20.2.10

Octobre 1944

1 Pluie. Samedi. Les Villeneuve vont prendre à Mars le train de 9 h. J’ai très peur que Gaby ne s’entende pas avec sa belle mère et son oncle Edmond sur le terrain politique car il blâme le maréchal Pétain pour lequel ils ont une grande vénération. Monsieur le curé annonce en chaire, que la messe est dite pour le Comte Alain de Guébriant fusillé avec 20 autres otages à St Pol de Léon. Marie Antoinette du Verne nous arrive après midi à bicyclette pour dîner et coucher. Elle nous parle beaucoup de son neveu le capitaine Louis de Champeaux venu en permission de Montbéliard où son Régiment tient garnison. Il a été décoré et a plusieurs belles citations.

2 J’envoie à Savignat 25 000 F pour payer les droits réclamés par le fisc pour les bois de St Ouen succession d’Edith. Signe des temps, dernièrement Anginieur a couché chez Marie Antoinette dans un lit avec un oreiller mais sans drap. Marcelle va à Chevenon où elle apprend que dans la nuit du 27 septembre, des individus sont venus chez Bardin lui ont fait verser 35 000 F et l’ont emmené on ne sait où.

3 Gelée. Yvonne reçoit une lettre de Jean du 21 septembre de Bourg Saint Maurice. C’est la première depuis leur séparation. Il s’attend à venir dans la vallée de la Saône. On dit que Laurent de Soultrait forme un régiment à Decize. Barthelniot à l’Atelier a lui aussi été rançonné. J’attends mon tour. Naudin, le sénateur est vivement attaqué par la Résistance qui lui reproche entre autres choses d’avoir été présenté au Maréchal avec dix maires de la Nièvre dont d’Anchald et Roger. J’allume du feu bien plus tard qu’à l’ordinaire.

4 Simone et ses enfants sont depuis 5 jours à Bulhon. Yvonne déjeune à Planchevienne.

5 Marcelle emmène Kiki et Monique à Nevers par l’autobus. Prix : 36 F par tête.

6 + 2 °. Premier vendredi du mois. A mon grand regret, je manque la messe parce que je suis enrhumé et qu’il fait froid. J’envoie 25 000 F au compte de Marcelle au Crédit Agricole, pour garder moins d’argent ici, en redoutant la visite du maquis rouge. Monsieur Dormeuil ingénieur à Imphy et sa femme ont été trouvés assassinés. Galembert à Poil a trouvé son fils tué dans les bois en Août par le maquis rouge. Il l’a reconnu à son vêtement. Visite d’Alain qui nous dit qu’ils rentrent tous à Paris lundi. Yvonne fait une visite de condoléances à la Chasseigne.

7 Lettre de Berthe, le départ des Boches quand ils ont quitté Dornes a été terrible. Ils ont tué le basse-courier du château. Ils ont été remplacés par une bande de maquis, venus de Montluçon qui ont été odieux. M. du Sordet cousin germain des Chavane a été fusillé, son château brûlé, sa famille en fuite on ne sait où. Zizi Delamalle, sa fille la veuve Ducray, Madeleine de Thé et l’aînée de ses filles viennent déjeuner avec nous. Les filles de Maurice viennent de Buy pour gouter. Elles nous disent que leur père est en prison avec M. M. de Rocquigny, Defaye, Chambron, Burin des Roziers, M. Mme Melle Golliaud de Champroux. Dernièrement Lisbeth et ses filles étaient allées aux Salles constater les dégâts, quand le maire communiste qui a remplacé M. de Durat est venu les mettre à la porte. Tout a été pillé, les fauteuils brisés, le linge coupé en morceaux, le coffre-fort éventré etc.

8 Dimanche. Je ne vais pas à la messe parce que je suis enrhumé. Les Rouville partant demain pour Paris, je leur confie une lettre pour Louis de La Brosse, Yvonne une pour sa mère, car les communistes qui sont au pouvoir entravent le courrier pour qu’on ne sache pas dans une zone les atrocités qui se commettent dans l’autre. Pèlerinage Jeanne d’Arc à Saint Pierre.

9 Pluie. Si il y a 20 ans on avait dit aux du Part qu’ils assisteraient , ils auraient été bien étonnés, cependant cela est arrivé ce matin et de plus c’est Marie Louise qui tenait l’harmonium. Ca ne leur a pas coupé l’appétit car ils ont bien fait honneur à notre déjeuner. J’écris à Augustin et à Edmond en leur envoyant une photo de ma 90 éme année. J’en distribue une douzaine à des parents et à des amis qui m’ont fait l’honneur de m’en demander. Lettre de Jean du 4 datée de Boutavent où il a pu venir passer 24 h, mais à son grand regret il n’a pas trouvé d’essence pour faire un crochet jusqu’ici.

