30.8.10

JUIN 1943

1 Je fais une tournée aux Petites Granges, en voiture bien entendu. 25 gamines de l’école libre font par ordre, une tournée dans les champs de pommes de terre pour ramasser les doryphores. Au passage, Marcelle leur offre un fromage blanc.

2 Pluie. Depuis quelque temps, je perds à Callot et à Tâches des veaux de 14 à 15 mois. Nous mettions cela sur le compte de l’entérite. J’en ai parlé à mon vétérinaire Richard, qui a envoyé de la fiente de deux taures qui n’ont pas fait leur poil et qui n’ont pas profité depuis leur mise au pré, à son collègue Mongy qui a installé à Nevers un laboratoire très moderne pour en faire l’analyse. Celle-ci a trouvé de cesophagostomose, maladie inconnue jusqu’à ce jour et pour laquelle, ils ne connaissent pas de remède. Ils vont chercher. C’est gai ! Le même Richard est humilié, car après avoir traité le cheval Negro pour un effort de tendon, le maréchal Mérot lui a trouvé un abcès dans le pied. Reçu lettre très touchante de la Marquise de Chargères.

3 Pluie glaciale. Ascension. Pas mal d’hommes à la messe. Marcelle va faire une visite à la Chasseigne, où elle trouve la comtesse ramassant les doryphores dans son jardin.

4 Premier vendredi du mois. Je m’approche de la Sainte Table. Louis, Yvonne, André et Philippe Roullet nous font part de la naissance de leur sœur Anne. Je loue la maison du Pied Prot, à un vieux ménage, Grisotte, hors d’âge qui ferait mieux chez les petites sœurs des pauvres que chez moi, mais ils doivent amener une vache bien que je leur ai fait observer qu’il n’y avait pas d’eau. Louis Pinet en tournée d’assurances s’arrête en passant. Nous le gardons à dîner, repas qui lui coute moins cher que son déjeuner à St Pierre chez Burdin, cout 200 dont la bouteille de vin 65.

5 Beau temps, je bine le maïs planté dans le jardin du Pied Prot par Marcelle qui entreprend trop de choses pour les entretenir convenablement.

6 Dimanche. Temps gris. Notre cuisinière qui devait aller passer quelque temps à La Baratte pendant que nous avons Michelin et venir au secours des du Verne qui n’ont personne, ne peut partir, elle a un très fort mal de gorge.

7 Lundi. Décidément notre maison de Nevers était destinée à une bonne œuvre, ce matin l’abbé Bucheton me la demande pour y installer ses services. Mon métayer Michel qui ne bouche jamais ses clôtures a laissé ses juments aller manger l’avoine de Taillardat qui vient se plaindre à moi, je n’y peux rien qu’en souffrir plus souvent que lui.

8 Antoine vient au ravitaillement et cherche des œufs frais pour Hubert. Madame de Montrichard vient gouter avec Marcelle.

9 Marcelle se paye une petite folie, elle achète six agneaux pesant 21 kilos à 680 F la pièce, elle en laisse deux à Michel qui les nourrira pour 600 l’un, les 4 autres lui reviendront à 720 pièce, c’est pour rien ! Madame de Saint Blanquat a vendu pour 1200 F une oie engraissée en Périgord.

10 C’est Jeanne de Mollins venu passer la journée avec nous qui nous raconte ça. Elle arrive du bord de la Garonne, où ses parents ont des châteaux tous plus grands les uns que les autres.

11 Lavergne vient badigeonner la maison du Pied Prot qui se blanchit bien mal.

12 Marcelle va à Nevers par le car. Elle dit à Madame de Sansal, au sujet de la clinique de la rue Hoche où Simone doit aller pour ses couches, ses craintes sur cette maison d’où Madame Dervault née Candolle est sortie avec de l’infection et la chose se renouvelle ces jours ci pour Aline Bertin.

13 Pentecôte. Première communion à St Parize. A 1 h ¾ mon vétérinaire Richard à défaut de toute autre voiture roulant le dimanche, nous amène de la gare de St Pierre, Roger retour de Vichy où il a été présenté au Maréchal avec les 10 plus vieux Maires du département dont d’Anchald est le doyen. Il nous raconte longuement cette réception et nous parle du discours de Laval prononcé pendant le banquet. Celui est très laid, commun, mais très énergique et disposé à corriger sévèrement les 22 ans qui ne se sont pas présentés quand on les a appelés.

