres du premier étage ont le don de lui plaire. Ils viendront demain les occuper.

30 J’étais encore au lit quand le premier détachement entre dans la cour. Les soldats envahissent tout le premier, exigent même qu’on leur ouvre la chambre de Marcelle et prennent également les mansardes que l’officier n’avait pas trouvé dignes d’eux. Il y a une quarantaine d’hommes entassés là. Peu de temps après leur arrivée, la plupart se mettent en costume de bain, qu’ils gardent jusqu’à 9 h du soir en jouant aux cartes sous les arbres de la pelouse. Ils veulent mettre à couvert leurs 7 voitures, aussi nous envoyons notre auto et celle de Louis au domaine. Heureusement leur cuisine est faite à Moiry et ils nous laissent la notre libre ainsi que le salon. Comme un ennui n’arrive jamais seul, le jardinier m’annonce que ma vache Normande est crevée de la cocote. J’appelle l’équarisseur qui l’enlève avec une taure de 2 ans de Callot. En voila pour une huitaine de mille francs. Je reçois une lettre de Cécile qui va bien, ainsi que son beau père. Rennes a beaucoup souffert du bombardement, on parle de 7 000 morts. Le Boulevard Sévigné a été épargné.

31 Cécile a tout de même eu dans sa maison pas mal de dégâts causés par la déflagration. Son auto a été volée. Lettre d’Edith, des Gouttes, d’Hervé celle-ci tapée par lui à la machine à écrire n’a mis que 3 jours pour nous parvenir. Le Colonel de Place est mort ainsi que M. Pierre de Valence. L’hôtel des Monnier à Tours complètement brulé. La Tour Baudin aux Valence brûlée aussi. La nuit a été calme et les 42 soldats que nous hébergeons nous ont laissé dormir paisiblement. Nous n’avons entendu que la relève du factionnaire qui monte la garde autour de la maison. A 2 h devant les marronniers face au perron, les 42 soldats ont passé une revue d’armes à poil,avec le fusil en bandoulière, cela faisait un drôle d’effet. Arrivés à 3 h, les Faverges ont pu jouir de ce charmant spectacle. Ils nous ont apporté des nouvelles toutes fraîches de Bulhon où l’on va bien. Simone est allée trouver Hervé à St Etienne. Jean de Valence ira probablement en août dans un régiment d’Artillerie qu’on formera à Issoire. Guitte de Sansal reste toujours à Bulhon.

27.2.11

JUIN 1940

1 Samedi. Mes métayères de Tâches et de Callot vont chacune dans leur auto au marché de Nevers.

2 Des cultivateurs des Ardennes arrivent à St Parize avec leurs 9 chevaux et 4 chariots chargés de leurs familles, vieux et jeunes. Cela fait pitié. Ils sont dirigés sur Gagnard et la Seigneurie.

3 Mon Rosaire. Marcelle ne perd pas son temps. Elle monte du lait aux Chéru en allant à la messe. De 9 à 10, elle dit son rosaire. De 10 à 11 elle fait notre déjeuner. Après midi elle fait fondre le beurre acheté à Madame Le Sueur, une salade Russe, tire les vaches, ramasse des fraises etc. Pour moi, promenade dans les Craies avec Jaurès. Un vent de NE très brûlant fait rentrer les avoines en terre, elles avaient cependant belle apparence. Sur notre plateau, il faudrait de la pluie tous les deux jours. Edith nous écrit que ce ne sont pas des évacués du Nord qui les envahissent, mais le Marquis de Montgon et sa belle fille qui leur demandent l’hospitalité. A Nice, ils ont peur de l’invasion par l’Italie. C’est demain que Mussolini doit décider cela.

4 Nos domestiques rentrent à 8 h ½ du soir par la gare de Mars où Marcelle va les chercher. Nous donnons un matelas à des réfugiés de Reims installés pauvrement à Moiry.

5 Marcelle va à Nevers emmenant les Pierre de Rouville, ils sont arrêtés pendant une heure à l’entrée du pont de Loire à cause d’une alerte. 7 avions Boches bombardent la ville. Un cycliste est tué par un éclat d’obus sur la route de Chevenon. Autrefois, mon père aussi bien que moi-même du reste, quand nous entendions jouer la Marseillaise, nous enfoncions nos chapeaux jusqu’aux oreilles. Aujourd’hui c’est bien changé car elle est devenue hymne national et dernièrement on l’a chanté à Notre Dame et au Sacré Cœur de Montmartre.

6 On fauche la pelouse. Marcelle et Suzanne de Rouville vont à la cantine de Saincaize.

7 1er Vendredi du mois. Marcelle n’étant pas revenue, je vais avec mon âne à la messe où je communie. Lettres du 4 d’Hervé et de Jean qui vont bien. Le premier doit être actuellement dans la fournaise, les Boches attaquant sur un front de 200 kilomètres. Lettre de Louis de La Brosse me disant qu’il m’envoie en gare de Mars des meubles précieux pour les mettre ici en sécurité, mais si jamais, les Boches arrivent à Paris, deux jours après ils seront à Nevers.

8 Si l’on n’avait pas tant besoin de pluie, on se réjouirait du beau soleil qui permet de faire les foins bien facilement. D’autre part l’angoisse est grande en pensant aux durs combats qui se livrent sur un front de 200 kilomètres.

9 Dimanche. Nombreux réfugiés Belges arrivent dans la commune. On nous envoie deux familles que je loge dans le vieux château où mes métayers Roy et Chicon ont mis des lits. Simone et Miette nous amènent pour goûter Madame Pinet, le Colonel d’Assigny et Mme de Roquemaurel dont le mari est à la DCA de Nevers.

10 A 3 h, coup de téléphone de Cosnes, c’est Louis qui dit j’arrive avec Josefa et notre cuisinière. Ils laissent Odette dans une formation d’infirmière croix rouge installée au château de St Gervais appartenant à Roland de Montrichard. Après dîner, Bob Le Sueur nous téléphone que l’Italie nous a déclaré la guerre. Nous sommes tous atterrés.

11 Les Boches avancent et Paris se vide. 3 Agents de change (Roubi et d’Utruy) avec leurs femmes, partis de la capitale à 5 h du matin échouent à Moiry à 7 h du soir. La route est si encombrée qu’il est impossible d’avancer. Martinat nous les envoie pour les faire coucher. On fait des lits à la hâte. Ils nous apprennent que le gouvernement est parti et que Pétain et Weygand sont à Gien, ceci à contrôler.

12 Pluie. Nous allons à Nevers et depuis Moiry nous croisons 308 voitures
chargées à craquer. Les La Brosse déjeunent aux Réaux, où Madame Cote reçoit Madame de Bernoville, mère de Josefa. Ce même jour les Boches entrent chez elle à Compiègne. Martinat notre adjoint nous envoie deux familles cherchant des lits pour la nuit. Nous donnons des lits à 7 personnes et le petit déjeuner. 4 d’entre elles ont couché l’autre nuit dans la forêt de Fontainebleau étant dans l’impossibilité de trouver une chambre. On nous dit que le château de Sermoise est réquisitionné pour y loger un ministère. Celui de Chamou pour y mettre des officiers. Les journaux de Paris n’arrivent plus. Pluie très bienfaisante qui permettra aux pommes de terre et aux betteraves de naître. Le Polonais que je loge au Pied Prot et qui a 4 enfants part pour le camp de Cöetquidan.

13 Pas de journaux. Il nous arrive pour coucher une famille évacuée de Coulommiers, grand mère, père mère et trois enfants. Plusieurs autos de St Parize sont réquisitionnées pour aller chercher des réfugiés à Clamecy. Une quarantaine d’hommes de la commune sont réunis à la mairie pour former une garde civique. 3 d’entre eux passeront chaque nuit au moulin à vent pour exercer la surveillance de la région. Les La Brosse voulaient aller à Paris pour vider le coffre fort qu’ils ont à la Société Générale, ils y renoncent vu l’encombrement des routes et la difficulté de se procurer de l’essence. Ils se contentent de faire une visite à Planchevienne. Henri de Rouville est revenu.

14 L’inquiétude est grande, les Boches sont à la porte de Paris, aussi ne sachant pas s’il me restera de l’argent pour régler avec mes métayers à la St Martin, je leur fais une avance. A 9 h du soir le chauffeur qui vient chercher Marcelle pour la conduire à Saincaize nous apprend que les Boches sont entrés à Paris et arrivent à St Dizier sur la Marne. Ils ont marché à pas de géants, il faut donc qu’on ne leur ait opposé aucune résistance, la consternation est grande. (écrit d’une autre main : Dernière nuit à Saincaize pendant laquelle nous ravitaillons des évacués au lever du jour, ils sont gelés sur leur plate-forme, un curé est parmi eux).

15 Les Louis voulaient aller à Bonnay, je les accompagne, nous devions prendre de l’essence à Moiry chez Martinat. Il aurait fallu attendre 2 h pour être servi, car une file de 30 voitures font la queue devant la borne. Nous pensions être plus heureux à St Pierre, rien à faire, toutes les bornes sont taries. On ne peut pas se faire une idée de la débâcle dans la petite ville encombrée de civils et de beaucoup de militaires, l’incurie règne partout. Nous voyons passer 2 trains à Mars pleins de soldats. On se demande s’il en reste au front, car les Boches avancent à une allure vertigineuse. On dit qu’ils marchent sur Orléans. A 8 h, 15 personnes venant de Reims nous demandent à coucher. La plus vieille un homme de 85 ans, le plus jeune 10 mois, tous genre commerçants. On en met au bureau, dans la chambre à cocher, chez le jardinier, chez le garde, chez la Polonaise. A 9 h, Martinat nous envoie une famille, père mère deux filles, nous les installons dans la maison. A 10 h, 3 médecins militaires arrivant de Vittel nous demandent l’hospitalité, ils sont harassés et morts de faim, on leur fait une omelette et ils mangent le peu de pain qui nous reste. Ce qu’ils nous disent n’est pas rassurant. Le Capitaine me conseille de rester à Tâches malgré l’avance des Boches, ces 3 médecins nous apprennent que l’ennemi est à Nancy et Strasbourg. Louis ne peut y croire.

16 Dimanche. St Parize est encombré de soldats et de réfugiés, la panique est générale, la plupart filent dans des autos bondées de monde de bagages et de matelas. J’en vois qui prennent la route d’Azy-le-Vif. Pourquoi ? Les bobards les plus invraisemblables circulent. Un monsieur s’arrête sur le Pied Prot pour dire que les Boches seront ce soir à Nevers et que le pont de la Loire sautera à minuit. A St Parize, ni électricité ni téléphone. A la Poste on ne peut pas me payer un mandat de Mme de Lescure. A 3 h chemin de croix, très peu de monde y assistent, quelques femmes et un seul homme : moi. A 7 h du soir, Suzanne du Verne nous arrive avec la camionnette d’Aïn Kala avec sa mère, Monique Guillemain, et sa cuisinière, du linge et autres affaires qu’elle croit plus en sureté ici qu’ailleurs. 3 soldats venant du front à bicyclette demandent à coucher. Ils ont perdu leur régiment qui a beaucoup souffert dans l’Aisne. 6 jeunes gens de 17 à 19 ans arrivent de Paris à bicyclette, je les envoie au domaine où l’on a mis de la paille fraîche dans la grande écurie. Les routes sont partout encombrées de fuyards qui vont coucher dans les fossés.

