28.3.10

MAI 1942

1 Gelée. Je m’approche de la Sainte Table car le mois commence un vendredi. La réquisition ne se contente pas de nous prendre des œufs, elle veut maintenant du lait, les vaches Charollaises devant donner 400 litres par an et les Normandes et Bretonnes 1250 litres. Si le vent glacial qui souffle depuis deux jours continue, les laitières ne pourront pas assurer cette fourniture, il est vrai que c’est celui de la lune rousse. Marcelle fait le mois de Marie dans le bureau, les nombreux enfants de la terre de Tâches y viennent avec empressement.

2 Gelée. Je descends à la gare pour y chercher ma chère fille Cécile qui a pu obtenir un laissez passer pour venir faire la connaissance d’Aliette. Elle est venue par Tours et a couché chez les Villeneuve. Nous causons longuement au coin du feu car on gèle.

3 Dimanche. Je mène Cécile à la messe avec mon âne. Chicon prend 5 petits renardeaux dans les chaumes vieilles sur le talus du trou d’eau.

4 Chabret qui pose l’électricité à la Chasseigne passe prendre Cécile avec son auto pour la conduire à la gare de St Pierre où elle s’embarquera pour Bulhon. Il nous apporte une lampe électrique qui coûte 300 francs et qui doit éclairer 400 heures. Carte d’Hervé du 19.Il a eu la visite de ses amis de Thé et Tézenas. Marcelle accompagne sa sœur à la gare et revient par nos fermes d’Azy. Bringant a acheté une paire de bœufs qui font bon ménage avec la pouliche qui lui reste. Marcelle rapporte de l’un et l’autre domaine une belle miche de pain blanc fait à la maison.

5 Gelée. Je vais voir l’étang américain des Chaumes Vieilles en vue d’y mettre la bonde métallique. Ce ne sera pas facile à cause de la cuvette pleine d’eau qui reste au milieu.

6 Lettre d’Edmond qui a vendu sa Baratte un prix fabuleux, il va faire un remploi en achetant un immeuble à Paris où les cours ont moins monté. Lettre de Louis qui a été reçu au Jockey, où le bridge est moins intéressant qu’au Nouveau Cercle qui est toujours fermé. Lettre de Dédette de la clinique, m’annonçant qu’elles rentrent à Bulhon le 1 er mai. C’est elle qui est marraine d’Aliette et le jeune Valence le parrain.

7 Marcelle prend le train de 7 h pour aller suivre une retraite chez les sœurs de l’Assomption à Nevers, quand à 10 h pendant que je lisais mon journal, je vois entrer Geneviève et Antoine Clayeux. Ce dernier devant se rendre à Nevers devait nous laisser sa mère et la reprendre en revenant. Je conseille à Geneviève d’aller chercher Marcelle et de revenir ensembles par le car pour déjeuner, c’est ce qui est arrivé. Antoine vient reprendre sa mère à 2 h ½. Celle-ci nous laisse une lettre d’Edith leur apprenant que Jean de Valence a le typhus contracté en soignant son cousin de Javel, atteint de cette maladie. Aux dernières nouvelles, la fièvre baissait. Je vais à la mairie faire un tas de déclarations, veaux, vaches, couvées, arbres fruitiers etc. On me porte réserve et bois 93 hectares.

8 Garnet, fermier au Mou, a deux pouliches de ½ sang primées au concours. Marcelle part à la première heure à bicyclette pour sa retraite à Nevers. Couturier vient chasser les renards, je ne sais pas s’il en a tués. Il me naît deux poulains, un à Tâches, un à Calot.

9 Roy est bien ennuyé, ses deux domestiques Espagnols dont il était content le quittent, celui de Chicon également Espagnol le plaque aussi.

10 Pluie Orage. Fête de Ste Jeanne d’Arc, à peu près personne à la messe. Anne de Rouville et Solange de Barrau viennent à bicyclette de leur couvent de Chantenay passer la journée avec nous. Guite Le Sueur les rejoint dans l’après midi. Après elle arrive Marie L. du Part et ensuite les Antoine Robert venant de Buy avec la voiture à âne. Pendant qu’ils sont là, un orage très violent se déclara, une pluie torrentielle avec quelques grêlons s’abat sur nous et quand Marie-Louise veut remonter sur sa bicyclette, elle trouve ses sacoches pleines d’eau.

11 Premier jour des Rogations. Vent Sud Ouest. Marcelle déjeune chez Melle Valois, va au Veurdre d’où elle ne peut téléphoner à Bulhon, les fils étant brisés par l’orage d’hier. Elle goute au retour à Fontallier. Fassier de Bonay loue des prés à Passot pour mille francs l’hectare. J’en prends bonne note. Il les louait 500 francs l’année dernière. Gonin me rentre du bois d’orme fendu, j’en ai environ 30 stères dans le garage près de la voiture à âne. J’espère que les Boches ne s’en apercevront pas car j’ai lu ce matin dans Paris Centre que l’approvisionnement familial ne devait pas dépasser cinq stères, que déclaration de ce que l’on détenait devait être faite. Ma commune n’est pas encore de celles visées.

12 Pluie. 2éme journée des Rogations à la Croix Aubert. J’ai la visite de Marion Voisin venue me demander un certificat attestant que son mari était resté à mon service de 1907 à 1932 afin qu’il puisse toucher la pension des vieillards.

13 Pluie. Carte d’Hervé du 26, ils vont bien, mais Hubert ne prend que 25 grammes par jour. Carte de Cécile du 5. Elle a fait bon voyage et a trouvé tout Bulhon bien portant. Gallicher m’écrit que l’enregistrement va me rendre l’argent que je lui avais versé indument pour renoncer à mon usufruit. J’ai eu mal à l’œil droit toute la nuit et au réveil je le vois très rouge. Comme il va mieux le soir je descends à sept heures à la gare chercher Cécile retour de Bulhon où tout va bien. Jean est sorti de l’hôpital et ses filles sont superbes. A Vichy elle a vu le Maréchal toujours jeune et Pierre Laval toujours laid, et ses amies Mesdames de La Moneray et de La Breteche, cette dernière est venue la voir un jour à Bulhon où Edith n’a pas pu jouir de sa présence car elle était aux prises avec une crise de foie.

14 Ascension. A la messe, plus d’hommes que de femmes.

15 Après avoir téléphoné à cinq garagistes, nous trouvons Ducuffy qui veut bien venir chercher Cécile et la conduire à Nevers à cinq heures et demie du soir où elle prend un train pour Tours. Elle couchera chez les Gaby et partira demain à la première heure pour Rennes d’où elle ne peut pas s’éloigner bien longtemps. Roger du Part nous annonce la naissance d’un quatrième enfant, Philippe. Je plante 550 betteraves à sucre dans le plus grand carré du jardin du Pied Prot et des haricots dans le carré le long de la haie.

16 Pluie. Mon rosaire. Le docteur Bonnichon vient voir la mère Michel. Il la considère comme perdue, elle a un cancer au foie. Carte d’Hervé, ils ont beaucoup de mondanités et ils reçoivent Mesdemoiselles de La Brosse.

17 Par beau temps, l’herbe pousse. Madame de La Ronde nous demande des renseignements sur Melle de Chavigné.

18 Les Antoine Robert nous amènent Marie Thérèse en visite. Dans son exploitation de bois à Sermoise, Antoine paye la façon du stère 30 francs et il la vend à Nevers, la moulée 155 francs et la charbonnette 120. Mention marginale : bonde. Lavergne, avec son niveau d’eau, constate que pour vider complètement l’étang américain, il faudra que je mette la bonde 0,5 mètres plus bas que le niveau actuel à la chaussée.

19 Jeanne de Soultrait est rentrée à Dornes. Marcelle va à Chevenon où elle ne trouve personne. Je fais une tournée dans les Craies, ce n’est pas leur année, seul le ramiot a prospéré avec abondance.

20 Je sème dans le Clou haricots de Rennes, betteraves et rutabagas. Cartes de Cécile qui a fait un bon retour, d’Edith qui est remise de sa crise de foie, d’Edmond qui n’obtient pas son laissez-passer pour aller à Paris. Marcelle va à Nevers avec les Le Sueur. Elle passe dans les banques pour faire mettre nos carnets à jour, ce qui est toujours une corvée pour elle. La cheminée des Petites Granges est remontée. Maintenant, je vais faire nettoyer la maison intérieurement pour m’attirer les bonnes grâces de ma métayère.

21 La fille de mes jardiniers doit faire sa Première Communion le jour de la Pentecôte et depuis quinze jours on parle du repas, des invités et des toilettes. Ce matin, ils sont allés à Nevers, où Alexandre a acheté un complet pour 1 500 francs et une ceinture en organdi pour la robe de la petite, 100 francs. C’est fou !

22 Le jeune Dupré me creuse le fossé qui doit vider l’étang américain à raison de 7 francs de l’heure. Chicon tue un cochon que nous partageons.

23 A la première heure, Cécile nous téléphone que son beau-père vient de mourir subitement. Par André, nous faisons prévenir Yvonne, l’enterrement aura lieu le 27. Maurice Robert nous amène sa mère, sa femme et ses filles. Marie Thérèse est furieuse contre Georges qui leur a soulevé les basse-couriers de Buy pour les emmener en Périgord où il a acheté du domaine avec la forte somme qu’il a retiré en vendant l’île verte. Odette de Lamalle passe la journée avec nous. Elle est vraiment très agréable.

24 Pentecôte. Première communion dans la paroisse, beaucoup de monde et de belles toilettes. En l’honneur de leur fille, mes jardiniers invitent parents et amis. Ils sont seize à table. Ils empruntent notre cuisinière en disant nous vous enverrons votre déjeuner. En effet, ils nous envoient du poulet à la crème, du filet de bœuf sauce madère, rôti de veau, pâté, entremet au chocolat, biscuit de Savoie et compote de prunes. Tout cela excellent. A 9 h du soir on se remet à table pour manger du ris de veau et de magnifiques poulets rôtis, suivis d’un baba fortement arrosé de rhum et d’un biscuit de Savoie recouvert de chocolat. De tout cela, nous avons eu notre part. La fête s’est terminée à minuit. Cécile nous téléphone pour savoir si nous savons quelque chose d’Yvonne. Rien.

25 Marcelle téléphone partout pour savoir si Yvonne a pu partir. Elle envoie Jean Le Sueur au Veurdre qui n’a pas pu correspondre avec Bulhon. Aux Gouttes, ils ne savent rien. En désespoir de cause, pour ne pas laisser Cécile toute seule le jour de l’enterrement, à quatre heures elle enfourche sa bicyclette et part pour Nevers où elle prendra le train pour Tours. Sur la voie en face d’elle s’arrête l’express Paris dans lequel elle aperçoit Yvonne. A la hâte, elle descend pour aller embrasser sa nièce qui lui donne de bonnes nouvelles de Bulhon, et au lieu de remonter dans son train, elle revient dîner avec moi, ce dont je suis bien aise. Berthe apprend à Marcelle que Paul Jourdier est marié depuis janvier avec la fille d’un officier français ou anglais, elle l’ignore. Villenaut, le veuf et forestier est fiancé avec Mademoiselle de La Motte-Rouge.

26 Garnet vient me payer son terme. Il me demande de lui faire faire une porcherie. Je vais étudier la chose.

27 Pluie. J’estime qu’aujourd’hui, c’est bien placer son argent que d’améliorer les bâtiments, bien que cela coûte terriblement cher. Avec Marcelle, nous allons au Paturail Male où il y a pas mal d’herbe. Un essaim d’abeilles se pose dans le jardin, Chicon nous le met dans une ruche. Je vends à M. Robinot pour Mont la jument Caprice de Callot pour 36 000 francs, elle a quinze ans. Le prix des chevaux est exagéré et cette vente ne me fait aucun plaisir, j’aimais beaucoup mieux l’époque ou j’aurais vendu pour huit cent francs une jument de cette âge la. (Carte intéressante d’Edith du 22). Je donne mille francs d’étrenne à mon métayer Roy. Guite de Sansal qui devait venir déjeuner avec nous y renonce à cause de la pluie.

28 A deux heures, Massias vient me prendre et laisse ici sa femme et Jeanne de Mollins, il me conduit à Moulins où il m’abandonne pendant trois heures pendant qu’il va à Bourbon. Je passe ce temps avec André que je n’avais pas vu depuis deux ans. Il a beaucoup vieilli mais peut encore s’occuper activement de ses œuvres. Madame de Montrichard vient goûter avec sa voiture à âne. D’Aramon venu dernièrement à Moulins pour un concours de chevaux a dit à André qu’il venait de vendre à un marchand une jument de trait pour soixante dix neuf mille francs.

29 Pluie. Journée sans histoire. Lavergne commence à remonter le toit du poulailler abattu par l’ouragan du 15 août.

30 Pluie. Jeanne Mabire qui va avoir soixante dix ans, ce que j’ai de la peine à croire, vient avec Louise passer la journée. J’ai toujours beaucoup de plaisir à les voir. Elles partent chargées de fleurs, de laitages, de légumes. Marcelle, avec tous les enfants qui fréquentent son mois de Marie, descend aux Petites Granges pour la fête des mères pour porter des gâteaux et un cadeau à Thérèse. L’ainé de ses cinq enfants lui récite un compliment et les autres lui offrent des fleurs.

