1 La Toussaint. Je m’approche de la Sainte Table. L’évêché nous envoie l’abbé Guédon pour 48 h pour remplacer notre curé. Suzanne Le Sueur vient goûter.
2 Beaucoup, beaucoup de monde à la messe. Notre population a le respect de ses morts.
3 Saint Hubert, plus triste pour moi que certaines d’antan. Melle Valois devait venir gouter. Elle n’est pas venue, je ne sais pourquoi. Marcelle se rend à Planchevienne avant déjeuner. Elle trouve la maison et les écuries pleines de Boches. Elle paye à Henri la taure Normande qu’elle lui a achetée 7 000 F, qui n’est pas encore livrée et qui n’a pas encore son veau.
4 Cécile nous écrit qu’elle a reçue chez elle Madame de Wendel venue à Rennes pour une réunion de la ligue. Elle a un appétit formidable. Roy ramasse 40 000 kg de betteraves dans 1 hectare environ du Clou. Ce champ conservant bien sa fraîcheur, amène bien ce genre de légume.
5 Pluie 15 mm. Guite de Villeneuve nous apprend que Béatrice de la Brosse, après 10 ans de repos attend son N° 5. Les Miklo Delamalle nous font part des fiançailles de leur fille Odette avec un terrien limousin Serge du Cray, cousin de leur gendre.
6 Marcelle part à la première heure pour assister à la messe de Magny-Cours et se rendre à 10 h ½ à Challuy où elle retrouve le maire. La commune ayant besoin d’un terrain de sport, pense à louer ou acheter environ un hectare de terre dans le pré du Mou qui est en face de l’Eglise. Nous allons étudier la chose avec Augustin et le notaire. La location ne peut pas se faire pour moins de 15 ans, quant à une vente prochaine, en en demandant cher ce qui serait naturel, le fisc pourrait se baser là-dessus pour réclamer de gros droits pour l’évaluation du Mou pour ceux à payer dans la succession de la pauvre Edith avant le 24 janvier.
7 Nous envoyons un grand matelas fait à neuf aux Hervé, des légumes à Yvonne à Boutavent et autres légumes à Monnier à Paris. Anne Chenut qui ne peut s’habituer à Vendôme est arrivée hier soir amenée par sa cousine Tardy qui est allée la chercher. Elle est heureuse de revoir le Pied Prot. Je ne la trouve pas changée. Arrivé à la gare, le matelas ne peut pas partir parce que depuis 24 h on ne peut plus faire voyager un colis pesant plus de 20 kg. Il n’y a plus de wagon disponible.
8 Dimanche. Le curé de Magny-Cours vient nous dire une messe basse à 9 h bien que le notre soit rentré hier de la clinique où l’opération de sa hernie a bien réussi. La population est très émue car on vient d’apprendre que les Américains ont débarqué sur toute la côte méditerranéenne du Maroc à la Tunisie. Que pouvons- nous en penser. 90 pour 100 des Français sont partisans des Anglo Américains. Heureusement Hervé n’est plus là bas. Mais Valence à Oujda, Bernard de La Brosse à Alger, Les Jourdier à Rabat, Hubert de La Brosse aussi. Va-t-on se battre entre frères, c’est affreux ! Les Allemands ayant besoin de bois de chauffage, en réclament 170 stères à St Parize. Les gros propriétaires devront en fournir chacun 15 stères, les fermiers et métayers 2 stères. J’ai été oublié sur la liste. Je vais faire le mort en attendant les événements. La livraison devra être faite le 31 janvier et pour notre secteur déposé au domaine Légaré. J’achète pour André 5 litres de haricots à 30 F l’un = 150 F. La commune de Saint Parize achète dans les Poirats 1 hectare de terre pour les exercices de sport moyennant la somme de 22 000 F. C’est une indication pour le Mou.
9 -2°. Il gèle à glace pour la première fois de la saison. Les prés sont bien blancs et les animaux souffrent. Autrefois on les aurait rentrés. Je prête mon âne à la Nanne, afin qu’elle puisse aller prier sur la tombe de son vieux.
