19.2.10

NOTES & SOUVENIRS

Mon père et mon beau-père se ressemblaient, ce n’est pas étonnant , ils étaient cousins germains et portaient toute leur barbe et un monocle. Ce dernier étant à l’hôtel du Louvre, descendant un escalier au bas duquel il y avait une glace dans laquelle il se voyait, se dit à lui-même, : je ne te savais pas à Paris, Prosper !

Le dit beau-père qui était dit-on assez taquin, avait été un des premiers à faire de la daguerréothérapie , et il avait photographié son cousin Eloi Tiersonnier, un rasoir à la main, celui-ci n’avait pas compris pourquoi !

Il avait à Sully un gros faire-valoir avec un personnel énorme, qui serait une ruine aujourd’hui. Il préparait une fois un bœuf pour un concours d’animaux gras, et l’animal était superbe. Il le montre à Gaston Tassain, et lui dit « j’ai bien peur qu’il ne soit pas primé si les membres du jury s’aperçoivent qu’il n’a pas de dents à la mâchoire supérieure, ce qui était vrai, mais les autres non plus, de même que les chèvres et les chevreuils. Les magistrats ne savent pas cela.
Quand Sully a été bâti, le grand Charles du Verne vint un jour voir son cousin qu’il aimait beaucoup, et il lui dit : “ Alfred ! bien des gens essayent de faire qq chose de réussi, ils n’y parviennent pas, toi tu as voulu faire qq chose de laid, tu n’as pas manqué ton coup. ” En effet, la maison, qui intérieurement est très bien comprise est affreuse à l’extérieur. Après le déjeuner, Alfred mettait dans ses poches tout le sucre qui restait dans le sucrier, et quand il allait dans les prés, les nombreux poulains qu’il élevait le savaient bien et ils le suivaient pour en avoir un morceau. Les dames ramassaient les morceaux de pain laissés sur la table et les jetaient sur la pièce d’eau où les carpes s’empressaient de les ramasser comme à Versailles, mais ce qu’il y avait de plus remarquable, c’était la quantité d’écrevisses aux pattes rouges qui pullulaient dans tous les ruisseaux et qui avait été apportées de Vauban. Elles étaient superbes, un jour nous en avons pris une qui avait 27 cm de longueur du bout des antennes au bout de la queue. Un samedi, ma grand’mère Tiersonnier, revenant de Nevers fait une visite à Sully, où on l’invite à dîner. Elle refuse. Madame, il y a des écrevisses ; alors je reste !
Cela me rappelle qu’à Tâches, du vivant de ma grand’mère Amable, tous les Vendredis, on mangeait des grenouilles qui étaient prises soit par elle, soit apportées par Charles Signol, qui la ligne à la main, suivait tous les abreuvoirs du pays.

===== Mon arrière Grand’père, qui était venu à St Pierre-le-Moûtiers comme avocat en parlement au présidial, où le roi faisait rendre la justice, y est devenu célèbre, maire de la ville et député à la constituante. Quand le conventionnel Fouché, de triste mémoire, ce qui ne l’a pas empêché de devenir sous l’empire duc d’Otrante, faisait ses tournées dans les campagnes pour ramasser les ci-devants qu’on lui signalait, vint un jour à St Pierre visant le comte Armand de Montrichard qui n’avait pas émigré. Mon aïeul qu’on appelait bouche d’or, qui savait le but de sa visite, l’entretint si spirituellement, que la nuit arriva sans qu’il en aperçut, ce qui sauva la vie au grand’père de mon voisin et ami Gaston, qui savait la chose et me l’a racontée.

Mon aïeul prit pied dans le canton en épousant Mlle Cabaille de Vasselange et en achetant une jolie maison à St Pierre et les 3 domaines de Buy. Se contentant de s’appeler Robert tout court, pendant que d’autres branches prenaient les noms de Chevanes, de Neuville, de Gesnay. Un Robert de Chevane eut une certaine réputation ; étant garde du corps du roi Louis XVI, il était de service quand la foule en folie envahit le palais dans les journées des 5 & 6 Octobre 1789, et se mettant en travers de la porte du roi, il fit tous ses efforts pour le protéger, en disant : à moi appartient l’honneur de mourir le premier pour la défense du roi.
J’ai été en rapport avec un Robert de Chevanne de ses descendants, qui était capitaine de dragons vers 1878 et qui avait comme ordonnance mon vieux domestique Antoine Charronnier.