14 Je passe une agréable journée avec Roger, car avec lui je peux parler de l’autrefois.

15 Marie Thérèse de Buy m’envoie Etienne et sa ponette pour conduire Roger prendre le train de 13 h à St Pierre. Nous avons à dîner un père chapelain de Paray le Monial venu à St Parize pour une journée de récollection prêchée aux ligueuses. Il constate que dans l’ensemble de la France, la foi est en décadence.

16 Marcelle va à St Pierre suivre la journée de récollection. Hervé m’écrit aussi que dans son milieu, la foi progresse en sens inverse de ce qu’il désire.

17 Pluie 30 mm. Sous une pluie battante, les du Part nous arrivent à bicyclette pour déjeuner. Peu après eux, l’abbé Jean du Verne et Simone descendent de l’autobus. Ce n’est pas sans crainte que je vois arriver cette dernière qui est sur le point d’accoucher, car ce n’est pas avec mon âne que je pourrai la conduire à la clinique. Lettre de Dédette qui nous dit, sans donner de date, qu’Yvonne a su que Jean était à Rabat.

18 Une carte du Lt de la Chapelle prisonnier, adressé ici à Yvonne dit que le 20/4 Jean allait très bien. Ces deux nouvelles me font plaisir.

19 Lettre d’Yvonne qui entend aussi parler de Jean par le Colonel de Contenson mais sans date. Après dîner, je fais une tournée dans les Craies avec mon âne, accompagné de Marcelle. Grâce aux dernières ondées, l’ensemble des récoltes est bon. Le ménage Grisolle prend possession de la maison du Pied Prot.(Mention marginale : Normande 19 mars)

20 La Trinité. Peu de monde à la messe, mais beaucoup de maîtres et de valets sur la place.

21 Pluie. Je vais à l’enterrement du père Barillet mort à 82 ans après une longue maladie, c’était un bien brave et très honnête homme avec lequel je n’ai eu que des rapports agréables pendant les nombreuses années où il a été mon métayer. Guite de Sansal déjeune avec nous et emporte des framboises pour faire des confitures.

22 Roy fauche le pré de la Joie où il y a beaucoup d’herbe.

23 Marcelle va à Nevers par le train de 7 h ¼ pour suivre une journée de retraite prêchée chez les Petites Sœurs de l’Assomption. Elle déjeune chez Marie Antoinette avec la Comtesse Lafond et Mériem de Martinprey. On me rentre du foin qui est rien moins que sec, mais maintenant tout se fait à la galope.

24 Saint Jean. Lettre d’Hervé qui est bien découragé, parce qu’on emmène tous ses jeunes gens en Allemagne. Lettre d’Yvonne qui a eu des nouvelles de Jean du 29 mai par les Contenson via Suisse. Les René Musnier nous font part du mariage de leur fils Serge avec Melle Claire Bourdet Pléville. On me rentre 4 chariots de foin pour l’hiver, Roy 2, Chicon 1, Michel 1. Il y en a 8 dans le fond du pré de la Joie.

25 Lettre d’Hervé, qui m’envoie deux photos de ses jeunes travaillant dans les bois. Il est bien découragé parce que 34 d’entre eux partent pour l’Allemagne.

26 Suzanne Le Sueur vient manger avec nous une excellente pintade aux choux, elle est très inquiète sur le sort de son fils revenu à Villars après avoir été réfractaire à l’appel par les Boches des jeunes gens nés en 1922. Nous recevons une lettre de part du baron Yves Jallot mort à 51 ans, il laisse 8 enfants. Château de La Vrolais. Le Louroux Béconnais Maine et Loire.

27 Dimanche. Vent Nord Est desséchant qui souffle trop souvent. Suzanne Le Sueur et ses filles allant à Libourne marier un cousin, sont descendues chez les Georges. Elles prétendent que c’est la mère d’Agnès qui est la cuisinière et sa sœur la femme de chambre et qu’elle accepte bien le pourboire qu’on lui donne en partant. Agnès a dit à Suzanne : quand vous verrez la femme d’Antoine, vous lui direz que si elle veut ravoir ses draps de lit, il faut qu’elle vienne les chercher. Il paraît qu’ils sont très fins, ceux qui étaient plus communs ont été renvoyés il y a quelque temps. Les dits draps sont à Libourne depuis l’exode de 1940. Quant au jeune Michel, on ne parle que de ses bonnes fortunes, qui sont nombreuses, paraît-il. Nous pouvons être fiers de ce côté de famille.

