31.10.12

Novembre 1918




Novembre 1918

 1. Il y a dans le cimetière américain 275 tombes, dont 8 de nurses et 7 d'officiers. Le camp grandit tous les jours et doit maintenant couvrir 600 ha.
Beaucoup d'hommes à la fête de la Toussaint, il faisait du reste un soleil radieux.

2. Beaucoup de monde à l'Office des morts.

Saint-Hubert. On découple aux Queudres sur des lapins, la pluie d'orage nous fait rentrer à neuf heures. Les Montrichard, Gabriel et sa femme, viennent prendre une tasse de thé avec le Colonel Skinner et le commandant Tades. Ils complimentent Gabriel sur son élévation au grade de capitaine, il a quatre citations dont une à l'armée.
Un convoi américain a défoncé le pont suspendu de Mornay et il est tombé dans la rivière, un homme a été tué et neuf autres blessés.
Clémenceau qui s'est fait enlever la prostate il y a quelques années raconte que deux choses sont inutiles sur la terre, Poincaré et la prostate.

4. Roger de la Brosse nous quitte après avoir passé une quinzaine avec nous. Il m'a paru se plaire ici et l'attrait du camp américain, où il a eu beaucoup de succès, y a bien été pour quelque chose. Il fait aujourd'hui un temps de mois de mai et je crois que l'herbe pousse encore, l'orage d'hier n'a pas rafraîchi le temps.

Tous mes métayers font métier de mastroquet, Il donnent du vice aux américains qui viennent chez eux faire de petits repas sur commande, les pommes de terre frites sont très en faveur, je ferme les yeux sur tout cela. Il faut gagner de l'argent pendant la guerre, Aussi ma locataire la mère Levaux s'est mise blanchisseuse et prend 10 sous pour laver une paire de chaussettes. A saint Parize, la bouteille de mauvais Chanturgue se vend un louis.

5. Grincourt nous fait battre son petit bois en battue et nous y tuons 64 lapins et une bécasse, nous en voyons 4 autres, c'est à ne pas y croire. Comme invités, Madame Meynier, Maurice Robert et moi. La Roche a manqué, ainsi qu'Henri Robert qui souffrait d'une dent.
Le Colonel Webb du génie américain, demeurant 6, place de la république à Nevers, vient me demander si nous voulons lui louer pour six mois notre maison de la rue de l'Oratoire. Je lui réponds que je ne le peux pas car nous comptons l'occuper en janvier, ce qui est peu probable du reste.

7. Pour la première fois les propriétaires de Saint-Parize, dont les terres ont été réquisitionnées par les soldats américains en janvier, touchent une indemnité, qui est d'environ 260 Fr. par hectare pour les neuf mois écoulés au 30 septembre. Bernigaud empoche 17 800 francs. Quant à moi, le secrétaire de la mairie (Licot) qui a fait le travail de répartition, s'est grossièrement trompé, il me porte en moins 28 hectares et de ce fait je touche 8200 Fr. au lieu de 19000 qui me reviennent. La réclamation du maire à mon endroit me fera j'espère rendre justice.
Augustin écrit à sa femme qu'on vient de lui donner le 9° galon à la date du 28 septembre.
À neuf heures du soir un messager du camp vient nous apprendre qu'une dépêche  apporte la nouvelle que l'armistice demandée par les Boches est accordée, grâce à Dieu c'est la fin de la guerre.

9. L'armistice en question n'est pas encore accordée, la nouvelle été prématurée nous saurons le résultat dans 72 heures. Je vais à Nevers  avec Marcelle, nous déjeunons chez les La Brosse. Je trouve Etienne bien triste et avec mauvais teint. Élisabeth les inquiète, elle ne boit, ni ne mange, et avec cela pas de sommeil.

Saint-Martin. Deo Gratias, cette fois l'armistice est enfin signée. Les cloches sonnent partout et dans le camp musiques et  clairons n'arrêtent pas.

Saint René. Beau temps. Monsieur le curé vient dîner et toute la maison est remplie d'é(illisible) 6 hommes et 2 femmes se succèdent.

14. Miss Bergson emmène Edith et Marcelle comme interprète pour faire les achats à Moulins, elle leur offre à déjeuner à l'hôtel de Paris.


