26.3.10

MARS 1942

1 - 2 °. Dimanche. A la messe plus d’hommes que de femmes. Après midi agréable.

2 - 0 °. Marcelle va à Nevers de très bonne heure avec la camionnette de Moine. Elle porte une rente habituelle aux sœurs de l’Assomption qui aimeraient mieux des pommes de terre que de l’argent, elles n’en ont plus que 3 kilos pour 15 bouches à nourrir. Vrai beau temps aujourd’hui, on peut labourer. Je fais une tournée agricole avec mon âne. Mes trois bucherons me fendent des ormes, je vais en avoir une bonne provision. N’ayant plus rien à lire, au hasard je descends la débâcle de cet affreux Zola. C’est pris sur le vif. On dirait ce livre écrit aujourd’hui et on trouve le Boche de 1870 tel qu’il est encore. François de Chavagnac meurt dans son château de Chazeuil que son père avait eu la folie de bâtir avant d’avoir 6 enfants il est vrai, et où j’ai été reçu très aimablement plusieurs fois.

3 – 0°. Marcelle va sans encombre au Veurdre où elle trouve un assez nombreux courrier. Elle téléphone à Edith qui n’a pas d’autre dépêche de Tlemcen depuis celle qui annonçait la naissance. Jacques de La Brosse est à Bulhon pour quelques jours. Yvonne et ses filles vont bien. Elle a fait venir un taxi de Clermont pour aller voir son docteur Rougin, l’aller et retour lui ont couté 1100 F. Avec mon jardinier je sème les premiers petits pois que nous mangerons pour la St Jean. Je fais ouvrir la chaussée de l’étang du jardin pour remplacer par une bonde métallique, la vieille bonde en bois.

4 L’étang se vide lentement. Cécile nous envoie du beurre qui est le bienvenu. Il fait très doux + 10 °.

5 Pluie. Les Anglais ont bombardé hier les usines Renault à Billancourt. Il y a 500 morts, 1200 blessés et pas mal de maisons détruites. Malgré cela, il y a 80% des Français qui sont partisans de ces agresseurs, en haine des Boches. Je ne sais trop qu’en dire, je suis du côté du Maréchal, qui doit être bien embarrassé. Le temps s’étant bien radouci, nous rentrons dans la salle à manger pour déjeuner. Carte de Vé qui attend en vain sa belle mère. Mon jardinier qui adore la pêche, patauge dans un mètre de vase pour y prendre quelques carpes, dont une miroir venant de chez d’Aramon, lâchée, il y a juste un an, lorsqu’elle pesait 45 grammes. Elle en pèse maintenant 260.

6 Pluie. Premier Vendredi du mois, je communie. Lasseur m’envoie mon gros sapin débité en bat-flancs, planches et chevrons. Cela me fera une bonne réserve. Nous distribuons les carpes de l’étang aux 4 domaines, aux vieux Michel, à M. le Curé, à la Poste, à Madame Blot, de Rouville, Martinat, Thiery, Vaillot, Le Sueur Barrière.

7 +3 °. Neige. Paris Centre annonce la mort du Cdt de St Armand à Versailles chez les Jacquemart et celle de la Baronne Marochetti 81 ans. Marcelle part bravement sous une journée de neige pour aller déjeuner au Colombier, mais arrivée à Magny après avoir déposé une carpe chez les Rouville, elle recule devant la tourmente. Elle me trouve déjeunant devant le fourneau de la cuisine car on gèle et cela la mortifie de s’asseoir en face de moi, car elle aime assez le décorum, du reste si elle était arrivée au Colombier, c’est dans la cuisine qu’elle aurait été reçue car ces dames n’ont aucun domestique.

8 Neige. Dimanche. Paulette Lesueur prend à la maison le premier et le deuxième déjeuner, entre les deux, elle montre à Marcelle la façon de faire des choux à la crème. Guite de Sansal devait venir aussi, l’affreux temps l’a fait reculer, de même qu’il m’empêche d’aller à la messe.

9 -3°. Marcelle va déjeuner au Colombier, où elle est reçue dans la cuisine. Pour le gouter on se tient dans le salon pour y recevoir la comtesse de Savigny, qui sachant que ma fille était là, lui apporte pour moi, un billet de part trouvé dans les archives de Fertot, c’est le billet de part de Madame Maslin (née de Vercy) décédée aux Gouttes en janvier 1890. Tous les corps d’état que l’on ne peut plus avoir, se donnent rendez-vous à la maison. Le plâtrier Bureau pour nettoyer la lingerie, Lasseur pour remettre des vitres et Blois pour le fourneau et la terrasse. Jacquelin fait abattre les 6 noyers que je lui ai vendus.

10 Pluie. Les du Part passent la journée avec nous et dévorent l’un et l’autre à déjeuner. Quand on les voit partir à bicyclette, on dirait un jeune ménage.

11 +10°. Le temps se réchauffe, +10° dehors, +8° dedans. Lettre d’Edmond. Leur vieux jardinier Maniquet est à l’agonie. J’ai connu aux Gouttes trois générations de cette famille.