31 Pluie. Marcelle avec mon métayer des Petites Granges fait une spéculation qui ne les enrichira pas, mais qui leur permettra peut être de manger un jour une bonne côtelette. Ils achètent chez les Le Sueur quatre petits agneaux pesant en tout quatre-vingt dix sept kilos pour deux mille quatre cent francs, cela fait cher la livre. Aujourd’hui, fête des mères dans toute la France, à Saint Parize, M. le Curé fait tout son possible pour la rendre édifiante. Malheureusement le temps n’est pas beau et la procession n’a pas lieu. L’après midi est réservée à Moiry où l’on couronne non pas une rosière mais la mère de dix sept enfants, la femme Dupré. M. le Curé l’invite à déjeuner à l’hôtel Blasco avec une de ses filles et un de ses fils. Comme autres convives, Martinat adjoint, Roger de Bouillé syndic agricole et Roy mon métayer, conseiller municipal. A trois heures et demie, réunion dans la salle de l’école. Le maire et sa femme sont présents, on donne une récompense à la mère Dupré et une autre à la femme Chenut qui a trois fils prisonniers. A cinq heures, on se rend en procession à la chapelle de secours dont Marcelle est le chapelain, et une fervente prière est récitée par la nombreuse assistance, nombreuses parce que tout le monde était debout.

27.3.10

AVRIL 1942


1 Marcelle devant aller à Rennes et emmener Kiki pour qu’elle voit sa grand mère et son arrière grand père, dans l’impossibilité de trouver un véhicule pour la conduire à la gare de Nevers emprunte un moyen de fortune. Elle monte sur sa bicyclette, le jardinier sur la sienne avec Kiki sur le guidon et en route. C’est de la folie. Avant de partir Marcelle voulant savoir ce que le Dr pensait de ma jambe, prie Jean Le Sueur d’aller chercher Robet qui n’a pas d’essence. Il dit que ma jambe a un peu d’infection et qu’il faut continuer les compresses avec les jambes étendues. Je me couche après dîner.

2 Jeudi Saint. Hier le voyage à Nevers s’est bien effectué et les voyageuses ont trouvé en seconde une place pour s’assoir. Miette revient de la Belouze à 8 heures. Elle va à la messe de communion des femmes qui est très longue. J’ai une lettre intéressante de Roger de La Brosse. Je me lève tard pour laisser reposer ma jambe qui ne m’a pas fait mal, mais elle est plus enflée qu’hier. Nous déjeunons dans le petit salon et toutes les deux heures on me met des compresses chaudes, sauf la nuit.

3 Vendredi Saint. J’ai bien dormi, mais au réveil mes chevilles sont encore bien enflées. Je reçois une lettre de Marcelle qui a fait bon voyage jusqu’à Paris où elle a subi un bombardement des Anglais sur Passy. Les La Brosse lui ont donné l’hospitalité avec joie. Ils n’ont toujours pas de domestique. Lettre de Cécile qui vient d’être élevée à la dignité de sous déléguée du Secours National pour Rennes et l’arrondissement. C’est très flatteur. Chemins de la Croix à 4 h à Moiry, à 9 h ½ à St Parize. Nombreuse assistance.

4 Samedi Saint. J’ai bien dormi, lever à 10h ½, mes chevilles toujours enflées, mais la jambe moins raide. Lettre d’Edith et Hervé. Guite de Sansal passe la journée avec nous. Maurice en vacances à Buy m’amène en visite sa mère sa femme et ses filles. A 9 h ½ du soir Marcelle nous téléphone qu’elle a fait bon voyage, c’est tout ce qu’on a pu comprendre tellement il y a de la friture dans l’appareil.

5 Pluie. Pâques. Une centaine d’hommes ou jeunes gens, me dit Miette communient. J’ai bien dormi et je marche plus facilement. Pendant que ma cuisinière assiste à la Grande messe, ma petite fille me prépare un excellent poulet à la crème et une salade de pommes de terre. Madame Brucy lui téléphone de Paris, que les journaux ne le disent pas, mais que l’on est sans cesse bombardé. J’ai la visite de mon curé qui est bien courageux pour promener ses 70 ans.

6 Lundi. Lettre de Cécile qui me dit que les voyageuses ne sont arrivées qu’à 3 h du matin, Marcelle ayant manqué le premier train. Pendant la nuit passée à Paris, elles ont subi le bombardement qui n’a pas réveillé Kiki. M. de Rubercy est mort à la suite d’une insolation attrapée dans le Thabor où il s’était endormi. Aujourd’hui Cécile doit conduire sa sœur à Vitré chez sa grande amie d’Héliaut et Mme Le Gonidec et demain la faire déjeuner avec Henriette de Bouillé La Villarmois. J’ai la visite de Louise Vaillot qui m’apporte l’argent du bois que j’ai vendu à sa tante à Nevers. Son père qui travaille chez M. Demay à Roussy, lui a dit qu’il avait perdu 20 veaux sur 24 de l’avortement. La fille aînée de Renaud du Lieu Maslin m’apporte à signer des pièces parce qu’il veut installer un concasseur électrique dans son domaine, à ses frais. Cela prouve qu’il fait ses affaires.

7 Orage, pluie. Je dors pendant 12 h, mais au réveil la cheville gauche est encore enflée et je m’appuie difficilement sur ma jambe. Mon métayer Roy de Calot va à la Ferté chercher des pommes de terre de semence 500 K à 300, coût 1500 F. Si on ne change pas de variétés tous les ans on ne peut pas en récolter. Les Le Sueur emmènent Miette à un gouter à la Belouze où ils trouvent nombreuse assistance, les Massias, du Part, de Barrau, de Sansal, 4 enfants Damas, Henriette de Ganay, Férol, buffet somptueux, rien des restrictions.

8 J’ai bien dormi mais ma jambe est toujours très sensible quand je suis debout. Avant-hier, Jean Le Sueur est allé à un bal au Salay chez les Gromolart où on a dansé toute la nuit, il y avait un buffet encore plus beau qu’à la Belouze. Les filles d’Antoine Robert viennent chercher un sac que l’ainée avait oublié ici lundi. Elles me disent que lors de l’achat de l’île verte, elles avaient pris chacune une action de huit cent francs qui venait de leur être remboursée pour sept mille. J’ai la visite de Madame Le Sueur.

9 Bonne nuit. Jambe sans amélioration. Robet dit de remplacer les enveloppements humides par des secs. Ça peut durer longtemps. Lettre de Marcelle, ravie de son séjour à Rennes. Cécile est heureuse de la promener chez toutes ses amies à la campagne d’où elles raportent des provisions comme des sœurs quêteuses, chez les Freslon, les Farcy, les Saint-Germain, etc. Desfossé - Mornay, m’envoie des griffes d’asperges.

10 Jambe sans changement. Le colonel d’Assigny est à la clinique Rollin depuis huit jours à cause de sa prostate, il ne veut pas qu’on le sache et désire voir personne. Guite Le Sueur déjeune avec nous et sa sœur vient la rejoindre après midi pour écrire les programmes de la comédie que les scouts doivent jouer dimanche à Moiry. Paulette nous fait entendre une jolie voix accompagnée par Miette. Je ne lui connaissais pas ce joli talent. A trois heures, j’ai la joie de voir revenir Marcelle et Kiki, celle-ci sur le guidon de mon jardinier. Leur voyage s’est passé sans accroc et Cécile a été heureuse de présenter sa sœur à toutes ses bonnes amies à la campagne et à Vitré, à Lolotte d’Hélian et de la faire déjeuner avec Henriette de La Villarmois (née de Bouillé) qui habite près du mont Saint Michel. Les La Brosse les ont hébergées à l’aller et au retour. C’est Joséfa qui fait tout le boulot, car ils n’ont pas le moindre domestique. Miette dîne à Villars et rentre à nuit noire, trop noire à mon gré, comme si la paix était revenue.

11 Jambe peut être un peu moins rouge. Les Le Sueur emmènent Miette à Nevers de bonne heure et en revient à une heure par le car, accompagnée par Edme et Odet de Villaines avec lesquels elle repart à trois heures et demie pour aller goûter à Chevenon. Elle en revient avec Paule qui reste dîner et coucher avec Miette dans la chambre au dessus de la mienne, et à minuit, elles causaient encore. Paule a un corsage rouge sang et dans les cheveux un turban même couleur, telle une carmagnole. Cécile partant pour Paris, le mois dernier le docteur Patey, commissaire général à Rennes pour le Secours National, lui donne à porter la lettre suivante : « M. le Commissaire Général, je vous serais reconnaissant, s’il vous était possible, de recevoir le porteur de cette lettre, Madame Banéat, veuve d’un officier tué en 1914, trésorière de la L.P.D.F. d’Ille et Vilaine qui apporte au Secours National un immense dévouement, une compétence sans égale et un doigté précieux. Mme Banéat dirige bénévolement le vestiaire du Secours National depuis deux ans et je serais heureux que M. le Président Pichat veuille bien l’agréer comme sous-déléguée pour l’arrondissement de Rennes, ce qui en lui donnant officiellement le rôle que je lui demande d’accomplir officieusement à mes côtés, soulagerait très sensiblement le délégué départemental. »
Cette fonction de sous-déléguée est la plus élevée qu’une femme puisse avoir au S.N. Je suis très fier de l’honneur que l’on fait à ma fille, dont j’admire le dévouement car sa fonction est très astreignante et pas du tout lucrative. Son président à Rennes, M. Huguet touche trente mille francs par an.
Une heure avant le coucher du soleil, une dizaine de scouts nous arrivent et couchent les uns sous la tente dans le parc, les autres dans le bureau sur de la paille.

12 Jambe un peu moins rouge mais toujours enflée. Branle bas de bonne heure, tout le monde va à la première messe, pour avoir le temps d’organiser le théâtre dans l’école de Moiry où les scouts doivent jouer la comédie. Présence de douze scouts, cinq déjeunent chez les Le Sueur, et les sept autres ici. A trois heures, la réunion commence et les acteurs obtiennent un plein succès. Les enchères américaines un non moins grand, aussi la recette totale se monte à trois mille six cent francs. On pourra gâter les prisonniers de Moiry.

13 Robet venu me voir, trouve que ma jambe ne va pas plus mal, mais que j’en ai bien encore pour quinze jours. Cela s’appelle du purpura rhumatoïde. Après lui, j’ai le ménage Pierre de Rouville. Ils sont bien aimables. Ils vont partir samedi pour passer quelques jours dans la capitale. Je dîne dans la salle à manger.

14 Ma jambe va un peu mieux et me permet d’aller à pied jusqu’aux wc. J’ai la visite de Melle Thonnier et ensuite des Antoine Robert. Je mange un plat de morilles ramassées par Marcelle dans le Clou, angle Nord Est.

15 Miette et Kiki nous quittent, elles prennent le train à Saint Pierre à 12h43 direction de Vichy. Cela va faire un grand vide dans la maison. Yvonne doit rentrer le dix sept à la clinique de Clermont. Miette l’accompagnera. Dufour m’apporte nos sous-seings de ventes de bois, il est accompagné de Chassagnon de Chantenay qui est son commis. Je lui dis que je prendrais dans le bois de Tassin une grand corde de plus que les six petites retenues et que je la lui paierai. Il fera abattre à l’automne l’orme du Pré de la Joie.

16 Marcelle déjeune à Planchevienne. J’ai une carte de Jean de Valence écrite de Tlemcen où il est allé passer quatre jours chez Hervé et une de Simone Jourdier qui rentre à Temara avec sa petite Solange qui a cruellement souffert de son opération à la jambe. Elle devra pendant quelque temps marcher avec des béquilles. Cheveux.

17 Gelée blanche. Yvonne entre aujourd’hui à la clinique de Clermont. Ma jambe toujours enflée sur les chevilles, mais moins rouge. Marie Thérèse Clayeux téléphone pour dire qu’hier soir Edith leur avait téléphoné pour dire que Miette et Kiki était bien arrivées et qu’Hervé n’aurait sa permission en juin, de le faire savoir à Mme de Sansal pour le cas où elle voudrait toujours aller les voir. Mme de Rolland du Lon envoi deux cents petites carpes miroirs à Marcelle. Vente aux enchères du cheptel Brissart à Mont. Les vaches à veaux moyennes s’adjugeaient à six mille cinq cents francs. J’en vends trois de Callot avec leurs veaux sept mille pièce, à Robinot, propriétaire de Mont. Brissart ne monte pas en grade, il devient métayer de Moreau au Bourg.

18 Je reçois trois photos d’Hubert de Riberolles dans les bras de ses parents, cela fait vibrer mon arrière grande paternité. Mais ce n’est pas joli joli.

(c'est la qualité des photos qui n'est pas jolie jolie...)
Jeanne de Mollins qui est toujours la femme agréable par excellence déjeune avec nous. J’ai aussi la visite des P. de Rouville. Jeanne a eu comme moi du purpura rhumatoïde.

19 Dimanche. On fait le recensement des poules pour avoir à livrer des œufs aux boches. Pour la maison Marcelle en déclare 25. (mention marginale : 25 poules, soulignées 2 fois !). Je me couche sans dîner, à cause d’un dérangement d’estomac qui dure une partie de la nuit. A neuf heures, coup de téléphone, Yvonne a accouché hier soir d’une troisième fille. Tout va bien. Jamais deux sans trois dit le proverbe.

20 Pluie. Marcelle va au Veurdre d’où elle revient trempée, elle a pu téléphoner aux Gouttes, d’où elle a su qu’Yvonne allait bien.

