JUILLET 1945

1 Je lis messe et vêpres dans ma chambre. Moreau qui est la complaisance même m’apporte de l’argent de Nevers. Il naît au domaine le dix neuvième et dernier veau de l’année
2 Je suis tout barbouillé, je déjeune avec une tasse de camomille. Marcelle va voir Madame Mathieu. Je dîne avec une autre tasse de camomille.
3 A 5 h, visite à mon seau, à 5 h ½ autre visite, à 7 h, à 8 h, à 9 h. Marcelle voulait me faire prendre une purge, celle là est venue tout naturellement et me coupe bras et jambes. Lettre de Cécile qui a fait bon retour.
4 Marcelle déjeune chez Melles Roux et de Maubec. Le prix Goncourt vient d’être attribué à Roger Peyrefitte pour son livre « Amitiés particulières » qui est dégoutant d’immoralité, signe des temps.
5 Moreau m’emmène au Colombier où je déjeune. A 3 h il me conduit à Nevers où je consulte l’oculiste Pivoteau qui me trouve un peu de cataracte à l’œil gauche. Il me prescrit deux paires de lunettes, une pour voir de près, une pour voir de loin et un collyre. Il espère me conserver comme cela ce qui me reste de vue. Je commande des lunettes chez Gaston Perrot. A Fertot, les Savigny n’ont en tout pour personnel qu’un prisonnier Boche.
6 Quatre Clermontois dont M L Soisson et Léon Estager, viennent visiter ma chasse qui semble leur plaire.
7 Le ménage Alexis Thonnier qui a remis son auto en marche vient nous voir. Le Colonel Caillès et sa femme célèbrent leurs noces d’or le 27 août. Je bats le beurre. J’écris à Edmond.
8 Dimanche, je lis messe et Vêpres dans ma chambre. Chaque matins après avoir fait ma toilette mon lit, et mangé ma soupe j’ai une grande lassitude.
9 Pluie insignifiante .Eclipse de soleil à trois heures, on ne la voit pas, le temps étant brumeux. Suzanne Le Sueur me parle de sa chasse qu’elle donnerait gracieusement à mes locataires pour qu’ils la fassent garder et qu’ils lui donnent vingt lapins et réserve pour son fils.
10 Mesdemoiselles Roux et de Maubec nous amène monsieur Barierre pour déjeuner, elles ont une jument qu’il les fera tuer. J’envoie 12 000 F au percepteur de St Pierre et 567F à celui de Chevenon pour 5 hectares de terre ordinaire.
11 J’envoie 4 paquets de cigarettes à Suzanne de Rouville et je paye mes impôts de Nevers 4 717 F propriétés bâties, 770 F de plus que l’an dernier. Avec mon âne je vais à Callot et à Tâches, dans l’un et l’autre domaine les bêtes crèvent de faim et les gens se désolent en attendant la pluie. Le cheval Negro est à bout, il ne peut plus traîner la moissonneuse, tout cela m’attriste
12 On envoie dans des maisons hospitalières des prisonniers rapatriés qui n’ont pas de famille .Rudolph sujet polonais dans ce cas, est resté 15 jours chez madame Le Sueur , elle nous le passe. Nous l’installons dans le bureau, et il sera nourri par le jardinier à nos frais.
13 Soisson m’envoie son sous-seing de chasse conforme à mes désirs et Perrot m’expédie mes deux paires de lunettes, cout 780F. Lettre de Simone, elle attend Hervé le 15 aout , il manque de tout, il a cassé son fusil, marche nu-pied et ne peut plus se raser faute de lame. On lui paye son auto 33 000 F. Je mets du mastic à toutes les fenêtres, cuisine office, salle à manger. Il m’en faudrait 10 livres et je n’en ai qu’une. Marcelle dîne au manoir.
14 Pour fêter la république il fait une chaleur torride 30°.
15 Dimanche je suis encore barbouillé. Je déjeune avec deux pastilles de Lactéol, ça va mieux le soir.
16 Je téléphone à M. Roy au sujet de Duceau son garde qui veut entrer au service de mon locataire de chasse. Je reçois mes bordereaux d’impôts de Saint Pierre, la Seigneurie seule en a pour 22 400. Il est vrai qu’aujourd’hui, même Edmond pense faire à Chateau 80 000 F une paire de bœufs qui pèse 2050 kilos. J’en suis ahuri. Mon rosaire. Lettre de Louis de La Brosse, Hubert est retourné à Rabat.
17 Marcelle assiste à Azy au mariage du jeune Bringant du Lieu Normand avec la petite Michot des Michardes même commune.
18 Encore 30°, vent desséchant, la famine est en marche et les pommes de terre en déroute.
19 Marcelle me fait purger avec de la magnésie pour nettoyer mon intestin et tacher d’éloigner mes dérangements assez fréquents. Augustin m’envoie le bordereau d’impôts d’Azy coût 10 450 F. Les laitiers du département réunis à Nevers disent ne pas pouvoir vendre le litre moins de 9 F, afin d’acheter des tourteaux, sons et autres nourritures pour leurs vaches qui crèvent de faim à cause de la sécheresse qui est générale. Les Roy à Callot ont tué un cochon et donné un repas de 25 couverts pour fêter le retour de leur fils.
