9.12.12

Avril 1919



1. Le Cdt Jones nous amène dans sa limousine déjeuner à la Grâce. À cinq heures et demi nous prenons le thé à Nevers chez Edith et nous revenons par Chevenon faire une visite aux du Part. Nous passons par la route des Tuileries et du Chaumont à cause de la crue qui coupe celle du bas. La vue est splendide mais le chemin impraticable pour toute voiture autre que américaine.

2. Monsieur Giraud, propriétaire du magasin des 3 quartiers à Nevers, achète le château du Plessis aux Chargères qu'on dit ruinés. Au cercle agricole, il nous débarrasse du billard pour 1000 francs. Moins riche que lui, je me contente de retenir pour les donner à mes filles 6 gravures anglaises et pour moi une pendule et une table à jeu.

3. Je pars pour Paris avec Marcelle. À Nevers nous prenons Marielle qui vient dans la capitale pour voir son frère. En effet nous le trouvons à la Gare de Lyon, avec Josepha, tous nous allons dîner, rue de Varenne chez Antoinette Jourdier. Marcelle y reste coucher pendant que je vais hôtel de l'intendance, rue de l'Université.

4. Le lendemain nous déjeunons chez les Edmond Clayeux, de là je me dirige au rendez vous que m'a donné le Dr. Michon. Après un long interrogatoire, il me dit de venir le trouver dans huit jours. Nous dinons chez Paul Tiersonnier avenue de Saxe, ou nous sommes reçus de façon grandiose, menu raffiné, vins généreux, éclairage éclatant. La maîtresse de maison fort gaie et s'intéressant à tout ce qui se passe en Nivernais.

5. À 7 heures, nous sommes à Montparnasse ou nous montons dans le rapide de Brest qui nous dépose à 3 heures et demie à Rennes. Cécile et Yvonne nous attendent à la gare et nous amènent à pied jusqu'au boulevard Sevigné en passant par le célèbre Thabor. La ville me fait bonne impression et la maison de ma fille me paraît être bien ce qu'il lui faut. Elle est au bon air, dans un quartier élégant et facile à chauffer. Le jardinet est pratique et les petits pois commencent à sortir de terre. De la chambre que j'habite du côté du nord, l'on ne voit que des arbres parmi lesquels de beaux cèdres et des magnolias en fleurs.

6. Dimanche. À neuf heures, M. Baneat vient nous prendre, Yvonne et moi, pour aller à la messe à Notre Dame. En en sortant nous trouvons sa femme qui nous reconduit jusqu'au boulevard Sevigné. Dans la soirée, réception chez Cécile qui a organisé un Bridge en mon honneur. Après le goûter servi dans la salle à manger, on dresse 4 ateliers dans les deux salons. 13 dames et 9 messieurs prennent les cartes en main et je suis dans l'admiration de voir combien les femmes jouent correctement et commettent peu de faute à ce jeu pourtant difficile. La raison en est simple, c'est que tous les jours des Bridges s'organisent dans la société et que seules sont invitées dans les réceptions mondaines les dames et jeunes filles qui aiment à courtiser le carton.  

7. Nous déjeunons chez les parents Baneat et dans l'après midi, monsieur nous emmène visiter son musée ou j'admire de forts jolies choses. À cinq heures, Bridge chez Mme Fournel née de Montmarin de l'Orléanais. Trois tables, je suis le seul homme présent. Après le dîner chez Cécile, madame Le Jarel et sa fille viennent faire une partie. Ces dames causent beaucoup mais jouent encore mieux. Elles ont la réputation d'assurer la matérielle avec leur talent.

8. À cinq heures et demie, un fiacre vient nous quérir pour nous conduire à la gare de tramway qui devra nous déposer à 9 heures et demie à St. Servan. Partis sous la pluie nous avons la chance de trouver un soleil radieux en approchant de la mer. Nous passons à St. Malo et à Dinard une journée fort agréable. Je suis dans l'admiration de ce pays dont j'entend parler depuis longtemps.

9. Nouveau bridge chez Cécile ou les 4 tables réglementaires sont dressées, le sénateur de la ville, Moysan, est parmi les lutteurs. Il est resté 24 heures de plus qu'il ne devait à Rennes, pour faire ma connaissance, ce dont je suis très touché. Je remercie beaucoup toutes les dames de la société de l'accueil si aimable qu'elles ont fait à ma fille. L'une d'elle me dit que c'est dans son salon qu'Augustin a lu ses premiers vers pendant qu'il faisait son droit à Rennes.

10. Je prends congé de mes enfants et de la Bretagne et je reviens à Paris avec la pluie sans discontinué. Tout le pays que je traverse est inondé et je ne vois pas une belle récolte, même en Beauce.

11. Je déjeune chez Edmond avec les Louis de La Brosse. Mon neveu passe tous les après midi à Paris, ce qui lui est facile, tenant garnison à Bécon les Bruyères. Trois heures et demie m'appellent chez Michon qui l'examine sur tous les sens et me dit que l'intervention des couteaux est pour le moment inutile. Il me donne un long traitement à suivre, la suite me prouvera si c'est le bon.

12. Je rentre à Tâches ou rien ne s'est passé d'anormal pendant mon absence.

13. Messe des rameaux, assistance très nombreuse. Dans l'après midi je vais à Buy, voir Henri qui est aux prises avec un gros rhume, sa femme est au Plaix. Il me montre 3 belles juments anglaises arrivées depuis 8 jours. Il m'en a envoyé une de même race que je voulais mettre à Callot mais mon métayer ne l'ayant pas trouvé assez forte, je vais chercher à la revendre. C'est une superbe carrossière de 6 ans, 1,65 m
La pluie continue à tomber. Riquette de Chargère est fiancée à son oncle à la mode de Bretagne, Raymond d'Aix. Elle doit avoir 40 ans et l'autre 52. Pourquoi ont-ils attendu aussi longtemps pour unir leurs destinées, se méfiaient-ils du prix du pot-au-feu, il est cependant plus cher que jamais. On prétend que Raymond guette l'héritage de sa tante de Léautaud, s'il en est ainsi, le beurre arriverait dans les épinards.
Madame de Flamarre épouse un monsieur de 60 ans (Leneven) qui a autant de 1000 livres que d'années.
Le jeune de Durat, fils de Jehan, est fiancé à la fille du comte Dinet, ancien officier au 10 eme chasseur et anobli par le pape, à cause de sa grande piété.
Melle de Roquefeuille a épousé un M. du Ligondès.

15. Geneviève de Buzonnière vient au camp voir Frison et en son honneur, le colonel nous invite, Claire et moi, à déjeuner, les convives étaient au nombre de neuf, le repas servi à l'américaine était plutôt médiocre, un seule plat sérieux, des côtelettes de veau mal grillées, seul le dessert était abondant, tarte à la citrouille présentée sur la même assiette que des fromages de Hollande, salade de fruits passable, café et chocolats servis au milieu du repas.
Pluie et encore de la pluie.

