1. Pluie. Enterrement de Raoul de Bouillé, il y avait foule, ce qui prouve que dans notre pays plus ou moins pourri, on est encore traditionnaliste, et que le souvenir d’un nom qui a été respecté, ne s’efface pas très vite. Les parents proches comme les Marcy et Maumigny se tiennent au fond de l’église. Pas de Chargères, Albert ne figure pas dans la lettre de part. Sur la tombe, Roger de Soultrait, en sa qualité de président de la Société d’agriculture, prononce une oraison funèbre, ce qui n’était pas commode, me dit-il en passant. Nous ramenons à Nevers le Colonel d’Assigny et G. Tiersonnier, ce dernier déjeune avec nous. Augustin rentre d’Auvergne. Après dîner je vais faire un Bridge chez les Houdaille avec Jean de Pazzis.
2. Pluie. Bridge chez Auguste du Verne. A huit heures et demie du soir, le candidat Piélain, directeur à Imphy, expose son programme politique. Il est acceptable. Le Paris-Centre qui ne manque jamais une gaffe publie le même jour la profession de foi de l’avocat Gromolard qui est son concurrent, qui est très modérée. Tout de même il faudrait soutenir un seul candidat, et Piélain a reçu l’investiture du parti catholique, que lui a donnée le Comte de Pardieu.
5. Miette a la fièvre, c’est probablement la rougeole qui commence, elle empêche sa maman de venir à la chasse, Marcelle nous y emmène avec le colonel d’Assigny et Augustin. A onze heures et demie nous arrivons dans les bois d’Azy pour voir un joli rendez-vous des équipages réunis du Vautrait Croÿ et du Rallye Bourbonnais, quatre-vingt chiens et dix-huit autos. La princesse nous fait le plus aimable accueil et nous invite à goûter après la chasse. Celle-ci ne fut pas brillante, après une bonne attaque sur un animal de cent quarante, les chiens se divisent et partent en éventail sur des marcassins. Aussi à quatre heures et demie beaucoup des invités se retrouvent au château d’Azy pour y faire une partie de Bridge et prendre une tasse de thé. Il y avait les Pracomtal, Candolle, Chabannes, Faverges, Dreuzy, Paul Tiersonnier, Aubergy, Terline, etc. J’ai joué avec la Marquise de Pracomtal qui a fait peu de progrès. Parmi les assistants qui ne sont pas venus au château il y avait Madame Buzenat, la famille Roy nos voisins, Madame Ponceau accompagnée de Madame Maringe née Blandin qui ne s’est fait présenter à personne, de même que Monsieur d’Allaines, le mari de la dernière des Larouillère, et enfin Mademoiselle Taillandier la fille de mon charpentier dans une superbe toilette.
Les Guillaume du Verne dînent avec nous.
6. Pluie. Miette est plutôt rose que rouge, et peu abattue. Je vais à la gare voir passer Edmond et je ramène Geneviève qui allant à Villette s’arrête à la maison pour déjeuner. Bridge chez Zizi.
7. Miette est rouge et vomit tout ce qu’elle prend. Goûter chez Madame Comte, il n’a rien du carême, peu nombreuses sont les personnes qui jeûnent. Cinq tables de Bridge.
8. Marcelle me conduit à Tâches, je trouve ma métayère dans un état lamentable, elle a eu un transport au cerveau, et il faut deux personnes en permanence auprès d’elle, et toute la maison est sur les dents, les pauvres gens font pitié. Naturellement rien ne se fait dans le domaine. A deux heures et demie je prends le train pour Poiseux, où je vais voir mon vieux camarade Charles du Verne, qui se plaint de ne pouvoir plus marcher, il a cependant bonne mine, mange, dort bien, et lit l’Action Française. Sa femme fait les honneurs de son home qu’elle a arrangé avec goût, avec beaucoup d’amabilité mais peu de distinction. C’est son jour, il vient assez de monde pour monter quatre tables de jeux avec les Dreuzy, Terline, de Champs, Houdaille, Toytot, etc. Le colonel d’Assigny et moi restons à dîner et rentrons par le train de dix heures et demie.
10. Foire de Nevers, un peu plus d’activité dans les demandes, il y a quelques étrangers. Petits cochons onze le kilo, le gras sept. Bridge chez Zizi.