28 Roy fauche (4 chariots) le pré de l’étang qui ne l’avait jamais été. Lettre de Cécile qui dit qu’à Rennes, on tremble toujours. J’écris à André.

29 Vent desséchant. Dans la Varenne Callot, betteraves et pommes de terre sont dévorées par les vers blancs. On en a trouvé 14 au même pied. Les Boches font encore une rafle, une rafle de chevaux dans notre canton.

30 Je taille la haie du pré de l’étang le long du chemin qui va au domaine. Visite de Mesdames Soulot et Boursin qui me disent que Tassain est venu relouer son domaine de Moiry à Arbaut.

29.8.10

MAI 1943

1. Pluie 10 millimètres. Marie-Thérèse, le ménage Maurice et leurs filles déjeunent avec nous. Ils nous quittent à trois heures et demie pour aller au cirque à Nevers. Gabrielle de Rouville et sa sœur Braive viennent nous voir entre deux autobus. L’un d’eux m apporte un fut de vin de soixante litres d’Aïn Kala. Les enfants de la propriété commencent le mois de Marie dans le bureau tout fleuri.

2. Pluie. Dimanche. Seize hommes seulement à la Messe, sans compter les Jocistes qui sont très fidèles. La nuit dernière, il est venu des sangliers bouler dans l’avenue. Pour le 11 mai 1943, prix de la viande de bœuf de première qualité, 16 Francs quatre vingt donné par le journal ( La Terre Nivernaise ).

3. Je fais une tournée aux Petites Granges ce qui ne m’arrive pas souvent, car je n’ai aucun plaisir à voir mon métayer. Dans la Roche, il y a vingt deux grosses bêtes et quatre veaux dont l’un d’une taure de deux ans. Dans le pré des Langes, il y a neuf taures d’un an, dont deux bien mauvaises. Une truie a neuf petits, une autre jeune est pleine. On tire neuf vaches dont sept ont des veaux. Les récoltes sont claires mais les tiges d’un bon vert. Un hectare est labouré dans les Prolles pour y mettre de la moutarde, mais la graine n’arrive pas. Chaque domaine est mis dans l’obligation de faire un produit oléagineux pour avoir de l’huile. La réquisition en prendra soixante pour cent et vous laisse le reste pour la salade. Mention marginale : Petites Granges.

4. Yvonne prend ses deux ainées dans sa remorque et les emmène déjeuner au Colombier pour retrouver les quatre petites Henri de Martimprey et Mimi Baraudon. Marcelle déjeune à Planchevienne et goûte au Colombier. Je trouve un nid de pintade garni de vingt cinq œufs. J’ai la visite des Antoine Robert. H. Bouchacourt entend à la radio d’Alger Bernard de La Brosse né le 20 juillet (bien portant).

5. Pluie, orage. Deux contrôleurs convoquent à la mairie tous les cultivateurs de la commune, petits et grands, pour les interroger pour savoir s’il leur reste encore quelques grains de blé à livrer pour permettre de faire la soudure. Bien rares sont ceux qui n’en ont pas une dizaine de kilos à livrer et que les ménagères avaient mis de côté pour nourrir les petits poulets. Je sème trente pieds de maïs devant la salle de bain. Yvonne part pour Beaumont avec Kiki, mais elle rencontre Mme Seeplinck et sa fille dans les rues de Saint Pierre et c’est là que se fait la visite. Retour par Fontallier où elles retrouvent Marcelle. Madame Grincour est assez fatiguée et bien maigre.

6. Pluie. J’achète quarante kilos de pommes de terre allemandes pour changer ma semence, ce qui est indispensable si on veut une bonne récolte. Marcelle et Yvonne partent de bonne heure à bicyclette pour Nevers où elles trouvent dans notre maison quatre hommes envoyés par M. Schlecq pour les aider à déménager les chambres du premier étage et à mettre les meubles dans la lingerie et la mansarde qui regarde la place. Les déménageurs cassent la glace de l’armoire de la chambre de Miette. Dans l’étang des Buzonnières, on trouve le cadavre de Roger de Soultrait leur gendre, qui s’y était noyé mystérieusement il y a quatre mois en revenant du Maroc où il avait laissé sa femme et ses enfants.

7. Premier vendredi du mois. Je m’approche de la Sainte Table et je fais planter dans la varenne Calot des pommes de terre boches.

