19.2.10

Août 1944

1 Lettre de Cécile du 16. Yvonne et Kiki déjeunent à Fontailler. Jacques de Lary faisant une tournée pour la défense passive, déjeune et couche ici. Sa femme et ses enfants habitent à la Belouze. Il nous lit le rapport du préfet au ministre sur le bombardement de Nevers. Le 16 juillet, en 35 minutes, il est tombé 1500 bombes pesant entre 50 et 1000 kg. Nous avons du pain à St Parize.

2 J’ai la visite du pharmacien Thévenard qui est avec sa femme au domaine de Chaillant où il se cache craignant d’être repris à nouveau par les Boches. L’an dernier, ils l’ont gardé en prison pendant 18 jours au pain à l’eau et au secret. Nouvelle incursion des maquisards à Saint Parize. Ils arrivent une huitaine casqués de cuir, prennent aux Docks tout le sucre du mois d’août et à la poste seize mille francs.

3 Yvonne et les petits goûtent à St Léger. Marcelle pousse jusqu’au Crot Noir. Mathieu va mieux. Les Anglo Américains entrent à Rennes. Que la Providence protège ma chère fille. Lettre de Cécile du 30 qui dit qu’elle les attend. Yvonne va à Nevers et me dépose des fonds au Crédit Agricole, car je garde le moins d’argent possible ici craignant la visite des maquisards. Il paraît que les AA sont entrés à Rennes sans tirer un coup de fusil, les Boches qui occupaient la ville s’étant rendus à leur arrivée.

4 Bombardement entre Saincaize et Mars à 3 h du matin. Comme je suis barbouillé depuis trois jours, je prends une purgation au sulfate de soude. Petits résultats. Orages au loin.

5 Dimanche. Une vieille femme de 80 ans, sa fille et son fils qui est un peu minus fuyant Nevers s’installent hier dans la maison du Pied Prot. Nous leur prêtons un peu de mobilier. Je lis ma messe dans mon fauteuil car je suis encore vaseux. Les AA entrent à Brest. Marcelle déjeune à Planchevienne. En 1879, j’avais lu les Petites Cardinal de Ludovic Halévy. Je les relis aujourd’hui avec plaisir.

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7 Bombardement. Yvonne et ses aînées vont retrouver les petites Thonier à l’Allier pour se baigner. Je donne à Pierre Lavergne le solde de ce que je lui dois soit vingt mille francs. Les maquisards dévalisent les fermes du Marault et de la Poste.

8 Je lis Topaze, c’est une pièce qui ne manque pas d’esprit, mais pourquoi Marcel Pagnol fait-il dire à un de ses personnages un mot, sacré nom de Dieu, qui vient inutilement choquer mes convictions religieuses. Yvonne et Kiki font une visite à la Chasseigne, pendant que nous recevons celle de Melles Roux et de Maubec.

9 Des maquisards armés et masqués font des rafles sévères pendant la nuit à Magny ; chez Pouge à la Poste ils volent vingt trois mille francs, chez Reviriot au Marault 5 000 f à sa bonne 3 000 f à lui-même, seulement cela parce qu’il s’était sauvé dans le jardin en emportant ses valeurs. Ils emportent une montre en or et son alliance. On prétend que des individus ont été lâchés de prison par les Boches pour jeter le trouble dans le pays. Marcelle va goûter au Colombier où l’on fête le 80me anniversaire de Marie de Balloy et où l’on se réjouit de l’avance foudroyante des Anglo Américains qui arrivent à Angers et à Tours. Visite de Guite Le Sueur et de Melle de Fontenay la seconde.

10 Un camion de Moulins nous amène les Hervé à Moiry. Simone et les enfants vont nous rester qq jours, cela fera du bien aux petits qui sont pâlots. Hervé était hier chez Beauchamp à Varennes avec son beau frère Antoine, qui voulait y entrer comme stagiaire, cela n’a pas pu s’arranger. La machine de Beauchamp a été brisée par les maquisards, parce qu’il a voulu battre malgré leur défense. Hervé retourne à Moulins par le train. Je lui fais emporter un paquet de cigarettes à Antoine Clayeux en échange de son essence et une lettre pour André.

