27.2.11

JUIN 1940

1 Samedi. Mes métayères de Tâches et de Callot vont chacune dans leur auto au marché de Nevers.

2 Des cultivateurs des Ardennes arrivent à St Parize avec leurs 9 chevaux et 4 chariots chargés de leurs familles, vieux et jeunes. Cela fait pitié. Ils sont dirigés sur Gagnard et la Seigneurie.

3 Mon Rosaire. Marcelle ne perd pas son temps. Elle monte du lait aux Chéru en allant à la messe. De 9 à 10, elle dit son rosaire. De 10 à 11 elle fait notre déjeuner. Après midi elle fait fondre le beurre acheté à Madame Le Sueur, une salade Russe, tire les vaches, ramasse des fraises etc. Pour moi, promenade dans les Craies avec Jaurès. Un vent de NE très brûlant fait rentrer les avoines en terre, elles avaient cependant belle apparence. Sur notre plateau, il faudrait de la pluie tous les deux jours. Edith nous écrit que ce ne sont pas des évacués du Nord qui les envahissent, mais le Marquis de Montgon et sa belle fille qui leur demandent l’hospitalité. A Nice, ils ont peur de l’invasion par l’Italie. C’est demain que Mussolini doit décider cela.

4 Nos domestiques rentrent à 8 h ½ du soir par la gare de Mars où Marcelle va les chercher. Nous donnons un matelas à des réfugiés de Reims installés pauvrement à Moiry.

5 Marcelle va à Nevers emmenant les Pierre de Rouville, ils sont arrêtés pendant une heure à l’entrée du pont de Loire à cause d’une alerte. 7 avions Boches bombardent la ville. Un cycliste est tué par un éclat d’obus sur la route de Chevenon. Autrefois, mon père aussi bien que moi-même du reste, quand nous entendions jouer la Marseillaise, nous enfoncions nos chapeaux jusqu’aux oreilles. Aujourd’hui c’est bien changé car elle est devenue hymne national et dernièrement on l’a chanté à Notre Dame et au Sacré Cœur de Montmartre.

6 On fauche la pelouse. Marcelle et Suzanne de Rouville vont à la cantine de Saincaize.

7 1er Vendredi du mois. Marcelle n’étant pas revenue, je vais avec mon âne à la messe où je communie. Lettres du 4 d’Hervé et de Jean qui vont bien. Le premier doit être actuellement dans la fournaise, les Boches attaquant sur un front de 200 kilomètres. Lettre de Louis de La Brosse me disant qu’il m’envoie en gare de Mars des meubles précieux pour les mettre ici en sécurité, mais si jamais, les Boches arrivent à Paris, deux jours après ils seront à Nevers.

8 Si l’on n’avait pas tant besoin de pluie, on se réjouirait du beau soleil qui permet de faire les foins bien facilement. D’autre part l’angoisse est grande en pensant aux durs combats qui se livrent sur un front de 200 kilomètres.

9 Dimanche. Nombreux réfugiés Belges arrivent dans la commune. On nous envoie deux familles que je loge dans le vieux château où mes métayers Roy et Chicon ont mis des lits. Simone et Miette nous amènent pour goûter Madame Pinet, le Colonel d’Assigny et Mme de Roquemaurel dont le mari est à la DCA de Nevers.

10 A 3 h, coup de téléphone de Cosnes, c’est Louis qui dit j’arrive avec Josefa et notre cuisinière. Ils laissent Odette dans une formation d’infirmière croix rouge installée au château de St Gervais appartenant à Roland de Montrichard. Après dîner, Bob Le Sueur nous téléphone que l’Italie nous a déclaré la guerre. Nous sommes tous atterrés.

11 Les Boches avancent et Paris se vide. 3 Agents de change (Roubi et d’Utruy) avec leurs femmes, partis de la capitale à 5 h du matin échouent à Moiry à 7 h du soir. La route est si encombrée qu’il est impossible d’avancer. Martinat nous les envoie pour les faire coucher. On fait des lits à la hâte. Ils nous apprennent que le gouvernement est parti et que Pétain et Weygand sont à Gien, ceci à contrôler.