17. Je sème dans le champ Guérin de l'avoine blanche américaine.
Il y a au camp un cas de petite vérole. L'unité est consignée.
Vent du Nord; beau temps.

Vendredi Saint. Vent Nord Est. Beau temps. Claire part pour Paris et Rennes et moi pour Nevers, ou je reste jusqu'au samedi soir.

Samedi. Les Clayeux, Geneviève et ses filles déjeunent chez Edith et à 3h1/2 goûter auquel assistent quelques dames amies de Geneviève, dont Madame de Verna et ses filles, M Thérèse Pinet, Jeanne Delamalle.

Pâques. Je fais mes dévotions à St. Parize ou plusieurs hommes s'approchent également de la Sainte Table et une trentaine de jeunes gens de 12 à 17 ans.

21. René Clayeux passe 24 h avec moi et Henri déjeune avec nous. Ensemble nous allons à Magny ou je paye la note de feu le Dr. Turpin qu'on a enterré il y a quelques jours. Nous voilà bien sans médecin dans notre pays.

23. Il gèle à glace, vent N.E. les arbres fruitiers n'ont cependant pas de mal.

24. Foire de St. Pierre, cours très élevés. Je vends 2 bœufs de Tâches 5900 Fr. ce qui les met à 385 la % de Kos.
Pluie dans la matinée.

27.28. 29. Alternatives de pluie, neige et glace. Charmant printemps!

30. Pluie, neige, froid. La lune rousse commence aujourd'hui. Dieu veuille qu'au lieu de ses méfaits ordinaires elle nous ramène un temps plus clément.


18.11.12

Mars 1919



1. Son pauvre vieux mari va la retrouver dans l'autre monde après avoir reçu l'extrême onction la veille. Ce rapprochement dans la mort pour ces braves gens est bien touchant. Ménage très uni et respectueux envers les maîtres, ils me rappelaient les gens d'autrefois, espèce très rare aujourd'hui. Les majors Scott et John viennent faire un bridge, ce sont des hommes bien élevés, ce qui est plutôt rare, dans tout ce monde américain.

2. Heure avancée, on est tout désorienté, ce qui ne m'empêche pas d'aller à une heure au Rond de Bourg attaquer 2 sangliers avec l'équipage Duchemin, dans le ravin de Chenut. Les Américains scrutent dans le bois de la ligne où il n'y avait pas de chasseur et prennent leur parti, sur la futaie de Tâches, les Ravaut, etc. Rentré à quatre heures à la maison, j'attelle Sylvia et je vais à Buy voir 2 magnifiques juments anglaises qu'Henri a acheté dans la réforme de l'armée, par l'intermédiaire d'un commissionnaire à qui j'en commande 2 pour mon compte.

4. Je prends à Henri une des juments susnommées pour le service de la maison et remplacer Sylvia que je vais tâcher de vendre. Encore de la pluie, c'est enrageant. Carlo de Chargères épouse aujourd'hui Anne-Marie Drake del Castello à Paris, dans la chapelle du catéchisme de Sainte Clotilde.

8. Je vais à Nevers pour la Foire concours où on donne des prix aux meilleurs taureaux, ceci se passe sous des torrents de pluie. À la maison, je trouve les deux petits avec de la fièvre, Coueto qui les a vu, ne voit rien d'inquiétant. Je prends un bon du trésor de 10 000 Fr avec l'argent provenant de mes carrières de pierre et de sable.

10. Une dépêche d'Augustin nous dit qu'Edith est toujours souffrante, aussi à quatre heures du soir j'attelle Sylvia et je conduis Claire à Nevers ou nous trouvons le Dr. Coueto auprès de notre fille qui, heureusement n'a qu'un peu de fatigue occasionnée par la peine qu'elle a prise en soignant ses enfants qui eux vont mieux. Je remonte en voiture sans avoir dételé et à sept heures et quart je suis à Tâches.

12. Edith et les enfants allant mieux, Claire revient et je vais la chercher à l'express de St. Pierre 1h42.

13. Nous allons aux vespres de Magny pour entendre le sermon de notre évêque venu pour remercier St. Vincent de son intervention pour la victoire de la France. On chante le Te Deum.

15. Isabelle de Faverges écrit à Claire pour lui faire part des fiançailles de sa fille Marie-Thérèse avec le vicomte Jean de Vannoise, fils aîné d'Henriette de la Rupelle. M. de la Rupelle grand-père du fiancé à été pendant longtemps trésorier payeur général à Nevers, il avait une maison très élégante et dans l'hôtel d'Assigny où il habitait, les gens de mon âge se rappellent les fêtes magnifiques qu'il se plaisait à donner.

16. J'assiste à St. Pierre à une vente de chevaux et de mulets américains, les uns et les autres sont en bon état et en bon âge, ils se vendent les premiers 1600 Fr et les seconds 1000 à 1100 comme moyenne. Les du Part viennent nous voir dans la soirée, Antoine est gai comme un pinson.

17. Henri, sa femme et George déjeunent avec nous. Picard, homme d'affaire, m'écrit pour me demander le prix que je veux de ma maison des Trois Carreaux, je la lui fait 25 000 francs.

18. Aline nous amène ses petites filles pour 7 jours avec Nenette de Soultrait qu'elles ont prise à Dornes en passant. Cette jeunesse vient jouir un peu de la vie américaine. René m'envoie ses prix de vente de la dernière foire de Dompierre: 2 bœufs pesant 1870 kg aux Gouttes vendus 6 900 Fr, 2 bœufs 1550= 5250, 2 bœufs 1470 kilos = 4900, une vache 455 kilos 1475, 2 vaches 1020 Kg= 3100 Fr, ce qui fait du 340 Fr les 100 Kg, c'est fou!

19. St. Joseph. Nous allons à la messe en marchant dans la neige.

20. 2 degrés et de la pluie toute la nuit, c'est charmant mais ce qui l'est moins c'est ma vessie qui me fait passer une nuit atroce.

21-22-23 pluie incessante et froide et vessie toujours en mauvais état, aussi je me décide à demander au Dr Michon une consultation à Paris pour le commencement d'avril.

26. Je vais à Nevers par le train et je trouve Edith et les enfants en bonne santé.

27. Nous recevons à déjeuner Geneviève Tiersonnier qui nous amène son beau frère de Balloy, Isabelle, Blanche et Berthe Tiersonnier. Nous avons en même temps les du Part et le captain Jones . À deux heures, nous montons au camp pour y voir jouer un opéra comique, scène dans un sérail. Nombreuse assistance civile, les marquises de Mortemart et de la Roche, les Soultrait, les Montrichard.  Tasse de thé chez le colonel après la comédie. Pluie, toujours de la pluie. À St. Pierre où je suis allé à la foire, on m'annonce les fiançailles d'Henri de Thé avec une fille du Général Marion. Comme situation sociale, il va devenir régisseur de son futur beau frère Chambon. Les cours de la foire de St. Pierre toujours élevés, il y a cependant un peu de ralentissement, l'humidité en est la cause. Les près de rivière étant tous sous l'eau. J'ai vu vendre des petits cochons pesant à peine 15 livres 155 Fr.