21 Marcelle a tari l’étang américain des Chaumes Vieilles. Elle y prend dix kilos de carpes mises par Crotat et dix kilos des carpes provenant de chez d’Aramon l’année dernière. Elle envoie les grosses à Cécile, Monnier, Rouville, Le Sueur. Il faut les vendre chères pour retrouver l’argent que coûte l’empoissonnement venu de chez les Rolland. Deux cents petites carpes pesant dix sept kilos à trente cinq francs le kilo, soit six cent francs, ce qui fait ressortir chaque carpe de quatre-vingt cinq grammes à trois francs. A ce prix là, les étangs peuvent rapporter. Edith nous envoie des pommes comte. On plante mes pommes de terre dans la Varenne.

22 Je fais une promenade avec mon âne. Je n’avais pas mis le nez dehors depuis trois semaines. Mariage Candolle- de Lécluze.

23 D’où nous arrive, amené à Nevers par Nadaillac, Roger de La Brosse qui prend l’autobus et débarque ici pour déjeuner. Je suis bien aise de voir ce vieux germain, nous avons tant de choses à nous dire. Visite de Gabriel Mathieu, Roger le trouve très bien.

24 Mathieu emmène Marcelle à Nevers en auto. Elle en revient à bicyclette pour déjeuner. Je promène Roger dans ma voiture à âne.

25 Saint Marc. Anniversaire de Marcelle qui atteint aujourd’hui son demi-siècle. Je ne peux y croire. Hier, Roy a pris dans un aqueduc du pré de la Fontaine, trois petits renardeaux. Je le téléphone à Couturier qui arrive avec quatre bons chiens, lance la mère, et a la chance de la tuer. Mais combien restent-ils de ces mangeurs de volailles dans le pays ? et des sangliers ? on voit des pieds partout. Une carte d’Yvonne m’apprend que ma dernière petite fille s’appelle Aliette et qu’elle est superbe. Nadaillac envoie son auto chercher Roger que je vois partir avec regret. Ces trois jours passés ensemble m’ont été bien agréables.

26 Dimanche. Je vais à la première messe et je fais mes Pâques. Renaud du Lieu Maslin vient me voir pour une question d’électricité et il me paye d’avance son terme du 11 mai. Mon jardinier est malade. C’est Marcelle qui attelle mon âne, accouche la bretonne, rentre le veau, soigne les poules et les lapins, etc. J’admire son courage, c’est une campagnarde cent pour cent. Je demande à mon curé quel saint il faut invoquer quand je pense à Aliette, il n’en sait rien, moi non plus. J’ai la visite d’Antonin Moreau qui me dit que son neveu Livaut, fermier du Colombier, a vendu deux pouliches de trois ans cent mille francs, elles ne sont pas dressées.

27 Marcelle va faire une visite à Mme Barrière qui vit bien seule à Limoux. Je reprends un peu du poil de la bête.

28 Pluie bienfaisante. J’ai la visite de Chabret, électricien à Saint Pierre, qui me parle de se servir du ruisseau des Petites Granges pour produire l’électricité, c’est à voir. Lettre de Cécile qui nous annonce sa venue pour le 2 mai. Etienne Faulquier meurt à Avallon et est enterré ce jour à Cervon. C’était un charmant homme très dévoué aux bonnes œuvres. Il laisse trois filles et un fils fait prisonnier quelques jours après son mariage. Il avait soixante dix neuf ans.

29 Les Petites Sœurs des Pauvres passent, je leur donne un sac d’avoine et un billet. Je leur fait emporter cinquante kilos de blé à remettre à l’évêché, je l’avais mis de côté pour faire des hosties un jour où on en réclamait dans la semaine religieuse. Mes métayers me rentrent du bois d’orme. J’en ai une grosse provision. « Je suis partout » envoyé par Mollins m’a amusé un instant. Jean Le Sueur emmène Marcelle à Nevers avec son gazo. Elle passe au génie rural, où elle n’obtient pas beaucoup de consolation.

30 Jeudi. Massias allant à Moulins, nous laisse en passant sa femme et son amie Mme de Boissou, une jeune grand-mère très agréable. Nous faisons un long bridge et ces dames se régalent avec une galette à la farine de maïs. Il souffle un vent glacial.

26.3.10

MARS 1942

1 - 2 °. Dimanche. A la messe plus d’hommes que de femmes. Après midi agréable.

2 - 0 °. Marcelle va à Nevers de très bonne heure avec la camionnette de Moine. Elle porte une rente habituelle aux sœurs de l’Assomption qui aimeraient mieux des pommes de terre que de l’argent, elles n’en ont plus que 3 kilos pour 15 bouches à nourrir. Vrai beau temps aujourd’hui, on peut labourer. Je fais une tournée agricole avec mon âne. Mes trois bucherons me fendent des ormes, je vais en avoir une bonne provision. N’ayant plus rien à lire, au hasard je descends la débâcle de cet affreux Zola. C’est pris sur le vif. On dirait ce livre écrit aujourd’hui et on trouve le Boche de 1870 tel qu’il est encore. François de Chavagnac meurt dans son château de Chazeuil que son père avait eu la folie de bâtir avant d’avoir 6 enfants il est vrai, et où j’ai été reçu très aimablement plusieurs fois.

3 – 0°. Marcelle va sans encombre au Veurdre où elle trouve un assez nombreux courrier. Elle téléphone à Edith qui n’a pas d’autre dépêche de Tlemcen depuis celle qui annonçait la naissance. Jacques de La Brosse est à Bulhon pour quelques jours. Yvonne et ses filles vont bien. Elle a fait venir un taxi de Clermont pour aller voir son docteur Rougin, l’aller et retour lui ont couté 1100 F. Avec mon jardinier je sème les premiers petits pois que nous mangerons pour la St Jean. Je fais ouvrir la chaussée de l’étang du jardin pour remplacer par une bonde métallique, la vieille bonde en bois.

4 L’étang se vide lentement. Cécile nous envoie du beurre qui est le bienvenu. Il fait très doux + 10 °.

5 Pluie. Les Anglais ont bombardé hier les usines Renault à Billancourt. Il y a 500 morts, 1200 blessés et pas mal de maisons détruites. Malgré cela, il y a 80% des Français qui sont partisans de ces agresseurs, en haine des Boches. Je ne sais trop qu’en dire, je suis du côté du Maréchal, qui doit être bien embarrassé. Le temps s’étant bien radouci, nous rentrons dans la salle à manger pour déjeuner. Carte de Vé qui attend en vain sa belle mère. Mon jardinier qui adore la pêche, patauge dans un mètre de vase pour y prendre quelques carpes, dont une miroir venant de chez d’Aramon, lâchée, il y a juste un an, lorsqu’elle pesait 45 grammes. Elle en pèse maintenant 260.

6 Pluie. Premier Vendredi du mois, je communie. Lasseur m’envoie mon gros sapin débité en bat-flancs, planches et chevrons. Cela me fera une bonne réserve. Nous distribuons les carpes de l’étang aux 4 domaines, aux vieux Michel, à M. le Curé, à la Poste, à Madame Blot, de Rouville, Martinat, Thiery, Vaillot, Le Sueur Barrière.

7 +3 °. Neige. Paris Centre annonce la mort du Cdt de St Armand à Versailles chez les Jacquemart et celle de la Baronne Marochetti 81 ans. Marcelle part bravement sous une journée de neige pour aller déjeuner au Colombier, mais arrivée à Magny après avoir déposé une carpe chez les Rouville, elle recule devant la tourmente. Elle me trouve déjeunant devant le fourneau de la cuisine car on gèle et cela la mortifie de s’asseoir en face de moi, car elle aime assez le décorum, du reste si elle était arrivée au Colombier, c’est dans la cuisine qu’elle aurait été reçue car ces dames n’ont aucun domestique.

8 Neige. Dimanche. Paulette Lesueur prend à la maison le premier et le deuxième déjeuner, entre les deux, elle montre à Marcelle la façon de faire des choux à la crème. Guite de Sansal devait venir aussi, l’affreux temps l’a fait reculer, de même qu’il m’empêche d’aller à la messe.

9 -3°. Marcelle va déjeuner au Colombier, où elle est reçue dans la cuisine. Pour le gouter on se tient dans le salon pour y recevoir la comtesse de Savigny, qui sachant que ma fille était là, lui apporte pour moi, un billet de part trouvé dans les archives de Fertot, c’est le billet de part de Madame Maslin (née de Vercy) décédée aux Gouttes en janvier 1890. Tous les corps d’état que l’on ne peut plus avoir, se donnent rendez-vous à la maison. Le plâtrier Bureau pour nettoyer la lingerie, Lasseur pour remettre des vitres et Blois pour le fourneau et la terrasse. Jacquelin fait abattre les 6 noyers que je lui ai vendus.

10 Pluie. Les du Part passent la journée avec nous et dévorent l’un et l’autre à déjeuner. Quand on les voit partir à bicyclette, on dirait un jeune ménage.

11 +10°. Le temps se réchauffe, +10° dehors, +8° dedans. Lettre d’Edmond. Leur vieux jardinier Maniquet est à l’agonie. J’ai connu aux Gouttes trois générations de cette famille.

12 +10°. Paul Château vient m’apporter le sous seing que je lui ai consenti pour 1943, prix ferme 50 000 F. Marcelle trouve que c’est pour rien. Peut-être ! mais j’ai l’habitude de me faire voler. Bonne journée pour les prés, on les voit verdir.

13 +12°. Nous recevons de Bulhon de très belles et bonnes pommes et une bonde pour l’étang américain. Le plâtrier Bureau a fini la lingerie. C’est une grâce qu’il nous fait en venant ici. Mais Blois ne revient pas. Je fais une démarche auprès de la caisse d’épargne de Nevers qui donne des récompenses aux familles nombreuses pour tacher d’en obtenir une en faveur de mes métayers Michel qui ont 5 enfants.

14 Magdeleine du Part me fait part des fiançailles de Robert le marin avec Melle de Gouvello, fille du Colonel. Les Pierre de Rouville viennent manger avec nous du salé sur une purée de haricots rouges. Une fermière de Magny, traversant le marché Carnot, voit des pruneaux et dit à la marchande, donnez m’en un kilo. Celle-ci la regarde épouvantée. Vous ne savez donc pas combien cela coûte. Non. C’est 160 F. Elle court encore.

15 Dimanche. Je vais à la messe, où il y a 17 hommes dans la nef et pas beaucoup plus de femmes. Marcelle déjeune chez les Rouville et gagne Nevers à bicyclette, pour quêter pour son œuvre des tabernacles. Il fait un temps charmant et chaud. Je crains fort que nous ne trouvions pas de graines ni pour le jardin ni pour les champs. On dit que les Boches envoient tout en Allemagne. Ils veulent nous réduire à la famine.

16 Avant déjeuner, je rapporte une magnifique salade de cresson de la source du pré de la Joie. Après je me traîne jusqu’aux Champs Blonds où la coupe s’avance. J’en reviens éreinté. Marcelle ne perd pas son temps. Elle travaille au moins dix heures par jour dehors. Pour le moment elle taille ses arbres. En cela elle me rappelle son arrière grand-mère Madame Amable. Carte d’Hervé qui n’a encore rien vu de comparable à Hubert qui a des cheveux bouclés et qui déjà tête son pouce, ce qui est une preuve d’intelligence.

17 Les trois bucherons de Moiry qui m’ont exploité le branchage de 8 ormes dont j’ai vendu les troncs à Jacquelin ont fait 392 pieds à partager, j’en ai donc 196 pour moi, ce qui représente 12 cordes de 2 stères 33 + 1 corde faite par la Polonaise et deux environ par Chicon, cela va me faire une bonne provision. Je reçois une lettre de Savigny qui me remercie des notes généalogiques que je lui avais envoyées sur les Du Noyers et qui me fait l’honneur de m’appeler mon cher parent. Madame Le Sueur vient nous voir. Elle ne sait pas quoi faire de la grosse somme qu’elle a tirée de la grosse vente de l’ile verte. Je plante un poirier Plateau et un pommier aux Petites Granges. Il y a longtemps que j’aurais dû faire cela. Même domaine, on pose aujourd’hui les grandes portes après 19 mois du sinistre. Il n’y a plus qu’à payer.

18 Pluie. Giboulées de Mars. A 7 ½ du soir, je vais à la gare chercher Miette et Kiki qui nous arrivent pour quelques jours. Cette petite me fait mille tendresses qui me vont au cœur.

19 St Joseph. Je m’approche de la Ste Table. Très peu de monde à la messe. Kiki fait ma joie, elle cause comme une femme, elle a écrit à son papa. M. Pierre de Laplanche, maire de Millay est mort à 64 ans.

20 Beau temps. Chicon sème du blé sur le Pied Prot. Marcelle reçoit pas mal d’offrandes pour l’œuvre des tabernacles.

21 Samedi. Madame Sanglé Ferrière vient passer la journée avec nous par le car et Miette va à Nevers par la même voiture archi comble.

22 Dimanche. J’emmène Kiki à la messe avec mon âne, deux personnes me disent «Comme elle ressemble à sa mère ». Je ne le trouve pas tant que cela. Domaine de Tâches assez productif, il y naît en 24 h une pouliche et trois veaux.

23 Marcelle n’ayant pas pu avoir de laissez-passer pour Moulins, déjeune en hâte et malgré moi part pour Le Veurdre à bicyclette, comptant avec cette monture se rendre aux Gouttes pour assister demain au bout de l’an de son oncle. C’est de la folie ! Guite et Jean de Sansal viennent manger avec nous le salé aux haricots. Je fais faire un gros travail : remplacer la bonde de l’étang qui était en bois par une métallique de chez Chambron à Moulins. Je surveille la fabrication du couroi qui tiendra je l’espère. Il y a plus de vase que d’eau dans mon grenouillat, mais je n’ai pas la main d’œuvre voulue pour le curer au grand désespoir de mes filles.

