2.6.10

JANVIER 1943

1 Dégel. Les chemins sont si mauvais que je ne peux pas aller à la messe. Au coin du feu je demande au Bon Dieu d’envoyer une paix prochaine à notre malheureuse France. J’ai des lettres de tous mes petits enfants sauf Valence, Kiki m’écrit son premier mot, Yvonne me dit qu’elle travaille bien. Téléphone de Cécile. Lettre de Pierre Tassain qui ne m’oublie jamais. Il vit seul à Nevers, fait son marché, sa cuisine et des économies. Pour qui ?

2 Journée sans histoire.

3 Dimanche. Messe, pas de Vêpres. Lettre de la Mse de Chargères qui déplore de voir tant de Français se diviser. Moi qui suis très panache, je garde mes préférences au chef que nous avons et non à ces Anglais qui ont toujours désiré notre ruine dans tous les siècles de notre histoire.

4 J’ai la visite du garde Joly qui me parle de la réquisition du bois de chauffage et de la difficulté de trouver des ouvriers pour le faire faire. Je vais en prévenir le Maire. Visite des Massias qui emmènent Marcelle goûter chez les Le Sueur. Nous tuons un cochon de 80 kilos mis au saloir par le boucher Renaud. Marcelle envoie un jambon à Monnier et une épaule aux Jacquemard. Suzanne de Rouville me comble, je reçois une boîte de chocolats de chez Marquis, ceci pour reconnaître l’abandon que je fais en sa faveur du tabac que je touche chaque mois et qui n’est pas une privation pour moi.

5 +6°. Il fait plus chaud dehors que dans ma chambre. La buée est à l’extérieur. Suzanne Le Sueur et Jean viennent nous souhaiter la bonne année. Leclercq me fait espérer qu’il pourra me donner les 40 stères de bois qu’on me demande à St Ouen pour la réquisition.

6 Jean Le Sueur devait nous conduire à Nevers, son gazo n’a pas voulu partir. Je fais rouler de la pierre cassée provenant des baraques du camp sur le chemin du domaine qui est complètement défoncé. Le père Michel l’écarte.

7 Les Le Sueur emmènent Marcelle à Nevers avant déjeuner et Moreau m’y conduit après. Je visite le concours agricole. Dosson de La Grace a tous les premiers prix. Les ventes vont vite et tous les veaux partent pour de gros prix. Je passe chez Picard mon homme d’affaires qui est mon intermédiaire avec mon locataire Gonin qui me paye en retard et prétend que je ne peux pas le mettre à la porte. Je patiente ayant très peur de voir entrer les Allemands chez moi, s’ils voyaient la maison libre car il la leur signalerait. Visite à Jeanne de Mollins. Les Gabriel Mathieu nous amènent M.A. du Verne qui vient très aimablement passer 48 h avec nous.

8 Carte de Dédette qui nous annonce qu’avec Miette, elle viendra nous voir le 12. Lettre de Berthe qui accuse réception à Marcelle d’un chèque de 2 500 F qu’elle lui a envoyé, Aline, Geneviève et Edmond l’ayant prié de le lui faire parvenir pour venir au secours de sa détresse. C’est bien généreux et gentil de leur part. Paulette Le Sueur est venu apprendre à ma fille à faire de la galette à la grignaude. On enterre aujourd’hui le Ct Bouchacourt âgé de 78 ans, mort à la suite d’une courte maladie. Ses derniers jours ont été très attristés, le ménage de son fils marchant très mal. Mgr Fillon, archevêque de Bourges est enterré également aujourd’hui, victime des Boches. Un jour où il avait besoin de changer de zone, ils l’ont fait déshabiller et l’ont laissé tout nu pendant un ¼ d’heure dans une pièce froide d’où pneumonie et mort.

9 Tournée des agents du S.H.C. qu’on voit rarement.

10 Pluie. Dimanche. Bien peu de monde à la messe. Les femmes brillent par leur absence. Paulette Le Sueur vient manger des pieds de cochon avec nous. Elle est agréable, avec l’exubérance de son père. Madigner me paye l’écornage des arbres de lisière du bois des Antes. Les prés sont à blanc d’eau.