28. Pluie glacée, nos paysans attribuent l'horreur de ce printemps aux méfaits de la lune car une chose qui ne se produit que tous les 26 ans arrive cette année, il y a 2 lunes en janvier, 2 en mars et pas en février...

30. Inondation. Les 2 pièces d'eau devant la maison n'en font plus qu'une et dans la cave aux pommes de terres, il y a 20 cm d'eau, ce que je n'avais jamais vu.
 

12.11.12

Février 1919



1. Mon courrier m'apporte une nouvelle peu banale, l'annonce des fiançailles de Charles du Verne, né en 1859, avec Madame veuve Puget de Marseille, âgée de 45 et munie d'un fils aviateur. C'est la femme Davout, née  Rémuzat, qui a amené ce numéro à son oncle.
Claire et Marcelle vont dans l'après-midi à un concert au camp, elles y retrouvent la marquise de la Roche et ses deux filles, suivent ensuite Geneviève Tiersonnier, amenant Berthe, Blanche et Isabelle de Balloy. Ces dernières viennent goûter à la maison.  Le chanoine Thépénier honorant la fête de sa présence, se faisant la douce obligation de répondre à une aimable invitation du colonel.

3. Neige persistante avec 4° sous zéro. Je vends à Ratheau de Beaumont 5 génisses de mon domaine pour 4925 Fr.

4. Claire et Marcelle conduisent les enfants d'Edith à Nevers.

5. Les Edmond Clayeux nous viennent pour 48 heures, nous leur faisons faire un bridge avec les commandants Scott et Jones. Le dégel se produit très rapidement.

6. Plus apparence de neige.

Statistiques des camps au 5 février.
Personnel actif officiers.      925
Soldats.                             3950
Malade officiers.                   15
Soldats                              1100
Total                                  5390.

La Roche vient déjeuner et visiter le camp, ou je le promène en compagnie d'Edmond. Nous trouvons Skinner dans son château jouant du piano. Pendant ce temps le colonel Hanon qui était de nos convives reste faire l'aimable avec les dames.

7. Je conduis les Edmond prendre le train à Saint-Pierre et j'en profite pour payer mon impôt sur le revenu de 1918 qui est de 950 Fr. moins cher que l'année précédente. De là, je vais voir les taureaux de Fassier à Alligny. Je les trouve très bons.
Soirée au Topsiel theater, nous y assistons, Marcelle et moi, danses nègres, musiques à l'avenant.

8. Il gèle à 10°, ce qui doit être fort mauvais pour les récoltes après la pluie trop abondante de la veille.

9. Même froid avec fort vent du NE qui vous déshabille.

10. Idem.

11. Skinner nous emmène, Claire, Marcelle et moi, déjeuner à Dornes, où il admire toutes les jolies choses. Au retour je le fais passer par le Rond du Perray et Azy. Il trouve l'étang de Massin magnifique. Le fait est que par un soleil couchant resplendissant, le coup d'œil était magnifique.
 Henri m'écrit qu'il vient de vendre Vary à Coint pour 505 000, c'est un beau reve.  Il change les propriétés de Madame Busserolles à Montmarault qui rapportaient 7 000 de rente contre 35 000. ... à Coint, il achète Vary avec l'argent de sa fille Madame Messelet, le mari de celle ci, dont j'ai connu le père petit commerçant à Nevers, ayant gagné la forte somme en construisant les instruments agricoles avant la guerre et des obus pendant celle ci. Toutain est fait officier de la Légion d'honneur et marie sa fille à M. Grandet.

13. Henri, sa femme et son fils Maurice déjeunent avec nous.

15. Je vais passer 48 h à Moulins pour le concours et je loge chez les Clayeux qui se trouvent très bien dans leur nouvelle installation. La maison se chauffe bien. Le concours est pauvre car les nivernais n'ont pas exposé à cause de la fièvre aphteuse. La Rouillerie à tous les succès sous le nom de Joseph Durand son régisseur.

17. Les Soultrait viennent déjeuner pour ensuite assister au camp à un concert où nous retrouvons du gratin, Mis et Mse de Mortemart, Mse de La Roche, les R Thuret, Bouillé, Montrichard. la fête se termine par un thé offert par le colonel qui est heureux de se frotter à notre vieille noblesse. Les démocrates sont friands de cette fréquentation. J'oubliais de mentionner Trompette qui m'apprend le mariage de Verny le petit fils de Villate avec la fille de Joseph de Champigny.

18. Le père Whitaker nous amène Madame Ossay et la générale Bazin à déjeuner. Dans l'après midi il retourne à Nevers faire un enterrement, y conduit Claire qui en profite pour aller voir Schleck, pendant ce temps nous faisons force bridge.

19. J'assiste à l'enterrement d'Etienne Massin à Azy, le pauvre garçon était d'une santé délicate et ne pouvait rester seul, du vivant de son père, celui ci le faisait toujours accompagner par un médecin, ces temps derniers, son garde veillait sur lui. La Presles où habite la famille Massin lui vient du Comte de Mauduit, qui lui même l'avait acheté à Monsieur Ernest de Chabrol qui après avoir fait de mauvaises affaires, avait été obligé de vendre terres et bois, dont la forêt de Chabet.

20. Je viens de rendre un dernier devoir à mon vieil ami Samuel de Thé, mort à Nevers dans sa 79 année. Il n'a pas pu supporter les suites de l'opération de la prostate et son trop long séjour au lit à occasionner une congestion pulmonaire qui l'a emporté. L'église de Saincaize était trop petite pour contenir tous les paroissiens de cette commune dont il était maire depuis longtemps et ou ses ancêtres remplissaient depuis la création des mairies en France. Son fils François, aviateur et actuellement dans l'armée d'occupation en Allemagne n'avait pas pu venir à temps pour assister aux derniers moments de son excellent père. Les Toutaris nous font part des fiançailles de leur fille avec le lieutenant Grandet, fils de feu Grandet et de Mme née de Vaulserre.

21. Nous déjeunons à Buy et le soir, les Gabriel de Montrichard nous amènent leurs enfants pour dîner et aller ensuite au cynematographe du camp. Marcelle voyait pareil spectacle pour la première fois de sa vie, ce qui doit être un record.

22. Je conduis ces dames à Nevers avec le tonneau. La route est de plus en plus atroce, nous avons mis deux heures car les américains sont de détestables cantonniers, mais comme ils ont l'habitude de se promener dans la prairie en auto, le mauvais état de nos chaussées ne les surprend pas. Edith et les enfants vont bien, Miette embellit.

23. Pluie torrentielle, le pré des Petites Granges ressemble à un étang.

24. La grippe reprend de plus belle à Moulins. Guiguite est bien prise et à Dornes, Gaspard de Soultrait qui est en permission, donne des inquiétudes. Maurice Robert m'amène son équipage de lapins et nous en tuons 5.