12 Pluie. Nous allons à Nevers et depuis Moiry nous croisons 308 voitures
chargées à craquer. Les La Brosse déjeunent aux Réaux, où Madame Cote reçoit Madame de Bernoville, mère de Josefa. Ce même jour les Boches entrent chez elle à Compiègne. Martinat notre adjoint nous envoie deux familles cherchant des lits pour la nuit. Nous donnons des lits à 7 personnes et le petit déjeuner. 4 d’entre elles ont couché l’autre nuit dans la forêt de Fontainebleau étant dans l’impossibilité de trouver une chambre. On nous dit que le château de Sermoise est réquisitionné pour y loger un ministère. Celui de Chamou pour y mettre des officiers. Les journaux de Paris n’arrivent plus. Pluie très bienfaisante qui permettra aux pommes de terre et aux betteraves de naître. Le Polonais que je loge au Pied Prot et qui a 4 enfants part pour le camp de Cöetquidan.

13 Pas de journaux. Il nous arrive pour coucher une famille évacuée de Coulommiers, grand mère, père mère et trois enfants. Plusieurs autos de St Parize sont réquisitionnées pour aller chercher des réfugiés à Clamecy. Une quarantaine d’hommes de la commune sont réunis à la mairie pour former une garde civique. 3 d’entre eux passeront chaque nuit au moulin à vent pour exercer la surveillance de la région. Les La Brosse voulaient aller à Paris pour vider le coffre fort qu’ils ont à la Société Générale, ils y renoncent vu l’encombrement des routes et la difficulté de se procurer de l’essence. Ils se contentent de faire une visite à Planchevienne. Henri de Rouville est revenu.

14 L’inquiétude est grande, les Boches sont à la porte de Paris, aussi ne sachant pas s’il me restera de l’argent pour régler avec mes métayers à la St Martin, je leur fais une avance. A 9 h du soir le chauffeur qui vient chercher Marcelle pour la conduire à Saincaize nous apprend que les Boches sont entrés à Paris et arrivent à St Dizier sur la Marne. Ils ont marché à pas de géants, il faut donc qu’on ne leur ait opposé aucune résistance, la consternation est grande. (écrit d’une autre main : Dernière nuit à Saincaize pendant laquelle nous ravitaillons des évacués au lever du jour, ils sont gelés sur leur plate-forme, un curé est parmi eux).

15 Les Louis voulaient aller à Bonnay, je les accompagne, nous devions prendre de l’essence à Moiry chez Martinat. Il aurait fallu attendre 2 h pour être servi, car une file de 30 voitures font la queue devant la borne. Nous pensions être plus heureux à St Pierre, rien à faire, toutes les bornes sont taries. On ne peut pas se faire une idée de la débâcle dans la petite ville encombrée de civils et de beaucoup de militaires, l’incurie règne partout. Nous voyons passer 2 trains à Mars pleins de soldats. On se demande s’il en reste au front, car les Boches avancent à une allure vertigineuse. On dit qu’ils marchent sur Orléans. A 8 h, 15 personnes venant de Reims nous demandent à coucher. La plus vieille un homme de 85 ans, le plus jeune 10 mois, tous genre commerçants. On en met au bureau, dans la chambre à cocher, chez le jardinier, chez le garde, chez la Polonaise. A 9 h, Martinat nous envoie une famille, père mère deux filles, nous les installons dans la maison. A 10 h, 3 médecins militaires arrivant de Vittel nous demandent l’hospitalité, ils sont harassés et morts de faim, on leur fait une omelette et ils mangent le peu de pain qui nous reste. Ce qu’ils nous disent n’est pas rassurant. Le Capitaine me conseille de rester à Tâches malgré l’avance des Boches, ces 3 médecins nous apprennent que l’ennemi est à Nancy et Strasbourg. Louis ne peut y croire.