10 Pluie 35 mm. Il est tombé des torrents d’eau et les mares se sont remplies pendant la nuit. Je pense à ma pauvre maison de Nevers dont le toit est encore éventré, les plafonds vont être perdus. L’autobus marche trois fois par semaine. Les Lary, père mère et enfants en profitent pour venir passer la journée, à la grande joie de mes arrière petites filles. Ils nous laissent Chantal pour 4 jours.

11 Pluie. Marcelle place 7 000 F à la Séquanaise. Elle va gouter au manoir en revenant de St Pierre et Buy. Pluie torrentielle. Par Suzanne de Rouville, nous avons une carte postale de Cécile datée du 4 octobre. Elle va bien, sa maison n’a pas de mal et ayant été débarquée du secours national, elle se repose et va voir ses amis. Loysal mari de Mimi de La Chapelle a été tué, elle attend un enfant. Je loue la maison du Pied Prot à Pagneux, gendre Reviriot pour un an à partir du 11 novembre pour mille francs. Les sœurs Mabire Delamalle passent la journée avec nous. Le ménage Gallo et Daniel d’Hautegarde sont incarcérés.

12 La Marquise de Champeaux est enterrée ce jour à Lurcy. C’est une vieille amie que je perds. J’écris à sa sœur d’Orcet. Les Du Craye Delamalle nous font part de la naissance de leur fils Emmanuel.

13 Vendredi. Journée sans histoire, triste comme les autres.

14 Melle de Maubec emmène Marcelle à Nevers avec sa ponette qui trotte bien. Mme de Sansal écrit de Paris qu’Hervé est venu coucher 3 fois chez elle de Bois Colombe où il était encore le 10. Augustin prévient Yvonne qu’un capitaine a pris son auto en laissant un bon de réquisition en règle. Un sanglier a été hier devant les chiens de Couturier près de Callot.

15 Dimanche. Un cirque donne une représentation sur le champ de foire et bien que les places soient à 25 F la salle est comble. Présence de M. le curé. Lettre de Cécile du 11.

16 Pluie. Mon rosaire. Pour oublier la pluie qui fait rage, je lis Eugénie Grandet que m’a très aimablement prêté le Colonel Cailles.

17 Marcelle et Yvonne déjeunent à Chevenon, où Antoine a repris son fusil. Il devrait se rappeler qu’il n’y a pas très longtemps, des maquisards l’ont désarmé. Lettre d’Hervé de Colombes où il est très occupé à former sa compagnie. Lettre de Roger du 13. Il a fait 40 hectolitres de vin avec 39 vendangeurs pendant deux jours.

18 Pluie. Marcelle a ce jour à son compte au Crédit Agricole 453 m . Lettre de M. de Valence disant que Jean a eu deux belles citations dont une en Italie. Lettres de Cécile et des Rouville venues assez vite. Marcelle me mène à Nevers où je n’étais pas venu depuis le 18 avril. J’en reviens le cœur navré après avoir vu les décombres de la cathédrale et des maisons qui l’entourent. Croisé un détachement de prisonniers Allemands allant déblayer les rues. Je constate qu’ils ont plus l’allure militaire que les F.F.I. qui encombrent les trottoirs. Vu le C+ Diart vieux et maigre. Il pleut sur son lit. Je lui ai amené des pommes de terre et une citrouille de même à Ballent. Yvonne et Kiki goûtent à Fontallier. Henri Gindre est sorti de prison, mais le colonel Pierre de Lafont y est entré. Grande lettre des deux ménages Rouville. Suzanne m’envoie une beaucoup trop forte somme pour m’indemniser de mes paquets de cigarettes. Je lui offrirai une oie grasse quand le moment sera venu.

19 Lettre assez fraîche de Cécile qui cherche le moyen de venir nous voir. Lettre de Louis qui a eu la joie de voir Hubert en bon état et qui porte sur sa veste américaine le ruban rouge gagné en Italie. A Rome, il a eu une audience avec le Pape. Odette est à Marseille attachée à la 5 éme division Blindée. Il espère la voir bientôt. Bernard a quatre galons et est attaché à un général.

20 Pluie. Lettre de Dédette qui a refusé un autre parti. Lettre de Cécile qui se demande comment elle pourra venir nous voir.

21 Pluie. Je finis de lire Eugénie Grandet de Balzac. Pluie interminable, cela tourne au désastre.

22 Dimanche. Déjeuner au presbytère des membres du conseil paroissial pour parler après boire de la question de vie ou de mort de l’école libre, car on prévoit que l’année prochaine les communistes n’accorderont plus les subsides que donnaient Pétain. Il faut trouver 10 000 F. Au retour on m’apprend que ma meilleure jument de Tâches a une jambe cassée à la suite d’un coup de pied, 80 000 F perdus. Que je regrette les bœufs qui étaient moins fragiles et qui faisaient du fumier.