25. Claire et Marcelle vont à un bal donné à la Croix Rouge des 110 par la chief-nurse. Il tombe des torrents d'eau.

26. Je touche enfin l'émoluement qui m'est dû pour mes carrières de pierre.
Marcelle et moi allons au topside theater après dîner pour voir les nègres sur la scène, ils chantent, dansent, font des calembours. Ils sont grimés de façon grotesque, ils agrandissent leur bouche, ce qui est du reste inutile, ils ressemblent à des grenouilles avalant un papillon sur le bord d'une mare. L'assistance est dans le délire.

27. Foire à St. Pierre. Cours toujours en hausse, tout est à 9 Fr la livre. Claire part pour Nevers ou elle couchera et présidera demain sa réunion de l'œuvre des Tabernacles. Louis d'Assigny est nommé Chevalier de la Légion d'honneur. Marie Bouy, mère de ma métayère des Petites Granges, meurt hier et sur le chemin, deux heures après qu'on l'a emporté à Varennes ou elle doit être inhumée.

8.11.12

Janvier 1919


Janvier 1919




1er janvier 1919 (64 ans ce jour). À minuit, la sirène du camp pousse des rugissements pour annoncer la nouvelle année ce qui me réveille en sursaut, je bénis nos alliés de ce manque de tact. De nombreux pétards sont tirés qui me font croire que les cambrioleurs envahissent la maison. Le jour arrive triste, humide et maussade et nos chemins ne sont plus que des cloaques horribles.
Hervé a un gros rhume, qui nécessite la visite du médecin qui constate qu'il n'y a rien aux bronches. Miette est également aux prises avec la toux mais moins forte que celle de son frère. Comme nous n'avons pas l'habitude d'être à Tâches pour le jour de l'an, nos gens ne nous souhaitent pas la bonne année, ce qui n'est pas désagréable.
Madame Moreau, née Cornu, meurt à Nevers dans sa 81ème année, son mari nommé ingénieur en chef dans notre ville s'y installe complètement en faisant bâtir son joli château sur le boulevard Saint Gildard qui, à ce moment la était la pleine campagne. D'idées un peu avancées, comme beaucoup de polytechnicien de son époque, il se faisait pour cette raison souvent rabrouer par mon père qui était un peu son parent, mais surtout son ami, et qui lui disait en jouant au Whist, dans les salons de notre ancien cercle agricole: occupe toi du jeu des autres plus que du tien, vieux républicain. Moreau prenait cela de bonne part grâce à son tact et sa grande bonhomie. Tant qu'il a vécu, nos familles ont entretenu ensemble des relations parfaites. Après lui, sa fille étant en âge de se marier, sa mère dont la vanité était la passion dominante, la fit épouser le Comte de Chabanne, officier de cavalerie mais sourd et sans le sol. À partir de ce moment elle rompit complètement avec nous, pauvres hères dont les ancêtres ne remontaient pas aux croisades, ne se rappelant pas qu'un jour elle m'avait demandé de la promener à mon bras, entre les chaises de la cathédrale pour une quête, et que par bonté d'ami je lui avais fait cet honneur.
Grâce aux Américains, nous mangeons d'excellents chocolats, qui nous sont envoyés par le colonel Skimmer, par Hebert, Becker et par les nurses qui échangent des goûters avec ces dames.

5. Le temps doux et humide continue avec persistance, il a tellement plu la nuit dernière, que l'eau baigne les pieds des marronniers et passe sur toute l'avenue.
La comtesse Eblé, née Marie de Bricourt, est emportée en quelques jours par la grippe infectieuse, morte au Creuzot ou son mari est ingénieur, elle sera inhumée à Paris. Elle laisse 4 petits enfants en bas âge.

8. Mariage Villaines-Marcy. Le temps s'était mis de la partie et a favorisé la fête. Le cortège était fort réussi, de nombreux uniformes fort bien portés par les Villaines qui sont de belle taille. Cela faisait contrefort au parti adverse. Carlo de Chargères y donnait le bras à sa future qui est charmante et bon enfant. La marquise était la aussi et, dans la sacristie, ou je suis allé la saluer, je lui ai dit que si nous n'étions pas dans le lieu saint, je lui demanderai la permission de l'embrasser, qu'à cela ne tienne me répond-elle en me présentant sa joue.
Charles du Verne faisait parti du cortège, ce qui m'a fort surpris, après tout ce qui s'était passé, il a fallu une rude éponge pour nettoyer tout cela.
Le lunch servi au grand hôtel était bon. Le revers de la médaille à été de parcourir avec le tonneau le chemin de Moiry à Nevers que les Américains sont en train de charger avec des cailloux de St. Reverin, et qu'ils s'en sortent comme les goujats qu'ils sont.
Edith, vu son état de grossesse, a préféré aller à Nevers par le chemin de fer avec Madame de Montrichard, elles sont arrivées à point pour la sacristie.
Samuel de Thé a été opéré ce même jour de la prostate par le Dr. Papin qui est content de son travail.

9. Je mène Fulgence et André chez Blond à Lille voir des taureaux ou ils en achètent une paire pour 6000 Fr. En principe ils ne devaient pas mettre plus de 2000 Fr. par numéro mais ils se sont laissés tenter et ont choisi les deux meilleurs de l'écurie.

10. Marcelle m'ayant demandé de l'accompagner au théâtre américain, j'y suis allé comme un chat qu'on fouette, c'était à tort car j'ai passé une charmante soirée. La troupe du camp de Verneuil était seule sur les planches et je dois dire que pour ces acteurs qui ne sont pas de profession, ils ont été merveilleux. L'opéra bouffe composé par le captain xxx s'appelle j erou le permissionnaire et se passe dans un grand hôtel de France. Il est tout d'actualité et les rôles des femmes qui sont tous tenus par des hommes frisent la réalité, il faut qu'il en soit ainsi sans cela la pièce serait un peu leste, car quand il arrive des permissionnaires on fait danser ces dames au salon pour les divertir.  La musique est bonne et le chant à l'avenant, il y a un quatuor qui m'a paru supérieur à celui de notre camp, je l'ai dit à Tades qui n'en a pas été content. Le lever du rideau était fort réussi, cinq grand diable tout de rouge habillés, faisaient passer le Kaiser en jugement et naturellement le passaient à tabac.

11. Nous allons, Claire et moi, déjeuner au Colombier et en passant nous déposons Marcelle à la Grâce ou elle restera 3 jours, en compagnie de Blanche Tiersonnier.

13. Miss Bergson vient nous faire ses adieux et n'arrive pas les mains vides, elle donne à Marcelle des bottes et un chapeau en .... et à moi une robe de chambre multicolore, thé, chocolat, etc. Cette excellente fille part pour Trêves. Elle était accompagnée du Colonel Hanon, retour de Nice.

