Note préliminaire du copiste. Le 22° cahier des notes de Réné Robert se termine le 16 février 1942. Si le journal quotidien à partir du 17 figure bien dans le 23 °, il est précédé du texte suivant qui aurait dû servir de guide à une réunion du 8 février, à laquelle RR ne s’est pas rendu (les chemins sont si verglacés que mon âne n’aurait pu m’y conduire).
Il doit y avoir le dimanche 8 février 1942 une conférence agricole à St Parize. Je vais tacher d’y aller et de dire les mots suivants.
Messieurs,
Depuis près de 70 ans je m’occupe des travaux des champs, ce qui m’a permis de faire beaucoup de remarques. Voulez-vous me permettre de vous en dire quelques unes. Les engrais d’abord : ceux qui étant chimiques n’étaient pas du tout connus dans ma jeunesse ce qui n’empêchait pas de manger du pain en plus grande quantité et meilleur qu’aujourd’hui. J’ai vu venir le Guano, il arrivait en France dans des tonneaux de bois, provenant d’îles lointaines où il avait été déposé dans des cavernes par le passage d’oiseaux migrateurs qui l’avaient déposé là depuis des milliers d’années. Cet engrais a fait merveille dans la culture des blés, malheureusement il a été vite épuisé. J’ai employé ensuite un engrais chimique complet fabriqué par la maison Gallet-Lefevre, j’en ai été très satisfait. Montant beaucoup à cheval dans ce temps là, quand je m’approchais d’un champ cultivé en blé, de loin je reconnaissais les endroits où l’on avait mis de cet engrais, le blé était plus vert, plus dense et plus haut que là où il n’y en avait pas. La maturité devançait l’autre d’une dizaine de jours ce qui est précieux dans nos terres calcaires qui redoutent beaucoup la sécheresse. Malheureusement, la formule s’en est perdue. Les engrais que j’ai employés depuis ne m’ont pas donné toute satisfaction, aussi je n’usais plus que du nitrate de chaux mis en couverture au printemps sur les blés malingres, 100 K à l’hectare environ. Un engrais que je ne saurais trop vous recommander, ce sont les scories Thomas sur les prés et les fourrages artificiels.
Parlons maintenant du blé. Pour le faire venir en abondance, il faut du fumier. N’étant pas très partisan des engrais chimiques, il me faut du fumier naturel. Or, je vais vous dire une chose bien paradoxale, c’est que plus j’ai d’animaux, moins j’ai de fumier ; en voilà la raison. Un cheptel nombreux a besoin de beaucoup de fourrage. Il m’arrive souvent de ne pas en avoir assez, alors on fait manger les pailles, qui sont du reste parfaites dans nos terres calcaires : celles-ci n’existant plus, on ne fait pas de litière et par conséquent pas de fumier. Un exemple, j’ai près d’ici un domaine situé à Azy le Vif. Il a 62 ha de terres très ordinaires et pendant de nombreuses années, il a été cultivé par 3 générations de la famille Guemerin. Ceux-ci n’avaient pas de chevaux, mais ils avaient des bœufs qui labouraient sans arrêt. Pour la Toussaint on les rentrait à l’étable et ils n’en sortaient qu’à la fin d’avril. Pendant ces 6 longs mois d’hiver, ils couchaient sur une litière épaisse et cette litière faisait venir du blé. Aussi Laurent G a-t-il récolté une fois 1200 double décalitres de blé dans son petit domaine. J’en ai eu dernièrement le témoignage de Gilbert qui habite Moiry et qui servait dans une ferme près du Lieu Maslin. Il était allé avec un chariot aider Guemerin à conduire sa récolte à la gare de Chantenay. Les chevaux étant devenus d’un prix inabordable, pourquoi ne vous remettriez vous pas à cultiver avec des bœufs et même avec des vaches qui sont de très bonnes ouvrières. En Auvergne et dans une partie du Bourbonnais où j’allais souvent, je les voyais à l’ouvrage. Avant la guerre, vous avez pu voir sur nos champs de foire une certaine Madame Baudet qui achetait les meilleures vaches, les ramenant dans son pays et les vendant aux cultivateurs de Varennes et St Pourçain qui les faisaient travailler de suite, ce qui ne les empêchaient pas d’avoir un veau tous les ans. J’en reviens aux chevaux. Ceux-ci sont au pré d’un bout de l’année à l’autre, chez moi au moins. L’hiver on les rentre dans les écuries, où ils trouvent les râteliers garnis du meilleur foin du domaine. Celui-ci mangé, on les relâche, alors il ne profite qu’aux prés au détriment des terres de culture.

Culture du blé, pour celui qui suit un trèfle ou un champ de légumes, un coup de charrue suffit. Mais pour une jachère, appelée Sombre chez nous, c’est autre chose. Il leur faut trois bonnes façons de charrue de mai à octobre et entre temps plusieurs passages d’herse ou de scarificateur, bien fumer avec fumier d’étable ou de bergerie ce qui est encore meilleur, semer grain propre de bonne heure c'est-à-dire à partir du 25 septembre, roulotter de suite ou fin février. Ce procédé m’a toujours réussi. J’ai lu en 1915, (rapport du Comte de Pourins sur la ferme de Dru Aude) la façon dont cultivait un M. Jean dans l’Aude, 22 ha de terre qui 8 fois par 10 ans portaient des céréales sans engrais chimique et très peu de fumier, car comme cheptel, il n’avait que 4 bœufs pour traîner un scarificateur inventé par lui et qu’il passait dans ses terres de 10 à 12 fois en 5 mois, descendant chaque fois un peu plus profondément jusqu’à 25 ou 30 cm. Je ne nie pas les bienfaits du tracteur, mais il n’est pas à la portée de toutes les bourses, son entretien est coûteux et il ne produit pas de fumier. Je recommande particulièrement le déchaumage qui est trop négligé chez nous. Il augmente les récoltes sans coûter bien cher.
