5.4.10

JUILLET 1942

1 Lettre de Cécile, ses amies St Germain, de Langle, La Villarmois, la ravitaillent. Carte d’Hervé de Tunisie où il fait des manœuvres, met 16 jours pour me parvenir. Le temps menace, aussi je mets les trois métayers à contribution pour me rentrer les 4 voitures de foin réglementaires. Marcelle ce matin en descendant de bicyclette, se blesse au dessus du talon, Bonnichon appelé, lave la plaie, teinture d’iode, compresse humide, 48 h jambe allongée. Qu’elle se souvienne que 4 hommes avec deux chariots de 3 h ½ à 8 h du soir ont rentré 4 voitures du pré de la Joie dans la grange de la maison.

2 Pluie très bienfaisante. Il n’en était pas tombé depuis le 14 juin. Marcelle et Michel tuent leur plus gros agneau qui fait 40 livres de viande. Elle envoie des côtelettes aux Mollins, une épaule à Louis Monnier et Guite de Sansal vient chercher les autres côtelettes. Nous gardons le gigot.

3 Premier vendredi du mois. Je communie. A 7 h du soir nous arrivent par Mars, deux jeunes Monnier, l’aîné en soutane, il est séminariste depuis quelques mois. Son frère ira le rejoindre au Grand Séminaire à la rentrée. L’un et l’autre sont charmants.

4 Les Edmond Clayeux nous arrivent pour déjeuner et passer 48 h avec leurs neveux. Après midi, ils nous amènent à Chevenon où on nous offre un copieux goûter auquel la jeunesse fait honneur. Chantal est refusée à son bachot.

5 28° Orage. Dimanche. Montrichard réunit le comité de l’école libre, il vient juste deux personnes, Marcelle et M. Danjean. La mère Michel meurt à 7 h du matin après une longue maladie. Nous mangeons le gigot. Depuis la guerre, il n’en était pas entré à la maison.

6 Pluie. Les Clayeux nous quittent après déjeuner. J’ai rarement vu des appétits comme celui de leurs neveux. Ce matin, il y avait comme menu une gougère, une poule au pot et des pommes de terre. Ce dernier aurait pu à lui seul nourrir dix personnes, il n’en est rien resté.

7 Enterrement de la mère Michel, beaucoup de monde, couronne de perles volumineuse. Marcelle emmène les jeunes abbés visiter sa chapelle de Moiry. On coupe l’orge d’hiver qui est belle.

8 Carte d’Edith qui a eu en séjour à Bulhon Madame de Provenchères qui ne pèse plus que 48 kg ce qui ne l’empêche pas de travailler dans le jardin et de faire des chapeaux pour mes petites filles. Edith trouve Hubert amusant par sa laideur. Carte de Jacques de La Brosse de Clermont où il a trouvé un portefeuille d’assurances au Phénix, pas intéressant dit-il. Les jeunes Monnier font venir le taxi de Durafly pour les conduire prendre le train qui les ramène à Paris. Ils ne partent pas à jeun.

9 Les Massias nous amènent Thérèse de Follenay qui est en séjour à Luanges et pendant qu’il va au ravitaillement à Moulins, le Baron nous laisse les dames. J’ai été bien aise de giberner avec Thérèse que je n’avais pas vue depuis au moins 20 ans. C’est le portrait de sa mère. Elle est née en novembre 1873.

10 Carte d’Edith qui nous annonce que Simone et Hubert arrivent aujourd’hui à Nevers et que Jean de Valence viendra à la fin du mois. Je commence une tapisserie pour recouvrir un fauteuil à Madame Massias.

11 Gabrielle de Rouville devait s’installer aujourd’hui à Planchevienne avec ses enfants. Alain étant tombé malade, elle est obligée de rester à Paris pour le soigner et elle nous prie de prendre Anne en pension jusqu’à son retour, c’est ce que nous faisons avec plaisir, cette petite est gentille et facile à vivre. Simone et Hubert sont arrivés hier soir à Nevers.

12 Dimanche. Les du Part viennent gouter et bridger. Crachin insignifiant, il le faudrait plus sérieux. Il n’y a plus d’herbe dans les prés.

13 Rien à signaler.

14 Pas de journal, pas de fête, on travaille dans les champs. J’augmente à l’assurance incendie et foudre la valeur de mes cheptels. Anne de Rouville déjeune chez les Le Sueur, et nous amène Guite pour dîner. Jean se promène avec la jument Dédette attelée à une charrette Américaine repeinte à neuf. Avec son gazogène et sa moto, il ne lui manque rien. Plus modestement, je me promène avec mon âne, au pas, il me conduit à la varenne Calot et une fois de plus, je constate que c’est le meilleur champ de la propriété. Légumes, orge et blé sont magnifiques. Ce n’est pas comme dans les Craies où cette année les récoltes sont nulles.