24 Pendant l’absence de Marcelle, je fais niveler les méfaits de l’ouragan du 15 aout, au sortir de la basse cour, car je sais que depuis longtemps ce dédale lui déplait. J’ai une pensée pieuse pour l’anniversaire de la mort de mon pauvre vieux beau frère. Nénette de Toytot nous donne des nouvelles de sa mère qui depuis le 2 mars est à la clinique Génard à Moulins, elle a eu 2 doigts de pied gelés, d’où abcès sous le pied droit, qu’il a fallu ouvrir, beaucoup de fièvre et autres ennuis causés par le diabète. Miette Kiki chantent tout le temps :
Maréchal nous voila
Devant toi, le sauveur de la France
Nous jurons, nous les gars
De servir et de suivre tes pas
Maréchal nous voila
Tu nous as donné l’espérance
La patrie renaitra
Maréchal, Maréchal, nous voila.

25 A 7h1/2 du soir téléphone de Marcelle qui dit : traversé le Pont du Veurdre, j’arrive. Elle nous raconte son voyage. Le 23 en entrant dans l’autre zone, elle téléphone à Jacques de La Brosse qui est à Sancoins. Viens aux Gouttes avec moi. Une heure après, il était là. Du Veurdre pour gagner la Madeleine on leur conseille de ne pas prendre la route qui longe la rivière, mais celle qui passe par Limoise, Franchesse et Bourbon parce que meilleure mais plus longue de 10 kilomètres. On ne compte pas avec ceux-ci et on arrive à la Madeleine, où cette fois on emprunte le bord de l’Allier jusqu’à Châtel de Neuvre où on la traverse. Arrêt à La Ferté Hauterive d’où ma fille un peu lasse des 80 km qu’elle vient de faire à bécane, téléphone à Edmond de venir la chercher avec son gazo. En l’attendant, les voyageurs prennent un Byrrh réconfortant au bistrot. A 8h ¼ ils entraient dans la cour des Gouttes et se réconfortaient avec un copieux dîner, fort bien servi par un somptueux maître d’hôtel. Ma pauvre vieille belle sœur est contente de voir Marcelle, pour son âge, elle ne va vraiment pas mal. Le 24, les deux voyageurs prennent un bain en se levant, car il y a de l’eau chaude jour et nuit maintenant, les Edmond ayant mis un confort très moderne. Messe de bout de l’an pour le vieux veneur, pas mal de monde à la messe. Le 25 après avoir mangé une carpe de cinq livres, Edmond conduit les bicyclistes à La Ferté où ils enfourchent leurs montures et reviennent au Veurdre, cette fois en en suivant tout le temps la rivière. J’ai été étonné de voir Marcelle aussi peu fatiguée d’une aussi longue course. Kiki qui est têtue comme une bonne Bretonne qu’elle est, n’ayant pas voulu demander pardon, après avoir commis une légère faute, Miette l’a couchée sans dîner. J’ai fait aujourd’hui un tour d’acrobate avec mes 86 ans. Le pignon neuf du côté Est du bâtiment brûlé des Petites Granges n’a aucune ouverture, ce qui le rend triste. Pour l’égayer, je grimpe sur une grande échelle et muni d’un pinceau et d’un pot de peinture fabriquée avec de la suie et de la vieille huile d’auto, je dessine à 4 mètres de hauteur, un magnifique œil de bœuf qui attire les regards des passants. Pour la 1re fois depuis 5 mois, nous n’allumons pas de feu.

26 Je reçois une longue carte d’Yvonne qui me donne de bonnes nouvelles de tout Bulhon.

27 Avec le père Michel, je fais bruler les herbes sèches dans le camp Américain. Sans cette opération que je pratique tous les ans au mois de mars, le plateau deviendrait impénétrable et si jamais ma fille a la bonne chance de ravoir des moutons, ils y laisseraient toute leur toison. Mes filles font le chemin de la croix à Moiry.

28 Mesdames de Pardieu et de Noblet déjeunent avec nous et ramassent du pissenlit dans les prés par un temps splendide. Miette part pour Nevers à la première heure à bicyclette, elle a rendez-vous avec Paule de Villaines, ensembles elles déjeunent chez Sansal.

29 Les Rameaux, beaucoup d’hommes à la procession, par vent de Sud Ouest, si le dicton est vrai, ce sera celui qui dominera toute l’année.

30 Marcelle Miette et Kiki déjeunent chez les Le Sueur qui ont beaucoup insisté pour m’avoir. Je ne me suis pas laissé tenter. Miette à bicyclette va gouter à Luanges et dîner et coucher à la Belouze. Nous recevons un colis d’oranges envoyé par Yvonne avant de quitter Oujda. Elles arrivent pourries.

31 Marguerite Le Sueur et Anne de Rouville déjeunent avec nous. Alain ne vient qu’après midi, nous apportant un fromage à la crème. J’envoie du bois à Melle Coursier et au Ct Diart par mon métayer Michel qui va à Nevers chercher du son et des graines à la coopérative Union Nivernaise. Prix du bois 400 F +18 octroi + 200 voiture = 618 F. J’ai dû sans m’en apercevoir me donner un coup au mollet gauche, d’où un peu d’infection, je boite. Marcelle me met des compresses humides et chaudes.

25.3.10

FEVRIER 1942 (2° quinzaine)


(petit dessin (10x5 cm) sur feuille volante dans le 23ème cahier et daté du 18.2.42. Au verso, dessin du Wellingtonia)

17 - 5° neige. J’entame ce 23° cahier par une fâcheuse histoire, pour dire qu’au domaine de Tâches depuis deux ans, l’élevage des porcs va très mal. Il y en a qui crèvent, les truies avortent etc. Je vais faire désinfecter les écuries. Il fait un vent de bise c.à d. NE qui vous déshabille. Je n’ai pas achevé ma promenade tellement j’avais froid. Cécile nous a envoyé du bon beurre de Bretagne. Il est le bienvenu car ici, il est introuvable. Ma métayère des Petites Granges revient de l’hôpital, pavillon de gynécologie, où le confort ne règne pas, mais elle va mieux. Par des chemins horribles et le dessous de mes sabots pleins de neige, je me traîne au domaine de Tâches pour peser des génisses que je veux vendre. L’une de 22 mois pèse 320 k, une d’un an de plus 440 k. Marcelle va au Veurdre d’où elle téléphone aux Gouttes et à Bulhon où Yvonne et ses filles sont arrivées à bon port. Monique dévore. Retour très pénible dans la neige.

18 -7°. Mercredi des Cendres. Malgré tout mon désir de recevoir les cendres, je garde le coin du feu, les chemins toujours impossibles pour mon âne ; Marcelle va à la messe chaussée de mes grosses bottes de caoutchouc. Nous avons la visite de notre curé. Georges Robert, Fouret et autres malins qui avaient acheté l’île verte pour
180 000 F, viennent de la revendre 12 millions. Madame Lesueur, qui avait pas mal d’actions touche la forte somme, Jeanot Chavane aussi.

19 -9°. Vu Albert Barillet, basse courrier de M. Bariol à Gy, 103 hectares, 108 bêtes à cornes, 10 chevaux. S’il voulait revendre cette propriété, il gagnerait gros. Il est vrai qu’il y a dépensé beaucoup d’argent. Michel occupe un Espagnol venant de la zone libre qui travaille bien mais n’a pas de tickets pour sa nourriture. Il y a aujourd’hui six Espagnols sur la terre de Tâches. N’ayant plus rien à donner aux cochons, on les mange tout petits.

20 -9°. Le froid et un givre épais qui embellit les arbres mais refroidit la vue. Jacques déjeune avec nous et part à Sancoins d’où il gagnera Bulhon et Alger, où il retrouvera son frère qui y tient garnison. Longue lettre d’Edmond, une suite de jérémiades, blés avoines gelés, les juments et les porcelets crèvent, plus de charbon pour le gazo etc.

21 -10°. Louis Monnier envoie à Marcelle une boîte à casiers pour la remplir d’œufs. Ce Parisien ignore que par dix degrés de froid, les poules ne pondent pas. Gazoute de Villaines subit une assez grave opération à la clinique Sallé de Nevers. Paule est installée chez M.A. du Verne. Marcelle va faire une visite de charité à la Chasseigne où elle trouve la comtesse dans sa chambre en train de frotter des peaux de lapins. Je viens de lire Napoléon III par Aubry, ce qui m’a intéressé. J’ai vu qu’un de ses livres de chevet, c’était Don Quichotte. J’ai eu la curiosité de le relire. Je trouve cela purement enfantin.

22 - 0°. Dimanche. Il dégèle un peu, mais les routes sont encore trop glissantes pour que mon âne me conduise à la messe. Je lis avec intérêt un livre que m’a envoyé M. de Montrichard. Eclaircissement sur Mein Kampf, de Benoit Méchin. Livre qui a changé la face du monde. Mon Combat.

23 +2°. Il dégèle un peu, j’en profite pour aller faire quelques courses à St Parize. A la Poste, je vois partir quantité de colis de 3 kilos de pommes de terre et de poireaux à 7 francs le colis. J’assure 4 juments poulinières contre la mortalité. Marcelle soigne avec des compresses chaudes, sa jambe qui a été meurtrie en tombant de bicyclette.

24 +4°. Le vétérinaire Richard vient délivrer trois vaches dans les domaines. Marcelle continue les compresses chaudes.

25 +4°. Nous avons la visite des Pierre de Rouville et de Suzanne Le Sueur. Il paraît que Jacques qui par l’intermédiaire de Melle Bouquillard avait obtenu un laissez passer pour franchir la frontière à Mornay, a été complètement déshabillé par les Boches et trouvé porteur d’une lettre de sa tante Gabrielle qui lui parlait de son voyage à Alger et dont il n’avait aucun besoin. On l’a tout de même laissé entrer et aller à Sancoins d’où il a pu gagner Clermont où il sera surveillé et où il est descendu chez les Cote, Cours Sablon. Carte d’Hervé qui attend vainement sa belle mère. A 9 h ½ du soir, Cécile nous téléphone que son beau père va plutôt mieux, que des amis lui ont donné du bois et qu’elle nous enverra du beurre, ce qui fait complètement défaut ici.

26 -1° neige. Le Comte de Monterno meurt au Bost à l’âge de 85 ans. Il n’a qu’une fille, la comtesse de Raincourt qui n’en a qu’une également. Foire à St Pierre. Temps sombre, triste, j’ai la tête lourde, je trouve pourtant bon, le bœuf à la mode. Téléphone de Mme de Savigny, naturellement c’est pour demander des domestiques à Marcelle. Il paraît qu’au Colombier, il n’y en a plus du tout. C’est Mériem qui assure tout le service.

27 -0°. Temps aussi triste qu’hier. J’assure 4 juments poulinières pour la mortalité au moment du poulinage. La mère seule assurée coût 2850 F, c’est plutôt cher. Téléphone des Clayeux de Moulins, rien de nouveau à 2 h, mais à 7 h ½ par les Gouttes et Madame XX nous apprenons qu’Hubert de R. est débarqué ce matin à Tlemcen. Deo gratias ! Tout le monde doit être content, mais la grand-mère n’a pas encore son laissez-passer.

28 -1°. Pendant ces 28 jours, il a été enterré dix personnes dans le cimetière de St Parize, bien qu’il n’y ait pas eu d’épidémie. Je travaille pendant deux heures dans les allées du jardin. Lettre de Joséfa qui se tue à Paris, où elle n’a ni vivres ni cuisinière. Nous envoyons une dinde à Madame Le Droumaguet notre aimable voisine de Nevers qui donne l’hospitalité à quelques uns de nos meubles.

FÉVRIER1942

1er. Dimanche, neige C’est le quatrième où je ne vais pas à la messe , les 3 premiers à cause du mauvais temps, celui-ci parce que je suis encore vaseux. Je déjeune avec un peu de riz. Les Pierre de Rouville viennent manger une Lizen-tarte à laquelle ils font grand honneur.

La Chandeleur, neige -4° Edmond Clayeux a aujourd’hui 63 ans, étant né le 2 Février 1879. Nous devions chasser un sanglier ce jour-là, la chasse a été remise ; je lui en ai voulu, mais je lui ai bien pardonné depuis, car j’ai beaucoup d’affection pour lui et je suis sûr qu’il me le rend bien. Carte d’Yvonne de Boutavent où elle est arrivée à très bon port, elle compte en partir le 1o et passer par les Gouttes pour gagner Bulhon, d’où elle doit venir nous voir si elle peut obtenir un laissez-passer. On dit à Moulins que Monsieur de Praingy, beau-père Grandpré, est mort de froid.

3 .-13° La Comtesse de Dougermain meurt à 85 ans dans sa propriété de Veninge où elle vivait bien tristement depuis longtemps et qu’elle laisse à un de ses neveux de Rosemont. Mon pauvre vieux Chérut s’éteint à 3h du soir après être resté 1o jours dans le coma et 75 ans sur la terre de Tâches. Il n’avait que des amis. Il passait pour un guérisseur et on venait le chercher aussi bien pour guérir une entorse chez un humain que le charbon chez un bœuf.

4 .+2° Marcelle passe une partie de la nuit près du mort que l’on a revêtu de ses plus beaux habits. Le ménage Chicon vient la remplacer. Il est aussi de coutume en Morvan de mettre une pièce de monnaie dans la main du mort. Madame Thierry me coupe les cheveux, ce n’est pas sans besoin. Il dégèle un peu.