8. Pluie. Monsieur le Curé déjeune avec nous. Chicon me rentre quatre petites cordes de charbon venant de la coupe vendue à Libaut. Je devais en payer la façon, il m’en fait cadeau, probablement parce qu’il estime que je lui ai payé la coupe trop bon marché, c’est possible.

9. Pluie. Dimanche. Réunion du Conseil de Fabrique à la sacristie après la messe. Le budget est florissant. On paye généreusement les places à l’église, on porte à mille deux cent francs le traitement de madame Baste, la sacristaine, qui était à neuf cent, et à trois cent celui de l’organiste qui était à deux cent. Il fait un temps glacial. Fassier de Bonay, sachant que ma provision de pommes de terre à manger était basse, m’en apporte un peu. C’est un homme de cheval, il vient avec une pouliche de sang attelée pour la quatrième fois. Sa fille et lui-même ont pour un demi-million de chevaux, peut-être plus.

10. Gelée. Bringault vient me payer son terme et m’apporter un sac de pommes de terre. Il y a quelques haricots gelés dans le jardin. Marcelle et Yvonne goutent au Manoir avec Mme Gabriel Mathieu. Je perds mon chapelet.

11. Pluie. Saint de Glace. Les Clayeux viennent déjeuner en amenant André qui se fait vieux. Ils m’annoncent la naissance d’un cinquième Roulet, ce qui lui fait quatorze petits enfants. Marcelle profite de la bonne occasion pour aller passer quarante huit heures aux Gouttes pour voir la vieille tante, et Geneviève emmène Kiki pour qu’elle fasse la connaissance de ses cousins. Tous font honneur à notre déjeuner. Je n’en reviens pas de tout ce que chacun mange. Et à gouter, on croirait que personne n’a déjeuné. Renée Massias nous fait part des fiançailles de sa fille avec un jeune de Chalvron dont la mère née Richard habite Laval.

12. Journée radieuse qui n’a rien du Saint de Glace. Jean Le Sueur me prête un très joli album qui lui a été donné pour ses vingt ans par la fidèle Tintin qui est femme de ménage au Manoir depuis toujours, il est intitulé « Manoirs et gentilhommières en Nivernais et en Bourbonnais ». Je l’ai feuilleté avec plaisir car j’ai retrouvé dedans des vieux châteaux dans lesquels j’ai eu le plaisir d’être reçu.

13. Tout pousse. Il y a plus vingt cinq degrés. On m’avise de l’abattoir de Nevers que la génisse que j’ai livrée il y a deux jours pour faire du saucisson est tuberculeuse. Elle a quinze mois. Roi ne va pas la reconnaître. Yvonne va pécher aux étangs Américains. Elle prend une vingtaine de gardons mais les carpes ne mordent pas. Je mets en bouteilles (soixante dix) le vin que j’ai reçu d’Aïn Kala, aidé par Micheline.

14. Vingt quatre degrés. Marcelle et Kiki débarquent à Saint Pierre par le train du jour, et Yvonne va au devant d’elles pour ramener sa fille sur sa bicyclette. Je mouille ma chemise en bêchant dans le jardin du Pied Prot. Je fais semer des haricots envoyés par Cécile dans le Clou.

15. Madame de Sansal, Simone et Hubert passent la journée avec nous. Le jeune homme est bien plus grand qu’Alyette sa contemporaine, il ne tient pas cela de son grand père Sansal. Anne Chenet accompagnée de sa cousine Tardy, s’installe au Pied Prot pour quelques jours, elle attend son fils pour emporter son mobilier dans la maison de Moiry. Paul Château vient me payer son terme, je reviendrai là-dessus après explication avec Cécile.

16. Dimanche. Tous les agriculteurs doivent venir déclarer à la mairie la composition de leur cheptel et la grandeur de leurs emblavures. On n’a pas fini de les embêter. Renaud du Lieu Maslin me paye et m’apporte un peu de farine bien blanche.

17. Madame Thierry me coupe les cheveux ainsi qu’à Monique. Monsieur Ventrin, gendre Minard, vient avec huit fusils chasser les sangliers, ils n’attaquent pas. Je vends à Taillardat six cadets et un moderne. Je lui dis qu’il me paiera en venant me scier deux garndes cordes de bois à la longueur de mon fourneau de cuisine.

18. Suzanne Le Sueur déjeune avec nous. Et Antoine Chérut arrive pour emmener son mobilier à Moiry. Un taxi lui prend 300 F pour l’amener de Nevers et autant au retour.