16 Dimanche. St Parize est encombré de soldats et de réfugiés, la panique est générale, la plupart filent dans des autos bondées de monde de bagages et de matelas. J’en vois qui prennent la route d’Azy-le-Vif. Pourquoi ? Les bobards les plus invraisemblables circulent. Un monsieur s’arrête sur le Pied Prot pour dire que les Boches seront ce soir à Nevers et que le pont de la Loire sautera à minuit. A St Parize, ni électricité ni téléphone. A la Poste on ne peut pas me payer un mandat de Mme de Lescure. A 3 h chemin de croix, très peu de monde y assistent, quelques femmes et un seul homme : moi. A 7 h du soir, Suzanne du Verne nous arrive avec la camionnette d’Aïn Kala avec sa mère, Monique Guillemain, et sa cuisinière, du linge et autres affaires qu’elle croit plus en sureté ici qu’ailleurs. 3 soldats venant du front à bicyclette demandent à coucher. Ils ont perdu leur régiment qui a beaucoup souffert dans l’Aisne. 6 jeunes gens de 17 à 19 ans arrivent de Paris à bicyclette, je les envoie au domaine où l’on a mis de la paille fraîche dans la grande écurie. Les routes sont partout encombrées de fuyards qui vont coucher dans les fossés.

17 Lundi. Pluie. L’affolement augmente. A 7 h, Ernest vient me dire que Michel des Petites Granges me demande. C’est pour me dire qu’il part avec femmes et 5 petits enfants et met tout cela sur un chariot pour aller où ? il n’en sait rien, il abandonne maison, meubles, cheptel. De son côté Roy de Callot veut partir, ses femmes partent en auto, il les suit avec un chariot, heureusement, ils réfléchissent en route et reviennent deux heures après. Chicon, qui fait partie de la garde civique veut arrêter une auto traversant Moiry tous phares allumés, est bousculé par la voiture. Il tombe sur la route et se blesse à la figure. Marcelle le conduit à St Pierre où le Dr Robet lui fait un pansement. La route de St Pierre est impressionnante, une caravane de gens fuyant Nevers pour ? Ciel noir par suite de l’explosion du pétrole. Suzanne du Verne va dans un domaine de Magny chercher sa métayère, sa cuisinière et leurs enfants, les ramène ici et une heure plus tard repart avec sa mère et Monique Guillemain pour mettre tout ce monde à Nieul près de La Châtre (Indre). Le garde Jeanty qui s’était mis en route avec un chariot et une jument de Callot, raisonné par sa femme et par moi-même a le bon sens de revenir. Les La Brosse nous quittent aussi. Josepha, malgré l’avis de Louis veut aller rejoindre sa mère et sa sœur à Anteroche dans le Cantal. Ils risquent fort de rester en route car ils ont peu d’essence et il n’y en a plus dans les bornes. Ma jardinière veut bien rester. Mes domestiques partent à bicyclette pour Meillers. Je comprends cela à cause de leur fille de 15 ans. Albert Chicon avec un de ses cousins file également à bicyclette pour Bulhon. A 2 h, nous entendons la DCA et autres coups de canon plus forts. Où sont les Boches, personne ne le sait ! Les canons Boches devaient avoir le moulin à vent pour objectif, car on a trouvé autour plusieurs trous d’obus. Une vache des Petites Granges a été blessée à la cuisse par un éclat. Ce qui est certain c’est que Hitler connaît les moyens de jeter la panique et de faire fuir les populations dans tous les sens. A 7 h du soir Suzanne et tout son monde nous reviennent. A Sancoins l’autorité militaire leur a fait faire demi-tour. Une dame leur crie « armistice ». Elle nous laisse ses nombreux bagages, sa mère, Monique, sa cuisinière et son petit garçon et part pour La Baratte. Entre Moiry et Magny, deux officiers lui font faire ½ tour en lui disant que les Boches les suivent. Nous dînons tant bien que mal et nous nous couchons après avoir entendu dire par Montrichard que l’armistice sera signé à minuit. A 1h ½ du matin, coups de canons très violents qui ébranlent toutes les portes et font vibrer les vitres. Tout le monde se retrouve dans le vestibule, où la famille Jeanty, la Polonaise avec ses 4 filles viennent nous rejoindre avec les Chérut et les Belges. Second bombardement, tous descendent à la cave, sauf Madame de Lépinière et moi-même. Le reste de la nuit très calme et au matin l’on n’entend plus rien. Ce même 17 juin Cécile était bombardé à Rennes.