5 .-4° Encore le froid, c’est terrible, mais cela n’empêche pas Marcelle qui va à Nevers par le car, elle le manque au retour et revient par le train. Je donne de l’eau bénite à mon pauvre vieux Chérut.

6 .-4° Enterrement de mon pauvre vieux Chérut, auquel j’ai le grand regret de ne pouvoir assister, mais les chemins sont impraticables et mon âne ne tiendrait pas debout. Il y avait beaucoup de monde. Téléphone d’Edmond qui me dit qu’Yvonne viendra aux Gouttes le 11 et qu’il la conduira à Vichy le 13 où elle prendra un taxi pour la mener à Bulhon.

7 .-4° Journée morne, triste et froide. J’apprends que l’autre nuit, à 3h la voiture de l’hôpital est venue chercher ma métayère des Petites Granges. Que peut-elle bien avoir ? La servante, négresse, garde les cinq petits enfants.

8 .-7°, Dimanche Le cinquième où je manque la messe. Paulette Le Sueur passe nous voir en en revenant, elle a le bagout de son père. Jacques vient goûter. À St Parize, réunion de tous les agriculteurs sur la convocation de Roger de Bouillé, en vue de nommer un syndic pour la corporation agricole du Département. Il est venu environ 15o personnes, on est allé aux voix, Montrichard en a eu 8, et Bouillé 11o. C’est un gros échec pour le Maire qui ne devait pas s’attendre à cela. J’ai bien regretté de ne pouvoir aller à cette réunion, mais les chemins sont si verglacés que mon âne n’aurait pu m’y conduire. Michel va voir sa femme à l’hôpital, sa température n’a pas baissé, mais mon cheptel est bien mal soigné.

9 .-1o° Je vais faire une visite d’adieu à la pauvre Anne Chérut qui est bien triste de quitter Tâches. Je calcule que pendant les 47 ans qu’elle a habité la maison du Pied Prot, qui est séparée de 3oo m de la pompe où elle venait chercher sa consommation d’eau journalière, elle en a monté 7oo ooo litres. Téléphone : l’abonnement annuel qui était de 25o frs passe à 5oo.

1o .-7° Le Baron et la Baronne d’Ambly de Lavalée de Levancourt nous font part du mariage de leur fils Jean, ingénieur, avec Mlle Monique de Las Cases, fille de Philippe, avocat à la cour d’appel. Ce Jean, prisonnier en Allemagne, avait réussi à s’évader. Je vais faire une tournée chez Gonin, qui me demande un morceau de terrain à cultiver dans les baraques. Je vais lui donner. L’abonnement au téléphone qui était de 25o frs passe à 5oo.

11 .+1° Il dégèle un peu. Lettre de Cécile qui dit que son beau-père a les jambes enflées et ne peut plus sortir.

12 . -7° Le froid augmente. Madame Philibert Tardy de St Benin des Bois, cousine des Chérut, et qui était venue soigner Joachim avec un grand dévouement, ferme la maison et la quitte en me laissant les clefs. Marcelle déjeune chez les Le Sueur. J’envoie des bonnés à la veuve Chenut, de Moiry, qui a trois fils prisonniers et qui est bien malheureuse.

13 .-o°,Vendredi, Semblant de dégel, les chemins très mauvais entre mes domaines.

14 .-5° Il regèle sévèrement, ce qui est fâcheux pour nos terres des craies. Yvonne a dû arriver hier à Bulhon sans passer par les Gouttes comme elle le devait, nous écrit Marguerite Clayeux. Les communications interdites entre les deux zones est terrible.

15 .-4°Dimanche Je vais à la messe bien que les chemins soient encore bien glissants, dans la nef, 1o femmes et 12 hommes, il est vrai que beaucoup se réservent pour venir enterrer à 2h½ le père Basset et à 4h½ Sabourain, ancien maître d’armes à Paris. Marcelle va à Planchevienne.

16 . mon Rosaire Cécile nous envoie du beurre qui est le bienvenu, car il est introuvable ici. J’avais écrit à Tourrand, maire d’Onlay, pour avoir des pommes de terres de semence, car si on veut en récolter, il faut changer de variétés tous les ans, il ne peut pas m’en procurer. Couché à 11 h du soir, je ne me suis réveillé qu’à 9 h contrairement à certaines nuits. J’ai la visite de deux employés de la Sté Gale de Nevers qui font faire à Marcelle un arbitrage.

Fin du 22éme cahier

NOTE SUR L’AGRICULTURE




Note préliminaire du copiste. Le 22° cahier des notes de Réné Robert se termine le 16 février 1942. Si le journal quotidien à partir du 17 figure bien dans le 23 °, il est précédé du texte suivant qui aurait dû servir de guide à une réunion du 8 février, à laquelle RR ne s’est pas rendu (les chemins sont si verglacés que mon âne n’aurait pu m’y conduire).


Il doit y avoir le dimanche 8 février 1942 une conférence agricole à St Parize. Je vais tacher d’y aller et de dire les mots suivants.


Messieurs,
Depuis près de 70 ans je m’occupe des travaux des champs, ce qui m’a permis de faire beaucoup de remarques. Voulez-vous me permettre de vous en dire quelques unes. Les engrais d’abord : ceux qui étant chimiques n’étaient pas du tout connus dans ma jeunesse ce qui n’empêchait pas de manger du pain en plus grande quantité et meilleur qu’aujourd’hui. J’ai vu venir le Guano, il arrivait en France dans des tonneaux de bois, provenant d’îles lointaines où il avait été déposé dans des cavernes par le passage d’oiseaux migrateurs qui l’avaient déposé là depuis des milliers d’années. Cet engrais a fait merveille dans la culture des blés, malheureusement il a été vite épuisé. J’ai employé ensuite un engrais chimique complet fabriqué par la maison Gallet-Lefevre, j’en ai été très satisfait. Montant beaucoup à cheval dans ce temps là, quand je m’approchais d’un champ cultivé en blé, de loin je reconnaissais les endroits où l’on avait mis de cet engrais, le blé était plus vert, plus dense et plus haut que là où il n’y en avait pas. La maturité devançait l’autre d’une dizaine de jours ce qui est précieux dans nos terres calcaires qui redoutent beaucoup la sécheresse. Malheureusement, la formule s’en est perdue. Les engrais que j’ai employés depuis ne m’ont pas donné toute satisfaction, aussi je n’usais plus que du nitrate de chaux mis en couverture au printemps sur les blés malingres, 100 K à l’hectare environ. Un engrais que je ne saurais trop vous recommander, ce sont les scories Thomas sur les prés et les fourrages artificiels.

Parlons maintenant du blé. Pour le faire venir en abondance, il faut du fumier. N’étant pas très partisan des engrais chimiques, il me faut du fumier naturel. Or, je vais vous dire une chose bien paradoxale, c’est que plus j’ai d’animaux, moins j’ai de fumier ; en voilà la raison. Un cheptel nombreux a besoin de beaucoup de fourrage. Il m’arrive souvent de ne pas en avoir assez, alors on fait manger les pailles, qui sont du reste parfaites dans nos terres calcaires : celles-ci n’existant plus, on ne fait pas de litière et par conséquent pas de fumier. Un exemple, j’ai près d’ici un domaine situé à Azy le Vif. Il a 62 ha de terres très ordinaires et pendant de nombreuses années, il a été cultivé par 3 générations de la famille Guemerin. Ceux-ci n’avaient pas de chevaux, mais ils avaient des bœufs qui labouraient sans arrêt. Pour la Toussaint on les rentrait à l’étable et ils n’en sortaient qu’à la fin d’avril. Pendant ces 6 longs mois d’hiver, ils couchaient sur une litière épaisse et cette litière faisait venir du blé. Aussi Laurent G a-t-il récolté une fois 1200 double décalitres de blé dans son petit domaine. J’en ai eu dernièrement le témoignage de Gilbert qui habite Moiry et qui servait dans une ferme près du Lieu Maslin. Il était allé avec un chariot aider Guemerin à conduire sa récolte à la gare de Chantenay. Les chevaux étant devenus d’un prix inabordable, pourquoi ne vous remettriez vous pas à cultiver avec des bœufs et même avec des vaches qui sont de très bonnes ouvrières. En Auvergne et dans une partie du Bourbonnais où j’allais souvent, je les voyais à l’ouvrage. Avant la guerre, vous avez pu voir sur nos champs de foire une certaine Madame Baudet qui achetait les meilleures vaches, les ramenant dans son pays et les vendant aux cultivateurs de Varennes et St Pourçain qui les faisaient travailler de suite, ce qui ne les empêchaient pas d’avoir un veau tous les ans. J’en reviens aux chevaux. Ceux-ci sont au pré d’un bout de l’année à l’autre, chez moi au moins. L’hiver on les rentre dans les écuries, où ils trouvent les râteliers garnis du meilleur foin du domaine. Celui-ci mangé, on les relâche, alors il ne profite qu’aux prés au détriment des terres de culture.

Culture du blé, pour celui qui suit un trèfle ou un champ de légumes, un coup de charrue suffit. Mais pour une jachère, appelée Sombre chez nous, c’est autre chose. Il leur faut trois bonnes façons de charrue de mai à octobre et entre temps plusieurs passages d’herse ou de scarificateur, bien fumer avec fumier d’étable ou de bergerie ce qui est encore meilleur, semer grain propre de bonne heure c'est-à-dire à partir du 25 septembre, roulotter de suite ou fin février. Ce procédé m’a toujours réussi. J’ai lu en 1915, (rapport du Comte de Pourins sur la ferme de Dru Aude) la façon dont cultivait un M. Jean dans l’Aude, 22 ha de terre qui 8 fois par 10 ans portaient des céréales sans engrais chimique et très peu de fumier, car comme cheptel, il n’avait que 4 bœufs pour traîner un scarificateur inventé par lui et qu’il passait dans ses terres de 10 à 12 fois en 5 mois, descendant chaque fois un peu plus profondément jusqu’à 25 ou 30 cm. Je ne nie pas les bienfaits du tracteur, mais il n’est pas à la portée de toutes les bourses, son entretien est coûteux et il ne produit pas de fumier. Je recommande particulièrement le déchaumage qui est trop négligé chez nous. Il augmente les récoltes sans coûter bien cher.

Un Languedocien nonagénaire racontait le fait suivant : je me souviens avoir vu dans mon jeune temps, un vieux et pauvre paysan qui ne possédait qu’un petit champ et pour le travailler deux petits ânes et un primitif instrument de bois. Le misérable attelage n’aurait pas eu la force de traîner une charrue ! Mais dès la moisson levée, sans trêve et sans répit, il grattait le sol avec son araire et ses deux ânes ; et au grand étonnement de tous, nul dans le pays n’avait d’aussi belles récoltes que lui.

Je pense à la fable de La Fontaine: Le Laboureur et ses enfants.

Travaillez, prenez de la peine :
C’est le fonds qui manque le moins.
Gardez vous, leur dit-il, de vendre l’héritage
Que vous ont laissé vos parents :
Un trésor est caché dedans.
Remuez votre champ dès qu’on aura fait l’Out,
Creusez, fouillez, bêchez ; ne laissez nulle place
Où la main ne passe et ne repasse.

Le vieux laboureur fait allusion au déchaumage, que l’on ne pratique pas assez chez nous. Car en triturant la terre et en la remuant souvent, on découvre l’azote qu’elle renferme et que l’on n’a pas besoin d’acheter.
Les jachères ou sombres mal faites, sont je crois plus nuisibles qu’utiles. Je vois souvent mes métayers labourer au mois de mars une terre qu’ils veulent mettre à blé. Ils font de grosses mottes compactes qu’ils abandonnent pour ne plus les remuer qu’en septembre tandis que si après une pluie, ils venaient herser leur labour, y passer le cultivateur plusieurs fois, les mottes s’effriteraient, du guéret fin en résulterait et ferait naître toutes les mauvaises herbes, qu’un autre passage de cultivateur ferait mourir. Un guéret frais emmagasine la pluie et conserve de la fraicheur à la terre. Mes métayers doivent bien savoir cela, mais avec le manque de personnel, ils ne font que ce qui est indispensable. Le père Charronnier qui a habité longtemps sur le Pied Prot, la maison où Joachim Chenut vient de mourir en janvier 1942 après y avoir lui-même habité 47 ans, disait souvent : La légume, c’est la pioche qui l’amène. Je le rencontrais toujours de mai à octobre avec cet instrument sur l’épaule, allant d’un champ de pommes de terre à un champ de betteraves. Il gagnait des journées modestes, trop modestes même comme tous les ouvriers des campagnes à ce moment là, ce qui ne l’a pas empêché d’acheter au pont des pelles à Magny une maison avec un bon petit champ que ses enfants ont vendu.

23.3.10

JANVIER 1942

1er. Monsieur le Curé fait dire à 8h½ qu’étant fatigué, il n’y aura pas de messe. Les Pierre de Rouville viennent manger avec nous une pintade aux choux, à laquelle ils font très honneur, ils sont aussi gourmands l’un que l’autre. Ils nous apportent une grosse boite de chocolats. Seul, le père Barillet est venu me souhaiter une bonne année, je ne parle pas des nombreux enfants de ma régie que Marcelle avait convoqués pour leur donner leurs étrennes.