17 Lundi. Pluie. L’affolement augmente. A 7 h, Ernest vient me dire que Michel des Petites Granges me demande. C’est pour me dire qu’il part avec femmes et 5 petits enfants et met tout cela sur un chariot pour aller où ? il n’en sait rien, il abandonne maison, meubles, cheptel. De son côté Roy de Callot veut partir, ses femmes partent en auto, il les suit avec un chariot, heureusement, ils réfléchissent en route et reviennent deux heures après. Chicon, qui fait partie de la garde civique veut arrêter une auto traversant Moiry tous phares allumés, est bousculé par la voiture. Il tombe sur la route et se blesse à la figure. Marcelle le conduit à St Pierre où le Dr Robet lui fait un pansement. La route de St Pierre est impressionnante, une caravane de gens fuyant Nevers pour ? Ciel noir par suite de l’explosion du pétrole. Suzanne du Verne va dans un domaine de Magny chercher sa métayère, sa cuisinière et leurs enfants, les ramène ici et une heure plus tard repart avec sa mère et Monique Guillemain pour mettre tout ce monde à Nieul près de La Châtre (Indre). Le garde Jeanty qui s’était mis en route avec un chariot et une jument de Callot, raisonné par sa femme et par moi-même a le bon sens de revenir. Les La Brosse nous quittent aussi. Josepha, malgré l’avis de Louis veut aller rejoindre sa mère et sa sœur à Anteroche dans le Cantal. Ils risquent fort de rester en route car ils ont peu d’essence et il n’y en a plus dans les bornes. Ma jardinière veut bien rester. Mes domestiques partent à bicyclette pour Meillers. Je comprends cela à cause de leur fille de 15 ans. Albert Chicon avec un de ses cousins file également à bicyclette pour Bulhon. A 2 h, nous entendons la DCA et autres coups de canon plus forts. Où sont les Boches, personne ne le sait ! Les canons Boches devaient avoir le moulin à vent pour objectif, car on a trouvé autour plusieurs trous d’obus. Une vache des Petites Granges a été blessée à la cuisse par un éclat. Ce qui est certain c’est que Hitler connaît les moyens de jeter la panique et de faire fuir les populations dans tous les sens. A 7 h du soir Suzanne et tout son monde nous reviennent. A Sancoins l’autorité militaire leur a fait faire demi-tour. Une dame leur crie « armistice ». Elle nous laisse ses nombreux bagages, sa mère, Monique, sa cuisinière et son petit garçon et part pour La Baratte. Entre Moiry et Magny, deux officiers lui font faire ½ tour en lui disant que les Boches les suivent. Nous dînons tant bien que mal et nous nous couchons après avoir entendu dire par Montrichard que l’armistice sera signé à minuit. A 1h ½ du matin, coups de canons très violents qui ébranlent toutes les portes et font vibrer les vitres. Tout le monde se retrouve dans le vestibule, où la famille Jeanty, la Polonaise avec ses 4 filles viennent nous rejoindre avec les Chérut et les Belges. Second bombardement, tous descendent à la cave, sauf Madame de Lépinière et moi-même. Le reste de la nuit très calme et au matin l’on n’entend plus rien. Ce même 17 juin Cécile était bombardé à Rennes.

18 Mardi. Le calme renaît, la campagne est belle et tranquille autour de nous tout au moins. Sur la grande route à Moiry les troupes allemandes très nombreuses passent tranquillement direction de Moulins. Un motocycliste fait arranger sa machine chez Asselineau, paye douze francs et s’en va poliment. A quatre heures et demie, Marcelle conduit Madame de Lépinière, Suzanne et Monique à une prière à Saint-Parize. Mon métayer Roy qui y est en même temps croise une quinzaine de camions boches arrivant par la route du Marault au village en bon ordre. Quelques Belges sont avec les Boches. A six heures et demie, Suzanne avec Monique et sa cuisinière descend à Moiry pour voir le défilé qui ne fait qu’augmenter en nombre. Elles s’assoient devant le café Blasco dans lequel soldats français et boches fraternisent, tous kamarades ! Les enfants jouent sans crainte sur la route et mangent les bonbons que les soldats b leurs donnent. Dans l’après-midi, nous avons la visite de l’Abbé Cirode et de deux grands séminaristes qui ont fuit Nevers et se sont réfugiés à Saint-Parize où ils sont plus mal que bien. A mon domaine des Petites-Granges, les portes sont fermées, toutes les brebis sont dans le petit pré derrière la maison où il n’y a plus d’herbe. Je crains qu’elles n’en sortent et se répandent dans les blés et autres récoltes. A huit heures du soir Marie-Thérèse Guillemain nous arrive, elle est contente de retrouver sa famille chez nous. Elle nous raconte qu’à Nevers, la panique est grande.
. Le calme renaît, la campagne est belle et tranquille, autour de nous tout au moins. Sur la grande route à Moiry, les troupes allemandes très nombreuses passent tranquillement, direction de Moulins, un motocycliste fait arranger sa machine chez Asselineau, paye 12 F et s’en va poliment. A 4h ½ Marcelle conduit Madame de Lépinière, Suzanne et Monigat à une prière à St Parize. Mon métayer Roy qui y est en même temps, croise une quinzaine de camions Boches arrivant par la route du Marault au village en bon ordre. Quelques Belges sont avec les Boches. A 6h ½ Suzanne avec Monique et sa cuisinière descend à Moiry pour voir le défilé qui ne fait qu’augmenter en nombre. Elles s’assoient devant le café Blasco, dans lequel soldats Français et Boches fraternisent, tous Kamarades ! Les enfants jouent sans crainte sur la route et mangent les bonbons que les soldats Boches leur donnent. Dans l’après midi, nous avons la visite de l’abbé Cirode et de deux Grands séminaristes qui ont fui Nevers et se sont réfugiés à St Parize où ils sont plus mal que bien. A mon domaine des Petites Granges, les portes sont fermées, toutes les brebis sont dans le petit pré derrière la maison où il n’y a plus d’herbe. Je crains qu’elles n’en sortent et se répandent dans les blés et autres récoltes. A 8 h du soir, Marie Thérèse Guillemain nous arrive, elle est contente de retrouver sa famille chez nous. Elle nous raconte qu’à Nevers la panique est grande, mais que la ville n’a pas de mal, l’ennemi y étant entré en bon ordre. Heureusement l’on n’a pas fait sauter le pont de la Loire et la circulation peut se faire sur les deux rives. Nombreuses sont les personnes venues demander l’hospitalité chez Boigues à Brain où la Princesse de Croÿ remplit le rôle de maîtresse de maison. Marie Thérèse y retrouve Madame de Sansal avec sa mère et son frère. Elle ne sait pas où sont ses filles et Miette, peut-être à Tâches. Moi je les crois plutôt à Bulhon, si elles ont eu de l’essence pour aller jusque là. Lundi matin, il y avait sur toute la campagne un brouillard très opaque, qui effrayait tout le monde. Il était dit-on causé par des vapeurs chimiques allumées par les Boches. Je ne sais si cela est vrai, mais certainement la chose n’était pas naturelle. A Midi, le soleil s’est montré. Un soldat du 85, venu blessé à l’hôpital de Nevers il y a peu de jours a dit à Simone qu’il a vu Hervé au moment de son départ et qu’il allait bien. Mais depuis ! A 9 h du soir Marie Thérèse emmène Suzanne à la Baratte. Montrichard qui logeait plusieurs officiers Français à La Chasseigne dans la nuit du 16 au 17 a eu sa montre, son stylo et la clef de son garage volés sur une table où il les avait déposés, peut-être par un ordonnance, au moins j’aime à le croire

19 La nuit est bonne pour tout le monde, les Chérut qui sont très effrayés, sont venus coucher chez la jardinière. Marcelle va à la messe, elle voit les Boches qui ont couché dans leurs camions après avoir dansé et bu le champagne à l’auberge Chapon. On raconte que la Russie et les Etats Unis ont déclaré la guerre à l’Allemagne, mais que ne dit-on pas ? A 2 h après midi, quantité de voitures Boches passent sur le Pied Prot allant vers Moiry -43- . Montrichard passe nous voir et nous dit son inquiétude au sujet des maisons abandonnées par leurs propriétaires en fuite. Chez Martinat, il a vu un Boche faisant sa barbe avec le rasoir laissé là. Chez Aubry à Roussy, le domaine laissé seul est occupé par des trainards qui pillent tout. Nombreux sont les Français qui ayant quitté leur domicile sans savoir où ils allaient, errent dans la campagne et prennent tout ce qu’ils trouvent sur leur route pour vivre. Hier dans les prés près du château, des gens en voiture ont tué un veau d’un coup de fusil et l’ont emporté. Il paraît que les Boches sont à Rennes, à Cherbourg etc. Je rencontre chez les Chérut, 3 jeunes soldats qui faisaient leurs classes à Avord et qui avaient été envoyés à Cosnes pour boucher les trous du 13ème de ligne qui avait beaucoup souffert. Ils sont ensuite venus à Nevers pour faire la défense du pont de Loire quand l’ennemi y arriverait. Lundi à 5 h du matin, il y a eu un assez violent combat pour empêcher les premières troupes de franchir le pont qui avait été miné avec toute autre chose que de la poudre dit-on et qui naturellement n’a pas pu sauter. Alors nos troupes se sont éparpillées dans la campagne cherchant une grange pour s’abriter. Mes trois soldats s’en allaient sur Blime, où l’un d’eux a une tante. Un autre n’avait que sa chemise. Ma jardinière qui est très charitable lui donne un chandail de son mari. Chez mon fermier Gonin, il y a depuis dimanche 3 aviateurs avec leur camion qui ne savent pas où aller rejoindre leur corps, du reste le camion est en panne. A 5 h du soir Guillaume du Verne et sa femme nous arrivent et ne restent qu’un instant, ils ramènent la camionnette et leurs bagages et nous laissent Madame de Lépinière et Monique.

20 Jeudi. Comme je sortais du lit après une nuit assez calme, quel n’est pas mon étonnement et ma grande joie de voir Hervé entrer dans ma chambre habillé en civil. Après la débâcle de la Marne, son bataillon étant en complète débandade, le Cdt de Goy lui a dit : sauvez vous comme vous le pouvez. C’est ce qu’il a fait, se cachant le jour et marchant la nuit et échappant par miracle aux nombreux coups de fusil qui lui étaient destinés. Arrivé à Chablis dans l’Yonne, il prend la bicyclette du curé ; près de Clamecy, il pose son uniforme et emprunte une veste et un pantalon à un maréchal pour arriver à Nevers mardi soir chez sa belle mère où il dort pendant 48 h. Madame de Sansal croit ses filles et Miette chez nous, mais j’ai tout lieu de croire qu’elles sont à Bulhon où Hervé va les retrouver ce soir, car il n’est resté qu’un quart d’heure avec nous, ayant 140 km à faire à bicyclette. Marcelle l’accompagne jusqu’à la grande route. Hervé nous a dit qu’un jour pour toute nourriture, il avait mangé des cerises cueillies sur un arbre. C’est le jour des surprises, à 9 h ½ nous voyons venir Antoine du Part qui très aimablement veut savoir ce que nous sommes devenus. Pendant une heure, il nous raconte tout ce qu’ils ont vu et fait. J’ai été étonné qu’à cause de Chantal, ils n’aient pas essayé de gagner Annonay chez le frère de Marie-Louise, ce qui n’aurait pas servi à grand-chose car les Boches doivent occuper toute la France. Antoine croit que l’armistice doit être signé à midi, la France étant représentée par Pétain et Laval. Il a été indigné de la façon avec laquelle des soldats Français cantonnés chez lui envoyaient promener leurs chefs. Je ne croyais tout de même pas la pourriture aussi grande. A 2 h nous avons la visite du ménage Pierre de Rouville venu à pied par les Craies. Les Henri sont partis dimanche pour la Lozère avec leurs enfants. Dans la nuit du 17 au 18 un obus de petit calibre est venu frapper le pignon côté Nord de la grange. Le maire de Magny a fichu le camp de même que Bardin, maire de Chevenon. A 6 h Suzanne vient chercher Madame de Lépinière pour la conduire aux Loges, où elle fera acte de propriétaire car un Etat Major Allemand s’y est installé. On nous laisse Monique à garder, ce qui ne m’enchante guère car elle court partout en jouant avec les enfants de ma jardinière, étant très enfant elle-même bien qu’elle soit grande comme une femme. Un soldat du 54ème venu échouer à la ferme du Pied Prot et qui avant gardait la gare de Saincaize, me raconte que l’armée a fait construire un cinéma qui a coûté 450 000 près du domaine de Manvitut qui il y a 85 ans a été la dot de ma tante du Verne et qui a été vendu par ses petits enfants au fermier Dessauny pour une bouchée de pain. Les bons d’armement servaient donc à toute autre chose qu’à construire des canons. Ce soldat est fermier d’Etienne Faulquier, commune d’Amazy.

