1 Les Le Sueur emmènent Marcelle à Nevers avant déjeuner. Le dentiste ne veut pas encore arracher la dent dont elle souffre toujours beaucoup. J’ai la visite de Jean de Marne bien content d’être débarrassé de sa prostate. Il est accompagné d’un de ses métayers, je leur vends un veau de Callot. Il m’apprend la mort de François de Rasilly, c’était un bon voisin, toujours en train. A nos déjeuners de chasse à l’auberge d’Azy, il n’y en avait que pour lui.
2 Il nous en faudrait bien un nouveau. Bringault m’apporte son terme du 11 novembre et une miche de pain blanc comme du lait fabriqué avec du blé de son domaine. Garnet m’apporte à signer un sous-seing établissant que dorénavant son fils qui cultive avec lui le Mou sera son associé, ceci pour l’empêcher de partir en Allemagne. N’y voyant pas d’inconvénient, je signe.
3 +9°. Les Massias viennent goûter. J’accompagne Gaston à Villars où Le Sueur lui fait la grâce de remplir sa voiture de 250 k de charbon. Toujours pas de nouvelles d’Aix. A Toulon, l’Ecole Navale a été licenciée pour 3 mois dit-on. Les élèves sont restés 36 heures sans manger. A Montluçon, les Boches sont entrés au milieu de la nuit dans les chambrées et ont fait descendre les soldats dans la cour à moitié vêtus.
4 1er Vendredi du mois, je m’approche de la Sainte Table. Téléphone de Jacquemart disant qu’il viendra nous voir la semaine prochaine pendant 48 heures en revenant de Vichy. Carte d’Hervé m’annonçant la grossesse de sa femme, mais ne disant rien des événements ni de ce qu’ils deviennent.
5 Temps très doux, il fait plus chaud dehors que dedans. Marcelle envoie 4 oies et 2 pintades à Gabrielle de Rouville et moi 4 paquets de cigarettes à sa soeur pour 30 francs. Je pourrais les vendre 240 francs au marché noir.
6 Dimanche. Marcelle déjeune à Planchevienne.
7 Marcelle va à Nevers à bicyclette et en revient avec une grosse dent en moins à sa grande satisfaction. Pendant ce temps, j’ai pour la première fois de ma vie, la visite de l’huissier de St Pierre qui m’apporte une assignation à comparaître vendredi prochain à l’audience du juge de paix, ceci à la requête de Gaudat, parce que les vaches des Petites Granges lui ont mangé 1200 kilos de navets et piétiné son blé. Il demande pour ces dégâts 4 000 F d’indemnités. J’écris au juge de paix, que ne me sentant nullement coupable, je ne me présenterai pas à l’audience, car j’estime que seul mon métayer est responsable. Je finis de ramasser les feuilles mortes dans les allées. Carte d’Hervé qui est bien désappointé, il ne sait pas ce qu’il va devenir. Il a fait une demande pour entrer dans les eaux et forêts. Carte d’Yvonne qui ne sait rien de Jean. Carte de Dédette qui nous dit que Miette est aux Gouttes pour 5 jours. Lettre de Louis Monnier remerciant de l’oie et des pommes que Marcelle lui a envoyées.
8 Dernier jour de la neuvaine. Je vais à la messe et je communie. Marcelle ne m’accompagne pas parce qu’elle a une fluxion. Nous avons à déjeuner les fiancés Martimprey du Part et leurs parents. Nous leur faisons manger une oie. Guy me raconte la façon brutale avec laquelle les Allemands les ont mis hors de leurs lits d’abord et du quartier ensuite. Ils se sont emparés de tous les chevaux et du matériel. Toutes les villes de garnison française ont été dépouillées en même temps. Comme tous les autres, le jeune Massias est rentré dans ses foyers.
9 Un coup de téléphone de Moulins envoyé par Jacquemart nous annonce qu’il arrivera 7 h 10 du soir à Mars. J’attelle Jaurès et je vais le chercher. Nous bavardons agréablement avec lui jusqu’à 11 h.
10 Nous avons à déjeuner Marie Thérèse Guillemain, Simone d’Assigny et sa plus jeune fille, avec laquelle elle va à Chantenay voir son aînée. Nous avons la visite de deux grands séminaristes venus à bicyclette chercher deux dindes, l’une pour le séminaire, l’autre pour l’archiprêtre de la cathédrale. Cadeaux que je fais chaque année.
11 Pluie. Jacquemart va le matin visiter la vacherie de Moreau et le soir celle de Condamine à la Beurrière. Il en revient trempé comme une soupe.
12 Moreau vient nous prendre Jacquemart et moi pour nous conduire à Nevers. Fred pour prendre le train et moi pour parler avec le notaire des droits de succession qui vont être énormes. Un monde fou dans la rue du Commerce. Je me demande comment tout ce monde peut se transporter en ville, d’autant plus que l’on ne trouve rien dans les magasins. Carmen, m’apprend que Marie Antoinette est partie pour la Comaille marier les d’Orgeval et que son fils Jean démobilisé est entré dans les bureaux des eaux et forêts, grâce à Villenaut. Vu Edme de Villaine, sa grand-mère va mal.
13 Dimanche. Marcelle ne peut pas venir à la messe parce qu’elle souffre toujours des dents. Les Anglais ont bombardé Rouen très sévèrement, ce qui n’empêche pas de nombreux Français de faire des vœux pour eux. Carte d’Edmond bien désolé d’être obligé de remettre son fusil à la gendarmerie de Jaligny, les deux zones seront logées à la même enseigne.
14 +12°. Marcelle souffre toujours de ses dents. Elle a la visite de Suzanne Le Sueur. Il fait plus chaud dehors que dans la maison.