14. Bernigaud arrive à la première heure pour me prier de l'accompagner auprès du chef de la police, car hier soir a 6 heures il a été attaqué près de sa bergerie par un nègre qui, le menaçant du couteau, lui a volé son portefeuille qui contenait environ 300 Fr. Déjà la semaine dernière un autre nègre, ou le même, s'est jeté sur Duchantoin qui retournait à Moiry, l'a frappé sur la tête avec un gros bâton et lui a volé son porte monnaie.
Augustin nous arrive ce matin pour trois jours, il ira à Bourges savoir ce que l'on veut faire de lui.

16. Hartman dine avec nous, retour de Nice ou il s'est follement amusé.

17. Skinner, Hanon et Taves déjeunent avec nous.

20. Je conduis Augustin à Nevers ou il va faire un soit disant service au 41. le Lycée. Je vais voir mon ami de Thé qui ne peut me recevoir, son état de faiblesse étant encore très grand à la suite de son opération de la prostate que Papin lui a enlevé le 8. Celle ci qui normalement pèse 90 grammes, en faisait 170.

21. Je conduis Claire et Marcelle à St. Pierre pour prendre un train qui les conduira à Moulins ou elles vont suivre une retraite.
Julien Clayeux est porté comme tué le 27 mars, on dit un service pour lui demain dans la cathédrale de Moulins, ces dames y assisteront.
Le colonel Hanon toujours aimable m'apporte une veste de peau.

22. Le même colonel m'apporte encore une paire de lunettes en Zylonite et deux boites de chocolats, il en met 3 dans l'auto de Madame de Montrichard qui était venue goûter avec Edith en amenant Gabi jouer avec Hervé, pendant que Claire et Marcelle suivent à Moulins la retraite annuelle des enfants de Marie.

23. Foire de St. Pierre, peu ou pas de bêtes à cornes, quelques cochons hors de prix.

26. Claire et Marcelle reviennent de Moulins.
2500 américains quittent le camp.

27. La neige tombe en abondance.

La neige tombe encore davantage le 28 aussi Edith qui devait aller s'installer à Nevers avec ses enfants part seule en chemin de fer pour aller retrouver son mari.

29. Froid et neige, les routes cirées par les camions américains sont impraticables. La bergerie de Villars brûle, 19 agneaux sont victimes de l'incendie, allumé par la lampe d'un gamin qui faisait le fourrage.

31. Neige et froid, malgré cela, nous allons, Marcelle et moi, voir jouer au ... théâtre , la bataille de Bourges donnée par des actrices anglaises. Comme les autres, cette pièce tenait plutôt du music-hall que d'autre chose, plusieurs rôles étaient cependant bien interprétés, salle comble.




1.11.12

Décembre 1918


Décembre 19181er décembre. À midi, comme je revenais de la messe du dimanche, je trouve en haut de l'avenue un américain qui m'attendait, porteur d'une lettre de Roger de la Brosse  au colonel Skimer dans laquelle, il l'invitait à venir à Vauban pour rapporter la dépouille d'un énorme sanglier qu'il venait de tuer. Le colonel me faisait dire qu'il partirait à 12h30 pour le Morvan. Je déjeune quatre à quatre et je grimpe au camp ou je trouve les autos sous pression. Je monte dans la limousine avec le grand chef et Taves, et en route, par Chevenon, Saint Éloi et Guérigny. Une voiture d'ambulance nous suivait, non pour ramasser les blessés, mais pour rapporter la peau de la bête, ce qui était  du luxe, par ce temps de restrictions, ou je ne peux pas me procurer la moindre goutte d'essence… Un soleil magnifique réchauffait le temps froid du matin et la vue pouvait s'étendre au loin, aussi mes compagnons été émerveillés par les superbes paysages qui défilaient sous nos yeux.
A deux heures et demie nous arrivions à Vauban ou malheureusement nous ne rencontrons pas Roger qui était à la chasse. Je mène mes américains faire le tour du propriétaire et contempler le cèdre gigantesque qui se trouve sur la pelouse, nous entrons au grand salon, où je fais admirer le portrait du Maréchal, le bureau Louis XV et les glaces de Venise. Nous remontions ensuite en voiture et nous étions ici pour dîner. Sur toute la route, dans les champs et dans les bois, je n'ai vu que chasseurs, poilus ou civils, avec ou sans chien, mais dont beaucoup ont du rentrer bredouille, s'il n'y a pas plus de gibier dans les cantons traversés que je n'en ai ici.

2. Je reçois à déjeuner le Lieutenant du génie Vallet, venu à Saint-Parize pour faire l'état des lieux des terrains réquisitionnés par les Américains postérieurement au 7 janvier. Hier j'ai reçu une lettre de Rondoleur chef de l'entreprise Porchats dans laquelle il me dit qu'on me paiera mes pierres à raison de 0,90 par mètre cube et il me fait espérer que prochainement on me paiera le sable et la pierre. L'administration congédie tous ses ouvriers, ce qui me donne à penser que prochainement tout sera évacué et que nous retrouverons peut être la paix. Il est vrai que nos ouvriers depuis six mois travaillent au  camp, y auront pris de bien mauvaises habitudes, grassement payés sans rien faire.

3. Les américains changent d'avis, ils rappellent 600 ouvriers, pour quoi faire grand Dieu! Je conduis Marcelle à la Chasseigne pour faire de la musique avec Mademoiselle Anne de Guébriant qui a un véritable talent de violoniste.

4. Nous  allons à Nevers, Claire, Marcelle et moi, déjeuner chez les La Brosse qui sont encore inquiets de leurs belle-filles, assez fatiguées l'une et l'autre. Mademoiselle Frison retourne à Paris après avoir fait ma miniature, sans barbe et avant la cinquantaine d'après une photographie, cette manière de poser me plaît assez. Celles d'Hervé et de Marcelle sont réussies. Elle emporte de nombreuses commandes, celle de Claire, des Clayeux, et de nombreux Américains.

5. Avec Édith et Marcelle nous allons assister à un service à Gimouille chanté pour le pauvre Antoine Jourdier, nous déjeunons ensuite à la Grâce.

7. Concert à la maison de trois à six, Madame de Montrichard accompagne sa sœur qui nous joue de son violon quelques superbes morceaux, le colonel  Skimer nous amène un très remarquable orchestre, pianiste, violon et violoncelliste, commandant Taves, capitaine Carter et lieutenant Decker prennent pendant ce temps une tasse de thé et mangent des gâteaux.

 10. Les Charles Tiersonnier nous amènent pour déjeuner Nenette et Fafa de Soultrait et dans l'apres midi, nous les conduisons dans une baraque du camp pour y retrouver les Montrichard et toutes les chefs nurses et Dames de la Croix Rouge. À quatre heures et demie, goûter dans le latrac Skimmer, thé, chocolat, gâteau et pendant la dégustation, le quatuor se fait entendre.

11. La marquise de Berulle, née Chabrol-Chameau meurt presque subitement à Paris, elle laisse un fils unique marié à Mademoiselle Busson-Billaut. Elle n'a pas pu retourner dans sa propriété des Ardennes que les boches viennent d'abandonner. Les Pierre de Sampigny vendent leur terre du Boucard au Schneider, un beau denier, je suppose. Le gendre Saint Sauveur va faire à Apremont une résidence seigneuriale, dont le territoire sera plus étendu qu'avant la débâcle.