21 Vendredi. Pluie. Hier Marcelle en signe de joie et de reconnaissance pour le retour de son neveu s’est imposée une grande pénitence : elle n’a pas pris son thé à 5 h. A 5 h les La Brosse nous reviennent. Partis lundi à 3 h pensant aller à Anterroche, sur la nouvelle que Magny était occupé, ils devaient aller à Bulhon où ils devaient déposer des papiers que je leur avais confiés, mais en traversant Moulins, ils apprennent que l’armistice est signé. Alors ils partent pour les Gouttes où ils ont trouvé 23 Tollu. Malgré cela on leur donne à dîner et à coucher. Ils repartent le lendemain à 7 h pour Bulhon, où ils arrivent à 7 h du soir, la route par La Palisse qu’ils avaient empruntée étant complètement obstruée par des réfugiés. A Bulhon, la maison était déjà pleine par Madame de Valence et 4 enfants et 2 petits enfants et une femme Turque, Madame de Faverges avec 4 enfants, 3 petites de Champeaux. Le mercredi les Henri de Rouville avec leurs deux enfants débarquent à leur tour, on les nourrit et on les couche. Jeudi, Hervé arrive à 4 h du soir avec sa bicyclette. Il avait marché fort et raconte son odyssée et sur le conseil de son père il va à Ambert se présenter à l’autorité militaire, sans avoir vu sa femme qui elle partie de Nevers dimanche avec sa sœur, Miette et une femme de chambre, est arrivée à Bulhon 10 heures après le départ de son mari. Ces 4 femmes ont passé 4 jours au Donjon en panne d’essence et n’ont pu partir que parce que les Boches leur ont donné de l’essence. Le matin vendredi, en même temps que les La Brosse, les Henri de Rouville s’arrêtent devant le perron et partent un instant après pour Planchevienne.

22 Pluie. Marcelle et Louis vont à la Chasseigne pour savoir ce qui se passe, ils n’apprennent rien sinon que le château est occupé par un état major Allemand et que la salle à manger lui sert de bureau. A 5 h du soir, deux soldats fusil en bandoulière passent dans la cour, font le tour du jardin et s’en vont.

23 Dimanche, Marcelle et les La Brosse vont à la petite messe, je reste garder la maison. Bien m’en a pris, car à 9 h, 3 officiers arrivent et me disent qu’ils cherchent des lits pour 6 officiers et qu’avec eux, il y aura 40 hommes et 80 chevaux à loger. Je leur fais voir les chambres au dessus de la cuisine et le bureau. Cela leur suffit. Je pars pour la grande Messe, au retour je trouve des soldats et voitures de toutes sortes autour de la maison, même une victoria attelée de 2 chevaux, c’est l’invasion dans toute sa splendeur. Nous déjeunions entre nous quand 8 officiers montent le perron. Marcelle et Louis leur montrent les chambres qui leur sont destinées et ils disent qu’ils déjeuneront dehors sous les arbres. A 2h ½, je vais avec le garde Jeanty déposer nos fusils et cartouches à la mairie. On nous dit que l’armistice est signé. Mais comment !. A 5 h un orage fait cacher tout le monde. Dans le pré où il y a beaucoup de chevaux au piquet, une forge, des tentes etc. A un homme qui m’avait demandé à boire, j’ouvre la porte de la cave, aimant mieux cela que de la voir forcée. Il aperçoit un monceau de bouteilles, ce qui le fait sourire mais elles sont vides. Je lui laisse remplir deux bouteilles à un tonneau et il les emporte avec 3 bouteilles de limonade. Un officier le voyant, lui donne l’ordre de tout rapporter ce qu’il s’empresse de faire. La discipline est grande dans cette armée. On nous fait avancer les pendules d’une heure. On me demande la clef du grenier à grain pour y faire coucher 50 hommes, et la clef de notre cuisine pour y faire la popote des officiers qui au nombre de 8 s’installent dans notre salle à manger pendant que nous dinions dans le salon. Les officiers burent le champagne et autres vins généreux apportés par eux sans faire aucun bruit ce qui prouve qu’ils ont l’habitude de ces libations. A 10h ¾ ils sont montés dans leurs chambres et nous dans les nôtres. La nuit a été très calme malgré le grand nombre de soldats dormant à l’extérieur. Montrichard venu nous voir après être passé dans les divers cantonnements, nous dit qu’à Villars malgré la présence de Roger et de ses sœurs, le château a été envahi par les simples soldats de la cave au grenier et que toute la maison est dans un état de saleté misérable. Quant à Villars Le Sueur, la maison qui a été abandonnée par les maîtres et les métayers, elle est occupée par 26 officiers et sous officiers. Jeanty tire les vaches.

24 Pluie. St Jean. Je reçois une lettre du Cdt Ott me disant que les officiers logés dans le bureau ne le sont pas dignement et qu’il faut leur donner des chambres dans la maison. On les installe dans la chambre de Cécile et celle d’angle Nord Est. On me réquisitionne un châtron de Tâches, 370 k, qui est abattu aussitôt dans la grange. Ce châtron m’est payé 150 Marks valant 3 000. On me donne un bon que je toucherai je ne sais où !

25 Pluie. On nous a laissé Monique Guillemain soit disant parce que Les Loges et La Baratte sont occupés par les Allemands. Marcelle la fait coucher dans sa chambre pour qu’elle soit plus en sureté. Or ce matin, pendant qu’elle était encore au lit, Marcelle part pour St-Parize en laissant la porte grande ouverte sur le jardin. A 10 h Marcelle part pour La Baratte emmenant Monique et la cuisinière de Suzanne que celle-ci nous avait laissée depuis une dizaine de jours. Arrivées à La Baratte, elle trouve la maison occupée par tout un Etat Major. 4 chambres du 1er ont été laissées aux Guillaume. L’une d’elle sert à Marie Thérèse qui est très fatiguée. Ils ne savent pas ce qu’ils vont faire de Monique, car aux Loges la maison aussi est pleine à craquer. Louis de La Brosse qui avait accompagné sa cousine, déjeune avec elle chez Madame de Sansal avec un morceau de pain et de fromage. Pas de nouvelles de son mari et de ses fils. Le Colonel qui était à Bourges où il commandait la place, il y a eu un combat dans cette ville qui a opposé de la résistance paraît-il ! Marcelle et Louis ont vu passer sur la route, direction de Decize plusieurs milliers de soldats allemands. Chicon vient me dire qu’à cause du mauvais temps, les Allemands veulent mettre leurs 90 chevaux à couvert dans nos écuries. Ils mettent mon veau dans le séchoir, sortent tout ce qu’il y a de bois de toutes sortes dans mes trois écuries et y entassent leurs chevaux de même au domaine où ils s’emparent même de la bergerie. A 6 h du soir, Albert Chicon qui s’était réfugié à Bulhon revient nous apportant une lettre d’Edith. Là bas tout va bien malgré le grand nombre d’amis. C’est la cuisinière de Madame Vuillemin amenée par ses petites filles qui fait la popote. Aucun Allemand dans le village. A St Parize on fait le recensement de tous les hommes de 16 à 50 ans. C’est bien inquiétant. Si on les emmène c’est la fin de la culture et la famine.

26 Pluie. Journée calme. Les officiers boivent Bordeaux, Bourgogne, Champagne, sans chanter ni beaucoup parler. Le Cdt fait ratisser la cour et à 3 h du soir passe une revue et décore un soldat de la croix de fer. Marcelle fait la cuisine aidée par la réfugiée Belge. Celle-ci a lavé 2 chemises à un soldat qui lui a donné un Mark pour sa peine, or il est coté 20 ct aujourd’hui.

27 Dès le matin, une revue des 80 chevaux est passée dans le Champ Villain. Une partie de ces chevaux est lâchée en liberté dans le sanfoin du champ carreau où la moitié est en avoine. Celle-ci est protégée par des gardiens pas assez nombreux, je m’en plains. La Belge qui nous rendait des services repart pour son pays. Marcelle et Josefa vont faire une visite à Planchevienne qui comme Tâches est envahi. Dans la soirée on apporte dans la basse cour un tonneau de 200 litres de vin de Frontignan, en un instant il est vidé, chaque homme venant puiser dedans à volonté. Malgré cela je n’en rencontre aucun pris de boisson.

28 Vendredi. Dès le matin, revue des hommes sous ma fenêtre, ils partent ensuite en ordre direction Moiry, leurs mouvements d’une régularité impressionnante, de véritables automates. Ils ont, m’a dit un sous officier, un service religieux. Ils en avaient eu un autre il y a deux jours dans l’église de St Parize, où 800 hommes étaient réunis, mais je ne sais en quoi ce service consistait. Dans la soirée, je vais à la Commandantur, où j’arrive trop tard. Elle ouvre de 8 à 10 le matin et de 5 à 6 le soir. On fait dans les domaines le recensement des cheptels bêtes à garder, bêtes à vendre. Je compte sur le Pied Prot trente deux soldats à bicyclette descendant sur Moiry. Tous les chevaux du groupe de Tâches sont allés se baigner dans l’Allier. Visite de Dusseaux garde de Roy à la Charnaye qui me raconte que le pont du Veurdre était gardé par 4 canons de 75 et un petit nombre de fantassins. Quand les premiers camions allemands venant de St Pierre sont arrivés, trois d’entre eux ont été détruits par nos obus, mais force a été de cesser le feu faute de munitions, alors les canons se sont retirés et le capitaine qui commandait la défense s’est fait tuer à son poste avec 3 ou 4 hommes.