11 Lettre d’Yvonne de Chamereau qui a marié son plus jeune fils avec leur voisine Melle de Bodinat. Yvonne dîne au manoir où en arrivant à 7 ½ elle est précédée par 12 avions qui survolent la voie de Mars à St Pierre pour mitrailler 3 trains. L’un d’eux allant vers Paris chargé de charbon est arrêté sur le pont de Villars, sa machine hors de service et son mécanicien, un Allemand tué. Un autre train chargé de munitions est abimé dans la gare de St Pierre. Le troisième un train omnibus arrivant en gare de Mars est aussi arrosé, seule la locomobile est mise hors de service, les voyageurs s’étant sauvés dans les champs. Yvonne a rapporté un éclat de bombe pesant près d’un kilo qu’elle a ramassé dans un pré de Roger de Bouillé. Pendant ce bombardement qui a duré 20 grandes minutes je suis resté assis dehors récitant mon chapelet et regardant les avions descendant en piqué sur la voie. Yvonne a dîné à 7h ¾ avec la famille Delahaye, père mère et trois jeunes enfants arrivant de l’Orne à bicyclette et allant à Riom. Ils disent qu’à Caen, il y a 20 000 morts. J’ai la visite de mon curé à qui je me suis permis de faire une observation en ma qualité de Président du conseil paroissial et de mon grand âge. Il commence toujours sa messe avant l’heure et mardi dernier quand Marcelle est arrivée à l’église à 8 h ½ la messe était finie et M. le curé rentré chez lui. Il a mal pris la chose, s’est emporté et m’a dit qu’il était bien libre de dire sa messe à l’heure qui lui plaisait, ce à quoi je lui ai répondu qu’alors il ne fallait pas qu’il annonce en chaire le dimanche qu’il dirait ses messes à 8h ½. Il m’a accusé d’ingratitude, ce qui ne l’a pas empêché de me donner l’absolution en vue de la communion du 15 août.

12 27 ° Lettre de Geneviève du 7 août. Les Villeneuve ont vendu Villette château et parc. Lettre de Dédette, ils ont eu la visite du jeune ménage Choisy. Roger de Bouillé a eu une vache tuée et beaucoup de vitres cassées dans le château par le bombardement. Tout grille, plus d’apparence d’herbe et les abreuvoirs baissent. Mon métayer Michel au lieu de faire des …. roule du bois à Saint Pierre. Mes métayers ont fini de rentrer leurs moissons.

13 30 ° Dimanche. Je conduis Simone à la messe avec mon âne. En rentrant nous trouvons Hervé dans la cour. Il fait grand honneur au déjeuner et au jambon fraîchement entamé. Il dort une partie de l’après midi. Tout grille. Nos haricots qui étaient superbes jaunissent. Pas de pain à Saint Parize pourtant nous avons envoyé du blé au moulin. C’est révoltant !

14 Cheveux. Le percepteur ne peut venir à Saint Parize comme il le devait, car en quittant Azy, il est dépouillé par les maquisards et ne paye pas les pensionnés qui l’attendaient à la mairie. Hervé va à Moulins à 5h ½ et revient à dîner à bicyclette.

15 30 ° Assomption. Pendant la nuit, les enfants sont dérangés, vomissent les uns après les autres. Tout le monde y aura passé, maîtres et domestiques et aussi dans les domaines. Depuis 8 jours c’est un mauvais vent qui passe. Beaucoup de communions dont la mienne. A 5 h comme la procession à laquelle je n’assistais pas se déroulait dans les rues du village, elle a croisé devant la boutique de Moine dix maquisards dont deux casqués, tous habillés comme des charbonniers. A l’avant de leur camionnette, il y avait un drapeau tricolore encadré de deux mitraillettes. Ils ont pris l’auto de Roger de Bouillé. Les Hervé font une visite à Buy.

16 Pluie. Hervé regagne Moulins. Je fais mettre les vaches à lait dans le pré de la Joie. La radio dit que plusieurs milliers d’avions Anglo Américains envahissent la France entre Marseille et Toulon. Visite de Guite Le Sueur à cheval sur Dadette à califourchon. Elle est l’élève de Melle de Maubec.