19. Marcelle et Yvonne vont finir de monter tous les meubles de la maison de Nevers au second dans les deux chambres que nous nous sommes réservés pour cela. Elles déjeunent chez les Sansal. Arthur est plus paradoxal que jamais. Les Chérut emportent tout leur mobilier dans leur maison de Moiry. J’achète un modeste cadeau pour Gérard de Martimprey qui se marie le 22 en Normandie. La nuit dernière on a vidé le canal pour empêcher deux péniches chargées de farine de partir pour l’Allemagne. Les gens de plusieurs villages dont St Parize sont furieux parce que depuis deux jours, ils n’ont pas de pain. Il paraît que notre boulanger Lafond a reçu de la farine hier soir.

20. Je comptais sur la P.E.N., société d’Antoine Clayeux pour me donner du pétrole, ils m’écrivent qu’il n’y faut pas compter, qu’il est introuvable. Cette perspective est gaie, en pensant à l’hiver. Richard vient voir Negro qui a un effort de tendon. Le jeune Valence qui a un emploi dans la confiture à Clermont en envoie une douzaine de boites à Yvonne pour 217 F, elle est bonne.

21. Moreau a la bonté de conduire à la gare de St Pierre, Yvonne et ses filles qui partent pour Bulhon. M. Mathieu les prendra à la gare de Clermont pour les y conduire. Sans ces deux hommes aimables, je ne sais pas comment le voyage aurait pu se faire. Madame Hélène de Valence écrit à Yvonne qu’elle a su que le 8 mars son mari allait bien. Tournée aux Petites Granges. Michel a semé 75 ares de moutarde. Tout a soif. J’écris à la marquise de Chargères en lui envoyant un mémento de ma chère Edith, de même qu’à Jeanne de Soultrait et à Berthe.

22. Je vais jusqu’au Paturail Mâle, il n’y a que 7 génisses et pas mal d’herbe. La Varennes Callot toujours luxuriante, le champ Procureur toujours médiocre. Dans les Champs Blonds, 4 fours métalliques qui font du charbon.

23. St Didier. Dimanche. Nous mangeons les premiers petits pois. Grand régal pour Marcelle. Emmanuel Riant qui s’est fait opérer à Vichy de la cataracte va rentrer chez lui et trouver Petit Bois occupé par un poste de D.C.A.

24. Pluie. Mes métayers ont pris la nuit dernière dans un piège tendu près d’un terrier sur le talus de l’étang Américain un renardeau. Je téléphone à Couturier de venir chasser la mère. Lettre d’Augustin qui a fait très bon voyage pour aller près de Toulouse afin de baptiser la fille de son neveu André. Il a poussé jusqu’à Lourdes. Garnet vient me payer le terme du Mou. Il a 10 chevaux. Cela doit représenter 6 ou 700 000 F au cours du jour. Roger de Bouillé qui a perdu deux juments a dû débourser 180 000 F pour les remplacer.

25. Pluie. Lettre de Jeanne de Soultrait, son petit fils Pierre de Froment est en prison à Fresne, où il ne peut voir sa mère que rarement et encore derrière une grille. Je peux toujours faucher les orties dans le pré Blond et tailler un peu les haies vives. Le Paris Centre manque souvent, ce n’est pas qu’il est bien intéressant, parce que tout Boche, mais on l’attend tout de même.

26. Lettre de Cécile qui nous apprend la mort subite d’Yves Jallot dans sa propriété de Touraine. Elle nous envoie du blé noir que Marcelle sème dans le jardin du Pied Prot, afin d’en avoir pour empoisonner les courtilières. Je reçois de ma belle sœur une veste en Vussar de mon vieux beau frère. Je la mettrai quand il fera plus chaud qu’aujourd’hui. J’envoie aux Marquises de Faverges des mémentos d’Edith. Le jeune ménage Croizier nous fait part de la naissance d’un héritier.

27. Je fais en voiture une tournée dans les Craies. Les récoltes ont plutôt bonne apparence. Dans notre pays, c’est le mois de mai qui règle tout et la dernière pluie a fait allonger les pailles des blés et avoines qui sont en train de mettre en épis. Guite et Simone de Sansal passent la journée avec nous.

28. Journée radieuse. Mon jardinier a un fort accès de fièvre causé par une angine. Il garde le lit. Je rentre les vaches et Marcelle les tire.

29. Jeanne et Louise Delamalle Mabire passent la journée avec nous. C’est amusant de voir les gens de la ville dévorer tout ce qu’on leur sert, surtout le laitage. Mon métayer des Petites Granges vient me demander dix mille francs, comme dans le temps on venait chercher 200 francs.