15 Anne de Champeaux me fait part des fiançailles de Louis avec Melle Feudeler, fille du Secrétaire Général de la préfecture de Constantine. Ils iront à Tlemcen après le mariage. Marcelle déjeune à Luanges.

16 Mon rosaire. L’autobus nous amène Carmen, Simone et Hubert. Je trouve mon arrière petit fils beaucoup moins laid que me l’avait signalé sa grand-mère Edith. Quant à sa mère, c’est une superbe nourrice. Je lui ai payé sa rente du dernier semestre. Blois vient enfin réparer le fourneau de la cuisine et le lavabo.

17 Il fait un vent qui dessèche tout et pas de pluie. C’est un peu partout comme cela, principalement aux Gouttes. Marcelle a son laissez-passer pour 3 mois. Elle en profite pour aller au Veurdre.

18 Roy coupe du beau blé dans les Champs Jamboux. Michel va chercher à la Seigneurie deux chariots de foin que j’avais demandés aux Château de me vendre.
Il me rapporte deux voitures de rougeons coupés dans lesFromenteries laissés par les animaux. C’est une honte ! J’espère que c’est Bertier le basse-courier qui est le coupable. J’éclaircirai la chose.

19 Pluie. Dimanche. Le syndic distribue à la mairie la contribution que chaque propriétaire, petits ou grands, fermiers, métayers, doit fournir à la réquisition comme foin, paille, orge, avoine etc. Je suis taxé pour ma réserve à 155 kg de foin. Je les ferai donner par Calot qui fauche mon pré de la Joie. Cécile nous écrit qu’un grand scandale a éclaté à Rennes, où 14 jeunes gens de la meilleure société ont dérobé à la Croix Rouge des paquets de tabac destinés aux prisonniers de guerre et les ont vendus au marché noir, le prix fort, au dessus de 40 F l’un me dit-on. Où allons-nous ! Si ceux qui doivent donner le bon exemple méritent le cachot. Anne de Rouville part de bonne heure pour Nevers où elle va chercher son amie d’Almont. Elle la ramène déjeuner à Villars manoir à 7 h du soir. Elles vont ensembles à Mars attendre Solange de Barrau, à qui nous donnons à dîner et à coucher. Ces jeunes filles se rassemblent pour aller avec 70 camarades de la région faire du camping demain et pendant 15 jours dans le parc de Neureux appartenant à M. Maurice, maire de Lurcy-Lévis. Cette perspective les comble de joie, mais si le temps ne se réchauffe pas, il ne fera pas bon de coucher dehors, car il n’y a que 12 degrés, aussi je fais mettre un cruchon dans mon lit. Meilleures nouvelles d’Alain.

20 Pluie. Marcelle va à Luthenay porter une layette offerte par la Ligue à une femme qui a eu des jumeaux. A 7 h du soir un téléphone de Dompierre nous apprend qu’Edith a eu une congestion et qu’on demande Marcelle à Bulhon. Geneviève Clayeux y est partie. Les Le Sueur qui sont d’une extrême complaisance se mettent en quatre pour aider Marcelle à partir. Jean vient la prendre avec son gazo après dîner pour demander à Montrichard une autorisation de sortir une auto pour un cas urgent. Il est absent, le secrétaire de mairie donne l’imprimé nécessaire que Jean fait signer par l’adjoint.

21 Et le lendemain, il arrive à 6 h1/2 du matin, chercher ma fille pour la conduire à La Madeleine Moulins où elle espère trouver un car qui la conduira à Clermont. Avec anxiété j’attends des nouvelles. J’ai dit que Montrichard était absent, le malheureux avait été appelé en Bretagne près de son fils Pierre très gravement malade. Suzanne à qui je donne mon tabac de chaque mois qu’elle me rembourse du reste, m’envoie une énorme boîte de chocolat de la Marquise de Sévigné, rien que le port a couté 14 francs, j’en suis confus. Je vais lui écrire pour la gronder. Je reçois mes bordereaux d’imposition. Je suis augmenté de 1/3 environ par rapport à l’année dernière. A 3 h téléphone d’…. chargé de me prévenir de l’état d’Edith par Madame Martineau prévenue elle-même par les Larouzière . Un instant après je reçois une dépêche signée Riberolles ainsi conçue : « Edith très gravement malade danger de mort » Ces deux derniers mots mis j’espère pour que la dépêche ait plus de poids pour un laissez-passer. Simone téléphone qu’elle viendra déjeuner avec moi. A 9 h Cécile me téléphone qu’elle arrivera demain à minuit à Nevers coucher chez les Sansal et viendra à Tâches par le car de midi.