10 -4°. L’invasion Anglo-Américaine dans l’Afrique du Nord devient inquiétante car le Maréchal ordonne la résistance. Heureusement Hervé n’y est plus, mais Valence est à Oujda et je compte que j’ai sur la côte une trentaine de parents, maris, femmes et enfants. Bernard de La Brosse et Hubert avec toute leur famille, François Jourdier, Simone et 4 enfants, Du Cray Delamalle, Chantepie, Raymond Clayeux, Jean de Laboulaye, Louis de Champeaux avec sa femme, Odette de La Brosse croix rouge à Oran etc.
11 -5°. Saint Martin. Cécile et Miette me souhaitent ma fête. Les Château viennent me payer leur fermage. Les bruits les plus contradictoires circulent par tout le pays. Darlan est prisonnier des Américains disent les uns. Il est de mèche avec eux disent les autres. Mais ce qu’il y a de sûr, c’est qu’Hitler fait passer ses troupes dans les deux zones et qu’aucun Français ne peut sortir de la sienne. Les Château me payent leur terme et j’ai la visite de Melle Valois. Si mes fermiers abusent un peu de moi, les siens lui envoient l’huissier. Les S ont envoyé 1 500 F à Augustin pour avoir hébergé leurs enfants. C’est raisonnable.
12 Que Saint René nous protège, la France en a bien besoin. De même qu’hier, les troupes Allemandes armées jusqu’aux dents passent sans arrêt à Moiry, direction Moulins. Les gens du pays prétendent qu’ils se sentent battus. Je ne partage pas leur opinion, en voyant leur grand nombre. Hitler avait bien raison d’être à la recherche d’un espace vital pour nourrir une pareille fourmilière humaine. Anne Chenut quitte le Pied Prot pour aller s’ installer à St Benin des Bois chez sa cousine Tardy. A Vendôme, sa belle fille lui rend la vie trop dure. Vente des veaux reproducteurs à l’Isle chez Blond. 27 sujets. Le plus cher fait 37 000 F, le plus bas 2 600, moyenne 16 000 ce qui est déjà beau.
13 Temps froid, maussade, triste comme moi.
14 Moreau a la bonté de me conduire à Nevers, où je passe la journée et où je déjeune chez Marie Antoinette. Je passe chez le notaire et je m’entretiens avec lui des droits à payer pour la succession de ma pauvre fille et je suis effrayé de la somme qu’il y aura à donner au fisc, car les droits ne se payent pas sur ce que valaient les immeubles au moment où j’ai partagé ma fortune entre mes filles, mais sur ce qu’ils valent au moment du décès. Ainsi la maison de la place ducale qu’Edith a eue pour 60 000 F peut être estimée 2 ou 300 000 aujourd’hui. Pour les domaines, la même chose. Je passe au Crédit Agricole et je fais mettre au compte courant de Marcelle à vue, ce qui était encore au mien. Elle y a 216 et 174 à moi, 390 620 en tout. Elle-même conduite par Jean Le Sueur et son gazo va à Maumigny acheter des pommes. Ils en rapportent 7 double décalitres pour eux deux à 80 F l’un. Au retour nous dépassons sur la grande route, des quantités de voitures légères et des camions réquisitionnés pour emmener direction du midi des Boches et leur matériel. Les Anglophiles de plus en plus nombreux jubilent, moi je suis de plus en plus angoissé. Impôts sur le revenu. Prendre sur la matrice cadastrale le revenu de la propriété pour l’année 1941 et le multiplier par 10,05. Exemple : 10 000 F de revenu cadastral donne un bénéfice agricole de 105 000 F, sur lequel lorsqu’il n’y a pas de charges de famille, l’Etat prélève 21%, 105 000 X 21 = 3 150 F. Moreau me donne pour ma lampe Pigeon 1 litre d’essence, avec ce que j’avais déjà, cela pourra faire pour l’hiver, d’autant que le colonel m’en donne lui aussi un litre. Il est effrayé de ce qu’il y aura à payer pour la succession de sa mère qui n’est pas encore morte mais qui est plus qu’octogénaire, car elle a 500 hectares à Raffigny. La fortune de Madame Vuillemain peut être évaluée à 25 millions, à peu près tous en capitaux.