13. Édouard Yvan de Baudreuil de Fontenay meurt à Nevers à l'âge de quatre-vingt-deux ans. Sa vertu dominante a été l'avarice. La famille Yvan est très ancienne dans la Nièvre. Elle comptait des magistrats au présidial de Saint Pierre le Moutier, l'un d'eux fut député du Tiers État pour les Êtas Généraux de 1789. J'ai beaucoup fréquenté Fontenay et nombreuses sont les parties de chasse que nous avons faites ensemble, soit à tir, soit à courre. La vènerie le passionnait et pendant quelques années, il eut un équipage de chevreuil qui n'était pas sans valeur, grâce à son piqueux Jaubart qui lui avait amené plusieurs bons chiens de chez son ancien maître Monsieur Benoît-Champy.

14. Je vais à l'enterrement du précédent, il y avait beaucoup de monde. Auguste du Verne m'apprend qu'Anne est accouchée la nuit précédente d'une fille Cécile. Ce qui leur fait cinq enfants dont deux mâles. Madame de Chargères écrit à Claire pour lui annoncer les fiançailles de Carlo avec Mademoiselle Anne Marie de Castello. C'est la jeune fille qui a demandé le jeune homme. J'avais oublié à la page précédente que Geneviève Clayeux et ses filles étaient venues le 13 passer 24 heures pour assister au camp à une comédie (la lampe rouge) jouée par des nurses et des officiers, tout le vestiaire avait été fourni par nous, aussi The Martian, dans un de ses articles, avait publié que M. Robert Tâches pour la circonstance avait ouvert ses gardes robes fermées depuis 5 ans pour habiller tous les acteurs. La comédie a été fort bien jouée et cela nous a amusé de voir sur la scène une robe de soirée de Claire, mon smoking, un bonnet de Marie, etc.  Miss Bergson nous avait envoyé chercher par une auto de la croix rouge qui devait, ou au moins nous l'espérions, nous conduire jusqu'à la porte du theatre. Pas du tout, elle nous fait descendre à 150 mètres de là parce que les chemins devenaient impraticables et force a été pour ces dames à finir ce trajet dans 20 centimètres de boue, avec leurs petits souliers.
15. Melle Comte, fille du Docteur, meurt à 20 ans de la grippe, elle était fiancée à M. Philippon.
Claire, Marcelle et moi déjeunons à la Grâce avec le colonel Skinner, le commandant Taves, Geneviève Tiersonnier et Isabelle de Balloy. On fait force musique et le chauffeur se fait entendre.
Les nouveaux riches - Pourneau fermier à Gain, et fils de notre ancien fermier de Bouvy, vient d'acheter le château et les 4 domaines de Boisvert pour 600 000 Fr. C'est du 2%. Cette terre est vendue par  M. de Marcellus et n'a pas été habité depuis 50 ans. Madame de Donne, fille de Monsieur du Rosay et belle-soeur du précédent avait liquidé sa part il y a quelques années au profit de la générale Perigot.
Pinos, sujet espagnol, marchand de primeurs à Saint-Pierre le Moutier depuis 5 ans s'est rendu acquéreur du domaine d'Autry, situé près de Buy et appartenant à M. Jalladon de la Barre, divorcé puis remarié à une américaine, ce qui ne l'empêche pas d'être ruiné.

21. Nous déjeunons à Buy, Claire, Edith et moi. Les américains grimpent sur les grands peupliers de l'étang pour les dépouiller du gui dont ils sont couverts afin de décorer leurs baraques pour la fête de Noël. J'ai même vu une nurse habillée en homme, très haut perchée pour faire la cueillette.

23. Les américains continuent à piller les arbres verts et malgré les 3 ou 4 policemen qui sont préposés à la garde du jardin, ils n'arrivent pas à nous défendre, trois petits arbustes dont un beau tuya qui étaient sur la pelouse ont été coupés, ainsi que le buis du jardin de Joachim. Claire, furieuse, monte chez le colonel pour se plaindre. Une enquête sera faite et les coupables punis.

24. Nous allons à la messe de minuit à Saint Parize par un ciel étoilé et température douce. Plusieurs américains y assistaient et ont communié.

Noël. Les Américains offrent à tous les enfants des communes environnantes un arbre de Noël. Ce sont les dames de la Croix Rouge qui organisent cette fête, chacune dans son groupe.

26. Henri, sa femme et Tone viennent déjeuner, et ne trouvent ni Claire, ni Marcelle, que Miss Bergson est venue prendre ce matin pour les emmener aux Fougis passer la journée en compagnie de deux officiers. Elles ont fait un très agréable voyage dans leur voiture d'ambulance.
Henri à vendu dans un de ses domaines de l'Allier une paire de bœuf pesant 2300 kg pour 5 900 Fr. Ce qui fait 2,52 Fr. le Kilo.
René de la Boutresse, frère jumeau d'Emmanuel meurt en Normandie à 68 ans.

29. Hier, ouverture du grand théâtre au camp américain, nous nous rendons à cette fête ou nous retrouvons sur l'estrade d'honneur les Montrichard, de la Moussaye, Thuret, Bouillé, général Johnson, etc. Madame de Bouillé assise à côté de Claire est des plus aimable tout en étant fort gênée, ses filles ne nous disant même pas bonjour. Les Charles Tiersonnier étant de la fête, le colonel leur avait envoyé son auto pour les amener de la Grâce, ils couchent ici. J'oubliais de mentionner la présence de notre curé, assis à côté du Cte de Montrichard, c'est la première fois que l'un et l'autre assistaient à une représentation dans un music-hall, car ce n'était que cela. Nous comptions cependant sur un opéra.

30. Le colonel et Taver vont déjeuner à Vauban. Roger nous avait demandé de les accompagner, Marcelle et moi, mais le dimanche ce n'est pas commode à cause de la messe, et puis un si long voyage manque de charme avec la pluie qui ne cesse de tomber.

31. Monsieur de Vasson me prend dans son auto à 8 heures du matin pour faire une tournée des reproducteurs charolais. Je le mène chez Besson à Mont ou nous voyons de bons veaux mais des prix!! 4000 f. un numéro. De là, nous nous transportons à Lille, les prix sont moins élevés mais les sujets moins bons. Nous arrivons ensuite à Beuzeau ou mon ami se rend acquéreur pour 3500 fr d'un veau de tête.

31.10.12

Novembre 1918




Novembre 1918

 1. Il y a dans le cimetière américain 275 tombes, dont 8 de nurses et 7 d'officiers. Le camp grandit tous les jours et doit maintenant couvrir 600 ha.
Beaucoup d'hommes à la fête de la Toussaint, il faisait du reste un soleil radieux.