20 Lettre de Cécile, il a plu à Rennes. Ici le baromètre monte. André de Riberolles prend à Clermont une auto pour le conduire avec sa famille à Toulouse coût 13 000 F. Encore dérangé à 11H du soir.
21 La très charmante Madame de Mollins accompagné de son petit fils Roland de Jandol passe la journée avec nous, elle porte très gaillardement ses 72 ans. Elle a fait chez du Bourg sa provision de bois pour l’hiver à des prix astronomiques. Il parait qu’une grêle sévère a ravagé tout le pays entre Dijon et Autun.
22 Notre curé étant en villégiature dans le midi c’est un jeune abbé de Luthenay qui vient dire à 9H30 la messe du dimanche ; à mon regret je ne peux y assister. J’ai la visite de Duceau , j’écris à son futur maître.
23 Marcelle fait dire à Magny une messe anniversaire pour ma chère Edith .Elle me rapporte une magnifique paire de pantoufles que Madame Monnot m’a faites avec du drap d’une de mes culottes. J’ai la visite de Thévenard le pharmacien.
24 30° Garnet fermier au Mou est mort subitement. Marcelle emmenée par Moreau va à son enterrement à Challuy. Elle revient par Sermoise où elle fait la connaissance du jeune Henri qui n’est pas très gros. Pendant ce temps j’ai un fort dérangement qui dure 24 heures nuit et jour malgré blanc d’œuf battu et parégorique et lactéol.
25 30° Je me lève tard et je déjeune peu ; je lis avec intérêt le procès du pauvre maréchal Pétain qui termine son discours d’une façon très chrétienne. Maurice Jourdier est sous-lieutenant, quant à son père il est très humilié d’être sous les ordres de Laurent de Soultrait qui a 8 ans de moins que lui. Edmond vend des bœufs de trait 35F le kilo -2000 kilos 70 000 F la paire.
26 Je suis toujours dérangé. La nuit dernière je vais 6 fois sur mon seau. A 8 heures Simone vient nous surprendre, ce soir elle emportera un des petits chiots de Silky pour Monsieur Mathieu. Foire à Saint Pierre, commerce nul, mais lamentations générales à cause de la sécheresse qui règne partout, à Vauban tout particulièrement .A Billey chez les La Boulaye où il y a des sources magnifiques on mesure l’eau même pour la toilette.
27 Vent de plus en plus desséchant.
28 Je reçois le bordereau du Mou 8 666, et une lettre d’Augustin, ils vont bien. Après 17 jours d’hospitalité reçu chez nous, le polonais Rudolph nous quitte. Marcelle dîne au Manoir.
29 Dimanche je vais 5 fois sur mon seau entre 6 h et 7 h30 du matin. Visite de Maurice accompagné de femme et enfants, Michel est un superbe brigadier de cuirassier. Il m’apprend la mort de Xavier Beauchamp qui s’est noyé en péchant dans l’Allier, il laisse 5 jeunes enfants le dernier a quelques mois. Son frère était mort dans un accident de chemin de fer en allant à Lourdes.
30 Bonnichon vient me voir, il me trouve le cœur bon et le ventre non sensible. Il m’ordonne un régime pour arrêter mes dérangements, ni œuf, ni laitage et fruit avec cela un remontant après chaque repas. Très brillante journée de courses hier à Nevers. Le comte de La Calla bat le comte Pierre du Verne, Garnet le jeune fermier du Mou gagne une course et le pari mutuel lui rapporte 31 F pour 1. Emmanuel du Bourg est toujours président et son fils Baudouin réunit ses amis après la fête au restaurant de La Porte du Croux. Il y a 60 ans c’était son grand-père Antonin qui avait la présidence et qui promenait à son bras la préfète du jour. Guite Le Sueur reçoit au Manoir les jeunes Soultrait et d’autres amis qui l’ont emmenée à la réunion sportive, on a dû danser après. La sécheresse ne les atteint pas comme moi. Hier aux Gouttes 39° au jardin à 4 heures.
31 Je paye les impôts du Mou 8 666 F. Les Guillaume, Madame Thérèse de Thé et Roger de Lapinière viennent déjeuner par le car ; ce dernier qui a 42 ans a un peu maigri en captivité, mais pas décati et bien gai. En même temps qu’eux nous avons la visite d’Isabelle d’Avesne. Duceau le futur garde de mon locataire Soisson visite le vieux château pour s’y installer pendant 2 mois en attendant que le père Michel lui rende la garderie du Clou.