29 Samedi. St Pierre et St Paul me fait remarquer un capitaine Allemand. Je vais à St Parize à la Commandantur pour me faire payer mon châtron. On me dit de repasser lundi. On me donne 25 litres d’essence à 4 F. Le service est fait par un soldat. Je vois défiler dans le village des artilleurs avec plusieurs canons et caissons, dans un autre sens une cinquantaine de chevaux montés comme dans une ville de nombreuse garnison. A 1 h les Rouville viennent chercher les La Brosse pour les conduire à la Verdine. A 5 h une auto chargée dessus dedans et sur les côtés nous amène les Faverges retour de Bulhon. Ils ont quitté la maison encore pleine avec les Valence, les Champeaux. Yvonne et ses deux filles arrivées de la veille venant toutes les trois de Niort où elles étaient depuis le 16. Jean qui avait encore un peu de suppuration dans sa plaie est envoyé dans un autre ambulance peut-être Bordeaux. Yvonne qui a du cran a fait sans arrêt et sans encombre le long trajet. Les La Brosse nous racontent que les châteaux de Laverdine, des Réaux et du Gravier sont occupés par les Allemands. Les propriétaires sont relégués dans de peu nombreuses pièces, les officiers couchent dans toutes les chambres où il y a des lits et les soldats circulent dans les salons encore meublés, la plupart du temps simplement vêtus d’un caleçon de bain. Madame Cote arrive de Clermont où elle est allée pour installer chez elle le Général Weygand, le Maréchal Pétain est chez Michelin et le gouvernement probablement à la préfecture. Les Chambres à Vichy.

30 Dimanche. En revenant de la grande messe où il y avait une dizaine d’Allemands, nous voyons une croix gammée accrochée à la lucarne et pendant presque jusqu’au perron.

25.2.11

MAI 1940

1 Vraiment joli. Le garde Jeanty ayant reconnu des renardeaux fait venir Couturier qui en prend 3 avec un Fox dans les Champs Blonds. Nous allons à Nevers. Miette va bien, mais Pierre de Barrau qui est à l’hôpital du lycée va moins bien. Il est très déprimé. Les nouvelles de Norvège sont assez inquiétantes. La Marquise de Lépinay meurt à la Mouée.

2 Pluie Ascension. Marcelle qui aime toujours voir du monde et des enfants, amène la petite J. d’Assigny pour 24 h. Nous avons à goûter les Sansal avec les Ch. Tiersonnier et Miette.

3 Pluie 30 mm. Premier vendredi, je m’approche de la Sainte Table. Les Edmond Clayeux nous arrivent pour déjeuner apportant de très bonnes nouvelles de mon beau frère qui a repris sa vie ordinaire.

4 Les Clayeux nous conduisent à Nevers d’où ils ramènent Berthe Tiersonnier pour l’emmener dîner et coucher aux Gouttes afin que demain dimanche, elle puisse faire une conférence aux Ligueuses de Thionne.

5 Madame de Montrichard qui n’a que le souffle, convie Marcelle pour l’aider à recevoir à goûter une douzaine de jeunes filles qui ont tricoté pour les soldats et qui chantent près de l’harmonium. Cette petite fête sous les ombrages de La Chasseigne a été très réussie car par hasard il faisait beau. Marcelle passe la nuit à Saincaize avec M. Th. Guillemain.

6 Dans un horrible accident de chemin de fer occasionné par une crue du Cher, 30 personnes ont trouvé la mort dont le capitaine Robert Verny. Ce n’est pas lui. Il y a une grosse inondation de l’Allier. Les Mathieu ne peuvent plus sortir de chez eux. Je fais une grande tournée agricole avec mon âne.

7 Marcelle va à la messe à St Pierre où les ligueuses récitent une série de chapelets pour la guerre. Elle revient par Buy, où elle déjeune. Il tonne un peu partout, mais heureusement il ne pleut pas.

8 Journée sans histoire. J’admire les deux hêtres pourpres qui sont sur la pelouse, leur teinte printanière est une splendeur. L’Italie cause pour la France une grande inquiétude, on se demande si elle va conserver sa neutralité ou marcher contre nous.

9 Les Riberolles nous arrivent pour dîner.

10 Madame de Sansal, Simone et Miette viennent goûter. L’inquiétude est grande, car la nuit dernière les Boches ont envahi la Hollande et la Belgique.

11 Nous déjeunons chez Madame de Sansal. Malgré les nombreuses alertes, il y a beaucoup de monde en ville, où chacun raconte ses bobards. Les avions ont déjà causé pas mal de victimes.

12 Pentecôte. Première communion à St Parize, 17 enfants, nombreuse assistance. Il me naît un veau Breton. M. Th. Guillemain vient chercher Marcelle pour la cantine.

13 Simone nous amène pour déjeuner M.A. du Verne et ses belles sœurs. Viennent en visite Mesdames de Marcy et de Villaines, plus tard les deux ménages Rouville. Les bruits de guerre grandissent. De malheureux Luxembourgeois fuyant l’invasion passent à Moiry. 80 couchent dans la commune.

14 Plus nombreux encore aujourd’hui. L’adjoint nous envoie toute une famille, trois dames et trois messieurs. L’un d’eux ne sait pas où est sa femme. Marcelle convoquée avec son auto par la mairie va à 6 h du soir chercher des enfants à la gare de Mars et les conduit à la mairie où on en fait la répartition dans les familles de la commune ;

15 Les Luxembourgeois partout. L’inquiétude est grande. Les Hollandais déposent les armes et les Boches arrivent à Sedan qu’on a fait évacuer. Je fais planter mes pommes de terre au champ de la Vache.

16 Sœurs Assomption reçoivent réfugiés. Je leur envoie cent francs. Une femme Belge réfugiée meurt à Moiry. Confirmation à St Parize. Viennent les enfants de cinq communes. J’assiste à la cérémonie et présentent mes hommages à Monseigneur en ma qualité de président du conseil paroissial. Les Riberolles vont à Nevers d’où ils ramènent Miette.

17 Je conduis Jaurès à Moiry pour le faire ferrer et pendant deux heures, je vois défiler des centaines de voitures de toutes formes et de tout âge où sont entassés des gens qui fuient devant la terreur inspirée par les monstres de Boches. On reconnaît les autos étrangères aux lettres et N° peints en rouge. Les Riberolles dînent chez les Marcy.

18 Cheveux. Les Riberolles partent pour Bulhon, nous laissant Miette pour qu’elle continue son service à l’hôpital. Nous la conduisons à Nevers d’où nous la ramenons car Marie Antoinette a disposé de sa chambre en faveur de Belges qui étaient menacés de coucher sur le pavé. Je suis étonné de voir en ville autant d’hommes civils et militaires de 20 à 35 ans. On doit pourtant avoir besoin d’eux à l’avant car la situation n’est pas brillante. Les Boches sont à Avesnes et à Vervins, partout l’inquiétude est grande.

19 Elle ne diminue guère. Le maire charge Marcelle de voir où l’on pourra procurer des lits aux réfugiés probables, dans notre maison, mes domaines, aux Oyasses et au bois de Bord.

20 Simone nous amène pour déjeuner son frère Jean qui vient de passer son examen de St Cyr. Miette rentre avec eux à Nevers pour son service à St Gildard. Elle logera chez Geneviève Tiersonnier. Lettre de mon beau frère qui me dit qu’il va plutôt mieux qu’avant d’avoir été administré. Il est fantastique.

21 Légère pluie. Le Maréchal Pétain est appelé à un comité de guerre, le général Weygand est nommé généralissime à la place de Gamelin et nos ministres Francs Maçons assistent à des prières à Notre Dame, il faut qu’ils aient bien peur. Marcelle emmène Suzanne de Rouville passer la nuit à Saincaize.

22 Cela va de plus en plus mal. Arras et Amiens sont pris. Les paysans disent c’est comme en 70 on est trahi. Je finis par le croire. Guiguite allant de Trinay aux Gouttes s’arrête ici pendant 24 h. Louis de La Brosse, téléphone des Réaux où il est allé conduire sa belle mère pour nous demander si nous pouvons les recevoir. Nous les attendons avec plaisir. A 8 h ½ du soir, 2 dames et 2 enfants fuyant le département de l’Oise nous demande à coucher. On les met dans le bureau.

23 Foire nulle à St Pierre. Bringault, me paye son terme, je lui fais remise d’un tiers car il a fait de grosses pertes : 1 jument, deux poulains, une vache. 10mm de pluie tombée en ¼ d’heure. Les avoines des Craies s’en trouvent bien. Je fais planter des haricots Omblette.

24 Je perds 6 agneaux du tania en trois jours. J’écris à Paris pour demander des remèdes. A 10 h nous voyons passer 14 avions Boches allant sur Nevers, deux ont été abattus paraît-il. Nous conduisons Gabrielle et Pierre de Rouville en ville où nous voyons Miette faisant bon ménage avec Geneviève T. Pas mal de monde dans les rues où je rencontre les Ducrot, le Cel d’Assigny, le Cdt Bouchacourt, les Chalvron venus de Beunat pour faire confirmer leurs enfants, confirmation qui a été un peu tourmentée par l’alerte. Simone a des nouvelles relativement fraîches d’Hervé qui n’était pas dans la tourmente de ces derniers jours. Rien de Jean de Valence.

25 Le. Conduit de la cave du vieux château étant obstrué, je le fais relever par le garde Jeanty. Nous avons des nouvelles de Jean et d’Hervé. Ils n’ont pas été mêlés aux premiers jours de l’attaque.

26 Fête Dieu. Très belle procession, beaucoup de monde et trois reposoirs, 1 sur le champ de foire, 1 devant la poste fait par les Jacistes, 1 dans la cour de l’école libre. Un mot d’Yvonne nous apprend que Jean a été blessé au bras par un éclat d’obus. Il va être évacué soit à Tours soit à Bordeaux. Elle pourra aller le voir. Je remercie le ciel que cela ne soit pas plus grave. Au moins pendant quelques temps, il ne sera plus en danger. Les journaux annoncent que quinze généraux haut placés dans l’armée Française ont été débarqués. C’est effarant ! Il me semble que la censure aurait dû empêcher cette nouvelle de paraître, car elle n’est pas faite pour enlever de l’esprit de nos paysans la conviction que nous sommes trahis.

27 Nous envoyons quelques ustensiles de cuisine, linge et draps à des réfugiés venant de Reims et installés dans une maison à Moiry.

28 Pluie. Nous allons aux Gouttes. En passant à Moiry, Martinat nous apprend que le roi des Belges s’est rendu et a fui en Italie. Tout le monde est consterné. Visite aux André. Je ne trouve que Marie très inquiète pour son gendre. Sa femme et ses trois enfants sont là. Mon beau frère m’avait écrit qu’il allait plutôt mieux qu’avant d’avoir été si malade. C’est vrai, il a maigri, c’est tout, il marche même mieux. Ma belle sœur a une mine moins brillante. Ils ont à demeure Edmée Constantin et ses trois enfants. Nous croisons à Averme un superbe Régiment Anglais. A 4 h ½ nous entendons parler le ministre Pierlot qui dit que l’armée Belge continuera à combattre avec nous. Tout de même la situation est bien inquiétante, on ne sait trop qu’en penser. Cramail, gendre Charnacé est tué, brûlé vivant dans son tank.

29 Pluie. Simone et Miette viennent passer l’après midi et comme nos domestiques sont en vacances, elles nous font le dîner et ramassent des fraises. Marcelle et S de Rouville passent la nuit à la cantine.

30 On apprend la mort de plusieurs soldats du pays appartenant au 95 et 13ème. Nos domestiques étant en vacances Marcelle tire les vaches, fait la cuisine et moi je râpe les allées.

31 Vendredi, fête du Sacré Cœur, beaucoup de monde à la messe. Yvonne nous écrit de Niort où elle est venue voir Jean dans un hôpital où il est bien soigné. Sa blessure demandera un mois pour se guérir.