12 +10°. Paul Château vient m’apporter le sous seing que je lui ai consenti pour 1943, prix ferme 50 000 F. Marcelle trouve que c’est pour rien. Peut-être ! mais j’ai l’habitude de me faire voler. Bonne journée pour les prés, on les voit verdir.

13 +12°. Nous recevons de Bulhon de très belles et bonnes pommes et une bonde pour l’étang américain. Le plâtrier Bureau a fini la lingerie. C’est une grâce qu’il nous fait en venant ici. Mais Blois ne revient pas. Je fais une démarche auprès de la caisse d’épargne de Nevers qui donne des récompenses aux familles nombreuses pour tacher d’en obtenir une en faveur de mes métayers Michel qui ont 5 enfants.

14 Magdeleine du Part me fait part des fiançailles de Robert le marin avec Melle de Gouvello, fille du Colonel. Les Pierre de Rouville viennent manger avec nous du salé sur une purée de haricots rouges. Une fermière de Magny, traversant le marché Carnot, voit des pruneaux et dit à la marchande, donnez m’en un kilo. Celle-ci la regarde épouvantée. Vous ne savez donc pas combien cela coûte. Non. C’est 160 F. Elle court encore.

15 Dimanche. Je vais à la messe, où il y a 17 hommes dans la nef et pas beaucoup plus de femmes. Marcelle déjeune chez les Rouville et gagne Nevers à bicyclette, pour quêter pour son œuvre des tabernacles. Il fait un temps charmant et chaud. Je crains fort que nous ne trouvions pas de graines ni pour le jardin ni pour les champs. On dit que les Boches envoient tout en Allemagne. Ils veulent nous réduire à la famine.

16 Avant déjeuner, je rapporte une magnifique salade de cresson de la source du pré de la Joie. Après je me traîne jusqu’aux Champs Blonds où la coupe s’avance. J’en reviens éreinté. Marcelle ne perd pas son temps. Elle travaille au moins dix heures par jour dehors. Pour le moment elle taille ses arbres. En cela elle me rappelle son arrière grand-mère Madame Amable. Carte d’Hervé qui n’a encore rien vu de comparable à Hubert qui a des cheveux bouclés et qui déjà tête son pouce, ce qui est une preuve d’intelligence.

17 Les trois bucherons de Moiry qui m’ont exploité le branchage de 8 ormes dont j’ai vendu les troncs à Jacquelin ont fait 392 pieds à partager, j’en ai donc 196 pour moi, ce qui représente 12 cordes de 2 stères 33 + 1 corde faite par la Polonaise et deux environ par Chicon, cela va me faire une bonne provision. Je reçois une lettre de Savigny qui me remercie des notes généalogiques que je lui avais envoyées sur les Du Noyers et qui me fait l’honneur de m’appeler mon cher parent. Madame Le Sueur vient nous voir. Elle ne sait pas quoi faire de la grosse somme qu’elle a tirée de la grosse vente de l’ile verte. Je plante un poirier Plateau et un pommier aux Petites Granges. Il y a longtemps que j’aurais dû faire cela. Même domaine, on pose aujourd’hui les grandes portes après 19 mois du sinistre. Il n’y a plus qu’à payer.

18 Pluie. Giboulées de Mars. A 7 ½ du soir, je vais à la gare chercher Miette et Kiki qui nous arrivent pour quelques jours. Cette petite me fait mille tendresses qui me vont au cœur.

19 St Joseph. Je m’approche de la Ste Table. Très peu de monde à la messe. Kiki fait ma joie, elle cause comme une femme, elle a écrit à son papa. M. Pierre de Laplanche, maire de Millay est mort à 64 ans.

20 Beau temps. Chicon sème du blé sur le Pied Prot. Marcelle reçoit pas mal d’offrandes pour l’œuvre des tabernacles.

21 Samedi. Madame Sanglé Ferrière vient passer la journée avec nous par le car et Miette va à Nevers par la même voiture archi comble.

22 Dimanche. J’emmène Kiki à la messe avec mon âne, deux personnes me disent «Comme elle ressemble à sa mère ». Je ne le trouve pas tant que cela. Domaine de Tâches assez productif, il y naît en 24 h une pouliche et trois veaux.

23 Marcelle n’ayant pas pu avoir de laissez-passer pour Moulins, déjeune en hâte et malgré moi part pour Le Veurdre à bicyclette, comptant avec cette monture se rendre aux Gouttes pour assister demain au bout de l’an de son oncle. C’est de la folie ! Guite et Jean de Sansal viennent manger avec nous le salé aux haricots. Je fais faire un gros travail : remplacer la bonde de l’étang qui était en bois par une métallique de chez Chambron à Moulins. Je surveille la fabrication du couroi qui tiendra je l’espère. Il y a plus de vase que d’eau dans mon grenouillat, mais je n’ai pas la main d’œuvre voulue pour le curer au grand désespoir de mes filles.