17 Marcelle et Simone font une visite à Fontailler. On me dit que les maquisards ont pris le gazo de Montrichard ce matin. Hier ils avaient eu leur visite et ils n’avaient emporté qu’une roue de secours, des sacoches et quatre couvertures, mais ils avaient dit qu’ils reviendraient, c’est arrivé. Je suis de nouveau dérangé, c’est la … qui suit son cours. Les enfants vont mieux. Un sanglier est venu manger des pommes sur les cordons du jardin. Roy met trois vaches à veaux mâles dans le pré de la joie. On dit l’armée Allemande en déroute. Il passe des quantités de camions à Moiry chargés de soldat l’arme au poing. Mais est-ce vrai ! Simone partie ce matin pour Nevers a fait ½ tour en arrivant à Plagny car on lui a dit qu’on saisissait les bicyclettes. Comme elle avait celle de Marcelle, elle n’a pas voulu s’exposer à la voir prendre. Elle a confié à un monsieur qui rentrait en ville un lapin et deux fromages qu’elle portait à sa mère. A la grâce de Dieu. Lettre de Geneviève, les maquis ont pris la Simca d’Antoine et la bâche qui couvrait la batteuse d’Edmond. Simone a aujourd’hui 28 ans.

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19 25 °. Le maquis prend l’auto de Moreau. Ils viennent trouver Albert Chicon qui travaille dans l’Ouchette pour l’emmener avec eux. Il hésite ! Yvonne va se faire coiffer à Magny. Elle croise des camions chargés de soldats Allemands, armes braquées. On lui dit que les Anglo Américains arrivent à Cosnes et à Versailles. Hervé nous arrive à 9 h ½ après avoir crevé deux fois.

20 Pluie. Dimanche. Hier soir des maquisards en auto, s’arrêtent au domaine de Tâches et demandent à ma métayère de leur faire une omelette. Celle-ci s’empresse de les contenter. Ils veulent payer, elle refuse. Ils filent ensuite sur la Pétasse où ils ont dû coucher. Ce matin pendant que je faisais ma toilette, une auto montée par les maquisards, brassards tricolores au coude, traverse la cour. Ils demandent le chemin de la Pétasse ce qui était inutile, car parmi eux, il y avait un gars de Moiry. J’en conclus que de cet endroit perdu dans les bois, ils veulent faire un de leur repaire. Ce voisinage ne me dit rien qui vaille, mais Montrichard a le sourire et trouve que tout va très bien. Jean de Thé vient de la Baratte pour nous annoncer la mort de Ducray gendre Delamalle qui était au Maroc. Et aussi celle des 3 Marion égorgés par les maquisards, deux filles et un garçon, celui-ci était louvetier parce qu’il chassait tout le temps avec les Boches. Après l’assassinat de Charles il y a peu de temps, le pauvre Montrichard est bien éprouvé.

21 Pluie 35 mm. Hervé retourne à Moulins à la première heure. Marcelle déjeune à Planchevienne, d’où elle entend le Général de Gaulle parler aux Français depuis Cherbourg, ville martyr où il se trouve. 8 départements sont libérés. Pluie très suffisante.

22 Les maquisards abandonnent la Pétasse, je n’en suis pas fâché. Roy de Callot vend un nourrain de 5 mois 75 f le kilo. Jean de St Gennes est enterré à Chirat le 18. C’était pour moi un bon camarade chez lequel j’ai été reçu bien agréablement. Les petites Robert de Buy me disent qu’Allachon leur ancien garde et son beau père ont été fusillés par les Boches, sans raison, pendant qu’ils travaillaient dans leur champ à Tresnay. Simone a des nouvelles toute fraîches de sa mère par mon locataire du Pied Prot qui est allé à Nevers. Il n’y a plus ni train ni journaux. Un très violent coup de vent à 8 h du soir découvre le pignon de la maison de Callot du côté de l’escalier. On ne trouve plus d’ardoises.

23 (et 24) Pluie. Mes trois dames, Kiki et Monique goûtent à Limoux. Pas d’électricité pas de radio, mais des champignons qu’Yvonne ramasse dans les Chaumes vieilles et le Déchart. La porcherie du vieux château est en partie découverte par l’ouragan d’hier. Taillardat vient se plaindre que les cochons des Petites Granges viennent manger ses pommes de terre, ça regarde le métayer et pas moi. Le 18 les Boches sont entrés à 7 h du matin à l’hôtel du Parc, ont forcé la porte de la chambre du Maréchal et malgré sa résistance l’ont fait monter en avion et emmené en Allemagne. Deux jours après les maquisards s’emparaient de Vichy. La radio suisse annonce que le Général de Gaulle est entré à Paris à 7 h du soir. Le maquis communiste a emmené un des jeunes Galembert d’Ettevaux et pillé copieusement le château.