15 Pluie. Marcelle souffre un peu moins. Pendant la pluie je fais des margotins.
16 Mon rosaire. Les Thonnier célèbrent aujourd’hui leurs noces d’or. Je leur écris un mot. Marcelle envoie 3 dindes et deux à Gabrielle de Rouville à Paris. La coopérative fait venir des pommes de terre de semence qu’elle nous vend 450F les 100K et il faut lui en livrer le même poids qu’elle nous paye 170 F.
17 Pluie. A 4 h du matin, le jardinier réveille Marcelle pour lui dire de demander le médecin parce que sa femme attend Didier qui arrive en ce monde assez facilement à 8 h ½ à bon port. Les lapins du bois Renard aux Le Sueur mangent le blé semé dans la Noirie. On ne peut rien y faire : ni chiens ni fusils.
18 Pluie. Je fais mettre dans la cave aux vins 90 kilos de pomme de terre qu’on ne touchera qu’au mois d’avril si possible. Roy vend deux veaux reproducteurs au Vendéen Michot 3 800 F pièce et Chicon, 3 au même pour 4 000. Nous avons la visite de Coudant, marchand de bois à Cercy. Nous ne pouvons pas nous entendre pour lui vendre la coupe de St Ouen. Les prétentions de Marcelle sont un peu fortes et l’estimation du garde un peu haute. On en verra un autre (216 000).
19 Pluie. Marcelle a repris du poil de la bête, elle va à Saint Parize le matin et à Moiry le soir et ne rentre qu’à nuit noire selon son habitude.
20 Dimanche. Jean de Sansal vient déjeuner. Il engloutit le plat de pommes de terre comme les Monnier. Il est du reste gras et frais. Il a fini sa carrière militaire aux environs de Toulon où son régiment fabriquait des baraquements. Les Boches les ont chassés de leurs lits par surprise à 4 h du matin.
21 -2°. Les Massias allant chercher du charbon de bois au Manoir s’arrêtent pour goûter ici.
22 Pluie. La Mairie m’ayant donné un bon pour un complet, je vais à Nevers conduit par Moreau et après avoir vu trois boutiques, je trouve rue Fonmorigny, un tailleur en chambre qui pour 2800 F consent à me faire un vêtement. Rencontré Mollins qui n’a plus que la peau sur les os. Marcelle achète des cadeaux pour les jeunes ménages d’Orgeval et du Cray Delamalle (ce dernier sera célébré le 30 au Banlay). Marcelle donne aux contributions indirectes ma signature pour sa caution à la cave de Guillaume du Verne.
23 Marcelle assiste à l’école libre de St Parize à un goûter offert à 22 enfants de prisonniers de la commune. Paulette Le Sueur et Madame Moreau ont envoyé d’excellents gâteaux. Marcelle fait la crèche de Noël dans l’église. Lettre de Cécile qui a de nouveau un boche chez elle. J’envoie les étrennes en argent à tous mes enfants petits et grands.
24 Marcelle va goûter chez les Le Sueur qui nous invitent à manger demain une dinde truffée. Je refuse. La messe de minuit se dit à 9 h du soir, ordre de la commandantur. A 9 h ½ Cécile nous téléphone de Vitré. Elle passe Noël chez sa grande amie d’Héliand.
25 Noël. Je m’approche de la sainte table. Notre cuisinière étant en permission pour 48 h, Marcelle nous fait pour déjeuner une excellente pintade aux choux et le soir une non moins bonne soupe aux navets que nous mangeons au coin du feu du petit salon avec des crêpes. La radio annonce que l’amiral Darlan a été tué hier à Alger d’un coup de pistolet tiré à bout portant.
26 Saint Etienne priez pour nous. Les Guillaume du Verne viennent passer 48 h avec nous, c’est une joie pour la maison, d’autant qu’ils n’arrivent pas les mains vides car ils nous apportent 5 litres de pétrole et une bonbonne de vin.
27 Dimanche. Guillaume nous mène à la messe dans son auto qui part bien difficilement à cause du froid.
28 -7°C. Les Guillaume nous quittent avec peine au propre et au figuré, parce que leur auto est gelée. C’est un ménage qu’on a du plaisir à recevoir. Comme exercice, je mets 25 bouteilles de vin en carafe et 3 du fond de tonneau dans le vinaigrier. A la veillée je fais des allumettes en papier, les boîtes se font rares. Marcelle va au ravitaillement à Moiry, elle en revient bredouille.
29 Neige. La neige tombe, cela ne va pas faciliter les allers et venus pour le mariage Delamalle du Cray qui a lieu aujourd’hui au Banlay. Je reçois des lettres de bonne année de Roger de La Brosse, d’André et de Louis de la Brosse, ce dernier a de bonnes nouvelles d’Hubert qui dit qu’à Batna après une semaine assez pénible, la vie a repris son cours normal et qu’Odette à Oran continue son service à la croix rouge où elle a si bien fait son service pendant les journées tragiques qu’elle a été proposée pour la croix de guerre, ce dont il est très fier. Son optimisme est toujours très grand. Il n’est pas difficile, je suis moins rassuré que lui.
30 Neige. J’entre aujourd’hui dans ma 88 ème année, je suis né à Nevers le 30 décembre 1854 à 10 h du soir, le lendemain étant un dimanche les bureaux de l’état civil étant fermés, je n’ai été déclaré que le premier janvier 1855. J’écris à Aline, à Cécile à André et à Gabrielle de Rouville qui m’a souhaité la bonne année.
31 Neige. Saint Sylvestre. Voilà terminée cette année qui aura été pour moi une des plus tristes de ma longue existence, car en dehors du chagrin que j’ai éprouvé en perdant ma chère Edith, il y a l’humiliation ressentie pour la France qui est tombée plus bas que jamais.
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