11. Madame Victor du Verne, qui n’a pas de cuisiniere, déjeune avec nous, ses quatre-vingt ans lui pèsent moins qu’à moi les soixante-quinze. A cinq heures j’entends dans le salon d’Auguste la conférence faite à Notre-Dame par Monseigneur Baudrillart qui parle pendant une heure et demie, on le suit très facilement.
12. Quatre degrés sous zéro. Je vais avec Marcelle donner de l’eau bénite à ma pauvre métayère Mangote morte après trois mois de souffrances. Le même jour à Callot je perds une jument de huit ans prête à mettre bas, c’est la seconde dans ma régie depuis six mois, ce qui représente une dizaine de mille francs de perte. C’est beaucoup. A déjeuner, nous avons Geneviève, amenée par les Villeneuve. Bridge Delecluze.
13. Déjeunons à la Grâce, au retour, on me dit que Félix est malade. Je le trouve aux prises avec une forte indigestion, ce qui lui arrive de temps en temps. De neuf heures du soir à neuf heures du matin, il a des vomissements, il est épuisé par les efforts, et ne reconnait plus personne. Bien me prend de passer la nuit près de lui, car seul, il n’aurait pu prendre ni son pot ni sa cuvette, et sa domestique qui n’est qu’un château branlant n’aurait pas eu la force de le secourir.
14. Félix va mieux, le docteur le fera purger demain.
15. Il passe encore une mauvaise nuit avec efforts pour vomir très fatigants. La purge fait beaucoup d’effet. Madame Vialle et Marie du Verne déjeunent avec nous. Bridge à la maison, trois tables.
16. Sept degrés sous zéro. Solange Houdaille m’emmène avec mesdemoiselles de Toytot à la chasse Croÿ et Rallye Bourbonnais. Le rendez-vous est à la grille du château de Prye. Le coup d’œil est superbe, éclairé par un beau soleil. Assistance aussi nombreuse que choisie : princesse de Croÿ, les Rohan-Chabot, Glatigny, de Champs, de Roquefeuille, Duras, Mollins, Andrieu, Paul Tiersonnier et dans un milieu moins chic, Blandin, Roy, Ponceau, Vagne, etc. On attaque au Bois Petant, dans une compagnie de sangliers, et pendant quatre heures et demie on ne sort pas du massif de Prye ; à la tombée de la nuit nous rentrons chacun chez nous.
17. Les Guillaume du Verne dînent avec nous impromptu. A quatre heures du soir, Marcelle reçoit la dépêche suivante : « Evêque de Nevers me refuse autorisation quêter église cathédrale, irez vous voir dimanche onze heures. Germaine de Savigny ». Ma fille lui avait demandé de quêter pour l’œuvre des tabernacles et elle avait accepté très gentiment. A première vue je trouvais que Monseigneur avait eu tort de lui refuser l’autorisation, la suite m’a prouvé qu’il avait eu grandement raison.
18. A l’heure dite, Germaine arrive à la maison et nous dit qu’elle a écrit à notre évêque, lui demandant son offrande et la permission de quêter dans la cathédrale, étant donné qu’elle lisait l’Action Française et qu’en plus elle était propagandiste. Elle nous avoue même qu’elle n’avait fait que copier cette lettre inspirée par un autre. C’était donc une pure provocation, à laquelle Monseigneur a fait répondre par l’abbé Chevalier dans ces termes : « Mademoiselle, les décrets de la Sacrée Pénitencerie étant toujours en vigueur, après ce que vous dites, vous ne serez pas étonnée de ce que je ne puis vous autoriser à quêter dans la cathédrale… » ceci prouve une fois de plus la mauvaise foi des gens inféodés à l’A.F. Mademoiselle de Savigny a renvoyé leur offrande à tous ceux qui la lui avaient fait parvenir en leur signalant le refus de Monseigneur mais sans parler de sa lettre, afin que tous puissent croire que toute la faute retombait sur notre saint évêque. Marcelle a remplacé la jeune Germaine en promenant la bourse dans la cathédrale.
19. Saint Joseph. Comme d’habitude je m’approche des Sacrements. A onze heures je vais à l’enterrement d’Emmanuel Cheminade, mort à soixante douze ans, de froid, dit-on, sa grande économie l’empêchant de faire du feu. Les Guillaume du Verne déjeunent avec nous, Suzanne devant amener mes petites filles servir le repas des vieillards chez les petites sœurs des pauvres. J’ai omis de dire qu’à la date du dix-huit, Augustin a fait une conférence chez les sœurs de l’Assomption, prenant pour sujet la poésie à travers les âges.