24.2.11

AVRIL 1940

1 Les Hervé vont à Nevers d’où ils ramènent Miette. Je manque la visite de Charles de Fontenay qui a quitté Vaux pour s’installer à Four de Vaux.

2 Pluie. Les 3 enfants partent pour Bulhon et déjeunent aux Gouttes en passant. Le Marquis de Salvert venu à Moiry pour y chercher une bonniche (Taillardat) prend une tasse de thé avec Marcelle.

3 Mon rosaire. A Tâches une truie crève en mettant bas 11 petits.
4 Pluie. Nous déjeunons à Fontallier, où Mesdames Grincour sont toujours enchantées de voir du monde.

5 1er Vendredi, je m’approche de la Sainte Table.

6 Je vais à la Ravie, où il y a 11 lots pris, celui de Gilbert est tout coupé et me paraît avoir rendu assez de bois. Le milieu est bien mauvais, mais le bas est bon, cela compense.

7 Gelée blanche. Dimanche. Nous allons à la fête de St Vincent à Magny où nous entendons une très belle conférence du chanoine Bourgoing dans la salle d’œuvre nouvellement construite et qui est fort belle. Le curé sait faire venir l’eau à son moulin ou plutôt à son église. Il vient d’être démobilisé. Edith nous raconte que le 4, ils ont dîné à Ravel et que devant Hervé, il y avait 25 bougies allumées pour son anniversaire. Je ramasse un petit plat de morilles dans l’avenue. Il y a bien des années que je n’avais fait pareille trouvaille. Dans ma jeunesse quand les gamins de Moiry allaient à l’école à St Parize, ils en apportaient de grands paniers à ma grand-mère.

8 Je demande l’équarrissage pour enlever une vache de Tâches que ses compagnes ont si bien battu en allant à l’abreuvoir qu’elle en est crevée. Cinq mille francs perdus. Quand mes métayers tuent un cochon pour eux, je ne leur fais payer que les 2/3 de sa valeur. Exemple : s’il vaut 900, il ne le paye que 600 F. Ce jour Roy à Callot tue un cochon qui fait 75 k de viande sans compter la tête que je lui laisse et au lieu d’écrire sur le livre de comptes comme je le fais habituellement, il garde 50 k et moi j’en prends 25 de cette façon nous sommes quittes. Comme à cause de la guerre, on ne peut acheter du bœuf ni autre viande, il est commode d’avoir des cochons sous la main pendant les trois jours de restriction de la semaine.

9 Pluie. Cheveux. Nous menons la baronne H de Rouville à Nevers, elle est seule à Planchevienne sans chauffeur. En récompense, elle nous donne un litre d’huile, produit devenu introuvable. Visite à Béchard opéré dernièrement de la prostate. Mademoiselle de Bellescize a épousé hier le Lnt de Torquat en l’église de Beaumont. Visite à Maucouvent, où sont tous les Maurin chez leur fille. Je m’entretiens avec le général de la situation actuelle qui devient bien grave et inquiétante.

10 Gelée. Laurent de Soultrait nous amène en visite ses parents et sa femme. Roger va mieux. Sa famille inquiète de sa santé a fait venir un médecin de la capitale qui lui a trouvé le cœur bon, mais qui lui a dit qu’il fallait se ménager en pensant qu’il était né en 1859.

11 Pour être agréable à ma métayère de Callot et on ne l’est jamais trop, je fais plafonner une écurie pour mettre sa petite volaille à l’abri des dents des gros rats. Ma vache Bretonne me semble bien malade, j’appelle Batrieu pour la voir. Je ne sais pas s’il la guérira, mais la visite me coûtera 100 francs. Hervé Simone et Miette viennent de Bulhon dîner et coucher.

12 Les enfants partent après déjeuner. A 9 h du soir, Marcelle avec Gabrielle de Rouville prend la garde à Saincaize.

13 Pluie glaciale, rien ne pousse. Hervé qui a oublié son manteau revient le chercher en vitesse avant de prendre le train.

14 Dimanche. La Baronne nous invite à faire un bridge de 5 à 7 avec le Cdt Bouchacourt et ses enfants. Henri qui est adjudant aux pionniers est en permission.

15 C’est l’année aux morilles. Roy m’en apporte un plat du Déchart. Je tremble de plus en plus surtout en me levant.

16 Je fais badigeonner la cuisine en bleu, ce n’est pas sans besoin, les grandes gelées du dernier hiver l’ont noirci horriblement.

17 Pluie. Marcelle part à la première heure pour Nevers où l’archiprêtre lui a demandé de faire la quête du culte rue des Pâtis. C’est un peu exagéré, son apostolat de St Parize devrait suffire. Je vais la rejoindre par l’autobus de midi ¼ et elle me ramène avec la baronne de R. Miette a quitté l’hôpital St Gildard pour aller faire du service au grand hôpital, ce qui est nécessaire pour avoir son diplôme d’infirmière. Lettre de Cécile qui n’écrit pas souvent. Elle est très absorbée par sa cantine de gare.

18 Orage, 30 mm d’eau. Les prés sont encore une fois sous l’eau, j’ai d’assez mauvaises nouvelles de mon beau frère, il s’en va, il avait peur de mourir après sa femme. Le Bon Dieu lui fera peut-être la grâce de l’emmener le premier, il aura demain ses 94 ans.

19 Première belle journée de printemps. Simone et Miette viennent goûter dîner et mettre au camphre la garde robe d’Hervé qu’il laisse ici pour la durée de la guerre, où les événements se précipitent dans toute l’Europe. Ces cochons d’Italiens ont l’air plus favorable aux Boches qu’à nous. Mais quand on voit un département comme la Nièvre à la tête duquel il y a un préfet qui ne vaut rien et dont la fille danse sur la scène du théâtre, un député Fié F M de marque, un autre député Perrin puppiste, un Gautier maire de Nevers qui a été élu par une majorité communiste, comment veut-on que les choses aillent bien. Nous méritons un châtiment. Marcelle accompagnée de Mériem de Martimprey passe la nuit à Saincaize.

20 Je fais arracher par Jeanty avec une pioche les œillets de mai qui envahissent le pré Maupilet. Temps idéal, on voit l’herbe pousser surtout dans les allées. A 9 h du soir un téléphone nous annonce que mon beau frère va bien mieux et qu’il lit son journal au salon. Cet homme ne veut ou plutôt ne peut pas mourir.

21 Nous allons faire une visite à Chevenon.

22 Marcelle va goûter avec Madame Le Sueur.

23 Garnet vient me demander le domaine du Mou que Favier quittera le 11 mai 1941. Je pense que nous allons nous entendre. Visite à La Ravie, il y a 12 lots embauchés, mais il en reste 26 lots à prendre.

24 Pluie trop abondante. On étrenne à Tâches le harnais que je viens de faire faire pour les vaches après la naissance d’un veau.

25 Pluie. St Marc. Pendant que Moreau me conduit à la foire de St Pierre, Marcelle emmène Madame Le Sueur à Nevers où il y a réunion des dirigeantes de la Ligue de tout le département. Elle y trouve Béatrix de La Brosse qui est secrétaire pour le canton de Lormes. Monseigneur assiste aux réunions et à la messe qui se dit à la chapelle de l’Espérance.

26 Madame de Montrichard vient voir Marcelle pour s’entretenir de la Ligue. Encore de la pluie. Au lieu Normand, il n’y a à peu près rien comme emblavures car les terres tiennent l’eau comme un pot.

27 Je fais couper dans le massif à l’Est de la pelouse les lauriers gelés. Ernest se blesse avec la serpe à la main gauche en coupant le tamaris également gelé. On livre foin et paille à la réquisition. On paye la paille à mon fermier Gonin 130 F les 500 K, le foin est payé 250 F les 500 K.

28 Pluie. Dimanche Les du Part viennent goûter et bridger. Marcelle est un peu vaseuse à la suite de la nuit passée à Saincaize avec Marie Thérèse Guillemain.

29 Rogations 1er jour. Procession à la Croix du champ de foire. Après midi, orage et pluie. Comme le temps doit correspondre à celui que l’on aura pour les foins, si le dicton est vrai, ils seront arrosés.

30 Pluie. Marie de Balloy avec 3 filles, les Soultrait avec Nénette, Fafa et Toytot déjeunent avec nous. Marcelle leur fait manger une épaule de porc de sa salaison qui est bonne. Je vais marquer les arbres à tomber dans ma coupe de Valencin 1 ha environ. Il y a 4 anciens, 12 modernes, et 18 cadets soit 34 arbres à vendre à Taillandier.

23.2.11

MARS 1940

1 1er Vendredi du mois. Je communie. Notre curé qui avait annoncé la messe pour 8 h ½ la commence à 8 h ¼. Il est incorrigible. Les Riberolles ayant donné rendez-vous à Simone et à Miette aux Gouttes, ils s’y retrouvent pour déjeuner. Ils apprennent l’annonce d’une huitième grossesse pour Zabeth.

2 -3°. La baronne de Rouville vient chercher légumes, volailles, eau de vie de prunes de chez Chérut. Marie Thérèse Guillemain dîne avec nous et accompagne ensuite Marcelle à la gare de Saincaize pour y passer la nuit.

3 Marcelle ayant beaucoup de peines à trouver des dames quêteuses pour son œuvre des églises pauvres, se rabat sur des jeunes filles et emmène à Nevers Guiguite Le Sueur et Anne de Rouville.qui sont enchantées de promener des bourses parmi les chaises de la cathédrale.

4 -4°. Ma métayère de Callot se plaint de ne pas avoir une écurie où elle puisse faire couver ses poules à l’abri des gros rats. Aussi j’entreprends à Lavergne un plafond pour celle qui est près de l’abreuvoir. Ce sera une assez grosse dépense, mais quand on est content des gens, il faut aller au devant de leurs désirs.

5 -4°. Nous déjeunons à Dornes, ce qui est toujours un plaisir pour moi, nous trouvons les trois filles, Gaspard en permission habillé en capitaine du 8ème Chasseur à cheval, sa femme avec des cheveux couleur de filasse et leur fils Denis.

6 -4°. Marcelle part pour Paris, afin d’assister à la réunion de la ligue LACF. Elle descend Bon Hôtel 42 rue Vanneau, où elle doit retrouver Cécile venue de Rennes pour le même motif. Le capitaine Godemel en tournée d’inspection à Moulins vient voir son garde Jeanty. Je fais brûler sur le Pied Prot les herbes sèches pour faciliter la fauchaison.

7 -5°. Avec deux hommes, je fais brûler les herbes dans les craies, quand il pleuvra là dessus, les brebis y trouveront une meilleure nourriture. Le journal annonce que la cocotte est à St Parize.

8 -7°. La terre est si gelée qu’on ne peut pas la herser. Marcelle revient de Paris et Cécile retourne à Rennes, toutes deux contentes de la réunion de la LACF où sous la présidence de la Comtesse de Curel qui est sur l’estrade avec ses bottes de caoutchouc, entourée de grandes dames. Elles ont entendu de beaux discours de l’abbé Michel. Belle cérémonie à Montmartre.

9 Le cocker Mahmoud meurt. Pendant de longues années, il a été le compagnon de chasse d’Augustin et Hervé, très bon chien de garde, il va être remplacé dans cette fonction par Truc, âgé de 11 mois. Tous les matins Mahmoud m’attendait sur le perron pour avoir une friandise.