11 Pluie. Les fossés débordent partout. Il a encore plu toute la nuit. J’espère que le puits du Lieu Maslin que l’on voussait chaque matin est enfin rempli. Carte d’Yvonne qui n’a toujours pas de nouvelles de Jean.

12 Orage, grêle, pluie, tempête. A 6 h ½ Marcelle prend Jaurès et descend à Mars au devant de Miette et Dédette qui nous viennent pour quelque temps et pour rapporter les valises pendant qu’elles montent sur leurs bicyclettes. Elles arrivent trempées mais avec bonne mine. Nous gibernons jusqu’à 11 h. J’ai la visite de Bongrand, marchand de bois, accompagné de mon garde Joly. Nous ébauchons un marché pour ma coupe mais ne concluons pas.

13 Tempête qui découvre en partie la grange du domaine du petit château. Pourrais-je la réparer car on ne trouve plus ni tuiles ni lattes. Le côté couchant avait été fait il y a quelques années et j’attendais des jours meilleurs pour refaire l’autre côté. J’ai eu tort.

14 La tempête continue jusqu’à midi. Paulette Le Sueur vient voir mes petites filles. La conversation ne chôme pas. J’envoie au notaire Gallicher un chèque de 134 000 francs pour payer les droits de succession de ma chère fille. Jeanne de Mollins téléphone à Marcelle pour lui demander si elle n’aurait pas quelque chose à lui envoyer à manger. Ils meurent de faim.

15 Nous avons la visite des Gabriel Mathieu, toujours très agréables. Lettre de Cécile qui attend ses nièces. Ses amies la ravitaillent copieusement.

16 Mon rosaire. J’ai un peu de trouble dans la vue et la parole pendant une heure. Miette me fait une piqure d’Arécoline. André Robert va un peu mieux. A la suite d’une congestion pulmonaire, on l’a cru perdu. Pendant 48 h sa fille Jalenques est près de lui. Ceci écrit de Moulins par Edmond qui dit que l’assistance au concours agricole est très brillante. Marcelle, Miette et Dédette vont à Nevers à bicyclette. Les petites déjeunent avec Paule de Villaine à qui elles ont donné rendez-vous.

17 Jacques de La Brosse de passage dans la Nièvre en se rendant à Paris, s’arrête ici pour déjeuner et manger notre dernière dinde.

18 Mes petites filles vont coucher chez les Sansal pour prendre demain le train à 5 h 45 pour Paris, où elles doivent passer 3 jours à Asnières chez leur amie Madame Brucy et aller ensuite à Rennes. J’envoie à la réquisition une vache de Calot pesant 560 kg et ma vieille Bretonne pesant 380 kg.

19 +8°. Madame de Montrichard vient nous voir à pied. Le plus jeune des petits Michel se casse une jambe en tombant d’une échelle. Il fait un temps de printemps.

20 Je fais faire un fossé le long de la clôture qui sépare le pré de la Joie de celui des Petites Granges pour empêcher les animaux de se mélanger. Pierre Lavergne commence à réparer la grange du domaine. Il met le peu de tuiles mécaniques qui lui restent à la place des vieilles petites tuiles. Il est loin d’en avoir assez.

21 Cholette de Sandol et Bernadette de Noblet viennent à bicyclette déjeuner avec nous. Cette dernière est une superbe fille. A 2 h je vais à St Parize enterrer la femme Couillard née Bignolet. A 4 h ½, Marcelle prend part à un grand gouter donné au manoir de Villar pour fêter les 18 ans de Guite Le Sueur. Tout le voisinage était là : Grincour, Gozard, de Fontenay Thonnier et deux camarades de pension. Anne de Rouville et Solange de Barrau que Marcelle qui aime toujours avoir du monde amène dîner et coucher ici.