Je suis heureux de rendre au passage un témoignage de reconnaissance à ce vieux serviteur né sur la terre de Tâches où ses parents habitaient le Pied Prot, où ils sont restés 45 ans en travaillant à la journée pour mon père. Assez délicat dans sa jeunesse, ma grand’mère prenait soin de lui, et mettait de coté de coté les fonds de bouteilles qui restaient sur la table pour les lui faire boire. Son temps de service accompli, il est entré à la maison comme homme à tout faire, plus spécialement valet de chambre. Il était pour moi d’une aide précieuse, me disant quand il fallait du vin, du charbon, du bois de chauffage En 1879, où il avait eu l’hiver le plus rigoureux du siècle, et où des quantités d’arbres avaient gelé, et qu’avec mon père , nous déjeunions avec nos peaux de chèvre sur le dos, les branches basses du Wellingtonia qui est sur la pelouse ayant été coupées, ma mère les avaient remplacées par une volière dans laquelle pendant plusieurs années, Antoine a élevé des perdreaux. Pour eux, il allait chercher au loin des œufs de fourmis, ce qui lui plaisait plus que de donner un coup de balai. Aussi, un jour où Marcelle lui montrait une toile d’araignée dans un couloir, il a répondu : il y a longtemps que la connais. Le pauvre diable a eu une triste fin, la gangrène s’étant mise dans sa jambe gauche, on a été obligé de la lui couper, ce qui a nécessité son installation chez sa fille à St Pierre le Moûtiers. Deux ans après, la jambe droite a eu le même sort et puis il est mort très chrétiennement, après avoir demandé à être enterré dans le cimetière de St Parize où il est venu rejoindre ses parents. Il y avait à la Grâce, un bassecourier du nom de Pieuchot qui avait trois filles. L’aînée, Marie vint à Tâches comme fille de peine à 17 ans. Anne, deux ans après y entra comme femme de chambre de ma mère, et un peu plus tard, la troisième devint femme de chambre de ma grand’mère Tiersonnier. Elle est morte l’année dernière après avoir épousé un employé de chemin de fer. Antoine s’était épris de Marie, il la demanda en mariage et sa main lui fut accordée pour leur plus grand bonheur à tous les deux et aussi pour le nôtre. Il y avait à ce moment-là à Tâches le vieux Ménage Perron qui était là depuis une quarantaine d’année. Marie comme cordon bleu, et Fauché, ce qui veut dire François comme factotum. Les fourneaux n’étaient pas connus, la cuisine se faisait devant un grand feu de bois où brûlaient des bûches d’un mètre de long. Il y avait une rôtissoire actionnée par un tournebroche que Perron remontait quand il en avait besoin, il avait soin aussi d’arroser le rôti qui tournait au-dessus de la lèche-frite, avec une cuiller d’une forme spéciale qui avait le manche très long. Les poulets et les perdreaux qui venaient de là étaient, dit-on, plus succulents que ceux cuits au four. Le reste de la cuisine se faisait sur le potager qui existe encore, avec du charbon de bois, car les plats à confectionner étaient toujours nombreux. Le matin, au déjeuner qui se servait à 9 h ½, il y avait toujours un plat de viande chaud, un plat de viande froid, souvent du jambon préparé soit à la mode des Gouttes, soit à celle de Lys, où habitait un cousin de ma grand’mère qui était né Parent, j’en dirai un mot. A dîner, servi à 6 h, trois plats de viande, un légume et un entremet, tous plus variés les uns que les autres. Le matin on buvait de vin blanc, généralement du Pouilly, le soir du Rouge. Chaque matin, Marie venait dans la chambre de ma grand’mère, où elle faisait sa nombreuse correspondance encor couchée, et à elles deux composaient les menus en feuilletant les livres de cuisine qui étaient bleu pour les entrées, jaunes pour les rôtis, verts pour les entremets. Ils ont été perdus, je le regrette vivement, ils seraient amusants à consulter.
Les Perron, devenus vieux, se retirèrent dans une maison qu’ils avaient fait bâtir à St Parize avec les faibles gages de cette époque. En 1871, quand mon père a voulu lui donner ce qu’il lui devait, Fauché lui a dit : que Monsieur en garde donc la moitié, l’année a été dure !!! Et cette moitié, c’était 4oo frs pour le ménage. Marie Charronnier devint alors cuisinière en pied, et bonne cuisinière, car elle avait été à bonne école. Avec elle arriva le fourneau ; on en profita pour faire dans le four la pain quotidien qui avait différentes formes selon que lon aimait plus ou moins la croûte ou la mie. Quand l’heure de la retraite a sonné, Marie est allée rejoindre à St Pierre le malheureux Antoine et elle est morte peu de temps après lui chez leur fille marié à Louis Galoppier que j’avais eu comme cocher. Ce pauvre diable a subi, à Paris, sous un bistouri d’un des plus grands chirurgiens, une opération terrible : comme il avait un abcès dans la tête, il lui a scié le crâne pour le lui ôter et il a réussi puisqu’il vit encore !



Ma grand’mère que dans le pays on appelait Madame Amable est morte à Tâches pendant la Commune, en 1871. Elle était née en 18oo à St Pierre. Monsieur Louis Rambourg venu au monde en même temps se faisait un plaisir de le lui rappeler. Elle était très aimée dans le pays où elle rendait bien des services , c’est elle qui vaccinait tous les enfants, elle soignait aussi certains maux aux jambes de même que sa sœur Madame Clayeux aux Gouttes. Mon grand’père qui se nommait Amable avait été officier de cavalerie et accompagné l’empereur à Moscou ; en traversant la Bérézina, il avait eu sept doigts gelés tant aux pieds qu’aux mains. Rentré dans ses foyers, pour rendre service à ses voisins, il leur donnait des consultations gratuites dans un cabinet qu’il avait à St Pierre et qu’il ouvrait le Jeudi. Ses clients venaient lui raconter leurs embarras, lui laissaient leurs papiers et comme il n’avait pas fait son droit et que le plus souvent il était bien gêné pour leur répondre, il leur donnait rendez-vous pour le jeudi suivant, tout en se proposant d’aller le Samedi à Nevers trouver son frère Charles qui était président du tribunal civil pour lui demander une solution au problème qu’il n’avait pas pu résoudre . Le Président ne se prêtait pas toujours de bonne grâce à cela, car il avait d’autre chose à faire, la réponse était attendue plusieurs jeudis de suite.
Un jour où il présidait une audience et où il somnolait légèrement, il se réveilla au moment où l’avocat qui plaidait dit : c’est un pré de 14 hectares. Je voudrais bien l’avoir s’écrie le Président, ce qui a fait la joie de tout le tribunal. Il avait à la Baratte, près de Nevers une petite ferme avec une maison qui n’était pas très grande mais dans laquelle la salle à manger avait une dimension assez vaste pour lui permettre d’offrir à dîner aux juges et autres membres du tribunal pendant les vacances. La belle et très digne Madame Robert , née Desnoyer, était toujours de la fête. Un très joli portrait d’elle fait le plus bel ornement du salon des Gouttes.

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