2 . 1er Vendredi du mois Je vais à la messe, après m’être habillé à la chandelle. Monsieur le Curé n’est pas à l’église, il ne dit pas la messe étant fatigué, il donne seulement la communion à Marcelle, et à Mesdames Le Sueur, qui déjeunent avec nous en revenant. Je reçois une lettre charmante de Gabrielle de Rouville et une carte d’Augustin qui me dit qu’ils ont eu Jean de Sansal pendant une permission de trois jours venant d’Arles, sa garnison. Marie de Marcy m’adresse ses vœux très affectueusement.

3 . Le Comte Baraudon nous amène avec son gazogène sa grand’mère, sa femme, le ménage Henry de Martimprey et Guy. Je vends deux vaches de Tâches à Thévenet 11 frs le kilo poids vif. Marie Bertelot qui est une ivrogne invétérée va jusqu’à boire mon eau de Cologne dans mon cabinet de toilette.

4 . Dimanche La campagne est idéalement belle, les arbres entièrement couverts de givre forment un décor féérique. J’entreprends à 3 hommes de Moiry, Gilbert, Mangote et Fassier la façon des cordes de bois de chauffage qu’ils feront avec l’écornage des neufs ormes dont j’ai vendu la bille à Jaquelin. Je partagerai avec eux par moitié le nombre de cordes qu’ils auront fait. Les miennes auront o,6o et les leurs o,66 de longueur. Cartes de Simone Jourdier et d’Hervé, mon petit-fils m’écrit fidèlement toutes les semaines.

5 . pluie Je fais des margotines avec mon jardinier. À 6 h du soir, téléphone ! c‘est Édith qui de Nevers nous annonce qu’elle est arrivée chez Madame de Sansal où elle dînera et couchera et demande comment elle pourra venir demain, avec joie, nous aviserons.

Épiphanie Clostre, garagiste à St Pierre, conduisant avec son gazogène des fermiers au concours agricole de Nevers, a pu nous amener Édith et à midi, j’ai pu embrasser ma chère fille qui a bien des choses à nous conter après 14 mois de séparation.

7 .-5° Comme c’est le jour où l’on trouve du tabac à St Parize, les Pierre de Rouville viennent chercher le mien et en profitent pour goûter. Suzanne, par reconnaissance, nous donne souvent du sucre.

8 . neige Édith et Marcelle vont à Nevers par le car et à 6 h, je les vois revenir accompagnée de Cécile venue de Rennes en passant par Tours où elle a couché chez les Villeneuve. J’ai donc eu la joie de dîner avec mes trois filles, joie sur laquelle je n’osais guère compter. Visite du ménage du Passage venu pour demander à notre curé de prendre leur fils en pension.

9 . neige Il tombe une forte couche de neige, ce qui n’empêche pas Jacques de venir à pied goûter avec mes filles. Je monte du bois et j’entretiens quatre feux. Nous déjeunons dans le vestibule où il fait vraiment bon.

1o . neige La couche augmente et l’on marche très difficilement sur les routes. Marcelle va tout de même à Moiry . Godemel, mon locataire de chasse, me souhaite la bonne année.

11 . -9° Dimanche Il gèle si fort qu’on ne peut pas ouvrir une des fenêtres de la salle à manger, mais dans le vestibule où nous prenons nos repas, il fait bon grâce au poêle que j’entretiens sans arrêt et qui va creuser fortement mon bûcher. Je lis ma messe au coin du feu, et mes filles vont à la messe à pied, Cécile avec mes grosses bottes.

12 . -14° Il fait vraiment froid et le paysage est féérique. Jacques vient manger avec nous la dinde rôtie. Je reçois une carte d’Hervé du 27 et une autre du 3o, ils vont bien, mais ils n’ont pas chaud.

13 . -17° Mes deux pompes sont gelées(intérieur et extérieur). Heureusement, dans le vestibule où nous prenons nos repas, il fait bon. Guite de Sansal m’envoie une paire de gants fourrés de sa confection, ils arrivent à propos. À ( h du soir arrive une dépêche signée Clayeux ainsi conçue : Yvonne arrivera Marseille 23 janvier direction Buttavent.

14 . -6° Je suis tout lourd au réveil, et j’ai les jambes en coton ; je garde le coin du feu en faisant des allumettes en papier et en lisant Paris-Centre qui a réduit son format. Nuit bonne, je fais des piqures d’ancoline.

15 . o° Carte de Dédette du 8, de Geneviève du 7 Ils vont bien. Madame de Sansal et M.A. du Verne viennent déjeuner par le car. Le colonel nous envoie un sac d’excellents fruits confits.

16 . o° mon Rosaire. Suzanne Le Sueur vient goûter et nous raconte que son fils est allé le 26 Décembre danser chez les Bardin, et que la fête a fini au jour, c’est-à-dire à 9 h du matin et qu’il a rencontré Chantal du Part dans les salons. Ne sachant pas à qui il avait à faire, il lui a demandé si elle était la fille de Dupart, le marchand de vaches, ce qui n’aurait pas été extraordinaire dans cette maison-là.

17 . o° J’ai la tristesse de voir partir ma chère Cécile qui ne peut pas abandonner plus longtemps Rennes, où elle a de nombreuses occupations, tout particulièrement au secours
+ 2 national, dont elle est un des gros bonnets. Édith l’accompagne jusqu’à Nevers d’où elle revient dans le gazogène des Le Sueur. Un semblant de dégel. Gonin me paye le solde de 1941 de son loyer de la maison.

18 . Dimanche -3° Il regèle et les routes sont verglacées. Je lis ma messe au coin du feu et mes filles vont à pied à St Parize. Le Lt de Lary est nommé Capitaine à Montluçon où sa femme viendra le rejoindre s’il trouve un appartement.

19 . -4° Journée maussade, sans histoire.

2o . -5°, neige Forte couche de neige, Marcelle voulait qu’Édith retarde son départ et télégraphie à la commandantur pour obtenir une prolongation, ce n’était pas mon avis, ni le sien du reste, aussi à 1h¼, nous sommes montés dans la camionnette de Philippe Moine et je l’ai accompagné à la gare de St Pierre où elle a pris un train qui a dû la déposer à la gare de Varennes où j’espère qu’Edmond a pu venir la chercher, car elle voulait en passant voir sa tante pendant 48 h. Quant à moi, comme Moine allait Nevers chercher Madame Soulat, j’en ai profité pour montrer mon bandage à Archambault qui a trouvé tout en bon état.

21 .-12° Carte d’Yvonne, son mari l’embarque aujourd’hui à Oran, destination de Marseille d’où elle ira passer 15 jours à Buttavent, et de là à Bulhon. Si nous avons ce matin -12° dehors, il y en a 11 dans la pièce où j’écris tandis qu’il n’y en a que 7 dans celle où se tient Yvonne à Oujda. Marcelle va au Veurdre, emmenée par Jean Le Sueur et son gazogène. Un avion que je suppose Anglais, laisse tomber sur la maison pendant la nuit, une feuille de papier dans laquelle on reproduit un discours prononcé par Churchill au Canada, dans lequel il abîme le Maréchal et chante les louanges du Général de Gaulle.

22 .-18° On signale – 24° un peu partout. Le froid s’accentue et si les arbres couverts de givre font un spectacle magnifique sous les rayons d’un beau soleil, ce temps est bien triste pour les nombreuses personnes qui n’ont pas de bois, et je pense à Yvonne qui navigue entre Oran et Marseille, peut-être dans une cabine sans feu. Philippe du Passage, qui est en pension chez notre Curé déjeune avec nous et fait grand honneur à la purée de pommes de terre et au lapin de garenne acheté aux Le Sueur.

23 .-18° On dit qu’à St Parize, on a enregistré jusqu’à -22°. Il y a une chose certaine, c’est que nos cabinets sont gelés et qu’en versant de l’eau chaude sur la soupape, je n’ai pas pu la faire fonctionner. Lettre de Cécile qui a fait un bon retour. Carte d’Yvonne qui a dû arriver aujourd’hui à Marseille. Jacques vient goûter à pied.

24 . +4° Hier -18°,aujourd’hui +4°, est-ce le vrai dégel ? Je le souhaite, il est temps. À 3 h, téléphone de Geneviève de Moulins nous apprenant qu’une dépêche des Cotton, cousins des Valence, datée de Marseille, adressée aux Gouttes dit qu’Yvonne a fait une bonne traversée, j’en rends grâce à Dieu. Édith reste aux Gouttes jusqu’au 27, attendant que les routes deviennent praticables.

25 . Dimanche,+4° C’est le troisième où je ne peux pas aller à la messe à cause de l’état des routes. Dans la nuit, J. Cherut a une congestion, le médecin de Magny appelé trouve son état grave, je le téléphone à son fils à Vendôme. Mr le Curé venu pour l’administrer me fait une visite.

26 .-2° Mauvais dégel, chemins encore impraticables. Nous recevons de Tlemcen une boite d’excellentes dattes en même temps qu’une carte d’Hervé. Antoine Cherut arrive pour voir son père dont l’état ne s’améliore pas. Philippe Moine lui a pris 190 frs pour l’amener de Nevers avec sa camionnette, c’est exagéré.
Lettre de Roger de La Brosse, c’est la quatrième fois que nos missives se croisent. Sangliers et renards les dévorent. Son beau-frère Parent est mort, Anne hérite de ¼ de sa fortune plus considérable qu’on osait l’espérer.

27 .-8° Le docteur Robet, qui a 72 ans vient voir Chérut qui n’a plus que qq jours à vivre. Avant-hier, le Grec qui exerce la médecine à Magny, lui a vendu pour 45 frs de remèdes inutiles. Robet prend ma tension qui est tout à fait normale 18 . Jacques vient nous voir pendant que Marcelle est à Planchevienne où les Rouville ont 3 degrés dans leur chambre. On m’apporte de la gare un colis envoyé par Madame Brucy, l’amie des Riberolles contenant dix superbes casseroles en aluminium, pour monter un jour le ménage de mes petites filles.

28 .+1° Jeanne de Mollins envoie 12 mandarines à Marcelle en remerciement de tout le ravitaillement qu’elle lui expédie. Jacques déjeune avec nous et part ensuite avec Marcelle pour Buy voir la bonde de l’étang qu’Antoine a fait faire ces années dernières dans le pré Montifaut qu’Henri avait acheté à la Marquise de Sigy. Marcelle veut mettre une bonde métallique à la pièce d’eau Américaine des Chaumes Vieilles. Je l’y encourage. Ils reviennent par St Pierre et Fontallier où ils voient Nicole de Rubercy qui a laissé mari et enfants à Châteauroux. Lettre d’Hervé.

29 .+2° Paris-Centre annonce la mort de Madame Samuel de Thé, née de Lima et Madame Marcel de Chalvron, née Marion. J’ai la visite des Château, le père me demande à ne plus figurer sur le bail en nom, je le lui accorde bien volontiers, ses deux fils sont assez riches pour être responsables du paiement.

3o . Le garde-champêtre m’apporte une circulaire à remplir dans laquelle il faut indiquer le nombre d’hectares de bois vous appartenant, leurs noms, leur âge, je déclare 83 hectares. Lettre de Cécile. Chérut toujours même état. On a vendu ces jours-ci à Nevers aux enchères, les meubles, bijoux, argenterie, fourrure d’une ½ mondaine, Mlle Barriau que j’ai connue femme de chambre dans une maison amie, ses héritiers ont dû être agréablement surpris, car la vente a dépassé deux millions et que l’argent n’a pas de couleurs. Sur les 3 h du soir, je suis tout patraque, j’ai le cœur sur les lèvres et je me couche sans dîner.

31 . Nuit assez bonne, Marcelle voudrait que je me purge, je résiste, bien m’en a pris, car une purgation naturelle et abondante se produit pendant 24h.

22.3.10

Tiersonnier

Les Tiersonnier venaient de Beauvais quand ils sont venus s’installer dans la terre de Meauce et habiter le joli château de ce nom, gaiement situé sur la rive droite de l’Allier, en face d’Apremont. Ils étaient trois frères.

Benoit, l’aîné, a épousé Mlle de Tamnay dont il eut 9 enfants, Charles, tué à Solférino, Jules, marié à Mlle de Mérac, pas d’enfants, Eloi mort général d’état major, beau-père du général d’Agon, Paul officier de cavalerie, père d’Auguste, mort glorieusement en 1917 en Alsace, de Madame Charles Tiersonnier et de Louise Chavane, deux fils Auguste et Arthur mariés à Salins, Jura avec deux sœurs Mlles Guérillot, Laurence mariée à Alfred de Marne, ingénieur en chef, père de Madame Roger de Soultrait, Blanche, épouse de Ernest Moret, officier de marine et une fille morte célibataire. Il y a près du château une très jolie chapelle où sont enterrés de nombreux membres de la famille dont mon grand’père et ma grand’mère Tiersonnier.
Le château appartient maintenant à Madame de Villefosse fille du Commandant Moret. C’est lui commandait le bateau qui a ramené les cendres de l’empereur en France.

Louis Tiersonnier est mort célibataire dans son château de Sampanges situé dans une délicieuse position près du pont canal, face au Guitin C’est son neveu Eloi qui en a hérité, et qui en a hérité., et qui l’a laissé à sa fille Madame de Cépoy. Il a été brûlé par les Boches en 1944 .