22 +12°. Temps doux, idéal. J’ai la tête un peu lourde, aussi Marcelle me fait une autre piqure d’Ascéoline.

23 Moreau m’amène à Nevers où j’essaye mon complet chez le tailleur Bourriquat. La maison de Marie Antoinette du Verne est fermée, mais je suis reçu par Marguerite Pinet qui m’apprend que sa fille a réintégré le domicile conjugal où elle a trouvé Madame Dugas qui a 98 ans. A Nevers ni fromage ni chocolat auquel j’ai droit.

24 Dimanche. Je marque dans la carrière des Chétives Vignes 50 pieux d’acacias pour faire une clôture dans les craies du domaine du Pied Prot. Dervault de St Parize revenu de captivité a l’impression que les Boches se considèrent comme ayant perdu la guerre.

25 Marcelle déjeune à Buy avec Ginette Jalenques venue pour voir son père qui va mieux. Carte d’Hervé qui a été à Châtel Guyon voir mon cousin Ballot qui est chargé du recrutement des officiers démobilisés pour les mettre dans les chantiers de jeunesse, où il voudrait trouver une situation.

26 Les Le Sueur nous emmènent à Poiseux à l’enterrement de ma vieille amie Marie de Marcy, morte après une assez longue maladie. Plus de monde que je n’aurai cru avec la rareté des voitures. Marcelle n’a jamais pu trouver de voiture pour les Chargères. Les d’Aux étaient venus la veille et Villeneuve était allé les chercher avec sa voiture à Nevers. Riquette a beaucoup maigri et ressemble énormément à sa mère. Mon ami d’Anchald a 100 ans. Nous nous sommes embrassés. En passant à Nevers, Marcelle a vu Simone et Hubert arrivés hier rue du Sort.

27 Marcelle déjeune à Chevenon, où elle apprend que le mariage est fixé au 4 mars et qu’il sera bénit par notre évêque. Elle manque la visite des démarcheurs de la Société Générale.

28 Foire de St Pierre à peu près nulle. Avec mon âne, je vais jusqu’aux Champs Blonds de Tassain, où je me suis réservé 6 cordes de bois qui auraient dû m’être livrées il y a un an, mais là comme ailleurs, on ne trouve pas d’ouvriers. Madinier m’offre un peu plus cher que Bongard du bois de St Ouen, j’attends encore.

29 Les Edmond Clayeux et Geneviève viennent passer la journée avec nous et nous apprennent une nouvelle qui me fait grand plaisir, c’est que quelqu’un a entendu à la radio qu’un M. de Valence faisait dire du Maroc à sa famille de France, qu’il se portait bien. Mes petites filles nous arrivent pour déjeuner retour de Rennes, où elles ont laissé leur tante Cécile en bonne santé. Sa maison est toujours aussi hospitalière. Elles y ont vu Mesdames Le Gonidec, d’Héliant et Nénette Feuchère sans compter un Boche. A Paris, les petites ont passé 48 h chez leur amie Brucy. Edmond Clayeux à qui les Boches ont retiré son fusil comme à tous les autres, ne veut plus garder que 2 bassets, amène le chien Farino à Marcelle qui espère qu’il aboiera quand un intrus traversera la cour. A Rennes Madame Hubert, femme du docteur invite mes petites filles à gouter, est-ce dans un but intéressé ?

30 Pluie. Les petites vont à Nevers par l’autobus pour assister à une conférence indépendante qui se tient chez Melle Franc Bernard, tous les mois et présidée par Monseigneur et se retrouvent les jeunes filles du monde : Melles de Croy, de Damas, de Nadaillac, de Villaines, Le Sueur, de La Brière, de St Germain qui est leur présidente. Miette part pour La Belouze passer 48 h. Les Le Sueur ramènent Dédette.

31 Dimanche. Mon métayer de Tâches achète une vache Normande pour avoir du lait, ceci à ses frais pour 8 500 F avec un veau d’un mois. Je discuterai plus tard les conditions dont il la gardera.

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