30. Pluie. Dimanche. Fête des mères, procession assez nombreuse avant la messe. Cécile nous téléphone que Rennes a été bombardé hier à 4 heures du soir. On parle de plus de 160 morts. Une de ses amies gît sous les décombres de sa maison. M. Pierre Chabret et Madame, fille des basse-couriers de la Seigneurie nous font part sur un imprimé de la naissance de leur fils Alain.

31. Lettre de Roger de La Brosse qui me dit qu’il viendra nous voir retour de Vichy, où le préfet va aller le présenter au Maréchal comme une bête curieuse puisqu’il est maire depuis 43 ans. Les propriétaires de Vauban, détiennent la mairie de Bazoches depuis le 2 Frimaire An II. En voila la liste : Charles Christophe Millereau, Maire An II, décédé maire en 1830, son fils Alphonse décédé maire en 1880, son gendre Gaston de La Brosse décédé maire en 1900, Roger maire depuis 43 ans, ce qui doit être un record. En 151 ans, il n’y aura eu que 4 maires à Bazoches et tous de grand père à petit fils. Marcelle plante dans le jardin du Pied Prot 12 kilos de pommes de terre achetées à Martinat. Je vais à Moiry faire ferrer mon âne. J’achète chez feu Morin une bêche à dents pour 50 francs. Rencontré Jean Le Sueur qui me dit avoir reçu l’ordre de se présenter demain à Nevers pour être envoyé en Allemagne avec tous les jeunes gens qui comme lui ont 22 ans quelque métier qu’ils fassent. Ils sont 9 à St Parize.

5.8.10

AVRIL 1943

1 Guite de Sansal passe la journée avec nous.

2 Pluie. Premier Vendredi. Je m’approche de la Sainte Table. Yvonne, ses trois filles et sa petite bonne arrivent à 5 h ½ du soir en gare de Nevers où les Montrichard nous rendent le grand service d’aller les chercher. Mes petites filles sont superbes. Monique et Aliette ont des joues comme des lunes en plein. Lettre d’Hervé qui a été reçu très convenablement par Ballot à Châtelguyon qui lui dit que son poste serait à Pontgibaud.

3 Simone et Hubert prennent le car à 6 h ½ pour retourner à Nevers.

4 Dimanche. J’emmène Kiki à la messe, où elle fait semblant de lire son livre avec recueillement. Monique reste s’amuser dans le tas de sable d’avoir toujours près de la maison, c’est le meilleur et le moins couteux des joujoux. Madame Boursin prête à Yvonne un parc pour y mettre Aliette.

5 Yvonne pêche dans l’étang du jardin cinq petites carpes d’Aramont qui font notre déjeuner du 6. J’écris à Louis de La Brosse dont nous n’entendons jamais parler.

7 Marcelle et Yvonne vont à Nevers dès le matin pour ranger dans la maison et attendre Cécile qui arrive à midi après avoir couché à Paris. Toutes trois elles débarquent à Mars à 6 h 45 où je vais les attendre avec mon âne, bien content de revoir mon aînée. Vent violent.

8 – 4°, froid désagréable et désastreux. Simone vient passer la journée avec nous pour voir sa tante Cécile, elle est toujours bien gentille.

9 – 2°. Je paye à Lavergne une note de 5 200 F pour réparation aux domaines. Il me compte l’heure 12 F. Les travaux de la maison de Nevers dont jJe parle avec Cécile qui est beaucoup plus compétente que moi et qui me conseille de mettre le confort moderne. Je demande à M. Sonnet architecte de venir nous donner son avis et conseil.

10 Mériem de Martimprey déjeune avec nous, elle m’apporte le dernier livre de son beau frère sous l’égide de St Hubert et le même jour, Madame de Savigny, m’envoie un livre qu’elle me dit intéressant (La route des Indes de Paul Morand). Ces dames en se promenant entendent une bête crier dans la haie qui sépare Le Clou du pré de la Joie. C’est un lièvre qui vient de se prendre dans un piège certainement tendu par mon jardinier qui s’entend à braconner et qui sera bien désolé en ne voyant rien dans son engin, mais nous verrons le civet sur notre table ce qui n’est pas arrivé depuis longtemps.