18 Mardi. Le calme renaît, la campagne est belle et tranquille autour de nous tout au moins. Sur la grande route à Moiry les troupes allemandes très nombreuses passent tranquillement direction de Moulins. Un motocycliste fait arranger sa machine chez Asselineau, paye douze francs et s’en va poliment. A quatre heures et demie, Marcelle conduit Madame de Lépinière, Suzanne et Monique à une prière à Saint-Parize. Mon métayer Roy qui y est en même temps croise une quinzaine de camions boches arrivant par la route du Marault au village en bon ordre. Quelques Belges sont avec les Boches. A six heures et demie, Suzanne avec Monique et sa cuisinière descend à Moiry pour voir le défilé qui ne fait qu’augmenter en nombre. Elles s’assoient devant le café Blasco dans lequel soldats français et boches fraternisent, tous kamarades ! Les enfants jouent sans crainte sur la route et mangent les bonbons que les soldats b leurs donnent. Dans l’après-midi, nous avons la visite de l’Abbé Cirode et de deux grands séminaristes qui ont fuit Nevers et se sont réfugiés à Saint-Parize où ils sont plus mal que bien. A mon domaine des Petites-Granges, les portes sont fermées, toutes les brebis sont dans le petit pré derrière la maison où il n’y a plus d’herbe. Je crains qu’elles n’en sortent et se répandent dans les blés et autres récoltes. A huit heures du soir Marie-Thérèse Guillemain nous arrive, elle est contente de retrouver sa famille chez nous. Elle nous raconte qu’à Nevers, la panique est grande.
. Le calme renaît, la campagne est belle et tranquille, autour de nous tout au moins. Sur la grande route à Moiry, les troupes allemandes très nombreuses passent tranquillement, direction de Moulins, un motocycliste fait arranger sa machine chez Asselineau, paye 12 F et s’en va poliment. A 4h ½ Marcelle conduit Madame de Lépinière, Suzanne et Monigat à une prière à St Parize. Mon métayer Roy qui y est en même temps, croise une quinzaine de camions Boches arrivant par la route du Marault au village en bon ordre. Quelques Belges sont avec les Boches. A 6h ½ Suzanne avec Monique et sa cuisinière descend à Moiry pour voir le défilé qui ne fait qu’augmenter en nombre. Elles s’assoient devant le café Blasco, dans lequel soldats Français et Boches fraternisent, tous Kamarades ! Les enfants jouent sans crainte sur la route et mangent les bonbons que les soldats Boches leur donnent. Dans l’après midi, nous avons la visite de l’abbé Cirode et de deux Grands séminaristes qui ont fui Nevers et se sont réfugiés à St Parize où ils sont plus mal que bien. A mon domaine des Petites Granges, les portes sont fermées, toutes les brebis sont dans le petit pré derrière la maison où il n’y a plus d’herbe. Je crains qu’elles n’en sortent et se répandent dans les blés et autres récoltes. A 8 h du soir, Marie Thérèse Guillemain nous arrive, elle est contente de retrouver sa famille chez nous. Elle nous raconte qu’à Nevers la panique est grande, mais que la ville n’a pas de mal, l’ennemi y étant entré en bon ordre. Heureusement l’on n’a pas fait sauter le pont de la Loire et la circulation peut se faire sur les deux rives. Nombreuses sont les personnes venues demander l’hospitalité chez Boigues à Brain où la Princesse de Croÿ remplit le rôle de maîtresse de maison. Marie Thérèse y retrouve Madame de Sansal avec sa mère et son frère. Elle ne sait pas où sont ses filles et Miette, peut-être à Tâches. Moi je les crois plutôt à Bulhon, si elles ont eu de l’essence pour aller jusque là. Lundi matin, il y avait sur toute la campagne un brouillard très opaque, qui effrayait tout le monde. Il était dit-on causé par des vapeurs chimiques allumées par les Boches. Je ne sais si cela est vrai, mais certainement la chose n’était pas naturelle. A Midi, le soleil s’est montré. Un soldat du 85, venu blessé à l’hôpital de Nevers il y a peu de jours a dit à Simone qu’il a vu Hervé au moment de son départ et qu’il allait bien. Mais depuis ! A 9 h du soir Marie Thérèse emmène Suzanne à la Baratte. Montrichard qui logeait plusieurs officiers Français à La Chasseigne dans la nuit du 16 au 17 a eu sa montre, son stylo et la clef de son garage volés sur une table où il les avait déposés, peut-être par un ordonnance, au moins j’aime à le croire