10 Dimanche. Grande messe dialoguée et explicative avec l’aide d’un prêtre sergent, cantonné à St Pierre. Vêpres de même. Les Jacistes au nombre de 18 donnent le bon exemple. A 8 h ½ du soir, Marie Thérèse Guillemain vient chercher Marcelle pour aller passer la nuit à Saincaize.

11 Nous avons la visite des Chalvron et de Gilberte Adenot avec deux enfants.

12 Pluie. Marcelle va voir Madame Barrière qui a chez elle sa belle fille née Bordeaux Montrieu, elle l’a trouvé agréable. Madame Turc est souffrante.

13 Pluie. Nous allons déjeuner à Buy pour tenir compagnie à Marie Thérèse qui se morfond toute seule, ne pouvant pas sortir n’ayant plus d’auto. Visite aux Le Sueur en revenant.

14 Nous assistons à Nevers à la bénédiction des ornements d’église par Monseigneur. Yvonne quitte Bulhon qu’elle habite depuis 7 mois, déjeune aux Gouttes en passant et nous arrive pour dîner avec ses deux charmantes petites filles.

15 -3°. Madame de Sansal et Miette viennent voir les petites Valence et restent dîner avec nous.

16 -4°. Yvonne part à la première heure pour Rennes. Mes arrières petites filles vont me manquer. Jacqueline aux yeux noirs est très caressante et se permet de tirer ma barbe. Monique a les yeux bleus.

17 Dimanche des Rameaux, beaucoup d’hommes à la messe, procession à la croix du champ de foire. Antoine Clayeux est rappelé et versé dans un escadron de cavalerie commandé par Maurice Robert à Moulins.

18 +18°. Visite des dames Grincour. Après elles, arrivent les Edmond Clayeux allant aux Gouttes en revenant de Tours où ils ont assisté à l’inhumation de Mme Monnier.

19 Pluie. Mon métayer Roy me conduit dans son auto au Lieu Maslin pour y chercher du seigle de printemps de semence. Je suis heureux de voir un bon cheptel et des gens qui ont l’air de faire leurs affaires. Lettre de Cécile, les Valence ont fait bon retour.

20 On coupe tous les lauriers qui sont autour de la maison, car ils sont gelés, c’est bien laid. Un cèdre sur la pelouse également gelé. Réponse d’un métayer à un garde qui lui faisait une observation parce qu’il chassait : Je suis métayer et j’ai la moitié du gibier comme des vaches !

21 Jeudi Saint. Il est de coutume que les femmes fassent leurs Pâques ce jour là. Il en est venu 80 environ et pas mal de jeunes filles. Hier Marcelle a conduit M. le curé à Moiry pour qu’il donne la Sainte Communion à plusieurs impotentes. A l’office du soir, pas mal de monde. Le reposoir fait dans la chapelle du Sacré Cœur était joli, Marcelle l’avait décoré avec des fleurs d’arum très bien imitées.

22 Pluie légère. Vendredi Saint. Nous allons à l’office à 8 h ½ et à 4 h1/2 M. le curé vient dire le chemin de la croix à Moiry où la pseudo chapelle est pleine à 8 h ¾ est pleine. Marie Thérèse Guillemain prend Marcelle pour l’amener passer la nuit à Saincaize où elle dort copieusement selon son habitude.

23 Samedi. Une vingtaine de scouts amenés du Petit Saint Cyr par Antoine de Sansal campent dans le parc. Ils dressent cinq tentes de différentes couleurs, chacune a son fanion.

24 Pâques. A 7 h ½ quand je me lève, j’aperçois les scouts faisant leurs ablutions dans le grenouillat qui est devant la cuisine, tous ayant comme tout vêtement leur culotte courte. Le thermomètre consulté annonce 5°, j’en ai froid dans le dos. A 8 h ½ j’assiste à la messe dite des hommes, ce qui ne m’était pas arrivé depuis bien des années et je suis agréablement surpris de voir autant de monde s’approcher de la Sainte Table. Mes 3 métayers, mes maçon, charpentier, taupier etc. Il est vrai que 99 % de tous ces gens ne reviendront plus à la messe avant le 2 novembre. En tout cas cela prouve qu’ils n’ont pas de respect humain. Les Jacistes étaient au nombre d’une vingtaine. Bonne musique, chants, violons. A midi 1/2 nous recevons par TSF la bénédiction papale chez les Le Sueur. A 3 h, vêpres avec chœur de jeunes gens et jeunes filles. Les scouts vont et viennent autour de la maison, cela donne de l’animation. Simone a dû aller hier à Lunéville faire une visite à Hervé. Je ne dis jamais rien de la politique, je fais exception aujourd’hui pour dire mon gros cœur et mon découragement en voyant la conduite des F M (trois points au sommet d'un triangle) qui nous gouvernent et qui laissent vivre un ministère formé par Paul Reynaud et qui a eu une voix de majorité, nous retournons au front populaire. Hitler doit se frotter les mains. Visite des Rouville avec leurs enfants et du Cdt Bouchacourt.

25 Pluie. Suzanne Le Sueur vient prendre une tasse de thé avec Marcelle qui la trouve très gentille.

26 Nous allons faire des commissions à Nevers pendant que les scouts vont à pied déjeuner à Luthenay. J’avais demandé du charbon à Mars, j’en obtiens 500 k et quand en reviendra-t-il. A Nevers c’est pareil. Pour la viande on est aussi très rationné, les boucheries sont fermées les lundis et mardis.

27 Pluie. Comme il pleuvait, les scouts ont fait rôtir dans notre cuisine un morceau de porc frais qui leur coûtait 78 F et comme ils ne l’ont pas laissé assez longtemps dans le four, il était tout saignant. Le soir feu de camp sur le Pied Prot de 9 h à 11 h. Il n’y faisait pas bien chaud. Pas mal de jeunesse venue de Saint Parize.

28 -3°, neige. Foire à St Pierre, peu de bêtes, cours très élevés sur les vaches à veaux. Vincent en vend une 6 000 F. Renaud me rembourse ce que je lui avais avancé pour acheter du cheptel lors de son entrée au Lieu Maslin en 1935, ce qui prouve qu’il fait de bonnes affaires et qu’un fermier non mobilisé doit payer ses termes. Les scouts nous quittent, heureusement pour eux car il fait froid.

29 Les Mollins viennent goûter en nous amenant Miette et Simone de Riberolles. Cette dernière arrive d’un village proche de Lunéville où elle a passé 3 jours avec Hervé, mangeant au Mess des officiers.

30 Pluie froide. Marcelle va voir Gabrielle de Rouville qui est seule à Planchevienne.

31 Hervé en permission, nous arrive pour dîner avec Simone. Il a un peu maigri, mais la mine est bonne. Guillaume du Verne chasse chez Le Sueur et Suzanne passe l’après midi avec nous.

22.2.11

FEVRIER 1940

1 Edmond ayant à retourner à Clermont nous dépose Geneviève, Marguerite, Guiguite et moi-même à Bulhon. J’y apprends la mort de Madame d’Anchald âgée de 77 ans. Je vais lui donner de l’eau bénite. Edith me dit que nous allons déjeuner chez Madame du Voir. Père mère et enfants de 4 mois leur sont arrivés hier venant de Savoie. Le lieutenant est parti le soir même pour Paris pour prendre les ordres du 2ème bureau auquel il est affecté et qui doit l’envoyer à Lausanne où il séjournera. Retour ce soir de la capitale, sa femme, Yvonne et Dédette vont le chercher à Vichy et toute la famille repartira demain matin. Madame du Voir originaire de la Louisiane, habite la France depuis 6 ans, c’est la meilleure amie d’Yvonne. Monique a bien profité et sa croute laiteuse tend à disparaître. Kiki de plus en plus drôle, elle appelle Augustin Tintin, celui-ci a une passion pour cette petite. Bonne nouvelle d’Hervé. Marcelle arrive.

2 La Chandeleur. Edmond a aujourd’hui 61 ans. Pas mal de monde à la messe. Je m’approche de la Sainte Table, c’est le 1er Vendredi du mois. Jeanne Clayeux qui a loué pour la guerre une maison à St Léon, son fils et sa petite fille Camille qui est en pension aux Genevriéres dînent aux Fougis et s’arrêtent ici à 9 h ½ du soir, faire une petite visite en passant. Comme sa cousine, arrive en vacances des jours gras Gine de Villeneuve.

3 Mon rosaire. Je vais à la Caille, où je vois un bon veau acheté chez Bernigaud un peu plus de 5 billets. Les Fougis viennent dîner. Zabeth a de mauvaises nouvelles de sa mère.

4 Nous rentrons à Tâches, pas de grands dégâts pendant mon absence qui a duré juste un mois. Les lauriers sont gelés. Rien n’a été fait dans les champs qui sont toujours sous l’eau.

5 Nous allons à Bussy, à l’enterrement du commandant d’Ambly, mort à Bourges à 86 ansdans le caveau des La Chaussée. Valérie de Goy fait beaucoup d’insistance pour nous emmener déjeuner à Etrechy. Nous refusons d’abord parce que j’ai déjeuné avant de partir ensuite parce que je veux préparer la vente de la Ravie.

6 Mardi Gras. Pour manger notre dernière dinde nous avons à déjeuner les Rouville, Antoinette Jourdier et les Charles Tiersonnier.

7 Mercredi des cendres qui est bien tôt cette année. Peu de monde à la messe.

8 Marcelle et Suzanne de Rouville passent la nuit à la cantine de la gare de Saincaize, une auto de la croix rouge vient les chercher à domicile.

9 +4°. Pluie. Nous faisons une visite à Fertot, personne. Au Colombier Marie a ses filles Mériem et Solange ses petites filles. Baraudon et la femme d’Henri qui a elle-même 3 filles.

10 Pluie à torrents. Nous allons à Nevers, foire nulle, 9 bovins en tout. Madame de Lescure paye Marcelle pour Janvier.

11 Dimanche. Les Pierre de Rouville, les Massias, et les Marcel Gozard viennent faire un bridge, la dernière dame enchantée de jouer avec des Baronnes. Visite des Gabriel Mathieu.

12 Neige. Je trouve qu’Hervé a été magnanime, ayant eu une assez forte bronchite, il aurait pu avoir quelques jours de convalescence qu’il n’a pas pris parce que des officiers manquaient à sa compagnie. Retour du froid, il neige.

13 Neige. Je vais à la grande messe à St Parize où il y a l’adoration perpétuelle. Peu de monde pour entendre M. le curé de Chantenay venu pour la circonstance, les jeunes filles du chant et seize femmes. Hervé est proposé pour passer Lnt et nommé adjoint au Commandant de Goy, avec attribution d’un cheval, ce qui le comble de joie. Pendant que Marcelle était à la messe, malgré le garde feu, une étincelle saute sur son lit qui est fait dans l’angle du petit salon et enflamme couverture et drap heureusement j’arrive et j’éteins ce commencement d’incendie qui aurait pu être bien grave.

14 Neige fraîche. Je vends le veau de ma Normande 125 k 1 310 F.

15 Bien que les routes soient très mauvaises, nous allons à Nevers, mais nous ne poussons pas jusqu’à Luanges où nous sommes invités à goûter. Miette va bien, mais Marie Antoinette est au lit avec la grippe, il y en a beaucoup en ville.

16 Marcelle et Suzanne de Rouville passent la nuit à la cantine de Saincaize.

17 Neige, dégel. Il neige une partie de la nuit en abondance et à 7 h le dégel commence ce qui donne des torrents d’eau. A 10 h enterrement de Jean Baptiste Blot 61 ans. Depuis longtemps il était dans le gâtisme.