15 Dimanche. Un peu de monde à la messe pour entendre notre curé qui est revenu rajeuni de la clinique. J’achette un briquet et 4 boîtes d’allumettes, car celle-ci deviennent très rares. A Nevers on n’en trouve plus du tout.
16 -2°. Il passe sur la grande route beaucoup de chevaux provenant probablement de la réquisition et conduits au licol par des soldats Allemands qui ont l’air d’enfants de troupe.
17 Bobards de toutes sortes, se contredisant.
18 Cartes d’Augustin et d’Hervé. Marcelle déjeune à Buy. Marie Thérèse qui a pêché son étang la veille, lui fait emporter une carpe qu’elle lui fait payer. Goûter à Fontallier. Marie Grincour qui est très anglophile trouve que tout va très bien. 90 % des Français pensent comme elle. Le Général de Gaulle nommé gouverneur de Madagascar ne me dit rien qui vaille. Avec mon jardinier et Gonin nous plaçons une bonde métallique dans l’étang Américain des Chaumes Vieilles.
19 On enterre à St Parize mon vieux métayer Denis qui m’avait quitté en 1919 profitant comme beaucoup d’autres de la plus value des cheptels et des 50 000 F que j’ai été obligé de lui donner. Je ne lui en ai du reste pas voulu, il a profité d’une loi funeste pour les propriétaires, comme elles le sont souvent.
20 Rien à signaler.
21 Renaud vient me payer et apporter ses menus suffrages et ceux des Bringault : 4 dindes, 6 poulets et 6 pintades. Nous téléphonons à Cécile pour lui souhaiter sa fête. Elle n’a pas de nouvelles des Valence. Elle nous dit que Weigand a été emprisonné en zone libre par les Allemands et que Saint Nazaire a été sérieusement bombardé par les Anglais. Mille morts.
22 Ste Cécile, priez pour nous. Dimanche. Je donne rendez-vous aux Queudres aux hommes de Moiry pour leur distribuer un carré de bois qu’ils exploiteront l’hiver. Il en vient 20. Je leur fais tirer leur place au sort et leur donne à partir de la route côté midi un carré de 3 hectares environ angle Nord Ouest de cette magnifique forêt. Ils me donnent chacun 15 F ce qui fait ressortir l’hectare à 100 F. Il faut avoir pitié des gens qui n’ont pas de bois pour se chauffer quand comme moi on écrit cela devant un bon feu. Au retour nous trouvons les du Part retour de Paris où ils sont allés en prévision de la noce chez les fournisseurs. On n’a pas une chemise à moins de deux mille francs, un complet homme 4 000, une paire de souliers 1 200 F. Quant aux bijoux ce sont des prix astronomiques. Un bijoutier voyant la bague de fiançailles de Marie Louise lui dit : « Savez-vous Madame que vous avez un objet de valeur, un diamant entouré d’émeraudes, il vaut bien un million et si vous voulez vous en défaire, je vous en offre 700 000. » D’un autre diamant plus petit et d’une moins belle eau, il donne 300 000. Au restaurant on sort de table ayant faim après avoir payé son déjeuner de 50 à 60 F. Un jour Antoine dit au garçon : « il n’y a que ça ? » « Oui Monsieur, mais si vous voulez je peux vous servir en supplément une côtelette de veau sans ticket. » « Apportez en deux, une pour moi, une pour ma fille. » Coût 70 F l’une, donc 140 F à ajouter au prix du déjeuner. Antoine à bicyclette avec un magnifique veston noir coupé dans la redingote qu’il portait le jour de son mariage. J’ai un regret amer d’avoir donné la mienne au secours national.
23 -7°. J’envoie chercher à Planchevienne la taure Normande achetée par Marcelle, qui n’a pas l’air de se préparer à avoir un veau de sitôt. J’en profite pour faire conduire à Gabrielle 3 dindes vendues 28 F la livre et deux pintades. Geneviève Clayeux nous téléphone qu’elle viendra nous voir du 26 au 29. Cartes de Simone et de Dédette.