19 La nuit est bonne pour tout le monde, les Chérut qui sont très effrayés, sont venus coucher chez la jardinière. Marcelle va à la messe, elle voit les Boches qui ont couché dans leurs camions après avoir dansé et bu le champagne à l’auberge Chapon. On raconte que la Russie et les Etats Unis ont déclaré la guerre à l’Allemagne, mais que ne dit-on pas ? A 2 h après midi, quantité de voitures Boches passent sur le Pied Prot allant vers Moiry -43- . Montrichard passe nous voir et nous dit son inquiétude au sujet des maisons abandonnées par leurs propriétaires en fuite. Chez Martinat, il a vu un Boche faisant sa barbe avec le rasoir laissé là. Chez Aubry à Roussy, le domaine laissé seul est occupé par des trainards qui pillent tout. Nombreux sont les Français qui ayant quitté leur domicile sans savoir où ils allaient, errent dans la campagne et prennent tout ce qu’ils trouvent sur leur route pour vivre. Hier dans les prés près du château, des gens en voiture ont tué un veau d’un coup de fusil et l’ont emporté. Il paraît que les Boches sont à Rennes, à Cherbourg etc. Je rencontre chez les Chérut, 3 jeunes soldats qui faisaient leurs classes à Avord et qui avaient été envoyés à Cosnes pour boucher les trous du 13ème de ligne qui avait beaucoup souffert. Ils sont ensuite venus à Nevers pour faire la défense du pont de Loire quand l’ennemi y arriverait. Lundi à 5 h du matin, il y a eu un assez violent combat pour empêcher les premières troupes de franchir le pont qui avait été miné avec toute autre chose que de la poudre dit-on et qui naturellement n’a pas pu sauter. Alors nos troupes se sont éparpillées dans la campagne cherchant une grange pour s’abriter. Mes trois soldats s’en allaient sur Blime, où l’un d’eux a une tante. Un autre n’avait que sa chemise. Ma jardinière qui est très charitable lui donne un chandail de son mari. Chez mon fermier Gonin, il y a depuis dimanche 3 aviateurs avec leur camion qui ne savent pas où aller rejoindre leur corps, du reste le camion est en panne. A 5 h du soir Guillaume du Verne et sa femme nous arrivent et ne restent qu’un instant, ils ramènent la camionnette et leurs bagages et nous laissent Madame de Lépinière et Monique.

20 Jeudi. Comme je sortais du lit après une nuit assez calme, quel n’est pas mon étonnement et ma grande joie de voir Hervé entrer dans ma chambre habillé en civil. Après la débâcle de la Marne, son bataillon étant en complète débandade, le Cdt de Goy lui a dit : sauvez vous comme vous le pouvez. C’est ce qu’il a fait, se cachant le jour et marchant la nuit et échappant par miracle aux nombreux coups de fusil qui lui étaient destinés. Arrivé à Chablis dans l’Yonne, il prend la bicyclette du curé ; près de Clamecy, il pose son uniforme et emprunte une veste et un pantalon à un maréchal pour arriver à Nevers mardi soir chez sa belle mère où il dort pendant 48 h. Madame de Sansal croit ses filles et Miette chez nous, mais j’ai tout lieu de croire qu’elles sont à Bulhon où Hervé va les retrouver ce soir, car il n’est resté qu’un quart d’heure avec nous, ayant 140 km à faire à bicyclette. Marcelle l’accompagne jusqu’à la grande route. Hervé nous a dit qu’un jour pour toute nourriture, il avait mangé des cerises cueillies sur un arbre. C’est le jour des surprises, à 9 h ½ nous voyons venir Antoine du Part qui très aimablement veut savoir ce que nous sommes devenus. Pendant une heure, il nous raconte tout ce qu’ils ont vu et fait. J’ai été étonné qu’à cause de Chantal, ils n’aient pas essayé de gagner Annonay chez le frère de Marie-Louise, ce qui n’aurait pas servi à grand-chose car les Boches doivent occuper toute la France. Antoine croit que l’armistice doit être signé à midi, la France étant représentée par Pétain et Laval. Il a été indigné de la façon avec laquelle des soldats Français cantonnés chez lui envoyaient promener leurs chefs. Je ne croyais tout de même pas la pourriture aussi grande. A 2 h nous avons la visite du ménage Pierre de Rouville venu à pied par les Craies. Les Henri sont partis dimanche pour la Lozère avec leurs enfants. Dans la nuit du 17 au 18 un obus de petit calibre est venu frapper le pignon côté Nord de la grange. Le maire de Magny a fichu le camp de même que Bardin, maire de Chevenon. A 6 h Suzanne vient chercher Madame de Lépinière pour la conduire aux Loges, où elle fera acte de propriétaire car un Etat Major Allemand s’y est installé. On nous laisse Monique à garder, ce qui ne m’enchante guère car elle court partout en jouant avec les enfants de ma jardinière, étant très enfant elle-même bien qu’elle soit grande comme une femme. Un soldat du 54ème venu échouer à la ferme du Pied Prot et qui avant gardait la gare de Saincaize, me raconte que l’armée a fait construire un cinéma qui a coûté 450 000 près du domaine de Manvitut qui il y a 85 ans a été la dot de ma tante du Verne et qui a été vendu par ses petits enfants au fermier Dessauny pour une bouchée de pain. Les bons d’armement servaient donc à toute autre chose qu’à construire des canons. Ce soldat est fermier d’Etienne Faulquier, commune d’Amazy.