Auguste, ayant eu en dans les partages paternels la ferme de la Grâce et n’ayant pas d’habitation a fait bâtir celle qui est proche de Gimouille, de Fertotot qui appartenait à ce moment-là au Comte de Moncorps, du colombier à la Marquise de La Rochefault, maintenant à Madame de Balloy. Mon grand’père a épousé en 1825 Mlle de Noury, d’une vieille famille nivernaise qui habitait le château de Champrobert, commune de Sougy . Depuis l’an II, c’est toujours un Noury qui a été maire de cette commune jusqu’à nos jours, un communiste les a remplacé après la vente du château. Mes grands’parents ont eu 4 enfants. Noëmi, l’aînée qui épousé mon père, Anna marié à Jules du Verne, Ludovic, officier de carabiniers et en 187o, commandant de Mobiles de la Nièvre, grand éleveur qui tous les ans remportait des prix au concours des veaux Charolais reproducteurs, Caroline, entrée à la Visitation où elle est morte encore jeune.

Mon grand’père a été un peintre de talent, et pour se perfectionner, il est allé passer de longs jours à Rome pour se mettre en contact avec les grands maîtres. En France, il a aussi beaucoup travaillé et donné la plupart de ses œuvres à ses parents et amis. Dans l’atelier de Guérin où il était avec Delacroix, il a peint peut-être son meilleur tableau, qui représente le lavement des pieds : dix mendiants sont alignés devant un prélat tout de rouge habillé qui leur lave les pieds, et sur les épaules du premier mendiant Delacroix a peint son portrait, ce qui lui donne une certaine valeur.




Ce tableau est au musée de la ville de Nevers, ainsi qu’un autre représentant une Ève de grandeur naturelle couchée au milieu de fleurs au bord d’un ruisseau. Avant d’entrer au couvent, ma tante Caroline la trouvant trop nue a demandé à ses parents de ne pas la garder chez eux.






Son chef d’œuvre a été un tableau qui faisait le plus bel ornement du salon de la Grâce et qui représentait un Romain et sa femme, debout partant pour l’exil . Dans le salon de Nevers, nous avions sur la même toile le portrait de ma grand’mère et de ses deux filles aînées. Il y avait aussi le portrait d’un cardinal, qu’il avait copié dans le musée Pitti à Florence. Dans la chapelle de Sucy, on peut admirer un ange gardien qu’il a donné à Madame d’Assigny. A Arthur de Noury, j’ai donné après la mort de ma mère, les portraits de son père en chevalier de St Louis, et celui de sa mère, reproduits, m’a-t-on dit, très fidèlement par leur gendre.
Paul Tiersonnier, qui n’avait pas d’habitation, a bâti, après son mariage avec la très charmante Mlle des Ages, le château de Trémigny, tout près de Meauce. Il appartient maintenant à son petit-fils, Bernard, qui est marié et qui a une brillante situation à Bourg. Aussi il loue son habitation .

À 2oo m du château, il y a une chapelle d’un très joli style où sont enterrés dans un vaste caveau beaucoup de châtelains. Depuis les Roffignac, , j’y ai conduit ma grand’mère Tiersonnier et bien d’autres parents, le général d’Agon, le colonel Moret. La dernière bière descendue retrouver les précédents est celle de Marie de Catheu, femme du Colonel Paul Tiersonnier le 3 Juillet 1946.

DÉCEMBRE 1941

1er. Nuit bonne, journée aussi. Lettre d’Hervé. Jacquelin envoie 3 hommes d’Azy abattre les 8 ormes que je lui ai vendus, les 3 qui sont au fond du pré Monpilet mesurent 15 m de long et 2m6o de circonférence au milieu, mais ils étaient mûrs.

2 . Marcelle déjeune à Chevenon et le Maréchal Pétain avec le Maréchal Goering à St Florentin, Yonne. Est-ce bon, est-ce mauvais ? Kilosa ?

3 . Mon rosaire. Marcelle va au Veurdre d’où elle téléphone à Édith qui va bien, mais qui ne peut pas obtenir de laissez-passer pour venir nous voir. Visite de Jacques de La Brosse.

4 . Vingt minutes après être sorti de table hier soir, Marcelle et moi nous sommes pris d’un malaise qui dégénère en vomissements, en même temps, notre cuisinière mettait le cœur sur le carreau. Elle n’avait mangé pour son dîner qu’une excellente soupe à la citrouille, c’est donc celle-ci qui a été la cause de cet empoisonnement, d’autant plus étonnant que deux jours avant, nous avions mangé de la même citrouille qui avait fort bien passé.

5 . Jacques vient déjeuner et après midi, il part avec Marcelle et son fox pour chasser le lapin, accompagné du jardinier portant le furet. Je ne suis pas étonné de les voir revenir bredouilles. À ma grande joie, Blois répare ma pompe. À Thionne, la municipalité communiste est dissoute et Antoine Clayeux est nommé administrateur de la zone ……. par le gouvernement de Pétain.

6 . Madame de Lépinière, Guillermain, Simone d’Assigny et les G. du Verne viennent manger une dinde rôtie. M-Th Guillermain pas bien.

7 . Dimanche, tempête, pluie Les Montrichard sont appelés à Vichy près d’Armand très malade.

8 . Je vais à la messe de la Sainte Vierge, où je communie. Neige au retour. Mes métayers rentrent leurs bêtes. Je ne les avais jamais vus rentrer aussi tard, cela a épargné le fourrage assez rare. Bringault vient me payer son année, je ne lui demande que onze mille francs au lieu de seize mille qu’il devrait me donner, mais je tiens compte de la grosse perte qu’il a faite en perdant 3 juments d’une valeur de cent mille francs. Je paye pour le domaine 727o frs de réparations.

9 . Longue lettre de Cécile qui accepte les propositions des Château pour la pose de l’électricité à la Seigneurie. Sa maison, à Rennes, est toujours pleine d’amis de passage. La semaine dernière, Madame Douce Le Gonidec mariant son neveu le Comte de Roscoat avec Mlle Loménie de Brienne lui avait écrit en la priant de chercher dans un hôtel de Rennes une chambre pour que le jeune ménage puisse y passer sa nuit de noces. N’en n’ayant pas trouvé, elle en offre une chez elle, ce qui fut accepté. Les du Part déjeunent avec nous. Ils font notre étonnement avec la façon dont ils mettent la bride sur le cou de leur fille, qui est externe au Lycée de Nevers et pensionnaire chez une ancienne femme de chambre, et qui reçoit à Chevenon les enfants de Bardin, l’ancien ennemi d’Antoine et auquel il avait dit lorsqu’il lui avait enlevé la Mairie, vous avez ramassé votre écharpe dans la boue, ceci devant 15o électeurs.

1o . Avec Marcelle, nous allons en voiture à âne au bois des Antes où l’on cuit le charbon. Il y a encore 69 têtards à écorner. Tous ceux qui sont le long de la rue l’ont été l’année dernière sans me prévenir. Au retour, nous trouvons Jacques de La Brosse nous attendant.

11 . Je fais râper la boue des chemins par le père Michel et il aide mon jardinier à fendre du bois, mon fourneau de cuisine est un gouffre.

12 . Temps très doux pour la saison.

13 . Marcelle déjeune à Planchevienne et goûte chez les Mollins avec Mesdames de Savigny, Massias et les du Part. Pendant ce temps, je ramone mes cheminées avec un bambou long de cinq mètres, et je ratisse les allées. Guite de Villeneuve m’envoie de Tours une chemise de jour à col rabattu, boutonnant du haut en bas et aussi courte qu’un veston, prix 125 frs. À Nevers, on n’en trouve ni de longues, ni de courtes.

14 . Dimanche Le Maréchal ayant prescrit de faire des arbres de Noël pour tous les enfants de France, avant la messe, Maire, Curé, notables, maîtres d’école laïque et libre, se réunissent pour organiser cette fête dans le plus grand accord. Les Pierre de Rouville viennent manger une Lyzen-tarte et faire un bridge, par temps doux, ensoleillé.

15 . J’achète une paire de sabots de bois lourds et laids chez Madame Moine, ce sont les derniers de sa boutique. Il y a une soixantaine d’années, les justices de paix étaient tenues dans les cantons par une notabilité du pays, un châtelain généralement. Tout se retrouve, Roger de Toytot gendre Soultrait, vient d’être nommé à celle de Dornes, son oncle Edwin de Marne l’avait occupée pendant de longues années. À St Pierre, j’ai connu Monsieur Massias, d’Azy remplissant cette fonction, à Pougues, Monsieur Moret. Marcelle va goûter chez Suzanne Le Sueur où elle retrouve Mesdames Matthieu, Thonnier et de Lavessière et où elle mange une excellent galette à la grignaude, ce qui prouve qu’ils ont tué un cochon. Je fais tomber des arbres morts dans le parc.

16 . Lettre d’Édith et d’Hervé qui n’a pas chaud à Tlemcen, pendant qu’ici, nous avons + 12° au Nord. Je reloue la maison de Nevers à Gonin pour un an. La nuit dernière, il y a eu près d’ici des tirs de mitrailleuses avec fusées éclairantes ; de leur lit, les gens en voyaient les reflets.

17 . Lettre de Cécile et de Roger qui me dit que Magdeleine, sa sœur a maigri de 18 kg, ce qui lui va très bien, et que Reine est devenus secrétaire de Mlle de Verclos qui a le fluide et découvre des maladies extraordinaires, et avec cela gagne des mille et des cent. À Callot, Elisa vend ses oies 35o frs la paire, c’est beaucoup trop cher à mon goût, bien que j’en profite, et ses fromages de chèvre 4 frs à moi-même. À la veillée, je casse des noix avec Marcelle, mais nous aurons peu d’huile, nos noyers sont trop vieux.

18 . Guite de Sansal vient déjeuner par l’autobus. Les trains réguliers à Mars ne passeront plus que le Mercredi et le Vendredi.

Notre rosaire sera maintenant le 16.

19 . Jean le Sueur emmène Marcelle au Veurdre avec son gazogène à la première heure, elle y trouve deux longues lettres d’Édith qui raconte que ses filles vont suivre à Clermont des cours de littérature et d’histoire à la faculté. Madame Faure leur donne l’hospitalité lorsqu’elles y couchent. Un directeur d’usine a acheté la maison Allary à Bulhon et procure à mes enfants des objets difficiles à trouver dans le commerce, tels que pneus de bicyclette, des piles, etc .. Annely Chalus est morte à 91 ans. Je suis effrayé en voyant 16 voitures à chevaux s’engager dans le chemin du domaine, information prise, elles vont chercher du frs et le stère de bois de chauffage 16o, pris en forêt.

2o . J’envoie chercher du fumier à la Seigneurie pour mon jardin.

21 . Réunion des notables pour organiser les quêtes pour le Noël des enfants et l’envoi d’étrennes aux prisonniers. Maire et Curé ne sont pas toujours d’accord, ce dernier est très autoritaire et voudrait que ses idées soient les seules bonnes, surtout en matière financière pour lesquelles le Maire est assez serré, que ce soit pour les siennes ou celles de la commune. Chantal du Part vient à bicyclette avec l’amie qui est pensionnaire avec elle à Nevers, chercher une paire de dindes. Le coq pèse 16 livres, la poule 1o, vendus au prix de la taxe. Hier, à la nuit tombante, les gendarmes sont venus faire une enquête près de ma métayère de Tâches qui a été dénoncée pour avoir vendu ses oies au-dessus de la taxe, 16 frs la livre au lieu de la livre à 11 frs, prix fixé par la préfecture. Elle a très peur d’un procès, bien que les gendarmes lui aient dit que d’autres ménagères les ont vendus beaucoup plus cher qu’elle à St Pierre 18 frs.

22 . Roy de Callot ramène de la Seigneurie 9 bêtes qu’il y avait en pension gratuite depuis 2 grands mois, cela a économisé un peu de fourrage. Marcelle goûte au Crot noir avec Mesdames Caillès, Thonnier, Le Sueur et Mlle Vallois qui a encore un Boche chez elle.

23 . Je reçois une lettre attendrissante de la Mise dePracomtal qui me fait part des fiançailles de sa petite-fille de Castellane avec le Comte Guy d’Andigné, brillant officier de Chasseur alpins pendant la guerre. Je plante un pommier aux Petites Granges et Marcelle de la vigne, des pêchers et des arbustes dans le jardin.

24 . J’ai encore un tournement de tête en me levant et mes jambes sont molles; cela passe après le déjeuner où l’appétit est bon. J’écris à Édith, à Yvonne et à Hervé. J’achète pour Callot une vache croisée Normande qui a un jeune veau pour avoir du lait, celui-ci étant toujours rare à cette époque de l’année
Noël. Marcelle va à la messe de Minuit où il y a beaucoup de monde, je vais à celle de 9 h où je m’approche de la Sainte Table en compagnie de jeunes enfants, trop jeunes à mon sens, qui font leur première communion privée. Les Pierre de Rouville viennent goûter et font grand honneur à une tarte aux pommes préparée à leur intention. Antoinette Jourdier est très préoccupée de la saisie de biens de Paul dont on la menace. À dix heures du soir, Cécile nous téléphone de Vitré de chez son amie d’Héliand, elle va bien.

26 . Un métayer des Montrichard tue un mouton qu’il partage avec eux, et en grande crainte, ils partagent cette moitié avec nous, car le Maire est très timoré. Marcelle envoie le gigot à Monnier (à Paris), qui sera bien aise de ce ravitaillement avec sa nombreuse famille. Je donne un dindon au Curé de la Cathédrale pour ses étrennes.