22 Je reçois une carte d’Edith du 15 qui ne laisse rien prévoir de ce qu’il va advenir cinq jours après. Je téléphone à M. de Montrichard pour avoir des nouvelles de Pierre. Il va mieux et son père revient demain. Bien gentiment, Simone vient à bicyclette déjeuner avec moi. Comme nous sortions de table, de Moulins Zabette nous téléphone que ma chère fille est morte ce matin à 8 h ½. Je m’attendais à cette triste nouvelle après les dépêches alarmantes déjà reçues mais ce n’est pas moins dur. Le Bon Dieu m’avait donné trois filles, dont je n’ai eu que de la satisfaction. Je lui en suis bien reconnaissant. Edith était une grande chrétienne, je ne doute pas qu’elle trouve au ciel sa chère maman, qui elle-même avait fait sur la terre tout ce qu’il faut pour le mériter. Madame Le Sueur qui est la bonté même vient avec Jean me dire la part bien vive qu’elle prend à mon chagrin. Gabriel Mathieu vient également. C’est un homme plein de cœur et très serviable. A 7 h ½ M. A. du Verne arrive par Mars. Pour dîner, coucher et me tenir compagnie. Je reconnais bien là son bon cœur.

23 A 8 h du matin, Cécile entre dans ma chambre, elle a passé une partie de la nuit dans la gare de Saincaize. A 11 h, c’est Edmond avec son gazogène qui très aimablement vient nous chercher. Une fois de plus, je reconnais son bon cœur. Montrichard nous amène de Nevers Simone et Hubert. Nous déjeunons de bonne heure et nous partons pour Moulins. Grâce à Edmond qui fait pour moi les démarches à la Commandantur, je peux avoir mon laissez-passer et à 5 h nous étions aux Gouttes. Je trouve Aline moins vieille que je ne le supposais et elle voit mieux qu’elle ne le dit. A 6 h, Antoine nous prenait dans son auto très charitablement et à 8 h nous arrivions à Bulhon. Ma chère Edith n’était pas encore en bière, j’ai pu une dernière fois, voir sa douce et calme physionomie qui n’était pas du tout changée, ma prière pour elle a été de demander au Bon Dieu de la recevoir dans son Saint Paradis, et d’y retrouver sa chère maman. L’une et l’autre ont fait sur la terre tout ce qui est humainement possible pour gagner le ciel. Edith est morte en sortant de la messe où elle avait communié. Sa dernière parole a été « Comme Perette », sentant bien qu’elle avait une congestion qui allait l’emporter comme l’avait été sa voisine, Madame Fain. Le pauvre Augustin est effondré, il a vieilli et beaucoup maigri. Ses filles sont très courageuses, et Miette commande tout avec une assurance qui fait mon étonnement. Une bande de 40 scouts campe sur le bord du ruisseau. Leur abbé loge au château et le lendemain de la mort d’Edith, il dit sa messe en plein air pour elle.

24 A 10 h ½ les gens venant pour l’enterrement, commencent à arriver, de Montaigu, Collin, de Provenchères, les Ravel, Mme Siraudin, Voillaume, Mis de Montgon, de Larouzière, Les Gaspard Soultrait, Touttée, Wagner, Faure, J. de La Brosse etc. Les pompiers en tenue descendent la bière et le cortège se forme, enfants de chœur, 4 prêtres, en tête marchent les scouts, sur tout le parcours des groupes de femmes forment la haie. A l’église où la chère défunte venait chaque jour, la cérémonie est très touchante, le défilé à l’offerte est long et l’émotion est peinte sur tous les visages. Je ne reste pas à la porte du cimetière pour serrer la main, c’est trop fatiguant pour moi. Augustin retient 26 personnes pour le déjeuner qui a lieu dans la galerie.

25 Samedi, visite de M. Fain qui est de passage à la Terrasse. Je fais la connaissance de mon arrière petite fille Aliette qui est un superbe poupon sans un cheveu. J’admire Monique qui a beaucoup profité, cette petite est la passion d’Augustin qui s’occupe d’elle toute la journée, c’est très heureux c’est une diversion pour sa grande douleur. Jacqueline et sa mère toujours comme chez elles à Bulhon.