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25 Yvonne m’apporte du manoir où elle a dîné hier le message du Maréchal au peuple français avant de quitter Vichy contraint et forcé. Le Président Laval est lui aussi fait prisonnier. Grande lettre de Roger. Chantal de Martimprey a mis un fils au monde il y a une dizaine de jours à Chevenon. Marcelle et Simone vont lui porter leurs compliments. Elles arrivent pour le baptême de Benoit sans s’en douter. Je lis le très beau message adressé aux Français le jour de son départ à Vichy. D’Anne de Rouville , sa mère est bien inquiète, sur le sort d’Henry.

26 Et 27 Dimanche. Visite de Guite Le Sueur qui prend son petit déjeuner en revenant de la première messe. Visite des filles de Maurice qui n’est pas venu passer son dimanche à Buy comme d’habitude. Pas d’Hervé. En sortant de la grande messe les fidèles ont trouvé sur la place de l’église de Saint Pierre une bande de maquisards habillés en kaki et commandé par le fils Bouillé. Ils leur ont fait une chaude ovation comme à des sauveurs. Je ne suis pas aussi confiant. Dernièrement Jean de Bellecise, de Beaumont était à bicyclette près de Villeneuve, quand il a été accroché, trainé et tué par une auto allemande.

27 ..

28 Formidables détonations pendant la nuit. Simone qui était partie dès le matin pour Moulins a trouvé en route les gardes du S.H.C. qui lui remettent une lettre d’Hervé qui lui dit qu’après le message du Maréchal et avoir pris l’avis d’un officier de marine chef de la résistance dans l’Allier, il croit de son devoir d’aller rejoindre ce groupe et qu’il part. J’avoue que cette décision me trouble beaucoup. Que Dieu protège le jeune enfant. S’il m’avait demandé mon avis, j’aurai bien été bien embarrassé pour lui répondre. Le Gal de Gaulle a fait chanter un Te Deum à Notre Dame. En sortant, il a failli être victime d’un attentat. Marcelle et Madame Martinat passent dans les domaines de Bière et du Moulin pour faire la quête en faveur du Secours National. On est très généreux. Lavergne remplace par des tuiles les ardoises du toit de Callot.

29 Le parc du Colombier est toujours occupé par des artilleurs Boches qui tirent jour et nuit. A 11 h gros bombardement du côté de Bourges. A Piomsat chez les Mangerel, 30 maquisards sont venus en pleine nuit, il y a 15 jours, ayant un pharmacien à leur tête et ont fait un pillage complet évalué à une cinquantaine de mille francs et emmené avec eux, l’aîné des Mangerel, maire du pays et l’on n’a plus de nouvelles. Goûter à la maison : 5 Thonnier, 3 Le Sueur, 4 Gilet, 1 Barrière Melles Roux et de Maubec. Michel fauche du regain sur la pelouse ce qui n’arrive que tous les 4 ou 5 ans.

30 Il y avait ce matin sur la place de Saint Parize des Boches qui réclamaient des pommes de terre, mitraillettes au poing. Marcelle et Simone vont à Nevers et en reviennent sans accroc Le petit de Martimprey est mort et Lary est parti pour la résistance, Edme de Villaines aussi. Le jardin de la Baratte est plein d’artilleurs Boches. Marie de Balloy et Madame de La Taille se sont réfugiés à Fertot pour pouvoir dormir. Melles de Jabrun 18 et 20 ans ont été emmenées par les maquisards à Moulins soit disant parce que leur frère est milicien.

31 Pluie. Marcelle et Yvonne vont à 10 h à Chevenon à l’enterrement du petit Benoit. Il y avait beaucoup de monde. Dernièrement à Imphy, un gamin de 8 ans a mis des Boches en joue. Ceux-ci l’ont immédiatement abattu. Hier ils sont arrivés avec leurs camions et ont pris tout ce qu’ils ont pu de farine et de pommes de terre. Ils sont passés ensuite dans les fermes ramasser les cochons. Aux Petites Granges, ils ont cerné la maison mitraillettes au poing et ont exigé que mon métayer leur donne un nourrain non payé.

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