Un Languedocien nonagénaire racontait le fait suivant : je me souviens avoir vu dans mon jeune temps, un vieux et pauvre paysan qui ne possédait qu’un petit champ et pour le travailler deux petits ânes et un primitif instrument de bois. Le misérable attelage n’aurait pas eu la force de traîner une charrue ! Mais dès la moisson levée, sans trêve et sans répit, il grattait le sol avec son araire et ses deux ânes ; et au grand étonnement de tous, nul dans le pays n’avait d’aussi belles récoltes que lui.
Je pense à la fable de La Fontaine: Le Laboureur et ses enfants.
Travaillez, prenez de la peine :
C’est le fonds qui manque le moins.
Gardez vous, leur dit-il, de vendre l’héritage
Que vous ont laissé vos parents :
Un trésor est caché dedans.
Remuez votre champ dès qu’on aura fait l’Out,
Creusez, fouillez, bêchez ; ne laissez nulle place
Où la main ne passe et ne repasse.
Le vieux laboureur fait allusion au déchaumage, que l’on ne pratique pas assez chez nous. Car en triturant la terre et en la remuant souvent, on découvre l’azote qu’elle renferme et que l’on n’a pas besoin d’acheter.
Les jachères ou sombres mal faites, sont je crois plus nuisibles qu’utiles. Je vois souvent mes métayers labourer au mois de mars une terre qu’ils veulent mettre à blé. Ils font de grosses mottes compactes qu’ils abandonnent pour ne plus les remuer qu’en septembre tandis que si après une pluie, ils venaient herser leur labour, y passer le cultivateur plusieurs fois, les mottes s’effriteraient, du guéret fin en résulterait et ferait naître toutes les mauvaises herbes, qu’un autre passage de cultivateur ferait mourir. Un guéret frais emmagasine la pluie et conserve de la fraicheur à la terre. Mes métayers doivent bien savoir cela, mais avec le manque de personnel, ils ne font que ce qui est indispensable. Le père Charronnier qui a habité longtemps sur le Pied Prot, la maison où Joachim Chenut vient de mourir en janvier 1942 après y avoir lui-même habité 47 ans, disait souvent : La légume, c’est la pioche qui l’amène. Je le rencontrais toujours de mai à octobre avec cet instrument sur l’épaule, allant d’un champ de pommes de terre à un champ de betteraves. Il gagnait des journées modestes, trop modestes même comme tous les ouvriers des campagnes à ce moment là, ce qui ne l’a pas empêché d’acheter au pont des pelles à Magny une maison avec un bon petit champ que ses enfants ont vendu.
Travaillez, prenez de la peine :
C’est le fonds qui manque le moins.
Gardez vous, leur dit-il, de vendre l’héritage
Que vous ont laissé vos parents :
Un trésor est caché dedans.
Remuez votre champ dès qu’on aura fait l’Out,
Creusez, fouillez, bêchez ; ne laissez nulle place
Où la main ne passe et ne repasse.
Le vieux laboureur fait allusion au déchaumage, que l’on ne pratique pas assez chez nous. Car en triturant la terre et en la remuant souvent, on découvre l’azote qu’elle renferme et que l’on n’a pas besoin d’acheter.
Les jachères ou sombres mal faites, sont je crois plus nuisibles qu’utiles. Je vois souvent mes métayers labourer au mois de mars une terre qu’ils veulent mettre à blé. Ils font de grosses mottes compactes qu’ils abandonnent pour ne plus les remuer qu’en septembre tandis que si après une pluie, ils venaient herser leur labour, y passer le cultivateur plusieurs fois, les mottes s’effriteraient, du guéret fin en résulterait et ferait naître toutes les mauvaises herbes, qu’un autre passage de cultivateur ferait mourir. Un guéret frais emmagasine la pluie et conserve de la fraicheur à la terre. Mes métayers doivent bien savoir cela, mais avec le manque de personnel, ils ne font que ce qui est indispensable. Le père Charronnier qui a habité longtemps sur le Pied Prot, la maison où Joachim Chenut vient de mourir en janvier 1942 après y avoir lui-même habité 47 ans, disait souvent : La légume, c’est la pioche qui l’amène. Je le rencontrais toujours de mai à octobre avec cet instrument sur l’épaule, allant d’un champ de pommes de terre à un champ de betteraves. Il gagnait des journées modestes, trop modestes même comme tous les ouvriers des campagnes à ce moment là, ce qui ne l’a pas empêché d’acheter au pont des pelles à Magny une maison avec un bon petit champ que ses enfants ont vendu.
3 commentaires:
j'ai ajouté en illustration le bien connu tableau de Rosa Bonheur: Labourage nivernais, le sombre
Bravo Geoffroy
Merci beaucoup Geoffroy ! Rosa Bonheur était bordelaise
J'aime beaucoup ce qu'elle faisait surtout ses sculptures
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