26 Dimanche. Je vais voir, M. Mathieu, le nouveau venu dans le village. Il est industriel à Clermont et rend souvent service à mes enfants avec son auto. A 9 h ½, feu de camp des scouts devant l’église.

27 Lundi. Téléphone d’Hervé, arrivé à St Etienne où il passe une partie de la journée pour attendre un train qui l’amène à 9 h moins le quart à Lezoux. Augustin va au devant de lui à bicyclette et ils reviennent ensembles dans la voiture du marchand de vin. L’émotion est grande pour Hervé qui avait une grande passion pour sa mère, la vue de son fils fait une heureuse diversion.

28 Mardi. Nous passons la journée sur la terrasse, d’où on descend à plusieurs reprises pour aller ramasser prunes, pêches, abricots qui abondent. C’est toujours le pays de cocagne qui est bien grillé cette année. Le jardin est rempli de légumes, mais aussi de mauvaises herbes. Il faudrait deux jardiniers et il n’y a qu’un malheureux Espagnol. Marcelle quitte Bulhon à la première heure pour gagner Vichy où elle a emprunté à l’aller une bicyclette à la petite Nolot de St Parize qu’elle a beaucoup de peine à retrouver. Elle fait une visite à la très charmante femme du Colonel de La Bretèche et prend un car qui l’amène à la Madeleine où elle retrouve sa bécane que Jean Le Sueur avait disposée dans le couvent. Elle l’enfourche et gagne Le Veurdre et ensuite Tâches où elle arrive au soleil couchant, n’en pouvant plus et morte de faim. Dans la soirée un coup de téléphone à Hervé lui dit que puisqu’il a fait une demande pour aller comme instructeur à St Cyr, il faut aller de suite à Royat parler aux grosses légumes pour plaider sa cause.

29 Mercredi. A 7 h ½ Mathieu de Maringues vient avec son auto prendre Cécile, Simone et moi-même nous prendre pour nous conduire chez lui, où nous montons dans un car qui une heure plus tard nous dépose à Vichy où nous trouvons un gazogène venu de Varennes pour nous chercher (coût 400 F). Nous traversons le pays de Boucé et Tréteau qui a été ravagé par la grêle. Au Plot, il n’y a plus d’ardoises et de vieilles petites tuiles intactes sur les toits. Seules les Montchanin ont résisté. Les arbres n’ont plus de feuilles, c’est un vrai désastre. A 11 h nous débarquons aux Gouttes. Pendant le déjeuner, Hervé qui est parti de bonne heure pour Clermont téléphone à sa femme pour lui dire qu’il y aura peut être encore une place d’instructeur à prendre à Aix (St Cyr) et que de suite elle appelle le Général commandant l’école pour lui demander s’il n’a pas besoin de son mari. Dans la soirée, elle peut l’atteindre et lui parler d’Hervé. Il répond de ne pas perdre tout espoir et qu’il va étudier le dossier. Simone a parlé au général avec une assurance qui a fait l’admiration d’Edmond. Il faut dire que le Général est un ami d’enfance de Madame de Sansal à St Germain en Laye. Les Clayeux reçoivent aux Gouttes pendant les vacances 5 jeunes Monnier dont Madame de Léotard. Tous mangent comme des ogres, j’ai vu disparaître un plat de pommes de terre haut comme une montagne. Marguerite me montre les améliorations faites dans la maison, peintures, papiers, lavabos, eau chaude, eau froide partout. J’en profite pour prendre un bain, ce qui ne m’arrive pas chez moi. La tenue de maison est irréprochable, maître d’hôtel bien stylé qui sert en veste blanche, deux femmes à la cuisine.

30 Après déjeuner, Edmond nous conduit à Moulins où Simone et Hubert prennent le train à 4 h pour Nevers. Cécile et moi à 6 h ½ pour Mars. Je passe l’après midi chez André qui a chez lui Guite Roullet. Mère et enfants sont charmants, bien habillés, propres, polis. A Tâches, on rentre la récolte très facilement car la fâcheuse sécheresse règne toujours et les prés n’ont plus apparence d’herbe, du reste tout le Bourbonnais est horriblement grillé. Marcelle est remise de sa fatigue. Je trouve un monceau de lettres et de dépêches de condoléances. Je répondrai plus tard.

31 Nous avons la visite de Montrichard, sa femme est malade et celle de Guillemain qui a ramené Marie Thérèse à Nevers depuis 2 jours en bonne santé. Que Dieu la garde. Je fais une tournée de domaines, on rentre la récolte et on se plaint de la sécheresse qui est grande. Une vache de Tâches avortée est paralysée. Je vais l’envoyer à la réquisition.

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