27 . Antoine de Sansal vient déjeuner et nous aider à confectionner les sacs et jouets qui seront distribués demain aux enfants de la Commune. Nous lui faisons emporter une dinde pour Monsieur l’Archiprêtre de la cathédrale. Mon métayer Michel n’a encore une fois plus de domestiques, il est brutal avec eux, et ne peut en garder. Ce domaine des Petites Granges me donne bien des soucis.
J’écris des lettres de bonne année à Mesdames de Chargères, et de Marcy, en leur envoyant ma photo, faite par Antoine de Sansal. Je réponds aux souhaits d’André. Ma belle-sœur m’envoie deux belles chemises que son mari n’avait pas eu le temps d’étrenner.

28 . Dimanche,-5° Après une bonne nuit, je me lève tout lourd, aussi je reste lire ma messe au coin du feu. St Parize a joyeusement fêté l’arbre de Noël du Maréchal dans la salle de l’école libre, autour d’un sapin tout enguirlandé et couvert de jouets ; étaient groupés les 152 enfants fréquentant les 4 écoles de St Parize. Après que chacune d’elle ait donné son numéro sur le théâtre, un violon lui donnait la réplique. Tous les enfants furent gâtés par la distribution de jouets et de petits sacs contenant des tablettes de chocolat envoyées par le secours national, un gâteau et un petit pain fabriqués par des dames du pays. Un magnifique portrait du Maréchal Pétain a été tiré en loterie (C’est Marcelle qui l’avait donné). Une retentissante Marseillaise chantée sous les yeux de Mlle Berger, tout de blanc habillée et ceinte d’une écharpe tricolore a terminé cette fête pour laquelle tout le monde a marché avec un accord parfait.
Madame de Montrichard exige que ses domestiques aillent à la messe, aussi pendant celle de minuit, sa femme de chambre est restée tout le temps assise, même pendant l’élévation.

29 . -1o° Marcelle va au Veurdre d’où elle rapporte deux lettres d’Édith qui va bien mais qui ne trouve toujours pas de cuisinière. Elle a Jean de Sansal pendant 3 jours de permission. Au retour, elle goûte à Fontallier où Marie empêche sa mère de manger du pâté pour le laisser à Solmon. Visite aux vieux Voisin pour leur porter leurs étrennes.

3o . J’entre à 1o heures du soir dans ma 87ème année : je suis né le 3o Décembre 1854, le 31 était un dimanche. Les bureaux de l’état civil étant fermés, je n’ai été déclaré que le premier Janvier 1855, ce qui eut pu me servir pour me présenter à une grande école, mais j’ai été trop mauvais élève pour cela. Je fais jeter par terre un sapin épicéa planté par mon père il y a 72 ans dans l’avenue menant à Callot, bâti à cette époque, pour faire une réserve de planches. Cécile nous souhaite la bonne année par téléphone.

21.3.10

NOVEMBRE 1941

La Toussaint Pas mal d’hommes à la messe dont mes 3 métayers. Jacques et sa cousine, Anne de Rouville viennent goûter.

2 .Dimanche Ce qui fait reporter la fête des morts à celle de St Hubert. Visite de Jacques et de sa cousine Anne de Rouville. On gèle.

3 . Beaucoup d’hommes à la messe. Comme notre cuisinière est en vacances, avec Marcelle, nous nous partageons le service, elle le torchon bleu, moi les chaussures et les lampes. Tout cela réchauffe, on en a besoin car on gèle.

4 . -5° J’assiste à l’enterrement de Jean Baste, vieux brave homme qui finit dans la peau du sacristain de notre église; dans sa jeunesse, il avait été mon locataire au Pied Prot, et mon fidèle compagnon de chasse. Lettre d’Hervé qui m’annonce qu’enfin son ancien colonel lui a fait rendre justice avec la croix de guerre qu’il méritait bien.

5 .-5° On finit d’arracher les betteraves qui ont les feuilles gelées, c’est bien en retard. Les marronniers perdent les leurs en quelques heures.

6 . Les Massias nous amènent les Villaines à déjeuner, la cuisinière étant absente, c’est Marcelle qui a tenu le cordon de la poêle et qui s’en est très bien tirée. Gabrielle de Rouville est venue passer l’après-midi. Dernièrement, Massias en voulant mettre son gazogène en marche dans son garage fermé a été trouvé évanoui sous le véhicule par son fils âgé de 14 ans qui, parmi les scouts, avait appris à pratiquer la respiration artificielle et qui a pu ramener son père à la vie.

7 . Edmond, Geneviève et Marguerite viennent déjeuner avec nous et nous emmènent ensuite à Nevers d’où Geneviève part pour Tours. Edmond s’entretient avec le marchand de biens, le nommé Barthélémy qui lui offre 95o ooo frs de la Baratte, le marché ne se termine pas, mon neveu en voulant le million. Je passe chez Gallichon Lavarine pour lui parler de Garuet qui m’assomme avec les réparations du Mou. Je passe à la Mutuelle Incendie pour augmenter mes polices assurances pour moi et les Riberolles. Je passe au Crédit Agricole retirer l’argent de ma vente de blé, j’en ai peu et pas beaucoup d’avoine. Miette, après plusieurs entrevues est demandée en mariage pat un jeune Degeorges des environs de St Pourçain et proposé par les Roquefeuil, ne marche pas.

8 . pluie Les Edmond nous quittent après déjeuner, leur visite nous a fait grand plaisir, nous avions bien des choses à nous raconter. Le vieux ménage Michel s’installe dans la garderie.

9 . Dimanche La moitié des bancs vides à la grand’messe. Je partage le dernier carré N-O du taillis d’Orgeat à 1o hommes de Moiry qui me payent 1o frs par tête

1o . Touché de Charpinet un chèque sur la Banque régionale de la Nièvre que j’envoie à la Sté Gale pour être touché, Bois des Champs Blonds, premier terme. Marcelle va déjeuner à Fontallier et de là au Veurdre d’où elle téléphone à Bulhon où l’on va bien. Les Château viennent me payer leur terme et je conviens avec eux d’un renouvellement d’un bail pour l’année 1942-1943. Je fais moudre 1oo kg de blé par Martinat pour cuisine et pâtisserie.
St Martin +15° Deux Espagnols font un découvert sur la carrière des Chétives Vignes pour Sablé.
St René . pluie Les assurances sociales cherchent la petite bête pour avoir moins d’allocations à donner, Joachim Chirat touche depuis peu 9oo frs par trimestre, sa femme fait des démarches pour en toucher autant, mais cela ne va pas tout seul, elle a cependant 12o frs par mois de la commune. Marcelle qui devait aller goûter avec Madame Le Sueur, y renonce, car la pluie ne cesse de tomber. Cécile me souhaite bien ma fête.

13 . pluie Vente de reproducteurs Charollais de l’année de l’écurie Goby : Ultra, 9 mois adjugé 44ooo frs, Ulax 425oo, Ulrich 325oo, Ulysse
28ooo. L’on n’avait jamais vu pareilles enchères. Le même jour, Blond, fermier à l’Isle vendait à l’amiable un veau 48ooo. Je me fais un mauvais sang terrible pour ma grange brûlée qui n’est pas finie, les portes ne sont pas posées et l’hiver s’avance.

14 . pluie Toujours le mauvais temps, j’ai des pommes de terres et des betteraves qui ne sont pas encore arrachées. Lettre de Berthe, Charles ne va pas fort. Ne pouvant plus promener Tatila, il l’a fait tuer. Paule de Villaines a frôlé la mort de près dans le Car de Guérigny qui a versé et a été broyé.

15 . Jacques de La Brosse, si inoccupé à Planchevienne, est toujours content de venir goûter avec Marcelle, qui se fait apporter par Duceau un furet qui ne lui servira à rien dans une propriété où il y a eu des lapins, mais très peu de terriers.

16 . Dimanche Montrichard réunit les amis de l’école libre pour leur demander d’être plus généreux à l’avenir, ils viennent peu nombreux, il ne se souvient pas assez que cette école est la sienne, et que si l’on donne quelque chose pour elle, c’est une économie qu’on lui fait faire, et en général, on le trouve assez riche pour l’entretenir à lui tout seul. Je compte avec mon métayer Roy de Callot qui doit se trouver satisfait de ce qu’il emporte. Mais ces gens-là considèrent plus ce qu’ils payent que ce qu’ils empochent.

17 . Hier, cette ignoble radio Anglaise traitait le brave Maréchal de ce rusé vieux syndic de la faillite française. Marcelle déjeune à Planchevienne. Garuet vient me payer son terme soit 12ooo frs qui se répartissent ainsi 34oo pour les impôts et 86oo pour des réparations et ce n’est pas suffisants. Je me fais couper les cheveux par Madame Thierry qui me raconte tous les scandales de la commune.

18 . Je me désole en voyant que les portes de ma grange ne sont pas encore posées et que ma pompe marche mal, elle se dégrène, et Blois ne vient pas la réparer. Longue lettre de Cécile. 75 qx de blé.

19 . Je déclare à la Mairie 75 quintaux de blé, c’est ce que j’ai livré à la coopérative. Pierre de Rouville déjeune avec nous et se régale avec notre boudin.

2o . Marcelle va à Nevers à bicyclette après avoir fait le Catéchisme à Moiry, elle se passe de déjeuner, car pour elle, il n’y a qu’un repas qui compte, c’est le goûter, qu’elle prend chez Jeanne de Mollins. Elle trouve le pauvre Charles Tiersonnier mourant et Berthe à bout de forces, heureusement, Antoinette est arrivée. Encore la radio anglaise parlant du timbre poste à l’effigie du Maréchal qui dit : on lui lèche le derrière et on lui tamponne la figure. Mlle de Castellane est fiancée au petit fils de Geoffroy d’Andigné, le maître d’équipage.

21 . Marcelle va au Veurdre d’où elle téléphone à Bulhon où tout va bien. Carte de Tlemcen où tout va bien aussi.

22 . Yvonne m’envoie d’Oujda pour ma fête une boite de fruits, mandarines, citrons et figues, je suis bien touché d’une si aimable attention.

23 . Dimanche, pluie Très peu de monde à la messe, pas de ménagères pour entendre Monsieur le Curé reprocher aux ménagères de pratiquer le marché noir en vendant leurs produits bien au-dessus de la taxe, ce qui est un gros péché. Avant dîner, j’ai un étourdissement qui dure une ½ heure, pendant lequel je ne puis plus trouver les mots que je veux dire. Bonne nuit après cela.

24 . Renaud vient me payer son terme du 11. Je ne lui en fais payer que les 2/3 parce qu’il a son fils ainé prisonnier et qu’il se donne beaucoup de peine étant tout seul pour exploiter son domaine. Il nous apporte 12 poulets et 4 dindes pour ses menus suffrages et ceux du Lieu-Normand. Le pauvre vieux Charles Tiersonnier est mort la nuit dernière sans trop de souffrances. Il a eu une bien pénible fin d’existence, après avoir vécu à La Grace avec aisance, maison toujours ouverte, maire de Gimouille pendant de nombreuses années. Les revers étant arrivés, il fallut chercher de quoi vivre, alors le ménage installa dans le parc un grand élevage de poules pondeuses, tout en se donnant beaucoup de mal, cela n’a pas marché, la propriété a été vendue, mais il fallait manger, aussi pour cela Berthe a organisé à Nevers, dans l’hôtel Soultrait une pension de famille où elle est la cuisinière et où elle se tue à la peine. Pendant que Marcelle fait une visite de charité à Madame de Montrichard qui est assez fatiguée, je reçois la visite des du Part, retour de Paris. En déjeunant chez Weber, on leur fait payer une douzaine d’huitres cent francs et faute de trouver une chambre dans un hôtel, ils ont couché dans une maison de rendez-vous.

25 . Journée sans histoire. Je finis de régler avec mes métayers qui gagnent de l’argent, mais qui se plaignent de payer leurs chemises trop cher.

26 . Nous prenons un taxi qui nous mènent et nous ramènent de Nevers (coût 36o frs) pour assister à l’enterrement de ce pauvre Charles. Il y avait beaucoup de monde, le Colonel Paul et Guillaume Jourdier étaient venus de Paris. Inhumation dans la chapelle de Meauce après la cérémonie à St Etienne. Nous déjeunons chez Madame de Sansal, sans le Colonel qui est à Raffigny. Menu d’un moine, boudin et pommes de terre à l’eau. Je rapporte un peu de vin d’Aïn Kala et je donne une dinde au grand séminaire, c’est un beau cadeau car on prétend qu’il s’en est vendue une mille francs. Visite à Béchard. Berthe va continuer à tenir sa pension de famille, elle est bien courageuse. Madame Pinet que je suis allé voir porte allègrement ses 81 ans, et le Colonel d’Assigny ses 8o.

27 . Comme exercice, je ramasse des feuilles sèches dans les allées, elles feront de la litière, car la paille est rare. Marguerite Denis, fermière à Celines attrape un procès pour avoir vendu 3 oies 95o frs ce qui fait 316 frs l’une quand la taxe était de 154 frs. Cette ménagère méritait bien cette leçon, mais je doute que cela serve de leçon aux autres.

28 . Roy roule de la pierre du camp sur le chemin de Callot, et son vieux beau-père l’écarte.

29 . J’attendais un plombier de St Pierre pour souder le tuyau de ma pompe qui m’inquiète beaucoup, il ne vient pas. Jacques de La Brosse goûte avec Marcelle, ça remplace son très frugal déjeuner composé de pommes de terre et de topinambours. On demande toujours des statistiques bois, déclaration 9o hectares à la Mairie

3o . Dimanche En faisant ma toilette, mes jambes fléchissent et je tombe, relevé aussitôt. Je n’ai tout de même pas été très bien toute la journée, mes jambes sont restées en coton, aussi, je ne suis pas allé à la messe, l’appétit a été bon.