18 J’essaye de vendre La Ravie âgée de 22 ans, le taillis seulement par lots de 5 000 m² à 0.05. J’en fais 36 lots, il ne vient que cinq acquéreurs. Je donne le premier lot à Cour fermier des Hauts de Bord pour 350 F, les lots suivants à 265 F l’un.

19 Déluge. Il y a de l’eau dans la cave aux vins ce que je n’avais jamais vu. Nous avons à déjeuner Madame de Sansal, Simone, Miette, le capitaine Bernard de La Brosse nouvellement promu et le Maréchal des Logis Jacques tous deux en permission à Planchevienne. Bernard a fait une demande pour aller combattre en Finlande, où il y a -30°, cela le changera du Maroc, sa femme est à Laverdine où elle attend une seconde fille. Il arrive de Mont de Marsan où il a 4 chevaux de course à l’entraînement.

20 Rien à signaler.

21 Marcelle va à Nevers, emmenant 3 jeunes filles à une conférence religieuse.

22 Foire à St Pierre. 7 châtrons en tout qui se vendent bien. Les Massias viennent chercher Castillo un basset corniaud que Cour m’a donné, qui chasse comme un cocker c'est-à-dire sans crier. Guillaume du Verne tue deux lapins aux Queudres.

23 Claude de La Brosse met au monde à Laverdine un héritier mâle, à la grande joie de Bernard qui l’appellera Etienne. A Callot une belle vache de 4 ans met bas et crève quelques heures après. 4 500 francs perdus. Marcelle passe la nuit à Saincaize.

24 La comtesse de Roüalle installée à Nevers dans la maison du Daude Lagrave, donne un grand goûter avec des monceaux de gâteaux comme avant guerre. Présence des Pazzis, Servois, Pinet, Savigny,Mollins, Ganay, Raoul d’Anchald que je suis étonné de voir là car il a enterré sa belle sœur il y a 15 jours, mais cela ne compte plus. Je crois qu’à ce goûter, seule Marcelle jeûne. Je verse 10 000 F au percepteur, bien que je n’aie pas encore reçu de bordereaux. On lit sur les murs de la ville des réclames communistes écrites à la craie.

25 Nous allons voir les Mathieu à Vallière, où nous arrivons en bateau, l’Allier est en crue et il s’en est fallu de 10 centimètres pour que l’eau n’entre pas dans la maison.

26 Marcelle va charitablement mener la fille Blanzat à l’hôpital de Nevers.

27 Mes métayers commencent à semer de l’avoine. Je vends des châtrons à Château, cours élevés.

28 Pluie. Je plie des papiers et j’écris des adresses pour la quête des églises pauvres. Cette œuvre dont Marcelle est présidente lui donne beaucoup de peine pour trouver six quêteuses.

29 Année bissextile. Pierre de Barrau prend une année aujourd’hui.

21.2.11

JANVIER 1940

1 -9°. J’ai aujourd’hui 85 ans et je ne m’en porte pas plus mal pour cela, j’en remercie le ciel tous les matins après avoir dormi comme un enfant. Je fais sans fatigue dans la neige une tournée dans les Champs blonds et au taillis d’Orgeat pour voir s’il y a des lapins, il y en a peu, mais encore trop pour l’avenir. Les Hervé nous quittent après déjeuner. Simone doit accompagner son mari jusqu’à Paris où il s’embarque à 22 h pour le front. Pauvres enfants.

2 -7°. Je vais visiter mes domaines d’Azy et je constate avec plaisir que leurs cheptels sont au complet et de bonne sorte. Le taureau que j’ai vendu à Renaud a beaucoup profité.

3 +2°, pluie. Mon rosaire. Le dégel arrive et il fait plus froid dans la maison, aussi nous déjeunons à côté du poêle du vestibule. Après dîner, je joue avec Miette au piquet. Elle s’y met bien.

4 +5°. Marcelle me conduit à Mars où je prends le train de 12 h 50 pour Moulins (coût 14 F en 3ème) où je trouve l’auto des Gouttes. Visite en passant à André qui a la grippe comme beaucoup de gens. A la gare, on me dit que Villaines est au lit, je ne vois que son planton. Le vieux ménage m’accueille avec joie et mon beau frère me dit qu’il m’accompagnera le lendemain à la messe du premier vendredi du mois.

5 Et il sent venir la grippe et ne déjeune pas avec nous. Malheureusement, il a toussé toute la nuit. Le Dr. Dorne appelé ne lui trouve rien de grave. Nuit sans sommeil.

6 +3°. On enterre à Saincaize Madame Edouard Marandat morte à Nevers âgée de 90 ans. René dort mal, mange en tout une soupe à l’oignon, il a surtout la gorge très rouge. Je vais me promener dans la coupe qu’on exploite. La façon de la corde est payée 36 F et vendue 84 F. Les fagots 34 et vendus 44. L’hectare rapporte 3 380. La futaie comprise dans ce prix pour 925 le mètre cube.

7 Pluie. Dimanche. Journée maussade, je ne sors que pour aller à la messe. Mon beau frère est rétabli et une lettre d’Edmond le comble de joie, car il annonce que grâce à ses 61 ans, il sera démobilisé le 25.

8 Pluie. Je monte aux Fougis à pied sous la pluie pour voir Marie de La Boulaye, le ménage Chevallier Chantepie et deux charmantes petites filles. Je trouve le Lnt charmant sous tous les rapports. Marcelle arrive en auto à 4 h.

9 -3°. Perrichon vient acheter 4 bêtes de boucherie très jeunes pour 15 100 F, une taure de 30 mois pesant 530 kilos part pour 3 800 F. Si ces animaux m’avaient appartenu, je les aurais certainement vendus moins chers, car je n’aurais pas osé les faire un prix pareil. Fulgence est un bon vendeur. Je réponds à des lettres de jour de l’an au Cdt Ducrat, à Godemel et à Pierre Tassain.

10 -9°. La Comtesse de Roüalle installée à Nevers pour la durée de la guerre nous invite à un goûter bridge que nous sommes obligés de refuser. Antoine me conduit à Moulins, où je pose une carte chez Mesdames d’Orcet et de Champeaux. Je trouve Cécile Tiersonnier qui me raconte en détail le mariage de Colette avec un officier Anglais actuellement aux Indes. C’est du roman. Elle a chez elle son fils Jean et sa femme. Je fais la connaissance de ce jeune ménage qui est très agréable. Il revient du Maroc. Jean qui est Lnt va partir pour le front et sa femme qui est née Smicht pour l’Alsace où elle va voir ses parents. Au retour Antoine me fait faire sa tournée d’essence, nous passons à Souvigny, Noyant, Besson, Cressanges, St Pourçain Varennes. Il fait un froid noir car le vent de NE est très grand.

11 -12°. Toujours le vent du Nord Est qui vous déshabille aussi je ne sors qu’un quart d’heure devant la salle à manger le temps de dire un chapelet au soleil. Nous emmenons Geneviève déjeuner à Bulhon, où nous arrivons ¾ d’heure en retard, on part toujours après l’heure prévue et les magasins de Vichy ont beaucoup d’attrait. Les Riberolles vont bien et Yvonne est tout à fait chez elle. Dédette a adopté jacqueline qui couche dans sa chambre et Monique dans celle de sa mère. Cette petite pèse 6 livres ½ elle a de l’impétigo sur la figure, en voie de guérison. Edith a transformé sa chambre en petit salon où l’on se tient car il y fait plus chaud que dans celui du bas. Dans la galerie il fait bon. Les d’Anchald et les Colin viennent goûter.

12 -13°. Je fais une tournée agricole aux Deux Villes et aux Bruyères. Dans ce dernier domaine il y a un basse-courier, les métayers étant partis avec la guerre. Je réponds à une très aimable lettre de Mme de Savigny écrite pour me faire des compliments au sujet du mariage d’Hervé. Les Gaby de Villeneuve et leur fille viennent dîner et coucher.

14 -12°. Dimanche. A la grande messe un seul homme en dehors des Gouttes. Je visite le domaine des Joncs qui est fort bien tenu. Il a récolté 1250 mesures de blé et vient d’en semer 86. Marcelle part pour Tâches avec son auto. Elle doit dîner à Planchevienne et prendre ensuite la garde à la cantine avec Suzanne de Rouville.

15 -12°. Gaby et Guiguite prennent à 5 h du matin un train à St Germain des Fossés pour aller passer la permission de détente à Nice chez le frère de Gaby. Après dîner, mon beau frère nous dit : quand je marchais davantage j’avais meilleur appétit, or il venait de manger deux grosses assiettes de soupe à la citrouille, une tranche de gigot sur du riz, des salsifis, un chou à la crème une poire et une pomme. Je visite le domaine des Florets, le cheptel est bien tenu quoique le vieux métayer soit seul pour le soigner. Il commence le pansage à 4 h ½ du matin.

16 Neige. Au domaine de Chaudenot où je vais aujourd’hui, la situation est la même. Il y a beaucoup de paille, ce domaine ayant fait 1400 mesures de blé. Lettre d’Edith qui nous dit que le 15 Yvonne, Dédette accompagnées de M. de Larouzière sont allées faire du ski au Mont d’Or.

17 Neige. Il fait un froid : à 4 h du soir, - 13° au jardin. Je ne mets pas le nez dehors. Mon contemporain Jules de Lavesvre meurt à Clamour après de longues et très cruelles souffrances.

18 -17°. Le froid s’accentue. Il y a +10° dans la salle à manger pendant que nous déjeunons malgré le calorifère chauffé à bloc.

19 -17°. Malgré le froid, je fais le tour du parc.

20 -27°. Depuis 1879 l’on n’avait pas enregistré un froid pareil dans ce pays. +8° dans la salle à manger. Je monte jusqu’à la bergerie.

21 Neige, -14°. Dimanche. Marguerite arrive de Tours, à la gare de Moulins, elle entend la messe à 7h ½ et part ensuite dans son auto. Au tournant de la route de Chapeau, la voiture dérape dans la neige et se couche dans le fossé sans faire aucun mal aux voyageurs. Heureusement pour Marguerite, M. de Dampierre passe peu de temps après et la ramène ici. Dans l’après midi, les chauffeurs des Gouttes et des Fougis munis de fagots, de pelles et de pioches, aidés des métayers du voisinage réussissent à sortir l’auto de son fossé et de la ramener coucher dans son garage.

22 Journée sans histoire. Quelques flocons de neige. St Vincent, l’hiver se reprend.

23 -17°. Lettre de Marcelle que j’attendais demain pour me ramener, qui me dit qu’avec le froid qu’il fait, je suis bien mieux aux Gouttes qu’à Tâches et qu’elle ne viendra que le 30. Elle a peut-être raison.

24 -14°. Edmond atteint par la limite d’âge (61 ans) est renvoyé dans ses foyers, il nous revient de Belfort par Paris. Son bataillon composé de mille hommes lui fait des adieux touchants. D’abord le général l’invite à déjeuner et après un mot fort élogieux lui donne un charmant dessin à la plume rappelant le 615ème Régiment de pionniers et 1° Bataillon. Lui-même offre à déjeuner à 21 officiers. Au dessert, échange de discours pendant lesquels le colonel verse une larme. Comme souvenirs, ses camarades lui donnent un fanion en soie bleue avec la devise du bataillon en or (coût 800). Quant aux sous officiers, ils lui apportent une magnifique canne. Mon cher neveu qui comme je le connais a dû être la bonté même pour tous est bien récompensé.