20. Mariage Veyny-Thoisy à Saint-Pierre, assemblée des plus sélects, jolie mariée, bousculade à la sacristie. Le lunch était servi dans une tente beaucoup trop petite, aussi, nombreux ont été ceux qui sont allés déjeuner au restaurant. Pour ma part, je me suis contenté de manger un morceau de pain et de fromage chez ma sœur. Madame de Mollins qui est l’amabilité même, ayant invité tous les gens de la noce à passer l’après-midi chez elle, de deux heures et demi à sept heures, sa maison à regorgé de monde. Neuf tables de Bridge était montées et celle du buffet fort bien garnie a permis à ceux qui n’avaient pu se rassasier à l’hôtel Veyny de prendre leur revanche.
21. Pluie. Nous conduisons à sa dernière demeure Fleutot, Comte de Dongermain, mort à l’hôpital de Nevers à la suite d’une opération, âgé de soixante-seize ans. Ses neveux de Rosemont conduisaient le deuil, le second, officier d’artillerie devient le propriétaire de Véninges, ayant été adopté par sa tante. On m’a fait l’honneur de tenir un des cordons avec Pardieu, Auguste du Verne et un fermier de Varenne.
22. Pluie. Valérie de Goy vient de Bourges passer la journée avec nous.
24. Mes filles et moi emmenons Yvette de Noblet à la chasse, rendez-vous à Prye, assistance aussi nombreuse que choisie : Princesse de Croÿ, Saulu, les Pracomtal, Rohan-Chabot, d’Armaillé, Marcy, Terline, Glatigny, Mollins, Houdaille, du Gart, Auguste du Verne avec Marie-Antoinette, les Guillaume, Guillemain, Pinet des Ecots, A. de Chabanne et autres seigneurs de moins d’importance, il ne manque qu’un sanglier. A une heure nous partons pour les routes où Monsieur Brisset a signalé des animaux. En effet, à quatre heures moins un quart on découple sur une petite bête que les dames voient sauter vers les ruines du château de Faix, barré sur la route du Roulleau par les trop nombreuses autos, il repasse la route de Nevers et se fait battre jusqu’à la nuit dans les usages de Chaluzy. Pendant les trois heures d’attente, les bridgeurs ne perdent pas leur temps, je fais une partie avec Mesdames de Marcy, de Pracomtal et Joseph Andrieu. Trois autres ateliers travaillent dans les autres voitures. A sept heures on sonne l’hallali et on fait manger le petit cochon par l’équipage à la lueur des phares des voitures de ceux qui plus patients que moi étaient restés jusqu’à nuit noire.
25. Marcelle et moi allons à Tâche où Mazan m’annonce son intention de me quitter le onze mai prochain.
28. Pluie. Les Riberolles mènent les petites goûter à la Garenne et poussent jusqu’à Clamour.
29. Emile Jourdan du Mazot, capitaine de cavalerie, en retraite, meurt à Nevers où il habitait avec sa sœur Yvonne, la dernière des neuf enfants Jourdan; c’était un bon ami et un de mes camarades de collège. Bridge à la maison. Trois tables avec Simone d’Assigny, Marie-Thérèse Guillemain et sa belle sœur de Boursier. Mes enfants dînent à la Baratte et moi avec mes petites filles.
30. Au réveil je trouve à la cuisine Camille Moquery qui m’annonce que six brebis sont mortes étouffées. La veille ils leur avaient apporté des pierres de sel et comme surement elles n’en avaient pas eu depuis longtemps, elles se sont entassées les unes sur les autres et se sont écrasées. La morale de cela est qu’il faut toujours du sel dans une bergerie et quand on le renouvelle, en mettre dans plusieurs places à la fois. Augustin nous conduit, Marcelle et moi, déjeuner à Moulins chez les Clayeux. Edith ne nous accompagne pas, ayant la migraine et des rubans devant les yeux. Nous y trouvons le ménage Antoine, les Gaby et Madame de Nanteuil arrivant de Lyon où ils ont couché, retour de Cannes.
31. Pluie abondante. Mes filles déjeunent à la Grâce. Madame Theurier meurt à l’âge de quatre-vingt-douze ans et laisse à ma voisine madame le Sueur sa maison de la Place Ducale toute meublée.