2. Beaucoup de monde à l'Office des morts.

Saint-Hubert. On découple aux Queudres sur des lapins, la pluie d'orage nous fait rentrer à neuf heures. Les Montrichard, Gabriel et sa femme, viennent prendre une tasse de thé avec le Colonel Skinner et le commandant Tades. Ils complimentent Gabriel sur son élévation au grade de capitaine, il a quatre citations dont une à l'armée.
Un convoi américain a défoncé le pont suspendu de Mornay et il est tombé dans la rivière, un homme a été tué et neuf autres blessés.
Clémenceau qui s'est fait enlever la prostate il y a quelques années raconte que deux choses sont inutiles sur la terre, Poincaré et la prostate.

4. Roger de la Brosse nous quitte après avoir passé une quinzaine avec nous. Il m'a paru se plaire ici et l'attrait du camp américain, où il a eu beaucoup de succès, y a bien été pour quelque chose. Il fait aujourd'hui un temps de mois de mai et je crois que l'herbe pousse encore, l'orage d'hier n'a pas rafraîchi le temps.

Tous mes métayers font métier de mastroquet, Il donnent du vice aux américains qui viennent chez eux faire de petits repas sur commande, les pommes de terre frites sont très en faveur, je ferme les yeux sur tout cela. Il faut gagner de l'argent pendant la guerre, Aussi ma locataire la mère Levaux s'est mise blanchisseuse et prend 10 sous pour laver une paire de chaussettes. A saint Parize, la bouteille de mauvais Chanturgue se vend un louis.

5. Grincourt nous fait battre son petit bois en battue et nous y tuons 64 lapins et une bécasse, nous en voyons 4 autres, c'est à ne pas y croire. Comme invités, Madame Meynier, Maurice Robert et moi. La Roche a manqué, ainsi qu'Henri Robert qui souffrait d'une dent.
Le Colonel Webb du génie américain, demeurant 6, place de la république à Nevers, vient me demander si nous voulons lui louer pour six mois notre maison de la rue de l'Oratoire. Je lui réponds que je ne le peux pas car nous comptons l'occuper en janvier, ce qui est peu probable du reste.

7. Pour la première fois les propriétaires de Saint-Parize, dont les terres ont été réquisitionnées par les soldats américains en janvier, touchent une indemnité, qui est d'environ 260 Fr. par hectare pour les neuf mois écoulés au 30 septembre. Bernigaud empoche 17 800 francs. Quant à moi, le secrétaire de la mairie (Licot) qui a fait le travail de répartition, s'est grossièrement trompé, il me porte en moins 28 hectares et de ce fait je touche 8200 Fr. au lieu de 19000 qui me reviennent. La réclamation du maire à mon endroit me fera j'espère rendre justice.
Augustin écrit à sa femme qu'on vient de lui donner le 9° galon à la date du 28 septembre.
À neuf heures du soir un messager du camp vient nous apprendre qu'une dépêche  apporte la nouvelle que l'armistice demandée par les Boches est accordée, grâce à Dieu c'est la fin de la guerre.

9. L'armistice en question n'est pas encore accordée, la nouvelle été prématurée nous saurons le résultat dans 72 heures. Je vais à Nevers  avec Marcelle, nous déjeunons chez les La Brosse. Je trouve Etienne bien triste et avec mauvais teint. Élisabeth les inquiète, elle ne boit, ni ne mange, et avec cela pas de sommeil.

Saint-Martin. Deo Gratias, cette fois l'armistice est enfin signée. Les cloches sonnent partout et dans le camp musiques et  clairons n'arrêtent pas.

Saint René. Beau temps. Monsieur le curé vient dîner et toute la maison est remplie d'é(illisible) 6 hommes et 2 femmes se succèdent.

14. Miss Bergson emmène Edith et Marcelle comme interprète pour faire les achats à Moulins, elle leur offre à déjeuner à l'hôtel de Paris.


15. Sur l'invitation du colonel Skinner, nous nous rendons à huit heures du soir à la plantation de crémaillère de son Home, qui avait été paré de façon charmante et très champêtre. Dans une baraque appropriée pour la circonstance se trouvaient réunies de nombreuses personnes, dames de la Croix Rouge, nurses, officiers et invités civils, dont les Raymond Thuret et leur fille. La musique a été bonne, le quatuor de chants parfait et les pièces comiques très réussies. À 9h30 lunch dans une autre baraque, et à 11 heures la soirée prenait fin par de nouveaux chants.
Le comte de Gain, automobiliste aux armées, meurt dans un hôpital du front, de la grippe. Il était le plus proche voisin des Riberolles à Bulhon.

16. 17. 18. 19. 20. L'activité est toujours grande au camp et l'armistice n'arrête en rien les travaux.

21. Mademoiselle Frison arrive pour faire la miniature des deux petits Riberolles. En une heure je tue six perdreaux et un coq, c'est une chance avec le peu de gibier qui me reste.

22. Geneviève Clayeux nous arrive avec ses filles et sa belle-sœur Marguerite. La jeunesse est attirée par les distractions du camp. Le lieutenant Bouto qui est un excellent violoniste vient faire de la musique avec Marcelle. Mademoiselle Frison commence mon portrait sans barbe d'après une photographie d'avant la lettre, cette manière de poser me va assez bien.

23. Je vais assister à l'enterrement de Joseph Mathieu, décédé à 40 ans à la suite d'une fluxion de poitrine compliquée de pneumonie, on m'avait prié de tenir un des coins du poêle, ce qui était bien inutile car il n'y avait que la route à traverser, car au lieu de vivre au château de Crot noir comme il aurait dû le faire, il habitait la ferme avec ses domestiques, c'est de l'atavisme, il rappelait ainsi son arrière grand-père Maurice de Frisye.
Le lendemain, on enterrait à Nevers Henri de Villenaut, mort chez Octave rue de la Chaumière. Ancien officier de marine, il vivait dans sa propriété des Quatre-Pavillons comme un ermite. Célibataire endurci, il était devenu sur ses vieux jours d'une grande piété, ce qui ne l'empêchait pas d'avoir des idées plutôt bizarre en fait de religion. Il racontait un jour à Yvonne Jourdier qui me l'a rapporté, qu'il était inutile de prier pour son frère parce qu'il était en enfer.

25. Montrichard me conduit en auto à l'enterrement du susnommé, il y avait peu de monde, j'y rencontre cependant Yvonne Jourdier qui me dit qu'on a enfreint aux dernières volontés du défunt qui avait demandé à être enterrer dans un sac et avec le corbillard des pauvres. Or il avait un cercueil comme tout le monde et deux chevaux à son char.

27. Sur la convocation de Miss Bergson, nous allons, Claire, Marcelle et moi, à une soirée dansante donnée par le groupe 48. Le Colonel Hébert nous reçoit les bras grands ouverts et nous introduit dans une baraque décorée avec les drapeaux alliés et de la verdure dérobée dans mes bois. On danse la valse, le one step, le two step, d'une façon très convenable. À 9h30, la  nurse-chef me demande de lui offrir mon bras pour passer dans une seconde baraque ou un lunch est préparé sur des petites tables, il y a 120 couverts. Une table d'honneur réunie 10 convives, le Colonel Skimer sépare ma femme et moi, Marcelle fait face au colonel, à ma gauche, miss Bergson. Comme nourriture de la salade russe et des gâteaux, comme breuvage du café au lait. À onze heures pour revenons à la maison, une lanterne à la main pour nous guider dans les chemins horribles qui sillonnent le camp et dans les fondrières qui se touchent toutes.