24 Marcelle qui souffre beaucoup d’une dent de sagesse, part à bicyclette pour Nevers afin de la faire arracher, mais elle revient avec elle, le dentiste lui ayant trouvé la gencive trop enflammée pour tenter l’opération. Jean Le Sueur la ramène dans son auto. J’ai la visite de Garnet qui vient payer son terme, il trouve amer d’avoir à payer dix mille francs d’impôts sur le revenu pour ses bénéfices agricoles. Madame Thiery étant malade, je fais venir un jeune coiffeur nouvellement installé à St Parize pour me couper les cheveux. On me raconte qu’à la vente des veaux reproducteurs de l’écurie Goby, deux amateurs ayant envie du même animal l’ont poussé jusqu’à 90 000 avec 10 % de décime il a donc fait 99 000 F.
25 -7°. J’envoie à Augustin par chèque postal le terme du Mou. J’y joins 2 000 F de la part d’Hervé sur ce que je devrais lui donner pour Noël, ceci en avance. Il souffle un vent de bise glacial. Mes métayers rentrent leurs animaux qui sont en mauvais état, manque d’herbe et cheptels trop nombreux.
26 -8°. A 3 heures Marie Thérèse Guillemain vient nous voir à bicyclette, peu après Guite de Villeneuve arrive avec la même monture empruntée à Guite de Sansal. Ayant appris hier à Tours par une lettre de Marcelle que sa mère venait nous voir, elle a sauté dans le train pour la rencontrer. A 9 h, les Antoine amenaient Geneviève bien surprise de trouver sa fille ici. Antoine part pour Nevers conduire sa femme qui part pour Paris et il nous revient pour dîner et coucher. A Thionne – 14 °.
27 -9°. Grâce à une de mes juments qui traîne le gazo jusqu’au bout de l’avenue, Antoine peut partir et aller déjeuner à Chatillon où il vend les bois de Cuy 16 hectares pour un prix rémunérateur, il ramène Fulgence avec lui, nous le gardons à dîner et à coucher, il est un peu gêné de se mettre à table avec nous, il est plus à son aise pour m’aider à mettre dans un bidon 18 litres de pétrole qu’un collègue d’Antoine a pu me procurer et qui vont me permettre de vivre un peu moins dans l’obscurité. A 10 h ¼ téléphone de Gabrielle de Rouville qui nous annonce que les Boches ont bombardé notre flotte à Toulon et que des Ctr ont sabordé leurs bateaux et que le plus grand désarroi règne partout. D’autre part Hitler a spécifié au Maréchal d’avoir à démobiliser l’armée. Ces tristes nouvelles nous plongent dans une très grande inquiétude.
28 Antoine va chercher sa femme à Nevers retour de Paris et ils nous quittent après déjeuner. Guitte part à 3 heures pour Tours. Joly notre garde à St Ouen m’apporte l’estimation qu’il vient de faire de 20 ha 50 de la 3éme coupe de Challuy et qui dépasse de 1/3 celle de l’année dernière. J’écris à Coudant de Cery pour la lui proposer. Leclerc qui avait acheté en 1940 la première coupe de Challuy et qui devait avoir fini l’exploitation au mois d’avril dernier, est loin d’être à hauteur. Il n’y a que la moitié du taillis de coupé et pas un arbre abattu. Je lui demande vingt mille francs d’indemnités pour la pousse perdue d’une année.
29 Dimanche. Messe et quête pour les prisonniers. Assistance peu nombreuse. Marcelle déjeune à Planchevienne : rognons sautés et dinde rôtie. Je finis de régler avec mes métayers. Callot fait une grosse année grâce à la vente des chevaux. Les Boches réclament 1 pour cent des habitants pour les envoyer travailler en Allemagne, c’est à qui n’ira pas. Je plains beaucoup les maires qui sont obligés de désigner les partants. Les Anglo-Amécicains ont toute la faveur, malgré leur brigandage à notre égard.
30 J’envoie à la Mairie ma demande pour toucher mes 500 grammes de pain, il faut la renouveler chaque mois. Un bidon de 5 litres de pétrole me tombe du ciel venant de la Seigneurie. Je suppose que c’est André qui me l’envoie par les Château qui lui ont donné des haricots de ma part.
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