21 Vendredi. Pluie. Hier Marcelle en signe de joie et de reconnaissance pour le retour de son neveu s’est imposée une grande pénitence : elle n’a pas pris son thé à 5 h. A 5 h les La Brosse nous reviennent. Partis lundi à 3 h pensant aller à Anterroche, sur la nouvelle que Magny était occupé, ils devaient aller à Bulhon où ils devaient déposer des papiers que je leur avais confiés, mais en traversant Moulins, ils apprennent que l’armistice est signé. Alors ils partent pour les Gouttes où ils ont trouvé 23 Tollu. Malgré cela on leur donne à dîner et à coucher. Ils repartent le lendemain à 7 h pour Bulhon, où ils arrivent à 7 h du soir, la route par La Palisse qu’ils avaient empruntée étant complètement obstruée par des réfugiés. A Bulhon, la maison était déjà pleine par Madame de Valence et 4 enfants et 2 petits enfants et une femme Turque, Madame de Faverges avec 4 enfants, 3 petites de Champeaux. Le mercredi les Henri de Rouville avec leurs deux enfants débarquent à leur tour, on les nourrit et on les couche. Jeudi, Hervé arrive à 4 h du soir avec sa bicyclette. Il avait marché fort et raconte son odyssée et sur le conseil de son père il va à Ambert se présenter à l’autorité militaire, sans avoir vu sa femme qui elle partie de Nevers dimanche avec sa sœur, Miette et une femme de chambre, est arrivée à Bulhon 10 heures après le départ de son mari. Ces 4 femmes ont passé 4 jours au Donjon en panne d’essence et n’ont pu partir que parce que les Boches leur ont donné de l’essence. Le matin vendredi, en même temps que les La Brosse, les Henri de Rouville s’arrêtent devant le perron et partent un instant après pour Planchevienne.

22 Pluie. Marcelle et Louis vont à la Chasseigne pour savoir ce qui se passe, ils n’apprennent rien sinon que le château est occupé par un état major Allemand et que la salle à manger lui sert de bureau. A 5 h du soir, deux soldats fusil en bandoulière passent dans la cour, font le tour du jardin et s’en vont.