11 Dimanche. Je mène Cécile et Kiki à la messe où nous rencontrons Armand de Montrichard qui a bien mauvaise mine. Il invite Yvonne à venir goûter avec sa femme, c’est ce qu’elle fait. Elle la trouve agréable, mais elle constate avec peine que son fils aîné a un bec de lièvre. Je fais des observations très justifiées à mon métayer des Petites Granges. Il s’emporte car il prétend avoir raison et me dit qu’il quittera le domaine pour la Saint Martin 1944. S’il en vient là, je ne le regretterai pas.

12 Je râpe les allées avec acharnement, c’est une diversion pendant laquelle, je broie moins de noir.

13 Les du Part viennent manger avec nous le civet du lièvre et Marie Antoinette du Verne vient dîner et coucher pour voir Cécile et s’entretenir avec nous des travaux à faire rue de l’Oratoire. C’est un gros souci pour moi car je les considère comme très difficiles à exécuter à une époque où tout manque.

14 Jean Le Sueur toujours complaisant conduit Cécile à Nevers pour y prendre l’express pour Paris, où elle se couchera et d’où elle partira pour Rennes le lendemain matin. Edmond nous téléphone qu’ils ont reçu une carte de Simone du 12 février disant : François et Maurice vont bien et Nathalie Jourdier femme de Paul a eu un enfant (garçon). Roger de Bouillé grâce à sa qualité de syndic a pu avoir pour Marcelle une paire de bottes en caoutchouc, il les lui apporte. Depuis bien des années, il n’était pas entré dans notre salon. Coût 350 F

15 On plante mes pommes de terre dans la Varennes. Enterrement de madame Eyzies à St Parize, une des rares femmes allant à la messe dans la semaine. Yvonne va à Nevers faire des nettoyages dans la maison, elle revient tard, car elle traine sa remorque un peu trop chargée. Nous mangeons le premier plat d’asperges. Marcelle fait à Moiry le chemin de la croix. Il y vient plus de monde qu’à celui de St Parize.

16 Anne de Rouville nous arrive pour 48h attendant ici ses parents qui viennent le 16 à Planchevienne, son oncle Pierre a été opéré hier de la prostate.

17 Dimanche des rameaux, beaucoup de monde à la procession, en revenant frapper à la porte de l’église tous les cultivateurs regardent le coq pour voir la direction du vent, il est du sud-est, c’est de lui qu’on dit : vent de salaire matinal ramène la pluie à cheval. Qu’il en soit ainsi mon Dieu ! Aliette a aujourd’hui un an, et avec cela il arrive une bonne nouvelle. Un message de son père venu par la croix rouge et passant par le Portugal daté de Temara 16 février dit ( Jean bonne santé, capitaine de Valence) nommé par lui !

18 Anne nous quitte à la première heure. Je mène un tombereau de cendres dans un carré du jardin de pied Prot que j’ai bêché avec Marcelle et où elle veut planter différents légumes s’il pleut. Yvonne visite la Seigneurie, où il y a 150 bêtes à cornes et beaucoup de poulains. De 8h à 11h du soir j’ai un malaise général, bonne nuit ensuite.

19 Marcelle et Yvonne vont diner à Buy. La bonne des petites revient de Thionne où la sécheresse est peut être plus désastreuse que ici, où elle l’est déjà trop. Les œufs sont si rares et si chers que tout est permis aux poules, aussi elles entrent dans le vestibule et sortent la paille qui est dans mes sabots et chaque jour je suis obligé de nettoyer le perron .

20 Pluie. Enfin la pluie, grâce à Dieu tout va renaitre. Marcelle et Yvonne partent à la première heure pour Nevers où elles arrivent trempées comme des soupes. Elles ont rendez vous rue de l’Oratoir avec Sonnet architecte pour voir avec lui les réparations à faire. M. Schleq vient les retrouver et ensembles ils conviennent de bien des choses dont je parlerais quand j’aurais vu le devis. Marcelle revient seule à 8h du soir. Yvonne reste diner et coucher chez Marie-Antoinette. Elle reste pour continuer à nettoyer la maison demain. Lettre d’Hervé qui continue à être content de son sort et de ses élèves. Simone est très en forme et Guite est partie aujourd’hui pour Bulhon.

21 Pluie. Jeudi saint. Je vais à la messe avec Kiki, une cinquantaine de femmes y font leurs Pâques avec pas mal de gamines. Ma jument grise met bas, mais ne se délivre pas. Le vétérinaire vient la débarrasser. A la première heure un chevreuil traverse la pelouse et monte au pied Prot.