25 -14°. Les Edmond partent pour Clermont où le commandant doit être démobilisé et déjeunent en passant à Bulhon. Les Villeneuve reviennent de Nice.

26 -13°. Les Edmond reviennent de Clermont en déjeunant de nouveau à Bulhon d’où ils me ramènent de bonnes nouvelles. M. Clayeux a épousé en octobre 1813 Melle Maslin qui avait 16 ans à St Parize le Châtel, M. Maslin son père étant maire de cette même commune est mort en 1821 et a été inhumé à St Pierre.

27 Dégel. Zabeth va à 2 h du matin chercher à la gare de Moulins Antoine retour de Paris. Il y a un tel verglas qu’elle laisse sa voiture sur la route avant Pamloup et va coucher à l’hôtel d’Enghien. Le château de Mirabelle aux Dubois de La Sablonnière. Le feu a pris au premier étage dans la chambre de l’institutrice. Marcelle déjeune à Luanges et partage avec les Massias et les Rouville un cochon de 120 kilos.

28 Dégel. Dimanche. Les Fougis viennent dîner. Zabeth est très inquiète de la santé de sa mère.

29 Colombier marchand de chiffons à Nevers a acheté dernièrement le château de Sauvigny. Après l’autre guerre, il s’était déjà rendu acquéreur du gros domaine de la Chaume Milon. Cet Auvergnat venu dans notre région portant toute sa fortune au bout d’un bâton dans un mouchoir plié en 4 a bien su s’enrichir. En 1918, le camp Américain dans lequel il a trafiqué tant qu’il a pu, a bien été pour beaucoup là dedans.

30 Pluie. Lettre de Marcelle qui me raconte que par le verglas, elle a mis 2h ¾ pour conduire ses métayères au marché de Nevers.

31 Pluie. Je fais le tour par l’allée de la Griotte et les Deux Villes par temps doux. Geneviève m’invite à diner avec les Maurice de La Geneste et l’inséparable Catherine Puzenat. Je refuse ne sortant plus le soir.

20.2.11

DECEMBRE 1939

1 +13°. Louis Roy vient en permission. 1er vendredi je m’approche de la Sainte Table.

2 Roy sème du blé dans de la patouille. Un téléphone des Gouttes où Miette a conduit Cécile m’annonce qu’Hervé aura sa permission le 15 et qu’il espère bien se marier.

3 Dimanche. Nous avons deux tables de Bridge avec les Pierre de Rouville, les du Part et les Guillaume du Verne.

4 Pluie. La Normande a son veau. Marcelle conduit Mesdames de Rouville faire une visite à Limont aux Maumigny.

5 J’ai une fille qui ne perd pas son temps. A 2 h ouvroir à St Parize, à 4 h prière à Moiry, de 9 h du soir à 9 h du matin, service des poilus à la cantine de la gare de Saincaize où elle se rend avec Melle Thonnier. Malgré tout cela son curé trouve le moyen de lui dire des choses peu aimables.

6 Marcelle va voir Madame de Montrichard qui a une petite santé et qui ne quitte guère sa chambre.

7 Mesdames de Rouville viennent prendre Marcelle pour qu’elles les accompagnent faire une première visite à Madame Le Sueur. Pierre reste giberner avec moi. Il m’est très sympathique. Je fais rouler de la pierre sur le chemin du domaine qui en a bien besoin. Elle provient des baraques du camp et me revient moins cher que celle de la carrière qui coûte 31,50 le mètre cube.

8 Pluie. Je communie en l’honneur de la fête de la Sainte Vierge.

9 Pluie. Cécile nous annonce la venue au monde d’une autre petite fille, sans trop de souffrances pour Yvonne. Passons la journée à Nevers, déjeunons chez Madame de Sansal, qui a reçu une dépêche d’Hervé disant qu’il ne viendrait que le 20. La messe de mariage aura lieu le 23. Ces dames vont chez M. le curé de St Pierre pour en régler la marche. Vu l’abbé Jean du Verne mobilisé, il porte un affreux collier de barbe. Goûter chez les Mollins aussi somptueux et nombreux qu’avant guerre. Vu là, Madame de Courtois, charmante fille du Général Boigues. Jeanne Lesage a mis au monde à Boulogne son 8ème enfant un garçon.

10 Nous goûtons à Planchevienne avec les Massias.

11 Madame de Sansal vient avec Pigounay chercher la voiture d’Hervé. Marcelle va voir Madame Sanglé Ferrière. La Polonaise du Pied Prot, met au monde une quatrième fille.

12 Gonin sème du blé dans le bas des Craies.

13 Il tombe quelques flocons de neige par -2.

14 Marcelle accompagnée de Melle Thonier passe la nuit à la cantine de la gare de Saincaize. A 3 h, elle fait le catéchisme aux enfants de Moiry et ensuite les prières pour la guerre.

15 -3°. Marcelle va à Nevers déjeuner chez Madame de Pardieu et essaye sa robe de noces.

16 -5°. Ma Normande s’étrangle avec un morceau de betterave. Je fais venir Batrian qui avec un instrument ad hoc lui débouche le gosier.

17 Ferdinand de Rouville qui fait de l’agriculture dans la Mayenne vient me prendre avec ses deux frères pour que je leur montre des plus belles exploitations de notre pays. Je les mène à Beaumont où nous admirons les beaux cheptels de Ratheau et les 3 veaux reproducteurs achetés récemment chez Goby. Nous allons ensuite à l’Isle chez Blond. Nous voyons là un ensemble remarquable de 125 bêtes dont un taureau qui a eu au mois de mars le prix d’honneur au concours de Paris et qui pèse 1 300 k. La journée se termine par un bridge à Planchevienne.
18 Pluie. Nous avons la joie de voir arriver Hervé qui nous amène Simone. Bien qu’un peu enrhumé il a bonne mine, ce qui prouve que l’homme des tranchées est comme celui des cavernes, la vie au grand air lui convient. Il fait signer sa permission à la gendarmerie de St Pierre.

19 Pluie. Les Riberolles nous arrivent à 3 h, Hervé ½ h après. Il tousse pas mal. On le couvre de ventouses. Bonnes nouvelles d’Yvonne et de ses filles.

20 Déjeuner de contrat chez Madame de Sansal, avec sa mère Madame Vuillemin, très aimable vieille et son fils que les neveux appellent M. Tonton et qui est un peu simple. A 2 h ½ signature du contrat, à 4 h mariage civil, je sers de témoin à Hervé. Marcelle lui donne une jolie mallette de voyage avec flacon, brosses, rasoir. Moi de l’argent.

21 -3°. Par un beau soleil, mariage d’Hervé à St Pierre, Simone charmante dans sa robe à longue traîne. Bon discours du curé qui dit que les noms de Riberolles et Sansal sonnent comme du cristal. Beaucoup d’amis viennent à la sacristie apporter leurs compliments. Déjeuner assis à l’hôtel de France, 50 couverts, beaucoup de jeunes filles, peu d’hommes, menu exquis, foie gras, langouste, dinde truffée, grands vins. Vers d’Augustin qui font verser quelques larmes. Au retour, Louis de La Brosse prend ma place dans la voiture de Marcelle et je reviens dans celle de Geneviève Clayeux, nous passons par Decize pour voir Gaby qui est au lit avec une bronchite. Je signale la présence de Louis de Riberolles avec leurs deux filles, de Madame Siraudin avec sa belle fille, de Madame de Nadaillac qui était ma voisine de table etc.

22 Cécile retourne à rennes. Loin de la Bretagne, rien n’existe pour elle. Augustin et ses filles dînent à Nevers chez Mme de Marcy et vont ensuite au cinéma voir jouer le 3 de St Cyr. Visite de Gabrielle de Rouville. Vente des dindes 5 F la livre.

A Simone et Hervé pour leur mariage

Simone, Hervé, tous deux nés pendant l’autre guerre,
Vous fondez un foyer à l’heure des combats.
S’élevant bien plus haut qu’un sentiment vulgaire
L’amour dans les périls grandit, ne s’émeut guère
Car sa flamme s’épure et ne vacille pas.

Entre vous se dressait la tragique barrière
Vous comptiez les longs jours vous séparant
Mais l’espoir vous versait sa divine lumière
Toi le mâle officier, Vous la douce infirmière
Vous serviez le pays chacun à votre rang.

Ce foyer naît enfin, que le ciel le protège !
Qu’il rayonne toujours plus clair, plus réchauffant,
Malgré l’hiver, malgré le froid, malgré la neige,
Malgré la guerre dont la tourmente l’assiège,
Dieu voudra le garder pour vous, mes chers enfants.

N’entend il pas l’appel de vos pieuses mères
Qui monte aux pieds des autels vous protégeant
Par le saint bouclier des vœux et des prières
Le jour où vous offrez vos noces printanières
Comme un bouquet de fleurs à leurs noces d’argent.

Marchez vers l’avenir unis par la tendresse
Vous prêtant l’un à l’autre un mutuel soutien
Aux durs instants d’épreuves, aux heures de détresse
Et que devant vos yeux, pour vous guider, se dresse
Votre idéal, celui d’un mariage chrétien.

Bientôt, quand fleurira de nouveau la victoire
Hitler étant vaincu, Gamelin triomphant
Quand règnera la paix au beau pays de Loire
Nous verrons revenir Hervé couvert de gloire
Et Simone sourire à leur premier enfant.

23 Les Riberolles déjeunent aux Gouttes en retournant à Bulhon. Avec Louis nous allons à Nevers. Je paye l’église, les chants et les fleurs de la noce. Je me confesse à Mgr Garry

24 Dimanche. En l’honneur de Louis, nous avons à goûter deux ménages Rouville, les Mollins, les Massias, les du Part.

25 Noël. Je m’approche de la Ste Table avec Louis et beaucoup d’autres personnes à la messe de 8 h, pas de messe de minuit. Marcelle emmène Louis visiter Bonnay, Poncerait, Fontallier.

26 Nous menons Louis à Planchevienne où il reste faire un petit séjour. Je livre à la réquisition à St Pierre 2 100 k d’avoine qui est payée 90 F les 100 K.

27 Foire de St Pierre à peu près nulle. Les petits de Rouville et Guite Le Sueur déjeunent avec nous. Ils aident ensuite Marcelle à arranger dans la boulangerie un arbre de Noël pour les 22 enfants qui vivent sur la terre de Tâches, chacun emporte un modeste jouet. Carte postale d’Hervé datée de Cannes. Jean de Valence est à Bulhon en permission de 12 jours. Son Régiment a quitté les environs de Colmar pour ceux de Lunéville.

29 De minuit à 3 h du matin, il tombe 20 cm de neige. Je n’en avais jamais tant vu. A 8 ½ du soir Marcelle va prendre Suzanne de Rouville pour passer la nuit à Saincaize.

30 -5°. Nous allons à Nevers en faisant du 30 à l’heure. La neige cirée rend les chemins impraticables. Marcelle va voir Gaby à l’hôpital, sa jaunisse touche à sa fin. Il couche dans une grande chambre commune à tous les soldats, pas de drap dans les lits. Pour se distraire il joue à la belote.

31 -13°. Dimanche. A peu près personne aux deux messes. Les gens de ce pays craignent la neige. Les Hervé et Miette nous arrivent pour dîner venant de Bulhon en passant par les Gouttes, où il y a eu 23° au jardin.