24 Pendant l’absence de Marcelle, je fais niveler les méfaits de l’ouragan du 15 aout, au sortir de la basse cour, car je sais que depuis longtemps ce dédale lui déplait. J’ai une pensée pieuse pour l’anniversaire de la mort de mon pauvre vieux beau frère. Nénette de Toytot nous donne des nouvelles de sa mère qui depuis le 2 mars est à la clinique Génard à Moulins, elle a eu 2 doigts de pied gelés, d’où abcès sous le pied droit, qu’il a fallu ouvrir, beaucoup de fièvre et autres ennuis causés par le diabète. Miette Kiki chantent tout le temps :
Maréchal nous voila
Devant toi, le sauveur de la France
Nous jurons, nous les gars
De servir et de suivre tes pas
Maréchal nous voila
Tu nous as donné l’espérance
La patrie renaitra
Maréchal, Maréchal, nous voila.

25 A 7h1/2 du soir téléphone de Marcelle qui dit : traversé le Pont du Veurdre, j’arrive. Elle nous raconte son voyage. Le 23 en entrant dans l’autre zone, elle téléphone à Jacques de La Brosse qui est à Sancoins. Viens aux Gouttes avec moi. Une heure après, il était là. Du Veurdre pour gagner la Madeleine on leur conseille de ne pas prendre la route qui longe la rivière, mais celle qui passe par Limoise, Franchesse et Bourbon parce que meilleure mais plus longue de 10 kilomètres. On ne compte pas avec ceux-ci et on arrive à la Madeleine, où cette fois on emprunte le bord de l’Allier jusqu’à Châtel de Neuvre où on la traverse. Arrêt à La Ferté Hauterive d’où ma fille un peu lasse des 80 km qu’elle vient de faire à bécane, téléphone à Edmond de venir la chercher avec son gazo. En l’attendant, les voyageurs prennent un Byrrh réconfortant au bistrot. A 8h ¼ ils entraient dans la cour des Gouttes et se réconfortaient avec un copieux dîner, fort bien servi par un somptueux maître d’hôtel. Ma pauvre vieille belle sœur est contente de voir Marcelle, pour son âge, elle ne va vraiment pas mal. Le 24, les deux voyageurs prennent un bain en se levant, car il y a de l’eau chaude jour et nuit maintenant, les Edmond ayant mis un confort très moderne. Messe de bout de l’an pour le vieux veneur, pas mal de monde à la messe. Le 25 après avoir mangé une carpe de cinq livres, Edmond conduit les bicyclistes à La Ferté où ils enfourchent leurs montures et reviennent au Veurdre, cette fois en en suivant tout le temps la rivière. J’ai été étonné de voir Marcelle aussi peu fatiguée d’une aussi longue course. Kiki qui est têtue comme une bonne Bretonne qu’elle est, n’ayant pas voulu demander pardon, après avoir commis une légère faute, Miette l’a couchée sans dîner. J’ai fait aujourd’hui un tour d’acrobate avec mes 86 ans. Le pignon neuf du côté Est du bâtiment brûlé des Petites Granges n’a aucune ouverture, ce qui le rend triste. Pour l’égayer, je grimpe sur une grande échelle et muni d’un pinceau et d’un pot de peinture fabriquée avec de la suie et de la vieille huile d’auto, je dessine à 4 mètres de hauteur, un magnifique œil de bœuf qui attire les regards des passants. Pour la 1re fois depuis 5 mois, nous n’allumons pas de feu.

26 Je reçois une longue carte d’Yvonne qui me donne de bonnes nouvelles de tout Bulhon.

27 Avec le père Michel, je fais bruler les herbes sèches dans le camp Américain. Sans cette opération que je pratique tous les ans au mois de mars, le plateau deviendrait impénétrable et si jamais ma fille a la bonne chance de ravoir des moutons, ils y laisseraient toute leur toison. Mes filles font le chemin de la croix à Moiry.

28 Mesdames de Pardieu et de Noblet déjeunent avec nous et ramassent du pissenlit dans les prés par un temps splendide. Miette part pour Nevers à la première heure à bicyclette, elle a rendez-vous avec Paule de Villaines, ensembles elles déjeunent chez Sansal.

29 Les Rameaux, beaucoup d’hommes à la procession, par vent de Sud Ouest, si le dicton est vrai, ce sera celui qui dominera toute l’année.

30 Marcelle Miette et Kiki déjeunent chez les Le Sueur qui ont beaucoup insisté pour m’avoir. Je ne me suis pas laissé tenter. Miette à bicyclette va gouter à Luanges et dîner et coucher à la Belouze. Nous recevons un colis d’oranges envoyé par Yvonne avant de quitter Oujda. Elles arrivent pourries.

31 Marguerite Le Sueur et Anne de Rouville déjeunent avec nous. Alain ne vient qu’après midi, nous apportant un fromage à la crème. J’envoie du bois à Melle Coursier et au Ct Diart par mon métayer Michel qui va à Nevers chercher du son et des graines à la coopérative Union Nivernaise. Prix du bois 400 F +18 octroi + 200 voiture = 618 F. J’ai dû sans m’en apercevoir me donner un coup au mollet gauche, d’où un peu d’infection, je boite. Marcelle me met des compresses humides et chaudes.

Aucun commentaire: