19.2.10

Mouron

Je garde un autre agréable souvenir de Mouron ; une année où étant officier de réserve au 26 ème dragon à Dijon, je faisais de grandes manœuvres et que le régiment passait par la Charité, le Baron Philippe de Bourgoing était venu nous attendre sur la route et avait demandé au colonel la permission d’emmener le Commandant Abonneau et moi-même déjeuner avec lui, ce qui fut accordé. Quel n’a pas été mon étonnement en arrivant au château, d’y trouver le Maréchal Canrobert qui tous les ans faisait une saison à Pougues et ne manquait pas de rendre visite au Baron qu’il avait connu aux Tuileries quand il était écuyer de l’empereur Napoléon III. Pierre était le bon camarade du Prince impérial qu’il a profondément pleuré. Je me suis souvent demandé quel aurait été le sort de la France s’il ne s’était pas fait tuer bravement.

En 187o, Bourgoing avait été nommé député de la Nièvre, et invalidé grâce à une canaillerie inventée par Isaïe Levaillant, un sale Juif qui était préfet à Nevers à cette époque. Si on se rappelle que la République à une voix de majorité, on peut en conclure que Isaïe a été fêté par ses semblables. On sait qu’en 187o, chaque département Français avait formé un régiment de Mobiles. La Nièvre avait en plus un régiment à cheval, dont Bourgoing était le colonel. Il avait sous ses ordres Jules d’Anchald, Michel de Rasilly, René de Savigny, et autres. Le Marquis de Veguy commandait l’autre régiment : il sortait de St Cyr et avait démissionné au bout de peu de temps de service ; beaucoup d’officiers qui étaient sous ses ordres étaient pour la plupart des châtelains du pays ayant servi plus ou moins longtemps, comme mes oncles Paul et Ludovic Tiersonnier, R de Pracomtal, G de La Brosse, Amédée de Noury, Frédéric et Henri d’Assigny. Ce régiments de moblots s’est bravement battu et a souffert atrocement du froid terrible qu’on a eu à supporter cet hiver-là. J’ai oui dire que le sous-lieutenant Samuel de Thé avait une paire de sabots reliés par une ficelle, qu’il mettait à cheval sur son cou et qu’il était bien content le soir, en arrivant au cantonnement pour remplacer ses souliers mouillés.

Le département de l’Allier a eu plus de chance que le nôtre, car son régiment de mobiles ayant à sa tête Monsieur de Chavigny a passé le temps de la guerre en Algérie et mon beau-frère Clayeux, qui était S .Lt , m’a souvent dit que dans sa garnison de Tlemcen, il avait été heureux comme un roi avec des chefs charmants, un cheval de selle arabe, un bon chien d’arrêt, du gibier devant lui et de l’argent dans sa poche.


Une année après la guerre, la pauvre France vaincue, après avoir cru qu’elle ne pourrait pas payer les cinq milliards d’indemnité qu’elle devait à l’Allemagne, s’était acquittée très facilement. Que peut-on en penser aujourd’hui où la dette de notre malheureux pays monte à plus de 3oo milliards. Il y avait une portée de loups aux Bois Boulots. René en profita pour faire une politesse à ses camarades de la mobile en les invitant à cette fête qui est une réjouissance pour tous les veneurs du pays qui sont convoqués pour venir les chasser. Au jour désigné, il semble me rappeler qu’il y avait 112 chiens hardés, sous le chêne Marotte, ils appartenaient aux équipages des Gouttes et de Coulon, de René de Chavagnac, des Comtes Auguste et Hector de Barral. Fernand de La Boutresse couplait avec ce dernier. Plusieurs officiers de la Mobile étaient au rendez-vous, dont le commandant de Chavigny, Gaston de Froment, Ernest Olivier et autres.. La chasse fut très brillante, trois louvarts furent pris successivement et le retour aux Gouttes un tromphe. Pour le dîner, la salle à manger était trop petite, le couvert avait été mis au premier étage dans la grande salle. Au dessert, pendant qu’on sablait le champagne et que sur la pelouze les piqueux sonnaient joyeusement les honneurs et les fanfares des équipages Baquelot offraient aux Messieurs les plus dignes, les pieds des louvarts posés sur un plat d’argent. La soirée se termina assez tard dans la nuit. J’y ai vu danser par le colonel Dupressoir et le Vicomte de Vautier un Kan Kan aussi brillant que celui de Mabille où en 1876 St Cristophe a gagné le grand prix de Paris, et où la jeunesse élégante se donnait rendez-vous dans ce lieu de plaisir ce jour-là. On se réunissait aussi à Bullier, mais le milieu y était moins chic. Ce sont pour moi des souvenirs qui remontent à 7o ans, et je pense que ces deux établissements sont maintenant remplacés par ce qu’on appelle des dancings.

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