23 Pluie. Si je me suis couché hier plein d’idées noires après toutes les réflexions entendues à St Parize sur l’avenir de la France, en revanche le réveil a été plus gai. A 8 heures une auto s’arrête sous mes fenêtres et j’entends Marcelle crier c’est Jean. C’était bien lui. Parti de Lure après son dîner, il a voyagé toute la nuit trouvant des routes défoncées des ponts coupés, la Saône en crue. Il est frais comme l’œil. Sa voiture, sa chemise ses souliers, tout est américain. Son ordonnance est habillé comme lui, seuls ses galons de capitaine font une différence. Il nous intéresse beaucoup d’abord en nous racontant sa campagne de Tunisie et ensuite celle d’Italie où ils ont perdu beaucoup de monde. A Rome il a eu une audience du pape au milieu d’un groupe d’officiers Français. Le St Père lui a fait très bonne impression. La ville éternelle a peu de mal, mais le reste de l’Italie n’est qu’une ruine, mais il a vu là bas de très beaux blés. Son frère Pierre est Maréchal des logis chef dans son Régiment. Le plus jeune est caporal en Savoie. Jean ne redoute pas du tout les Russes, il les admire plutôt. Depuis deux ans très rares sont les nuits où il a dormi dans un lit y compris celles passées pendant 8 jours chez Simone Jourdier à Temara à son retour de Tunisie. Gaby de Montrichard vu hier, venant de Lille en moto. Dans le Nord il y a beaucoup de chômage et peu de nourriture. . En Bretagne Pierre a vu brûler le château de la Préverlay appartenant à son beau père M. de Saré et mourir celui-ci peut-être de chagrin. Visite des Montrichard père et fils. Ils sont contents de parler avec Jean.

24 Pluie. Jean me fait lire les deux belles citations qu’il a eues une en Tunisie, une autre en Italie, toutes les deux avec attribution de la croix de guerre avec étoile de vermeil. Je suis bien ennuyé, mon jardinier qui était allé passer quatre jours chez sa mère n’a pas pu revenir hier soir il a mal à une jambe. Si cela dure longtemps, nous serons bien embarrassés car il est la cheville ouvrière de la maison, il tire les vaches, scie le bois pour le fourneau et le rentre. Les pommes de terre et les betteraves ne sont pas finies d’arracher etc. Carte d’Hervé de Colombes, ses hommes sont gais bien que mal logés, mal nourris, mal vêtus. Lettre de Cécile qui voudrait bien venir nous voir, mais ce n’est pas facile. Jean nous laisse 17 litres d’essence américaine. Lettre d’Augustin, à qui le contrôleur réclame des droits énormes pour la succession d’Edith. La maison de Nevers qui avait été évaluée 250 000 F, il la porte à 600 000. Le Mou de 576 000 passerait à 1 200 000. Si l’augmentation est la même pour les domaines d’Azy, la tuile sera lourde à supporter. Simone a une menace de fausse couche.

25 Pluie. Jean part à 3 h du matin pour regagner Lure. Marcelle et Yvonne déjeunent au Manoir avec Marie Grincour.

26 Leclerc mon marchand de bois est mis en prison comme collaborateur. Foire à St Pierre et concours de chevaux.

27 Pluie. Suzanne Le Sueur déjeune avec nous. Son fils va partir en Angleterre comme parachutiste.

28 Pluie. Yvonne aidée de Désiré Balleret ôte les meubles de la mansarde du milieu que je loue à l’année pour mille francs payables tous les trois mois, au ménage Legrand parents de Madame Chleq.

29 Dimanche peu de monde à la messe.

30 Pluie. A 5 h du matin, Hervé frappe à notre porte, il va à Bulhon en auto voir sa femme malade, il repart à 5 h ½ emmenant Yvonne qui devait y aller par le train de 9 h. C’est le jour des surprises, à midi Cécile nous arrive, elle a pu prendre samedi matin à Rennes une Micheline qui l’a amenée à Paris, où elle a dîné et couché chez les Henri de Rouville et grâce à une carte de la croix rouge, elle s’est embarquée à Paris dans un train omnibus qui en onze heures l’a amenée à Nevers où elle a couché chez Marie Antoinette et ce matin Condamine après avoir conduit son lait à son dépôt a pu la transporter jusqu’ici, c’est un voyage providentiel comme rapidité. Madame Thiery me coupe les cheveux ainsi qu’à Monique.
31 Lettre de Geneviève Clayeux, désolée de ne rien avoir de François et de Maurice qui doivent être en France. Je m’abonne au Figaro pour 3 mois.

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