23 Dimanche, Marcelle et les La Brosse vont à la petite messe, je reste garder la maison. Bien m’en a pris, car à 9 h, 3 officiers arrivent et me disent qu’ils cherchent des lits pour 6 officiers et qu’avec eux, il y aura 40 hommes et 80 chevaux à loger. Je leur fais voir les chambres au dessus de la cuisine et le bureau. Cela leur suffit. Je pars pour la grande Messe, au retour je trouve des soldats et voitures de toutes sortes autour de la maison, même une victoria attelée de 2 chevaux, c’est l’invasion dans toute sa splendeur. Nous déjeunions entre nous quand 8 officiers montent le perron. Marcelle et Louis leur montrent les chambres qui leur sont destinées et ils disent qu’ils déjeuneront dehors sous les arbres. A 2h ½, je vais avec le garde Jeanty déposer nos fusils et cartouches à la mairie. On nous dit que l’armistice est signé. Mais comment !. A 5 h un orage fait cacher tout le monde. Dans le pré où il y a beaucoup de chevaux au piquet, une forge, des tentes etc. A un homme qui m’avait demandé à boire, j’ouvre la porte de la cave, aimant mieux cela que de la voir forcée. Il aperçoit un monceau de bouteilles, ce qui le fait sourire mais elles sont vides. Je lui laisse remplir deux bouteilles à un tonneau et il les emporte avec 3 bouteilles de limonade. Un officier le voyant, lui donne l’ordre de tout rapporter ce qu’il s’empresse de faire. La discipline est grande dans cette armée. On nous fait avancer les pendules d’une heure. On me demande la clef du grenier à grain pour y faire coucher 50 hommes, et la clef de notre cuisine pour y faire la popote des officiers qui au nombre de 8 s’installent dans notre salle à manger pendant que nous dinions dans le salon. Les officiers burent le champagne et autres vins généreux apportés par eux sans faire aucun bruit ce qui prouve qu’ils ont l’habitude de ces libations. A 10h ¾ ils sont montés dans leurs chambres et nous dans les nôtres. La nuit a été très calme malgré le grand nombre de soldats dormant à l’extérieur. Montrichard venu nous voir après être passé dans les divers cantonnements, nous dit qu’à Villars malgré la présence de Roger et de ses sœurs, le château a été envahi par les simples soldats de la cave au grenier et que toute la maison est dans un état de saleté misérable. Quant à Villars Le Sueur, la maison qui a été abandonnée par les maîtres et les métayers, elle est occupée par 26 officiers et sous officiers. Jeanty tire les vaches.

24 Pluie. St Jean. Je reçois une lettre du Cdt Ott me disant que les officiers logés dans le bureau ne le sont pas dignement et qu’il faut leur donner des chambres dans la maison. On les installe dans la chambre de Cécile et celle d’angle Nord Est. On me réquisitionne un châtron de Tâches, 370 k, qui est abattu aussitôt dans la grange. Ce châtron m’est payé 150 Marks valant 3 000. On me donne un bon que je toucherai je ne sais où !

25 Pluie. On nous a laissé Monique Guillemain soit disant parce que Les Loges et La Baratte sont occupés par les Allemands. Marcelle la fait coucher dans sa chambre pour qu’elle soit plus en sureté. Or ce matin, pendant qu’elle était encore au lit, Marcelle part pour St-Parize en laissant la porte grande ouverte sur le jardin. A 10 h Marcelle part pour La Baratte emmenant Monique et la cuisinière de Suzanne que celle-ci nous avait laissée depuis une dizaine de jours. Arrivées à La Baratte, elle trouve la maison occupée par tout un Etat Major. 4 chambres du 1er ont été laissées aux Guillaume. L’une d’elle sert à Marie Thérèse qui est très fatiguée. Ils ne savent pas ce qu’ils vont faire de Monique, car aux Loges la maison aussi est pleine à craquer. Louis de La Brosse qui avait accompagné sa cousine, déjeune avec elle chez Madame de Sansal avec un morceau de pain et de fromage. Pas de nouvelles de son mari et de ses fils. Le Colonel qui était à Bourges où il commandait la place, il y a eu un combat dans cette ville qui a opposé de la résistance paraît-il ! Marcelle et Louis ont vu passer sur la route, direction de Decize plusieurs milliers de soldats allemands. Chicon vient me dire qu’à cause du mauvais temps, les Allemands veulent mettre leurs 90 chevaux à couvert dans nos écuries. Ils mettent mon veau dans le séchoir, sortent tout ce qu’il y a de bois de toutes sortes dans mes trois écuries et y entassent leurs chevaux de même au domaine où ils s’emparent même de la bergerie. A 6 h du soir, Albert Chicon qui s’était réfugié à Bulhon revient nous apportant une lettre d’Edith. Là bas tout va bien malgré le grand nombre d’amis. C’est la cuisinière de Madame Vuillemin amenée par ses petites filles qui fait la popote. Aucun Allemand dans le village. A St Parize on fait le recensement de tous les hommes de 16 à 50 ans. C’est bien inquiétant. Si on les emmène c’est la fin de la culture et la famine.