15. Sur l'invitation du colonel Skinner, nous nous rendons à huit heures du soir à la plantation de crémaillère de son Home, qui avait été paré de façon charmante et très champêtre. Dans une baraque appropriée pour la circonstance se trouvaient réunies de nombreuses personnes, dames de la Croix Rouge, nurses, officiers et invités civils, dont les Raymond Thuret et leur fille. La musique a été bonne, le quatuor de chants parfait et les pièces comiques très réussies. À 9h30 lunch dans une autre baraque, et à 11 heures la soirée prenait fin par de nouveaux chants.
Le comte de Gain, automobiliste aux armées, meurt dans un hôpital du front, de la grippe. Il était le plus proche voisin des Riberolles à Bulhon.

16. 17. 18. 19. 20. L'activité est toujours grande au camp et l'armistice n'arrête en rien les travaux.

21. Mademoiselle Frison arrive pour faire la miniature des deux petits Riberolles. En une heure je tue six perdreaux et un coq, c'est une chance avec le peu de gibier qui me reste.

22. Geneviève Clayeux nous arrive avec ses filles et sa belle-sœur Marguerite. La jeunesse est attirée par les distractions du camp. Le lieutenant Bouto qui est un excellent violoniste vient faire de la musique avec Marcelle. Mademoiselle Frison commence mon portrait sans barbe d'après une photographie d'avant la lettre, cette manière de poser me va assez bien.

23. Je vais assister à l'enterrement de Joseph Mathieu, décédé à 40 ans à la suite d'une fluxion de poitrine compliquée de pneumonie, on m'avait prié de tenir un des coins du poêle, ce qui était bien inutile car il n'y avait que la route à traverser, car au lieu de vivre au château de Crot noir comme il aurait dû le faire, il habitait la ferme avec ses domestiques, c'est de l'atavisme, il rappelait ainsi son arrière grand-père Maurice de Frisye.
Le lendemain, on enterrait à Nevers Henri de Villenaut, mort chez Octave rue de la Chaumière. Ancien officier de marine, il vivait dans sa propriété des Quatre-Pavillons comme un ermite. Célibataire endurci, il était devenu sur ses vieux jours d'une grande piété, ce qui ne l'empêchait pas d'avoir des idées plutôt bizarre en fait de religion. Il racontait un jour à Yvonne Jourdier qui me l'a rapporté, qu'il était inutile de prier pour son frère parce qu'il était en enfer.

25. Montrichard me conduit en auto à l'enterrement du susnommé, il y avait peu de monde, j'y rencontre cependant Yvonne Jourdier qui me dit qu'on a enfreint aux dernières volontés du défunt qui avait demandé à être enterrer dans un sac et avec le corbillard des pauvres. Or il avait un cercueil comme tout le monde et deux chevaux à son char.

27. Sur la convocation de Miss Bergson, nous allons, Claire, Marcelle et moi, à une soirée dansante donnée par le groupe 48. Le Colonel Hébert nous reçoit les bras grands ouverts et nous introduit dans une baraque décorée avec les drapeaux alliés et de la verdure dérobée dans mes bois. On danse la valse, le one step, le two step, d'une façon très convenable. À 9h30, la  nurse-chef me demande de lui offrir mon bras pour passer dans une seconde baraque ou un lunch est préparé sur des petites tables, il y a 120 couverts. Une table d'honneur réunie 10 convives, le Colonel Skimer sépare ma femme et moi, Marcelle fait face au colonel, à ma gauche, miss Bergson. Comme nourriture de la salade russe et des gâteaux, comme breuvage du café au lait. À onze heures pour revenons à la maison, une lanterne à la main pour nous guider dans les chemins horribles qui sillonnent le camp et dans les fondrières qui se touchent toutes.

28. Foire de Saint-Pierre, le cochon est en baisse, surtout pour les jeunes, la nourriture faisant partout défaut. Les gros se vendent 2,20 Fr. le kilo au lieu de 2,90 Fr. le mois dernier, ce qui est encore un joli denier.

29. Myrrha m'est aimablement offerte par mon ami R. de Thoury. Je l'essaye le lendemain, elle chasse plutôt comme un cocker que comme un chien d'arrêt, aussi je pense bien que je ne la garderai pas.



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