28. Foire de Saint-Pierre, le cochon est en baisse, surtout pour les jeunes, la nourriture faisant partout défaut. Les gros se vendent 2,20 Fr. le kilo au lieu de 2,90 Fr. le mois dernier, ce qui est encore un joli denier.

29. Myrrha m'est aimablement offerte par mon ami R. de Thoury. Je l'essaye le lendemain, elle chasse plutôt comme un cocker que comme un chien d'arrêt, aussi je pense bien que je ne la garderai pas.



29.10.12

Octobre 1918


 Souvenirs et pensées n°9

Dimanche 6 octobre 1918
Je suis heureux de commencer ce neuvième cahier par une réflexion pieuse. Ce matin avec Édith nous avons assisté à une messe dite dans une baraque du camp par l'abbé Clargeboeuf. La veille mes filles avaient recouvert l'autel d'une superbe étoffe décorée d'un agnus Dei. L'assistance était très nombreuses et le recueillement très édifiant, Beaucoup d'officiers et de soldats américains ont communié, tous lisaient la messe dans leurs livres, ou égrainaient pieusement leur chapelet. Contrairement à beaucoup de français les Américains ignorent ce qu'est le respect humain. Pendant la plus grande partie de l'office ils se tiennent à genoux sur la pierre, et ils écoutent avec la plus grande attention les quelques paroles qui leurs sont dites par l'officiant.
L'abbé Clargeboeuf déjeune avec nous.

6 octobre 1918
La fille aînée des Albert de Bouillé, ou plutôt la seconde, est fiancée à Monsieur de Vanssay. Mademoiselle Monique de Certaines entre aux Petites sœurs de l'Assomption. Mademoiselle Lamadou aux sœurs de Nevers.

Sept. Les Charles Tiersonnier passent la journée avec nous.

Huit. René Clayeux et sa femme nous arrivent aujourd'hui pour quelques jours. Maurice Robert, sous-lieutenant au 290e infanterie 19e compagnie section 195 vient d'avoir une seconde et flatteuse citation. On nous fait part des fiançailles d'Odette de Souferna avec son cousin Mabire, officier de dragon.

10. Je conduis Clayeux à Nevers en passant par Sully, nous traversons Challuy où nous voyons que le chemin de fer partant de Saincaize pour rejoindre la ligne de Chagny à Saint Éloi passe sous la route entre l'église et le parc de Maucouvent. Il est ensuite en chaussée dans le sommet des Argougneaux, c'est un énorme travail exécuté en 9 mois par nos alliés. Sully est occupé par des religieux d'Amiens  qui sont de vieux pensionnaires, des deux sexes. J'apprends en passant au Mou que le fermier Charpentier vient de mourir à l'hôpital suite de névralgie. Je constate d'autre part que rien n'est cultivé et que les prés de Challuy ne sont pas mangés.

 11. Nous mangeons un magnifique buisson d'écrevisses, cadeau de mon ami Pinon qui doit aller les prendre dans la Colâtre entre Parizy et les Planches. Je n'approfondis pas. Depuis Verdun en 1879 je n'en avais pas vu autant sur le plat. René Clayeux s'en est régalé.

12. Il pleut très fort cela gêne pour les emblavures.Il est vrai que pendant 15 jours nous avons eu un beau temps de semailles.

15. René Clayeux et moi allons déjeuner à Buy où nous retrouvons Ludvig. Bonnes nouvelles des guerriers.

17. Henri Robert déjeune avec nous et à neuf heures je mène Claire et Marcelle faire une visite à la Chasseigne.

18. Avec Sylvia, ma nouvelle jument, je conduis René à Nevers où nous déjeunons chez les La Brosse que nous trouvons bien tristes, surtout Étienne. Josefa vient de s'installer à Senlis ou elle a pris une villa. Quant à Élisabeth, elle est toujours dans le même état d'abattement, ne mange pas, ne dort pas et rend la vie bien dure à ses parents, comme si ils étaient cause de son malheur. L'état sanitaire de Nevers, et même de toute la France, est fort mauvais. L'influenza, appelée pour la circonstance grippe espagnole fait partout des ravages.
Brettmann vient faire un bridge après dîner avec un de ses camarades.

21. Les Clayeux nous quittent. Deux nurses meurent de pneumonie grippale au camp ou cette maladie fait beaucoup de victimes. Je vends à Château deux bœufs maigres de Callot pour 4000 Fr. je n'avais atteint ce prix.

22. Claire, Marcelle et moi allons déjeuner à la Grâce. R.D.N.

23. Roger de la Brosse nous arrive pour dîner à 11 heures du soir et pour passer quelques jours.

24. Foire de Saint-Pierre. Sous la pluie. Le petit cochon est en baisse et le gros à 2,50 Fr. la livre. Le syndicat de Vendée fait sa tournée et paye les taureaux une moyenne de mille francs.

26. Je vais avec Roger faire une visite à Beaumont.
Jacques de Soultrait est nommé capitaine. Je vends pour 960 Fr. mon âne que je venais de couronner pour la seconde fois, et qui était en ma possession depuis de nombreuses années. Paul Rendu, directeur de la Société Générale meurt à Nevers, c'était un homme aimable, grand chasseur et fort complaisant. Son fils est capitaine au 19e de ligne.

27. En l'honneur de Roger nous invitons à dîner le colonel américain Winner Hanon et Eberth. La soirée a été pleine d'entrain, excepté pour moi qui ne comprenait pas un mot des conversations.

28. Je conduis Roger à Fontallier, Marcelle nous accompagnent. Le soir deux lieutenants américains dinent avec nous. Ils ont l'air de milliardaire, ils ne savent cependant pas se tenir à table. Ils mettent le pain dans leurs assiettes, mélangé à la sauce du ragoût. Ils se servent sans ôter leur couvert de dessus l'assiette, mettent leur verre à la place des carafons, etc. Les colonels en font autant, tous mangent peu ou pas de pain, même avec le fromage. Félix m'écrit qu'il a vendu sa coupe de St Ouen 22000 fr à Saintoyeu. Ce dernier m'avait offert 18 000 à adjudication. Tous ces marchands de bois sont des filous.

30. Je conduis René déjeuner à la Barre chez Trompette.

31. Henri Robert nous amène ses deux aînés à déjeuner pendant qu'Antoine a la rougeole.

Reprise

Après un an et demi de pause.... Nous avons le plaisir de reprendre la transcription des notes de René Robert.
Nous commençons le 9 eme cahier qui démarre en 1918.
Bonne lecture à tous et n hésitez pas à nous faire part de vos commentaires.
Hubert
Geoffroy