26 Pluie. Journée calme. Les officiers boivent Bordeaux, Bourgogne, Champagne, sans chanter ni beaucoup parler. Le Cdt fait ratisser la cour et à 3 h du soir passe une revue et décore un soldat de la croix de fer. Marcelle fait la cuisine aidée par la réfugiée Belge. Celle-ci a lavé 2 chemises à un soldat qui lui a donné un Mark pour sa peine, or il est coté 20 ct aujourd’hui.

27 Dès le matin, une revue des 80 chevaux est passée dans le Champ Villain. Une partie de ces chevaux est lâchée en liberté dans le sanfoin du champ carreau où la moitié est en avoine. Celle-ci est protégée par des gardiens pas assez nombreux, je m’en plains. La Belge qui nous rendait des services repart pour son pays. Marcelle et Josefa vont faire une visite à Planchevienne qui comme Tâches est envahi. Dans la soirée on apporte dans la basse cour un tonneau de 200 litres de vin de Frontignan, en un instant il est vidé, chaque homme venant puiser dedans à volonté. Malgré cela je n’en rencontre aucun pris de boisson.

28 Vendredi. Dès le matin, revue des hommes sous ma fenêtre, ils partent ensuite en ordre direction Moiry, leurs mouvements d’une régularité impressionnante, de véritables automates. Ils ont, m’a dit un sous officier, un service religieux. Ils en avaient eu un autre il y a deux jours dans l’église de St Parize, où 800 hommes étaient réunis, mais je ne sais en quoi ce service consistait. Dans la soirée, je vais à la Commandantur, où j’arrive trop tard. Elle ouvre de 8 à 10 le matin et de 5 à 6 le soir. On fait dans les domaines le recensement des cheptels bêtes à garder, bêtes à vendre. Je compte sur le Pied Prot trente deux soldats à bicyclette descendant sur Moiry. Tous les chevaux du groupe de Tâches sont allés se baigner dans l’Allier. Visite de Dusseaux garde de Roy à la Charnaye qui me raconte que le pont du Veurdre était gardé par 4 canons de 75 et un petit nombre de fantassins. Quand les premiers camions allemands venant de St Pierre sont arrivés, trois d’entre eux ont été détruits par nos obus, mais force a été de cesser le feu faute de munitions, alors les canons se sont retirés et le capitaine qui commandait la défense s’est fait tuer à son poste avec 3 ou 4 hommes.

29 Samedi. St Pierre et St Paul me fait remarquer un capitaine Allemand. Je vais à St Parize à la Commandantur pour me faire payer mon châtron. On me dit de repasser lundi. On me donne 25 litres d’essence à 4 F. Le service est fait par un soldat. Je vois défiler dans le village des artilleurs avec plusieurs canons et caissons, dans un autre sens une cinquantaine de chevaux montés comme dans une ville de nombreuse garnison. A 1 h les Rouville viennent chercher les La Brosse pour les conduire à la Verdine. A 5 h une auto chargée dessus dedans et sur les côtés nous amène les Faverges retour de Bulhon. Ils ont quitté la maison encore pleine avec les Valence, les Champeaux. Yvonne et ses deux filles arrivées de la veille venant toutes les trois de Niort où elles étaient depuis le 16. Jean qui avait encore un peu de suppuration dans sa plaie est envoyé dans un autre ambulance peut-être Bordeaux. Yvonne qui a du cran a fait sans arrêt et sans encombre le long trajet. Les La Brosse nous racontent que les châteaux de Laverdine, des Réaux et du Gravier sont occupés par les Allemands. Les propriétaires sont relégués dans de peu nombreuses pièces, les officiers couchent dans toutes les chambres où il y a des lits et les soldats circulent dans les salons encore meublés, la plupart du temps simplement vêtus d’un caleçon de bain. Madame Cote arrive de Clermont où elle est allée pour installer chez elle le Général Weygand, le Maréchal Pétain est chez Michelin et le gouvernement probablement à la préfecture. Les Chambres à Vichy.

30 Dimanche. En revenant de la grande messe où il y avait une dizaine d’Allemands, nous voyons une croix gammée accrochée à la lucarne et pendant presque jusqu’au perron.

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