22 Pluie. Vendredi saint. Je vais à l’office, où les quatre châteaux sont représentés, mais personne du peuple pour adorer la croix. Jean le Sueur a acheté à M. Motte une jument de quatre ans 67 000 Francs, c’est pour la mettre le 11 Novembre au domaine de la Vignonerie de Buy qu’il a affermé. La Vayssière son cousin a acheté un âne 29 000 Francs à Fourchambault. Lettre de Cécile qui a fait bon retour. Elle a trouvé sur son bureau du secours national un beau bouquet mis là par ses secrétaires.

23 Samedi saint. Marcelle sème du trèfle pour ses lapins sous les Ormes, là où l’on avait coutume de brûler les détritus du jardin. J’y repasse après elle pour enlever toutes les mauvaises herbes qu’elle a laissées, car comme elle veut faire beaucoup trop de choses à la fois fatalement elle en oublie. Grâce à la pluie tout pousse à vue d’œil.

24 Pâques. St Marc. A neuf heures et demie messe de communion, je vois avec plaisir que mes trois métayers et mon jardinier s’approchent de la sainte table, ainsi que de nombreux jeunes gens de 14 à 17 ans. J’oublie de souhaiter fête et anniversaire de Marcelle.

25 Hervé nous arrive pour déjeuner, il est à Nevers pour cinq jours. Il me donne la traduction des CJF Chantier Jeunesse Française groupe 9 à Pontgibaud. Uniforme vert olive. On appelle Chef tous les directeurs vieux ou jeunes, ce sont généralement des officiers de l’armée active démobilisés. Les recrues pris seulement dans la zone libre sont appelées pour huit mois et travaillent généralement dans les bois. Tous les jeunes gens de 20 ans défilent comme quand il y avait la conscription. Nous avons la visite de Jacques de La Brosse et d’Alain de Rouville de passage à Planchevienne. Joséfa nous annonce la naissance de sa petite fille Chantal à Rabat. Marcelle et Yvonne prennent à Planchevienne un diner d’avant guerre avec Mme Braive.

26 Yvonne va à Nevers et rencontre Guiguite de Villeneuve et sa fille se rendant aux Fougis sur le quai de la gare. Elle travaille ensuite à ranger dans la maison et goûte chez Mme de Sansal. Le jeune Taillardat âgé de 14 ans bêche le jardin du pied Prot et le père Michel nettoie les allées qui en ont besoin.

27 Auguste Vernin meurt à son château des Bordes à l’âge de 75 ans, d’une vieille famille bourbonnaise, il aurait pu tenir le haut du pavé à Moulin mais sa grande modestie l’en a empêchée. Comme l’était son père lui aussi était forestier.

28 Jean de La Brosse me fait part de la naissance de son fils Hubert. Sa joie est plus grande que celle de son père qui voyait venir sans enthousiasme ce cinquième héritier après dix ans de repos. Blois vient enfin faire une soudure à ma pompe et arranger la cheminée de la chambre qui est au dessus de la cuisine. Il y a 6 mois que je l’attendais. Marcelle et Yvonne goûtent à Buy où elles trouvent les Tonniers, le Sueur, Mathieu et Grincour. Gâteaux abondants.

29 Augelard vient faire avec moi le classement de mes quatre domaines pour que chacun trouve sa place dans la matrice cadastral qu’il est en train de réviser. Je lui fais mettre à mon nom pour que mes métayers n’aient pas à les payer les champs qui dorénavant seront considérés comme landes ou broussailles : le Dépotoir, le champ d’Orgeats, et la Chaume de la Blonde. En 1944 au 11 Novembre le pied Prot passera au domaine de ce nom et le Champ Guérin actuellement aux Petites Granges passera au domaine de Tâches qui leur abandonnera la terre qu’il a actuellement dans les baraques. Je plante dans la cour d’honneur en avant des lauriers du lupin envoyé par Cécile, on dit que ça remplace le café. Visite d’Henri de Rouville qui a bien maigri, 20 kilos. Son frère Pierre rentré chez lui à la suite d’une opération à la vessie a une phlébite et de la fièvre. Mes dames et Kiki goûtent à Villars où elles trouvent Mme Seeplinck nièce de Ratheau qui habite le vieux château de Beaumont (Seeplinck son mari officier est prisonnier.)

30 Journée calme. Je vais auprès de la fontaine où je vois une taure de 14 mois en train de crever de l’entérite. C’est la troisième atteinte de cette maladie dans ce domaine depuis deux mois et demi.